La tachycardie atriale chaotique compliquée de cardiomyopathie : à propos d'un cas insolite

La tachycardie atriale chaotique compliquée de cardiomyopathie : à propos d'un cas insolite

Annales de Cardiologie et d’Angéiologie 54 (2005) 292–295 http://france.elsevier.com/direct/ANCAAN/ Fait clinique La tachycardie atriale chaotique c...

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Annales de Cardiologie et d’Angéiologie 54 (2005) 292–295 http://france.elsevier.com/direct/ANCAAN/

Fait clinique

La tachycardie atriale chaotique compliquée de cardiomyopathie : à propos d’un cas insolite Chaotic atrial tachycardia–induced cardiomyopathy: an out of the ordinary case E. Salamé a,*, H. Osta a, S. Antonios a, T. Abdel-Massih a, B. Gerbaka b, R. Kassab a a

Service de cardiologie, hôpital Hôtel-Dieu de France, rue Alfred-Naccache, Beyrouth, Liban b Service de pédiatrie, hôpital Hôtel-Dieu de France, Beyrouth, Liban Reçu le 8 février 2005 ; accepté le 5 avril 2005 Disponible sur internet le 11 mai 2005

Résumé La tachycardie atriale chaotique (TAC) est un trouble du rythme rare, d’étiologie inconnue, touchant le plus souvent le nourrisson normal. Le diagnostic repose sur l’électrocardiogramme (ECG) de surface, spectaculaire en raison du polymorphisme et de l’irrégularité de l’activité atriale. La tolérance clinique est variable selon la fréquence ventriculaire. Les formes mal tolérées et celles qui ne sont pas spontanément résolutives méritent un traitement médical qui repose sur l’amiodarone et les antiarrythmiques de la classe I C [1]. La guérison définitive est la règle dans les premiers mois de vie [2]. Les auteurs présentent le cas d’une patiente chez qui on a découvert une tachycardie atriale chaotique compliquée d’une cardiomyopathie à la naissance et traitée avec succès par l’amiodarone avec plusieurs rechutes suite à des récidives de l’arythmie secondaires à l’arrêt de ce traitement. Bien que cette observation soit classique dans sa présentation, nous avons pensé qu’il est très utile de rappeler en quoi consiste ce syndrome rare, souvent oublié, et de rapporter plusieurs points particuliers et insolites dans ses aspects et dans son évolution. © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract Chaotic atrial tachycardia is a rare arrhythmia that has no known etiology and that usually inflicts upon newborn infants. The diagnosis is established using the surface electrocardiogram (ECG) which shows a spectacular polymorphism and irregularity of the atrial electrical activity. Clinical tolerability is variable depending on the ventricular rhythm. Cases that are not well tolerated and cases who do not recover spontaneously require medical treatment which relies mainly on amiodarone and other class IC anti-arrhythmic drugs [1]. There is usually complete recovery during the first few months of life [2]. The authors present the case of a female patient who was diagnosed with chaotic atrial tachycardia with induced cardiomyopathy following birth. She was successfully treated with amiodarone but had several relapses of the arrhythmia upon discontinuation of the drug. Although this observation is classic in its presentation, we consider that it is useful to remember this rare and frequently forgotten syndrome and to report the unique and particular aspects of our case and its evolution. © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Tachycardie atriale chaotique ; Cardiomyopathie Keywords: Chaotic atrial tachycardia; Cardiomyopathy

* Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (E. Salamé). 0003-3928/$ - see front matter © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.ancard.2005.04.009

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1. Présentation du cas Une nouveau-née, issue d’une grossesse normale et d’un accouchement normal le 11 octobre 1990, présente au 6e jour de sa naissance un épisode de froideur, une pâleur extrême accompagnée de sueurs froides et de vomissements fréquents. L’examen clinique est sans particularité à part une tachycardie permanente aux alentours de 200 à 250 battements/minute. L’ECG standard montre une tachycardie supraventriculaire à fréquence variable. En revanche, la radiographie simple du thorax et l’échographie cardiaque se sont avérées normales ainsi que les autres examens biologiques et paracliniques (Figs. 1 et 2). Un traitement à base d’amiodarone et de digitaline a été institué et le rythme sinusal est rétabli 48 heures après le début de ce traitement et l’état de l’enfant est complètement transformé. L’amiodarone est arrêté trois mois plus tard, tandis que la digitaline est maintenue et sa dose adaptée au poids

