Table ronde La dysphagie de l’enfant
Démarche diagnostique devant une dysphagie d’origine œsophagienne chez l’enfant L. Michaud Unité de gastro-entérologie, hépatologie et nutrition, Centre de référence des affections congénitales et malformatives de l’œsophage, Pôle enfant, Département de pédiatrie, Hôpital Jeanne-de-Flandre, Lille.
L
a dysphagie correspond à une sensation de gêne ou de blocage ressentie au moment de l’alimentation, lors de la progression des aliments ou des boissons dans le pharynx ou l’œsophage [1]. Une dysphagie haute ou oro-pharyngée est le plus souvent liée à une affection ORL. Une dysphagie basse se traduit par la sensation de ralentissement ou d’arrêt des aliments sur le trajet de l’œsophage liée à un obstacle à la progression du bol alimentaire ou à des anomalies de la motricité œsophagienne. Une dysphagie basse est synonyme d’une origine œsophagienne.
1. Symptomatologie clinique 156
La dysphagie peut varier dans sa localisation, son électivité pour les solides et/ou les liquides, son mode de début (brutal ou non) et sa progression plus ou moins rapide. Elle peut être partielle (concernant certains aliments) ou totale. Des signes associés doivent être recherchés : régurgitations, vomissements, symptômes ORL ou respiratoires (épisodes de toux ou de suffocation, en particulier lors de la prise des aliments). Certains signes associés peuvent être secondaires à la diminution des ingesta provoquée par la dysphagie : déshydratation, amaigrissement, infléchissement de la vélocité de croissance pondérale et/ou staturale. La dysphagie peut également s’accompagner de hoquet, d’éructation, d’une halitose (mauvaise haleine) ou d’une hypersialorrhée, de douleurs pharyngées, rétro-sternales, thoraciques ou dorsales lors de la déglutition. L’enfant peut adapter spontanément ses prises alimentaires, en passant d’une alimentation solide à une alimentation semi-liquide voire liquide, ce qui peut minorer voire masquer la dysphagie. Le caractère sélectif de la dysphagie, avec prédominance pour les solides, évoque une cause organique (rétrécissement de la lumière œsophagienne) alors qu’une dysphagie paradoxale, c’est-à-dire touchant principalement ou exclusivement les liquides, évoque une origine motrice (achalasie ou trouble de la coordination du sphincter supérieur de l’œsophage).
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156 © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Archives de Pédiatrie 2011;18:156-157
2. Explorations initiales et explorations plus spécialisées L’exploration initiale d’une dysphagie œsophagienne repose essentiellement sur deux examens : l’endoscopie digestive haute avec biopsies œsophagiennes et le transit œsophagien. La manométrie et le scanner sont à réaliser en 2e intention. L’endoscopie digestive haute permet une étude précise de la muqueuse et éventuellement le diagnostic étiologique de la dysphagie. Elle peut montrer une œsophagite, le plus souvent peptique, une sténose œsophagienne, une hétérotopie de la muqueuse gastrique au niveau du tiers supérieur de l’œsophage (inlet patch). L’endoscopie peut également révéler une stase œsophagienne, contenant parfois des résidus alimentaires. Il est anormal de constater une stase même modérée de liquide dans l’œsophage. Ce signe témoigne d’un défaut de clairance œsophagienne et doit faire évoquer un trouble de la motricité œsophagienne. L’endoscopie digestive permet la réalisation de prélèvements biopsiques systématiques et orientés par d’éventuelles lésions macroscopiques. En cas de dysphagie à endoscopie normale, il est indispensable de réaliser des biopsies étagées de l’œsophage pour rechercher une œsophagite à éosinophiles. L’endoscopie permet si nécessaire la réalisation d’un geste thérapeutique concomitant (dilatation d’une sténose). Elle doit être réalisée en 1re intention en cas de dysphagie aiguë douloureuse, évoquant une œsophagite. Le transit baryté apporte des informations complémentaires lorsque l’endoscopie ne peut pas être réalisée d’emblée ou qu’elle est incomplète (sténose œsophagienne infranchissable : compression extrinsèque). Le transit baryté peut montrer une dilatation en amont d’un obstacle, un aspect en faveur d’une achalasie ou mégaœsophage. L’examen peut comprendre une étude morphologique et dynamique de l’œsophage. Il permet d’évaluer la clairance œsophagienne du produit de contraste, un défaut de clairance orientant vers un trouble de la motricité œsophagienne. Le radio cinéma moins irradiant reste le meilleur examen radiologique pour l’étude de la déglutition. La manométrie œsophagienne est l’examen clé pour le diagnostic des anomalies de la motricité œsophagienne et plus spécifiquement de l’achalasie de l’œsophage, en montrant une hypertonie et une absence de relaxation du sphincter inférieur de l’œsophage, associées à des troubles de la motricité œsophagienne (absence d’ondes péristaltiques propagées).
