La pratique de l’anesthésie pédiatrique : des recommandations attendues

La pratique de l’anesthésie pédiatrique : des recommandations attendues

Ann Fr Anesth Réanim 2000 ; 19 : 345–7 © 2000 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S0750765800002355/EDI Éditorial ...

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Ann Fr Anesth Réanim 2000 ; 19 : 345–7 © 2000 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S0750765800002355/EDI

Éditorial

La pratique de l’anesthésie pédiatrique : des recommandations attendues I. Murat Service d’anesthésie-réanimation, hôpital d’Enfants Armand Trousseau, 26, avenue du Dr-Arnold-Netter, 75571 Paris cedex 12, France

Dans ce numéro des Afar, paraît une enquête sur la pratique de l’anesthésie pédiatrique effectuée par les anesthésistes de la région Ouest [1]. Cette enquête a concerné la moitié des médecins anesthésistesréanimateurs français et le taux de réponses est de 35 %. Ces 1 526 répondants reflètent assez fidèlement la démographie des médecins anesthésistesréanimateurs rapportée par l’enquête Cfar-Sfar-Ined en 1999 tant en ce qui concerne l’âge moyen, que la formation initiale et le lieu d’exercice [2]. Sur les 8 500 médecins anesthésistes-réanimateurs exerçant en France, 7,4 % soit 630 ont une activité d’anesthésie pédiatrique quasi-exclusive alors que 45,2 % d’entre eux, soit environ 3 850, déclarent endormir des enfants. Parmi les 8 millions d’anesthésies réalisées en France en 1996, l’anesthésie pédiatrique représentait 12 % des anesthésies soit environ 1 million d’anesthésies par an [3]. L’anesthésie en ORL représente 64 % des actes chez l’enfant de un à quatre ans. Les interrogations et les demandes présentées dans cet article concernent donc une large proportion des médecins anesthésistes-réanimateurs exerçant actuellement en France. Quelles sont leurs attentes ? Plus des deux tiers des anesthésistes ne s’estiment pas satisfaits de la formation continue actuellement proposée et souhaiteraient avoir la possibilité d’effectuer des stages pratiques d’anesthésie pédiatrique. Le deuxième souhait porte sur une « réglementation » de la pratique de l’anesthésie pédiatrique indiquant le volume critique d’actes et des limites d’âge. La multiplication des plaintes à l’encontre des médecins, et en particulier des anesthésistes, n’est certainement pas étrangère à ces demandes.

La formation continue sous forme de stages pratiques est faite principalement par les centres ayant une activité pédiatrique exclusive. Si on estime que tous les praticiens n’ayant pas d’activité pédiatrique exclusive doivent suivre au moins une formation pratique par an, les structures exerçant l’activité pédiatrique n’auront probablement pas les moyens humains de réaliser correctement cette formation, car ils assurent déjà la formation des internes du Desar et des élèves IADE. Cette demande de formation continue est souvent centrée sur l’anesthésie du jeune nourrisson. Cette tranche d’âge est celle où le risque anesthésique est le plus élevé avec une surmortalité et une surmorbidité anesthésiques chez le nourrisson de moins de un an par rapport à l’enfant plus âgé. En effet, dans toutes les grandes enquêtes épidémiologiques, le risque d’arrêt cardiaque est dix fois plus élevé chez le nourrisson de moins de 12 mois que chez l’enfant entre 1 et 14 ans [4-6]. En revanche, le risque d’incidents est réduit lorsque l’anesthésie est confiée à un praticien expérimenté en anesthésie pédiatrique [7, 8]. En France, en 1996, l’anesthésie des enfants de moins de un an ne représentait que 0,8 % des actes soit 69 400 nourrissons de moins de un an, dont 41 % sont endormis dans les CHU soit environ 28 500 par an. Les actes se repartissent entre chirurgie digestive (24 %), ORL (25 %), chirurgie urologique (13 %), chirurgie maxillofaciale (9 %) ophtalmologique (9 %) et orthopédique (5 %). Si on considère que les anesthésistes pédiatriques exercent probablement en majorité dans les CHU, et que tous ceux qui ont une pratique non-exclusive endorment des enfants de moins de 1 an, le nombre moyen d’anesthésies chez l’enfant de moins de un an serait