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En décembre 1991, l’enfant est hospitalisée dans un hôpital périphérique pour un tableau d’insuffisance cardiaque globale sévère : gêne respiratoire, toux incessante, œdème des membres inférieurs et un état d’anasarque. L’ECG enregistre une tachycardie supraventriculaire à 230/minute en moyenne, la radiographie simple du thorax met en évidence une cardiomégalie avec surcharge vasculaire pulmonaire bilatérale, alors que l’échodoppler cardiaque montre une dilatation des cavités cardiaques avec hypokinésie sévère et globale du VG et effondrement de la FE à 31 % (Fig. 3). Le Holter rythmique montre une tachycardie supraventriculaire permanente avec des fréquences ventriculaires variables entre 170 et 250/minute et occasionnellement, avec le ralentissement de la fréquence cardiaque, des ondes P de morphologie et d’axe différents. Le diagnostic est ainsi établi : insuffisance cardiaque globale par décompensation d’une cardiomyopathie secondaire à une tachycardie atriale chaotique. Un traitement digitalo-

Fig. 1. Tachycardie supraventriculaire.

Fig. 2. Echocardiographie avec fonction ventriculaire gauche altérée.

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Fig. 3. Normalisation de la fonction ventriculaire gauche après ralentissement de la fréquence cardiaque.

diurétique maximal est entamé avec une dose de charge d’amiodarone per-os (30 mg/Kg par jour pour 3 jours, puis 15 mg/Kg par jour pour 3 autres jours, puis 7.5 mg/Kg par jour pour une semaine). Quatre jours plus tard, le rythme sinusal est rétabli et l’état de l’enfant est nettement amélioré. L’échographie de contrôle effectuée une semaine après le rétablissement du rythme sinusal montre une amélioration de la fonction systolique du VG dont la FE passe à 44 %. Trois semaines après son admission, l’enfant quitte l’hôpital avec un traitement digitalodiurétique, un inhibiteur de l’enzyme de conversion et l’amiodarone à la dose de 5 mg/Kg par jour (1/4 comprimé d’amiodarone). Un an après son admission, un bilan complet a été effectué sous traitement : l’enfant est en parfait état en rythme sinusal, et la FE du VG est calculée à 54 %, le bilan thyroïdien est normal. À l’âge de trois ans, le pédiatre arrête l’amiodarone en maintenant la digitaline; cependant, quelques semaines plus tard (6 à 8 semaines), l’enfant passe de nouveau en tachycardie atriale à 160/minute avec altération de la fonction systolique du VG dont la FE passe à 38 %. Le rythme sinusal est rétabli par une dose de charge d’amiodarone. Une échographie de contrôle effectuée six mois plus tard montre une normalisation de la FE du VG. Quatre ans plus tard, les parents arrêtent l’amiodarone et de nouveau l’enfant récidive quelques semaines plus tard en TAC avec altération de la fonction du VG, ce qui a nécessité la réintroduction de l’amiodarone avec succès. À l’âge de dix ans, et après un état de stabilisation rythmique et hémodynamique, un essai thérapeutique a été tenté : l’amiodarone a été remplacé par la propafénone à la dose de 150 mg deux fois/jour en association avec la digitaline, essai qui s’est soldé par un échec car l’enfant rechute en TAC avec altération de la fonction du VG sept semaines après l’arrêt de l’amiodarone.

