La mort de Heydrich : un cas très spécial de botulisme

La mort de Heydrich : un cas très spécial de botulisme

t ditorial M ~ d e c i n e e t M a l a d i e s I n f e c t i e u s e s - - 1986 -- 8 / 9 - 493 & 495 La mort de Heydrich : un cas tr- s special de ...

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t ditorial

M ~ d e c i n e e t M a l a d i e s I n f e c t i e u s e s - - 1986 -- 8 / 9 -

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La mort de Heydrich : un cas tr- s special de b o t u l i s m e * par H.H. MOLLARET

L'article de Gourreau et coll. dans ce m~ne num~ro (3) sur le botulisme au Bois de Boulogne, avec la d~couverte fortuite dans le lac Saint-James d'une roquette datant de la derni~re guerre, nous remet en m~moire un aspect m~dical peu connu de la mort de Reynard Heydrich, abattu ~ Prague le 27 mai 1942. Nazi fanatique, Heydrich fut le responsable cach~~de I'incendie du Reichstag et du coup d'~tat des 27 et 28 f~vrier 1933, puis I'organisateur, avec Goering et Himmler, de la Nuit des Longs Couteaux. AntisOmite forcen~, il fut I'initiateur des pogromes - dont la sinistre Nuit de Cristal - et le cr~ateur des premiers camps de concentration ; c'est lui qui entratna la d~cision de la solution finale du probl~me juif Iors de la conference de Wannzee en 1942. Chef supreme de la police de sQret~ du Reich - la Geheime Staatspolizei ou Gestapo - ~ partir de 1936, il fut nomm~ Protecteur du Reich pour la Boh~me et la Moravie en septembre 1941. Neuf mois plus tard, le 4 juin 1942, il succombait des suites de I'attentat dont il avait ~t~ victime ~ Prague une semaine plus tot. Les circonstances de I'attentat - (( operation Anthropo'id )) minutieusement pr~par~e ~ Londres o~ la d~cision en avait ~t~ prise d~s le 3 octobre 1941, par le Gouvernement tch~que en exil - sont bien connues (1, 2, 5) : alors qu'il se rendait, Sans escorte, ~ Prague, Heydrich, assis ~ I'arri~re de sa voiture, fut atteint dans le dos par les ~clats d'une grenade antichar qui explosa sous la roue arri~re droite et d~chiqueta le flanc du v~hicule. Le chauffeur s'~tant ~lanc~ ~ la poursuite des agresseurs, Heydrich put conduire jusqu'~ I'hOpital Bulovska OL~ le m~decin tch~,que de garde, le docteur Vladimir Snadjar, fut rapidement ~cart~ par son confr~,re allemand, le docteur Dick. Celui-ci tenta vainement d'extirper un ~clat m~tallique d~cel~ ~ la radio. Une intervention plus large fut faite par le professeur Hollbaum, de la Clinique allemande de Chirurgie de Prague. Selon le r~cit du docteur Snadjar : (( la blessure avait une Iongueur d'environ 8 cmet contenait quantit~ de salet~s et de petits ~clats ... la cage thoracique ~tait ouverte, un ~clat de bombe se trouvait dans la rate, le diaphragme ~tait perfor~ ... J'ai dO rester dans la salle de st~rilisation. Le docteur Dick, seul, assista le professeur Hollbaum au cours de I'op~ration ... Je ne sais rien de precis sur I'~tat de sant~ de Heydrich apr~,s I'op~ration. Peut-~tre dut-on lui enlever la rate. Je ne I'ai pas revu. Mais le docteur Dick affirmait qu'il allait tr~,s bien. Sa mort nous a tOUSsurpris. Une septic~mie, disait-on. Le professeur Hamperl, chef de I'lnstitut allemand de Pathologie et le professeur Weyrich, chef de I'lnstitut allemand de M~decine I~gale, r~dig~,rent en commun un rapport sur leurs conclusions m~dicales. On y lit : (( La mort survint par suite de I~sions des organes parenchymateux vitaux par les bact~ries, ~ventuellement par les poisons qui y ont p~n~tr~ avec les ~clats d'engins explosifs et qui se sont d~pos~s surtout dans la pl~,vre, dans le diaphragme et les tissus voisins de la rate, s'y sont agglom~r~s et multiplies. (( C'est tout ce que je peux vous dire ... )) (8). 493

