Fibrome cémento-ossifiant de la mandibule

Fibrome cémento-ossifiant de la mandibule

Annales françaises d’oto-rhino-laryngologie et de pathologie cervico-faciale (2011) 128, 34—37 CAS CLINIQUE Fibrome cémento-ossifiant de la mandibule...

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Annales françaises d’oto-rhino-laryngologie et de pathologie cervico-faciale (2011) 128, 34—37

CAS CLINIQUE

Fibrome cémento-ossifiant de la mandibule夽 J.-P. Trijolet a,b, J. Parmentier a,b, F. Sury a,b, D. Goga a,b, N. Mejean c, B. Laure a,∗,b a

Service de chirurgie maxillofaciale, CHU Trousseau, route de Loches, 37044 Tours cedex, France Faculté de médecine de Tours, université Franc¸ois-Rabelais, 2 bis, boulevard Tonnellé, 37000 Tours, France c Service de radiologie pédiatrique, CHU de Dijon, boulevard du Maréchal-de-Lattre-de-Tassigny, BP 77908, 21079 Dijon cedex, France b

MOTS CLÉS Tumeur osseuse ; Fibrome ossifiant ; Mandibule

Résumé Introduction. — Le fibrome cémento-ossifiant est une tumeur bénigne rare le plus souvent de découverte fortuite. Présentation du cas. — Un patient âgé de 72 ans a été pris en charge pour la découverte fortuite d’une lacune radiologique sur la mandibule. Sur l’orthopantomogramme, une image ostéolytique bien circonscrite, radioclaire de 1 cm de diamètre, était retrouvée au niveau de l’angle mandibulaire. Au scanner, cette lésion unique avait un aspect tissulaire avec un halo clair périphérique sans réhaussement après injection de produit de contraste. Un aspect soufflé de la corticale sur la face linguale était noté. Une intervention chirurgicale a permis l’énucléation de la lésion. L’examen anatomopathologique confirmait le fibrome ossifiant. Discussion/Conclusion. — D’évolution lente et progressive, le fibrome cémento-ossifiant est une tumeur bénigne rare qui atteint les maxillaires et plus fréquemment la mandibule. Les fibromes cémentifiant et ossifiant se différencient par leurs aspects cliniques, radiologiques et histologiques. Les auteurs discutent de l’étiopathogénie, des signes radiologiques pouvant orienter vers ce diagnostic et des moyens thérapeutiques. Le traitement est chirurgical avec selon leur taille une énucléo-résection ou une exérèse plus large avec reconstruction osseuse pour les fibromes de grande taille. © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Introduction

DOI de l’article original : 10.1016/j.anorl.2010.06.005. Ne pas utiliser pour citation la référence franc ¸aise de cet article mais celle de l’article original paru dans European Annals of Otorhinolaryngology Head and Neck Diseases en utilisant le DOI ci-dessus. ∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (B. Laure). 夽

Le fibrome cémento-ossifiant est classé parmi les tumeurs ostéogéniques, défini comme une néoformation bien limitée, parfois même encapsulée, constituée de tissu fibreux contenant des quantités variables de matériel calcifié ressemblant à de l’os et/ou à du cément. L’évolution est lente et progressive. Nous rapportons un cas de fibrome cémento-ossifiant de découverte fortuite lors de l’imagerie et sa prise en charge.

1879-7261/$ – see front matter © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.aforl.2010.07.013

Fibrome cémento-ossifiant de la mandibule

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Figure 1 Orthopantonogramme : découverte fortuite d’une lésion en cocarde au niveau de l’angle de la mandibule gauche

Cas clinique Un patient âgé de 72 ans a été adressé pour la découverte fortuite à l’orthopantomogramme d’une lacune de l’angle mandibulaire gauche (Fig. 1). Le patient était asymptomatique et ne présentait pas d’hypoesthésie dans le territoire du V3. L’examen endobuccal ne retrouvait pas de tuméfaction sur les faces vestibulaire et linguale de l’angle mandibulaire. L’orthopantomogramme montrait une image ostéolytique bien circonscrite essentiellement radioclaire de 1 cm de diamètre. Elle prenait un aspect pseudokystique avec de fines opacités au centre de la lésion, de densité semblable à celle de l’os environnant. La tomodensitométrie retrouvait le caractère bien délimité de la lésion, entourée d’une corticale osseuse légèrement dense à la périphérie. Elle mettait en évidence un stade plus évolué avec des inclusions sous forme de trabécules denses, jouxtant des lacunes osseuses. Elle infiltrait la corticale linguale et amincissait la corticale vestibulaire (Fig. 2). Une intervention chirurgicale permettait l’énucléation de la lésion. La voie d’abord externe avait été privilégiée en raison de la proximité du canal du nerf alvéolaire inférieur. En peropératoire, l’aspect granité de la corticale permettait de localiser la lésion. Un curetage de la région était effectué dans le même temps. L’examen anatomopathologique confirmait le diagnostic de fibrome ossifiant associé à un stroma plus vascularisé. L’examen microscopique révélait une prolifération fibroblastique périphérique, enserrant des structures ostéoblastiques avec ossification imparfaite, s’organisant par endroits en trabécules réguliers dans un tissu conjonctif fibreux. Des ostéocytes, enchâssés dans des logettes, parsemaient la pièce opératoire (Fig. 3).