Un an plus tard, une nouvelle association a été tentée à base de flécainide 100 mg deux fois/jour en association avec l’aténolol 50 mg/jour sans succès ; de nouveau la patiente est remise à l’amiodarone en association avec l’aténolol en septembre 2001. Enfin le 10 novembre 2004 et à l’occasion d’un écart de traitement, la jeune fille récidive en TAC avec altération de la FE du VG à 33 % ; à noter qu’une échographie réalisée un an auparavant, alors que le rythme était sinusal, avait montré une FE à 62 %. L’enfant a alors été traitée par une dose de charge d’amiodarone, avec conversion en rythme sinusal. Lors de cette dernière hospitalisation, un bilan général effectué, notamment thyroïdien et hépatique, s’est avéré normal.

2. Discussion La tachycardie atriale chaotique est un trouble du rythme supraventriculaire rapide qui prend son origine dans les oreillettes. Il se distingue par la présence d’au moins trois auriculogrammes de morphologies différentes avec retour à la ligne isoélectrique entre les ondes P. Son incidence exacte est difficile à connaître en raison du faible nombre de cas publiés, moins de cent dans la littérature [3–10]. Parmi les tachycardies supraventriculaires du nouveau-né, Kachaner a retrouvé 15 cas de TAC sur 111 patients soit une incidence de 13,5 % [2]. Souvent, la TAC est en apparence primitive et survient dans les 6 premiers mois de vie. Rarement, elle s’intègre dans un contexte de malformation cardiaque congénitale [3,4,9]. Les TAC sont souvent dépistées lors d’un examen systématique sur l’irrégularité du rythme cardiaque d’un enfant asymptomatique. Pourtant quand le rythme est assez rapide, il entraîne progressivement une insuffisance cardiaque congestive parfois sévère comme chez notre patiente.

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L’histoire naturelle est variable. Parfois elle évolue comme un accès transitoire spontanément résolutif [3,5]. Son traitement est toujours médical. Il est entrepris en cas de non résolution dans l’espace de quelques jours et surtout lorsqu’il entraîne des signes d’insuffisance cardiaque. Les chocs électriques externes, les techniques de stimulation rapide et les techniques d’ablation par radiofréquence sont inefficaces. Les antiarythmiques administrés par voie intraveineuse sont inefficaces voire dangereux [3]. La digoxine a été très utilisée dans la littérature [8], particulièrement dans les séries les plus anciennes. Seule, elle est peu efficace et encourt le risque de toxicité digitalique [5,6,9]. Actuellement, les traitements considérés comme les plus efficaces reposent sur l’amiodarone et les agents de classe IC (flécainide, propafénone) par voie orale [1,3]. Chez les enfants ayant un cœur sain, la durée du traitement est de un an renouvelable en cas de récidive. Notre cas met en évidence plusieurs points forts. En accord avec la littérature, il rappelle : • Une entité rare mais existante celle de la cardiopmyopathie dysrythmique ou induite par une tachycardie. Ce cas a le mérite de prouver cette entité d’une façon formelle et irréfutable car à l’occasion de six épisodes de TAC l’enfant présente une altération de sa fonction du VG, documentée par les échocardiographies. En revanche, une fois le rythme sinusal est rétabli, l’enfant récupère une fonction systolique quasi-normale au bout de quelques semaines. • Une sensibilité parfaite de cette dysrythmie à l’amiodarone qui est un antiarrythmique efficace dans la réduction de la TAC et la prévention des récidives [5]. C’est ainsi qu’à chaque tentative d’arrêt de ce traitement par crainte de la survenue d’effets secondaires, on assistait à une récidive de la TAC et par la suite de l’insuffisance cardiaque. La réadministration de l’amiodarone rétablit le rythme sinusal et par conséquent assure l’amélioration de la fonction cardiaque et la résolution des signes de l’insuffisance cardiaque. Ce cas démontre également une très bonne tolérance des enfants à l’amiodarone car au bout de plusieurs années de traitement et des doses antiarythmiques efficaces, l’enfant n’a pas présenté des effets indésirables du médicament, notamment thyroïdiens et hépatiques. En discordance avec la littérature, notre cas présente deux particularités : • La résistance aux antiarrythmiques de la classe IC: la propafénone et la flécainide, par voie orale et à des doses efficaces, contrairement à ce qui a été rapporté par Fisch et al. [1,5]. • La longue évolution de cette dysrythmie ; en effet, le dernier épisode est rapporté à l’âge de 14 ans, alors que la plupart des cas publiés dans la littérature présentent un recul moindre puisque la TAC est réduite souvent spontanément ou sous traitement antiarythmique et ne récidive plus après un ou deux ans d’évolution [1,2,9]. Enfin ce cas pose un problème majeur concernant la conduite à tenir : • Quand faut-il arrêter l’amiodarone, et sur quels critères ?