Officiellement donc, Heydrich succomba aux suites infectieuses de ses blessures, b une septicdmie comme A. Decaux vient de I'~crire dans un article rdcent (2).

Une version bien diffdrente de la mort d'Heydrich est apportde par D. Riche dans son livre : (~ La guerre chimique et biologique ~>(7) : (< Ldg~rement blessd par une grenade, Heydrich fut immddiatement conduit b I'h6pital Bulovska. Le lendemain, apr~s une opdration qui s'dtait bien ddroulde, il se sentit gagnd par la paralysie. Les mddecins ne comprirent pas ce qui se passait. IIs essay~rent diffdrents traitements qui, tous, dchou~,rent et le Protecteur de Bohdme-Moravie finit par succomber au terme d'une Iongue agonie. Les Allemands I'ignoraient :mais la grenade qui I'avait blessd contenait de la toxine botulique >). D. Riche nous communiqua ses sources : un volume de R. Harris et J. Paxman : (( A higher form of killing. The secret story of gas and germ warfare >~(4), paru b Londres en 1982 et remarquablement documental sur les recherches mendes en Grande-Bretagne en mati~re de guerre bactdriologique durant la Seconde Guerre Mondiale. C'est en grande partie b ces auteurs que nous devons les informations suivantes : Le British BiologicaiWarfare project remonte b fdvrier 1934 et la direction gdndrale en fut confide Sir Maurice Hankey. Celui-ci s'adressa d'abord b Edward Mellanby, secrdtaire du Medical Research Council, qui refusa formellement tout usage des progrds mddicaux dans un but de destruction, puis Paul Fildes*, chef du M.R.C. bacteriological metabolic unit, qui accepta. En septembre 1936, Hankey proposa au Committee of Imperial Defence, la crdation d'un corps officiel d'experts pour dtudier la portde de la guerre bactdriologique et prendre les contre-mesures ndcessaires. En 1940, fut crdd le tr~s secret Laboratoire de Porton-Down, dont la direction fut confide b Fildes, qui travailla dds Iors enliaison dtroite avec le Strategic Air Command et Camp David aux Etats-Unis. Les recherches entreprises b Porton-Down comportdrent deux theses dominants :Bacillus anthracis et Clostridium botulinum : un premier programme avait envisagd la fabrication de deux, puis de cinq millions de cakes, la production massive de spores de Bacillusanthracis pour les contaminer, et les modalitds de leur dispersion par avion au-dessusde I'Allemagne J La dispersion par engins explosifs fut dtudide ultdrieurement et I'on connait maintenant les ddtails de I'expdrimentation de la (( bombe b anthrax )), faite dans I'tle de Gruinard, durant I'dtd 1942 par le Captain Dalby, de la Royal Artillery, Paul Fildes, Graham Sutton, responsable du secteur expdrimental de Porton-Down et plusieurs hactdriologistes de qualitd :le docteur W.R. Lane, David Henderson, du Lister Institute, et Donald Woods de I'Unit for Bacterial Chemistry au London's Middlesex Hospital. Fildes s'dtait spdcialisd dans I'utilisation de I'arme ((BTX>>, nom de code de la toxine botulique : c'est lui qui, de son propre aveu, (( prdpara >>les deux grenades destindes t~ Heydrich, des grenades main antichar n° 73 sur lesquelles dtaient fixdes par du sparadrap des capsules contenant la toxine. Lorsque les sept parachutistes tch~ques ddcolldrent de Tempsford le 28 ddcembre 1941, pour ~tre larguds pros de Liditch, en Tchdcoslovaquie, deux d'entre eux tenaient b la main avec une attention particuli~re, ces deux grenades.