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de 10 par an et par anesthésiste n’ayant pas de pratique exclusive. Il est évident qu’une telle pratique est insuffisante pour maintenir une compétence dans ce domaine très particulier. Si tous ne peuvent accéder à une pratique suffisante, faut-il la réglementer ? L’enquête présentée indique clairement qu’une large majorité de médecins anesthésistes-réanimateurs souhaite une réglementation basée sur le volume d’actes effectués et l’âge des patients. Si la pratique occasionnelle est dénoncée par tous, la pratique minimale est difficile à définir. Les enquêtes épidémiologiques indiquent que l’incidence des complications diminue avec l’augmentation de la pratique. C’est ainsi qu’en France, une enquête postale réalisée auprès des anesthésistes-réanimateurs, a montré que l’incidence des complications anesthésiques était inversement corrélée au volume annuel d’activité des praticiens [9]. L’incidence des complications passait de 7 pour 1 000 anesthésies lorsque le praticien avait une pratique inférieure à 100 anesthésies pédiatriques par an, à 2,8 pour 1 000 anesthésies lorsque la pratique était comprise entre 100 et 200 anesthésies d’enfants par an et à 1,3 pour 1 000 anesthésies lorsque cette dernière était supérieure à 200 anesthésies d’enfants par an. Malgré les limites de cette enquête (postale, rétrospective), elle confirme la nécessité d’une pratique régulière pour entretenir des compétences spécifiques. Dans l’enquête présentée dans les Afar, le laryngospasme est une complication particulièrement redoutée chez l’enfant. Il est intéressant de noter que cette complication est plus fréquente chez les praticiens peu expérimentés en anesthésie pédiatrique que chez les praticiens expérimentés [10]. Si la pratique minimale est difficile à quantifier, la limite d’âge est plus consensuelle. La limite de un an retenue par la majorité des anesthésistes est celle qui ressort le mieux des enquêtes de morbidité et de mortalité citées plus haut [4-7]. Elle diffère des propositions anglaises qui fixent la limite à trois ans, et des propositions des chirurgiens pédiatriques qui la placent à cinq ans. En pratique, le transfert des nourrissons est déjà largement pratiqué surtout dans le contexte de l’urgence. Par exemple, dans la région Île-de-France, 12 700 enfants de moins de 10 ans bénéficient d’une anesthésie générale chaque année dans les 23 hôpitaux généraux de la région (enquête réalisée par le collège d’anesthésie d’Île-de-France et présentée par le Dr Marc Pellerin, au congrès de la Sfar en 1998).

Sur les 23 centres hospitaliers, neuf disposent d’un service de pédiatrie et n’ont pas de limite d’âge à leur pratique ; parmi les 14 autres établissements, neuf ont fixé des limites d’âge variant entre trois mois et trois ans, cinq n’en ont pas fixé, mais effectuent principalement des actes d’ORL et d’ophtalmologie. Vingt-deux établissements sur 23 excluent la pratique de l’anesthésie néonatale. L’urgence pédiatrique est refusée expressément par cinq services et clairement limitée dans quatre autres. Les auteurs de cette enquête insistaient eux aussi sur une forte attente de recommandations concernant la pratique de l’anesthésie pédiatrique, et la nécessité de regrouper les activités sur des sites spécifiques dans le cadre de filières de soins. Les limitations d’activité en fonction de la pratique sont donc une réalité. Elles sont souvent initiées par les anesthésistes, et officialisées par les structures locales (direction, CME). En l’absence de réglementation, les solutions adoptées ne sont pas homogènes et les obstacles sont nombreux. La communauté des chirurgiens pédiatriques soutient très largement tous les efforts de restructuration visant à concentrer les activités de pédiatrie vers les centres importants, mais les pédiatres qui assurent souvent le suivi postopératoire dans les CHG à faible activité chirurgicale s’opposent souvent aux demandes de transfert qui impliquent l’éloignement temporaire de l’enfant du lieu d’habitation des parents. Ces réflexions ainsi que les résultats de l’enquête publiée incitent fortement à proposer que les enfants de moins de un an soient pris en charge par des équipes entraînées à la pratique de l’anesthésie pédiatrique. Outre les compétences des praticiens, il faut insister sur la nécessité d’un environnement adapté à cette pratique. Celui-ci comprend du personnel soignant formé à la prise en charge des nourrissons, mais aussi un environnement technique spécialisé (radiologues pédiatriques, réanimation néonatale et polyvalente…). Les contraintes qui résulteraient de telles recommandations sont faibles, compte tenu du volume d’actes concerné. Dans cette optique, comment sélectionner les praticiens « autorisés » ? Un préalable serait de travailler dans une structure adéquate disposant d’un environnement adapté. Une pratique suffisante serait le deuxième préalable. En se référant à l’enquête postale sur les complications de l’anesthésie, on peut tenter de raisonner par tranche de 100 anesthésies d’enfants par an et par praticien.