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• Qu’en est-il des effets indésirables de l’amiodarone (thyroïdiens, cornéens, hépatiques, cutanés ou pulmonaires) lors de l’administration prolongée chez l’enfant ? • Au cas où l’amiodarone n’a pu être arrêté à cause des perpétuelles récidives et au cas où la patiente désire une grossesse dans l’avenir, quelle attitude pouvons-nous envisager ? L’amiodarone est contre-indiqué chez les femmes enceintes, les autres anti-arythmiques sont inefficaces ou contre-indiqués, l’ablation endocavitaire par radiofréquence de la TAC n’est pas efficace du moins de nos jours. Malheureusement, nous pensons qu’il n’existe actuellement qu’une seule solution pour cette situation qui consiste en l’ablation endocavitaire par radiofréquence du nœud auriculo-ventriculaire et la pose d’un pacemaker DDD. Évidement, la solution idéale reposerait sur une thérapeutique plus simple et plus anodine ou simplement sur une résolution spontanée de l’arythmie. 3. Conclusion La cardiopathie induite par tachycardie atriale chaotique est une entité rare et souvent méconnue. Chez un nouveauné, l’apparition des signes d’insuffisance cardiaque associée à un rythme supraventriculaire rapide devrait faire songer au diagnostic de cardiomyopathie induite par tachycardie. La preuve d’une TAC est toujours faite sur l’ECG de surface montrant des ondes P ayant au moins trois morphologies différentes se succédant à une fréquence variable de 150 jusqu’à 500. Son ignorance conduirait inévitablement à des retards de diagnostic et thérapeutique dangereux aux malades. En revanche, sa reconnaissance et son traitement basé essentiellement sur l’amiodarone ou accessoirement sur un antiarythmique de la classe I C peut conduire à la régression de ce trouble du rythme, par conséquent à la résolution de la cardiomyopathie. Références [1]

Fish FA, Mehta AV, Johns JA. Characteristics and management of chaotic atrial tachycardia of infancy. Am J Cardiol 1996;78:1052–5. [2] Kachaner J, Villain E, Batisse A, Sidi D. Tachycardies atriales chaotiques de l’enfant. In: Kachaner J, Batisse A, editors. Troubles du rythme cardiaque chez l’enfant. Paris: Doin.; 1987. p. 55–62. [3] Dodo H, Gow RM, Hamilton RM, Freedom RM. Chaotic atrial rhythm in children. Am Heart J 1995;129:990–5. [4] Mubbada AS, Case CL, Gillette PC. Chaotic atrial tachycardia in children. Am Heart J 1995;129:831–3. [5] Bisset GS, Seigel SF, Gaum WE, Kaplan S. Chaotic atrial tachycardia in childhood. Am Heart J 1981;101:268–72. [6] Yeager SB, Hougen TJ, Levy AM. Sudden death in infants with chaotic atrial rhythm. Am J Dis Child 1984;138:689–92. [7] Houyel L, Fournier A, Davignon A. Successful treatment of chaotic atrial tachycardia with oral flecainide. Int J Cardiol 1990;27(1):27–9. [8] Esterl D, Rosel HD. Multifocal (chaotic) atrial tachycardia in a newborn infant. Zentralbl Gynakol 1987;109(14):919–22. [9] Liberthson RR, Colan SD. Multifocal or atrial chaotic rhythm: report of nine infants, delineation of clinical course and management, and review of the literature. Pediatr Cardiol 1982;2(3):179–84. [10] Beitzke A. Multifocal (chaotic) atrial tachycardia in infancy. Helv Paediatr Acta 1979;34(4):319–27.