* Paul Fildes, bact~fiologiste ~minent, n~ en 1882 et mort en 1971, membre de la Royal Society, ~=diteur du volumineux System of Bacteriology (M.R,C. 1931 ), rut un des fondateurs du Bristish Journal of,Experimental Pathology, en 1920.

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Le r~cit de la mort de Heydrich, tel que l'a relat~e le docteur Snadjar, ne mentionne aucun syruptome de botulisme ; mais, selon Harris et Paxman : (( apr~s une p~riode de calme de 1 jour au plus, Heydrich fut atteint de paralysies progressives, ne r~pondant ~ aucun traitement et il mourut le 4 juin 1942 avec les signes du botulisme )~. Les auteurs ~num~rent ensuite les sympt0mes classiques du botulisme, mais ne donnent pas la source selon laquelle ces sympt0mes auraient ~t~ observes chez Heydrich. Le seul t~moignage reste donc celui de Fildes, qui disait volontiers, en privY, avoir contdbu~ ~ la mort de Heyddch. A Alvin Pappenheimer, professeur de Microbiologie ~ Harvard, il aurait dit : (( Heydrich's murder was the first notch on my pistol ~ (6).

Adjoindre de la toxine botulique ~ une grenade antichar peut paraitre aussi saugrenu que superflu, au point que la r~alit~ re@me de toute cette histoire puisse @tres~rieusement raise en doute. Mais il faut la situer dans le contexte de I'Angleterre en 1940-1942, ~poque ~ laquelle les Anglais redoutaient particuli~rement une agression chimique ou biologique : la pasteudsation du lait et la chloration de I'eau ~taient imp~rativement recommand~es. Craignant la dispersion de toxines botuliques sur Londres, les Anglais importS,rent du Canada 235.000 doses de s~rum antibotulique. Lorsque les premiers V1 tomb~rent sur Londres, c'est avec un immense soulagement que le Haut Commandement constata que les projectiles ~taient purement explosifs et ne contenaient aucune arme bioIogique. II faut remarquer, d'autre part, que les pr~paratifs de I'attentat contre Heydrich, I'entrainement des parachutistes tch~ques, la d~cision d'attaquer Heydrich ~ la grenade, le choix de celle-ci, se d~rouI~rent d'octobre jusqu'~ la fin d~cembre 1941 en Grande-Bretagne, cependant qu'~ Porton-Down, dans le m@metemps, Fildes mettait au point ses bombes bact~riennes. Pourquoi ne pas experimenter sur Heydrich un des engins de Fildes ? Et, puisque Heydrich ne succomba pas ~ I'explosion elle-m@me mais au botulisme, I'adjonction de toxine ~ la grenade antichar ne fut finalement pas superflue. •

BIBLIOGRAPHIE

"1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8.

CALIC E. -- Heydrich, I'homme clef du lie Reich. Paris, Laffont ~dit., 1985, 356 p. DECAUX A. - - D e u x hommes pour tuer Heydrich, Historia, 1986, 471, 58-68. GOURREAU J.M., G U I L L O U J.P., LOUZIS C., MOUTOU F. -- Botulisme au Bois de Boulogne, Med. Mal. Inf., 1986, 16, nO 8/9. HARRIS R., P A X M A N J. -- A higher form of killing. The secret story of gas and germ warfare. London, Chatto & Windus @dit., 1982. I V A N O V M. -- L'attentat contre Heydrich. Parts, Laffont ~dit., 1972. PAPPENHEIMER A. -- D6claration faite en mars 81 & Harris & Paxman (4). RICHE D. -- La guerre chimique et biologique. Paris, Belfond @dit., 1982, 310 p. SNADJAR V. -- R~cit relat@ par Ivanov (5).

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