Figure 2 Tomodensitométrie du massif facial sans injection de produit de contraste en coupe axiale : lésion de l’angle de la mandibule gauche ayant un aspect tissulaire avec un halot clair périphérique sans rehaussement après injection de produit de contraste.

Il survient généralement entre la deuxième et la quatrième décennie, avec un ratio homme/femme de 1/5. La localisation la plus fréquente est mandibulaire (75 %) intéressant la région prémolo-molaire. Les sinus de la face, les cavités nasales sont des localisations plus rares [4]. Il se révèle par une tuméfaction osseuse de croissance lente, progressive, indolore. Il peut parfois refouler les organes dentaires sans entraîner de rhizalyse, ni altérer la vitalité des dents adjacentes. Les tissus avoisinants peuvent être repoussés sans être détruits. Sa consistance est plus ou moins ferme selon son degré de minéralisation. Le fibrome cémento-ossifiant est recouvert d’une muqueuse normale. Il n’y a pas de signes généraux ni d’adénopathies associés [5].

Discussion Le fibrome cémento-ossifiant est une tumeur bénigne ostéogénique ayant une ossification membraneuse. Il touche donc exclusivement les os du squelette maxillofacial [1,2]. Il est constitué de tissu fibreux contenant en quantité variable du matériel minéralisé ressemblant à de l’os et/ou du cément, d’où le terme cémento-ossifiant. La pathogénie reste inconnue : il serait lié à un trouble de la maturation du tissu dentaire d’origine congénitale qui a la possibilité de former cément et tissu osseux [3].

Figure 3 Coupe anatomopathologique : lésion ostéoformatrice constituée d’un mélange d’os tissé et lamellaire, avec des ostéoclastes et ostéoblastes sans atypie.

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J.-P. Trijolet et al. Classification des lésions fibro-osseuses, d’après Wood et Goaz [6].

Dysplasie fibreuse

Dysplasie fibreuse monostotique Dysplasie polyostotique

Dysplasies réactionnelles de la région alvéolodentaire

Dérivent du desmodonte Processus histopathologique identique 3 entités en fonction de leur aspect radiologique Dysplasie ostéocémentaire périapicale Dysplasie ostéocémentaire focale Dysplasie ostéocémentaire floride

Tumeurs fibro-osseuses

Fibrome cémento-ossifiant Fibrome ossifiant (agressif, extragnathique) Fibrome ossifiant juvénile

L’absence des signes cliniques évocateurs permet d’éliminer d’emblée toute pathologie inflammatoire ou traumatique aiguë. L’évolution lente et progressive, indolore et sans trouble neurologique associé, oriente vers un processus néoplasique bénin. La localisation au niveau des maxillaires et la relation avec les dents doivent faire évoquer successivement une origine non odontogénique, puis odontogénique [5,6]. Les lésions radiotransparentes non odontogéniques sont : • le fibrome ossifiant : forme agressive à développement extragnathique et qui, à partir d’une localisation généralement maxillaire, aboutit à l’envahissement des sinus paranasaux, des cavités orbitaires, des os frontaux et des structures de la base du crâne. Cette évolution sévère, infiltrante, peut entraîner une asymétrie faciale, une exophtalmie, une obstruction des fosses nasales [7] ; • le fibrome ossifiant juvénile : tumeur retrouvée chez l’enfant, douloureuse et à croissance rapide. Elle présente un potentiel destructeur important et une rapidité d’évolution bien supérieure à celle du fibrome cémentoossifiant. Le taux de récidive après traitement est élevé. L’aspect histologique diffère du fibrome ossifiant par une plus grande richesse cellulaire, une disposition tourbillonnante des cellules fusiformes et des formations osseuses de type trabéculaire, plutôt que lamellaire [8]. En dehors de ces formes cliniques particulières, d’autres lésions peuvent être envisagées : le kyste anévrismal d’évolution rapide et douloureuse ; le kyste osseux solitaire et le granulome à cellules géantes dont l’âge de survenue est plus précoce [5]. Les lésions vasculaires seront écartées en raison de leur croissance rapide, de leur survenue précoce (hémangiome) et des bruits vasculaires perceptibles (malformations artérioveineuses) [5]. Parmi les lésions odontogéniques, on doit évoquer la tumeur odontogénique calcifiée de Pindborg, le kératokyste odontogénique et la tumeur odontogène adénomatoïde. Ces lésions ont une localisation préférentielle et leur évolution rapidement agressive ne poseront pas de véritable problème de diagnostic différentiel. Les images radiologiques mixtes doivent faire envisager les tumeurs fibro-osseuses des maxillaires (Tableau 1), particulièrement les dysplasies ostéocémentaires périapicales et la dysplasie fibreuse des os.