Démarche diagnostique devant une dysphagie d’origine œsophagienne chez l’enfant
La manométrie haute résolution, d’utilisation récente, permet une étude plus précise de la motricité œsophagienne, avec une représentation spatio-temporelle des valeurs de pression œsophagiennes [2]. Elle semble, chez l’adulte, présenter des avantages en termes de précision diagnostique par rapport à la manométrie. La tomodensitométrie thoracique avec coupes axiales et transverses recherche d’éventuelles lésions pariétales et/ou médiastinales, particulièrement en cas de compression extrinsèque sur le transit baryté.
adénopathies), à une malformation vasculaire artérielle (arcs vasculaires complets, artère sous-clavière droite aberrante), ou à une tumeur bénigne du bas œsophage (léiomyome). Les pathologies malignes sont exceptionnelles chez l’enfant. Enfin, la dysphagie peut être observée en cas de volumineuse hernie hiatale. Le méga-œsophage idiopathique (ou achalasie) est la seule cause de dysphagie d’origine motrice chez l’enfant. En effet, les autres pathologies motrices sont spécifiques de l’adulte (spasmes étagés de l’œsophage, sclérodermie ou autres connectivites).
3. Principales étiologies des dysphagies œsophagiennes de l’enfant
4. Conduite à tenir en cas de dysphagie
L’œsophagite, quelle que soit son origine, peut être à l’origine d’une dysphagie, le plus souvent douloureuse, de survenue brutale et d’intensité variable. Il peut s’agir d’une œsophagite peptique, beaucoup plus rarement médicamenteuse (aspirine ou anti-inflammatoires non stéroïdiens), mycotique, infectieuse, ou caustique. Chez l’enfant, un corps étranger digestif dont l’ingestion est passée inaperçue peut, s’il s’est impacté dans l’œsophage, se révéler par une dysphagie [3]. L’œsophagite à éosinophiles est caractérisée par une infiltration intra-épithéliale par des polynucléaires éosinophiles. La symptomatologie révélatrice est souvent atypique, allant de la dysphagie avec sensation d’impaction alimentaire à un tableau de reflux gastro-œsophagien inhabituel, car prolongé ou d’apparition secondaire chez un enfant de plus de 5 ans. Tous les types de sténose œsophagienne peuvent être à l’origine d’une dysphagie : sténose anastomotique, peptique (beaucoup plus rare chez l’enfant depuis la meilleure prise en charge du reflux gastro-œsophagien), caustique compliquant une brûlure caustique ou thermique de l’œsophage, beaucoup plus rarement postinfectieuse survenant chez un patient immunodéprimé ou après sclérose de varices œsophagiennes. Les sténoses congénitales de l’œsophage peuvent se révéler par une dysphagie isolée, souvent très tôt dans la vie [4]. Plus rarement, la dysphagie peut être secondaire à une compression extrinsèque (tumeur du médiastin,
La dysphagie est un symptôme qui a une forte valeur sémiologique et qui ne doit pas être banalisé. L’analyse du contexte clinique est essentielle, de même que l’évaluation de ses conséquences nutritionnelles. En cas de dysphagie oro-pharyngée, un examen ORL doit être réalisé en 1re intention, complété selon les cas par une endoscopie ORL. En cas de dysphagie œsophagienne aiguë, une endoscopie digestive haute doit être réalisée et oriente les examens ultérieurs. En cas de dysphagie œsophagienne d’évolution chronique, une endoscopie digestive haute avec biopsies œsophagiennes étagées et un transit baryté de l’œsophage sont les deux examens habituellement réalisés en 1re intention.
Références [1] Monzy F, Bommelaer G. Bilan diagnostique d’une dysphagie. Acta Endoscopica 2006;36:519-32. [2] Goldani HA, Staiano A, Borrelli O, et al. Pediatric esophageal high-resolution manometry: utility of a standardized protocol and size-adjusted pressure topography parameters. Am J Gastroenterol 2010;105:460-7. [3] Hurtado CW, Furuta GT, Kramer RE. Etiology of esophageal food impactions in children. J Pediatr Gastroenterol Nutr 2011;52:43-6. [4] Jones DW, Kunisaki SM, Teitelbaum DH, et al. Congenital esophageal stenosis: the differential diagnosis and management. Pediatr Surg Int 2010;26:547-51.
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