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On réduit le risque de complications de l’ordre de 50 % chaque fois que l’on passe le cap des 100. Dans les centres de faible activité qui souhaitent conserver une activité pédiatrique, il serait souhaitable d’avoir un référent dédié à cette activité aidé d’un petit nombre de collègues de façon à assurer une continuité des soins et une prestation de qualité. Des textes sont en cours d’élaboration par la Sfar et l’Association des anesthésistes-réanimateurs pédiatriques d’expression française (Adarpef). Le texte qui sera présenté au congrès de la Sfar en septembre 2000 ne concerne que les structures dans lesquelles s’exercent l’anesthésie pédiatrique et le matériel, mais ne comporte aucune recommandation concernant la pratique occasionnelle et les limites d’âge. Des recommandations sur ces points difficiles sont clairement souhaitées par la majorité des praticiens concernés, il est urgent de leur répondre.

2 Les médecins anesthésistes-réanimateurs en France en 1999. Résultats de l’enquête démographique Cfar-Sfar-Ined. http://sfar. org/demographie. html

RE´ FE´ RENCES

9 Auroy Y, Écoffey C, Massiah A, Rouvier B. Relationship between complications of pediatric anesthesia and volume of pediatric anesthetics. Anesth Analg 1997 ; 84 : 234-5.

1 Ritz O, Laffon M, Blond MH, Granry JC, Mercier C. Enquête sur la pratique de l’anesthésie pédiatrique en France auprès de 1 526 anesthésistes-réanimateurs. Ann Fr Anesth Réanim 2000 ; 19 : 348-55.

3 Auroy Y, Laxenaire MC, Clergue F, Péquignot F, Jougla E, Lienhart A. L’anesthésie en France en 1996. Anesthésies selon les caractéristiques des patients, des établissements et de la procédure associée. Ann Fr Anesth Réanim 1998 ; 17 : 1311-6. 4 Olsson GL, Hallen B. Cardiac arrest during anaesthesia. A computer-aided study in 250,543 anaesthetics. Acta Anaesthesiol Scand 1988 ; 32 : 653-64. 5 Tiret L, Nivoche Y, Hatton F, Desmonts JM. Complications related to anaesthesia in infants and children. A prospective survey of 40,240 anaesthetics. Br J Anaesth 1988 ; 61 : 263-9. 6 Cohen MM, Cameron CB, Duncan PG. Pediatric anesthesia morbidity and mortality in the perioperative period. Anesth Analg 1990 ; 70 : 160-7. 7 Keenan RL, Shapiro JH, Dawson K. Frequency of anesthetic cardiac arrests in infants: effect of pediatric anesthesiologists. J Clin Anesth 1991 ; 3 : 433-7. 8 Van Der Walt JH, Sweeney DB, Runciman WB, Webb RK. Paediatric incidents in anaesthesia: an analysis of 2,000 incidents reports. Anaesth Intensive Care 1993 ; 21 : 655-8.

10 Schreiner MS, O’Hara I, Markakis DA, Politis GD. Do children who experience laryngospasm have an increased risk of upper respiratory tract infection? Anesthesiology 1996 ; 85 : 475-80.