La dysplasie fibreuse est le principal diagnostic différentiel. Contrairement au fibrome cémento-ossifiant, elle présente une image radiologique mal limitée, avec un aspect en verre dépoli. À un stade précoce, ces deux lésions sont difficilement différenciables histologiquement. L’ossification est anormale, irrégulière, sans ostéoblastes périphériques dans la dysplasie fibreuse. Des cellules fibroblastiques dysplasiques sont retrouvées, associées à une trame collagénique irrégulière, de nombreuses cellules géantes et des zones hémorragiques [9]. Ces différents caractères apparaissent à un stade évolué de la dysplasie, ce qui permet de la différencier du fibrome cémento-ossifiant. Lors de l’exérèse, l’absence de limites nettes entre la dysplasie et l’os sain permet de faire la différence avec le fibrome cémento-ossifiant qui se clive facilement. La récidive de la dysplasie osseuse peut atteindre un taux de 25 % alors qu’elle est rare dans les cas de fibrome cémentoossifiant. La dysplasie ostéocémentaire périapicale et le fibrome cémento-ossifiant peuvent survenir dans la région apicale de dents vivantes. Le plus souvent à la mandibule, le fibrome cémento-ossifiant passe par des stades de maturation voisins de ceux de la dysplasie ostéocémentaire périapicale. Celleci se développe chez des sujets plus âgés, est de plus petite taille et prédomine dans la région incisivo-canine. L’aspect radiologique du fibrome cémento-ossifiant est initialement caractérisé par une image ostéolytique, bien délimitée, se distinguant aisément de l’os environnant. À la mandibule, il s’agit d’une lacune refoulant le canal mandibulaire qui reste intact, et amincissant les corticales vestibulaire et linguale [5], comme nous avons pu le constater. À un stade précoce, le fibrome cémento-ossifiant a l’aspect d’une image bien circonscrite, radioclaire, prenant parfois même un aspect pseudokystique. Au cours de l’évolution, de fines opacités vont se développer au centre de la lésion ; elles ont une densité plus faible que celle de l’os environnant, mais elles peuvent être découvertes précocement par l’examen tomodensitométrique [5,10]. À un stade de maturation plus avancé, l’image est composée d’opacités irrégulières formant des travées osseuses concentriques, circonscrites par une ostéocondensation périphérique, souvent comparée à une coquille d’œuf [10]. Les travées osseuses ont une disposition plutôt radiaire par rapport au centre de l’image mais, au terme de

Fibrome cémento-ossifiant de la mandibule l’évolution, on aboutit à une opacité presque complète de la lésion. À la tomodensitométrie, une masse bien limitée, de densité osseuse, est retrouvée avec le centre de faible densité. La prise de contraste est masquée par la densité osseuse. Des cloisons osseuses forment de véritables logettes au contenu hypodense. Les structures avoisinantes sont refoulées, sans être détruites. À ce stade d’évolution, le fibrome cémento-ossifiant présente des similitudes radiologiques avec la dysplasie fibreuse, ce qui complique son diagnostic. L’aspect bien délimité d’une image ostéolytique pure ou en demi-teinte est évocateur de la lésion et doit être un élément évoqué lors du diagnostic différentiel avec la dysplasie fibreuse. Histologiquement, l’os et le cément sont deux entités microscopiquement distinctes, mais l’origine des cémentoblastes et des ostéoblastes est commune. Il s’agit du recrutement de cellules issues de la membrane desmodontale — elle-même d’origine membraneuse — qui produit également des fibroblastes. Le tissu conjonctif est riche en fibroblastes et en substance minéralisée. Le fibrome cémentifiant comporte des nodules basophiles compacts, alors que le fibrome ossifiant a des travées d’ostéoblastes creusées de logettes ostéocytaires. En l’absence de traitement, l’évolution est lente et progressive. L’augmentation de taille de la lésion menace les racines des dents avoisinantes qui deviennent mobiles. Dans le cas des fibromes éthmoïdaux, l’extension peut rarement se faire vers les orbites et le crâne [4]. L’exérèse doit être réalisée de fac ¸on complète afin d’éviter les récidives. Le fibrome ossifiant présente fréquemment un plan de clivage avec l’os sain, le rendant ainsi accessible à l’énucléation suivie d’un curetage de la cavité résiduelle [3], comme nous avons pu procéder. Dans les lésions récidivées, des énucléations successives ou une exérèse plus large avec ou sans reconstruction pourront être réalisées. L’exérèse éventuelle de l’os péritumoral doit être réalisée dans le plan sous-périosté. Ce dernier est toujours indemne de prolifération lésionnelle ; sa conservation facilite la reconstruction ultérieure par greffon osseux (iliaque ou pariétal). Les récidives des fibromes ossifiants sont variables : 10 à 28 % après énucléation et moins de 5 % après exérèse [3].

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Conclusion Le diagnostic de fibrome cémento-ossifiant est orienté par l’aspect clinique et radiologique de la lésion. L’histologie confirme le diagnostic. Leur traitement est chirurgical avec selon leur taille une énucléo-résection ou une exérèse plus large avec reconstruction osseuse pour les fibromes de grande taille.

Conflit d’intérêt Aucun.

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