Dossier thématique Autonomie du patient
Régulateurs de la prise alimentaire L’adolescent atteint de maladie chronique à la conquête de l’autonomie Teenager with chronic disease and empowerment C. Jousselme Université Paris Sud ; Service de la Fondation Vallée, Pôle universitaire, Gentilly ; Inserm U669.
Résumé La maladie chronique entrave généralement la dynamique processuelle adolescente. Face au processus de séparation et d’individuation, la maladie bloque ou accélère, en tout cas biaise, la capacité de l’adolescent à s’engager dans une autonomisation de bonne qualité. Á travers une analyse des processus d’adolescence, mais également des particularités de notre culture, l’auteur propose des pistes qui peuvent aider les adolescents malades, à devenir de « vrais » adolescents vivant le moins mal possible leur affection somatique.
Mots-clés : Maladie chronique – adolescence – autonomisation – séparation – « Il faut avoir du chaos en soi, pour accoucher d’une étoile qui danse ». F. W. Nietzsche.
individuation.
Summary Chronic disease usually hinders to dynamic process teenager. With the process of separation and individuation, disease stops or accelerates, in any case skews the abilities of the adolescent to engage in empowering quality. Through an analysis of the processes of adolescence but also the peculiarity of our culture, the author analyzes the tracks that can help ill adolescents, become “real” teenagers.
Key-words: Chronic disease – adolescence – empowerment – separation – individuation.
Introduction
Correspondance : Catherine Jousselme Fondation Vallée 7, rue Bensérade 94250 Gentilly
[email protected] © 2013 - Elsevier Masson SAS - Tous droits réservés.
- La puberté reste un catalyseur, un starter, qui entraîne le grand enfant dans le début de ses processus d’adolescence. La maladie chronique elle, au contraire, a tendance à le faire revenir vers ses bases de repli parentales. Du coup, sans soutien, puberté et maladie chronique deviennent vite antinomiques. - Adolescere, c’est croître dans son corps, mais également dans sa tête, et quand le corps ne suit pas, mis à terre par la maladie et/ou ses traitements, toute autonomisation peut être stoppée, aussi bien sur le plan de l’évolution globale du sujet que de son accès à la possibilité de faire sienne sa propre maladie pour mieux la traiter, mieux l’assumer, mieux la vivre. - Les parents, comme le médecin, sont alors souvent désarmés face à des
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jeunes en âge d’être adolescents, mais qui résistent à le devenir, confiant aux adultes la prise en charge de leur pathologie, sans véritablement s’impliquer dans son traitement, ou, au contraire, s’engagent dans un refus actif et brutal de toute guidance, et s’enferrent dans des passages à l’actes mettant parfois leur vie en danger.
Modes d’entrée dans la maladie Il est important de distinguer deux situations.
La maladie s’est installée dans la petite enfance • Dans certains cas, la maladie s’est installée dans la petite enfance, et c’est sous le saut d’une inquiétante
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Dossier thématique Autonomie du patient continuité que se profile la puberté (asthme, diabète, infirmité motrice cérébrale, épilepsies, malformation, maladie génétique, etc.). Dans ces cas, depuis la plus petite enfance, voire la naissance, la maladie a imprimé une sorte d’empreinte, sur la construction même de la personnalité de l’enfant à travers les modes interactionnels que ses parents entretiennent avec lui, marqués par leurs angoisses, leur culpabilité et les modes de fonctionnement qui en découlent. Ainsi, certains deviennent surprotecteurs, enfermant l’enfant dans une dépendance qui peut l’empêcher de prendre confiance en lui (fragilité des bases narcissiques), d’autres, au contraire, refusent de le frustrer, le poussant ainsi, bien involontairement, à tester les limites de plus en plus intensément, et l’installent parfois dans un statut de tyran domestique très préjudiciable pour lui et pour sa fratrie. Ces deux types de comportements parentaux peuvent aboutir à l’éclosion d’une psychopathologie plus ou moins sérieuse chez l’enfant, et, parfois, à un véritable handicap psychique surajouté. - Quand la maladie intervient très tôt, le développement peut s’enliser dans la position dépressive décrite par Mélanie Klein [1]. Cette étape, qui habituellement se situe entre 9 et 12 mois, plonge le bébé dans une certaine interrogation. « Il apprend progressivement qu’il peut se séparer de ses parents sans les perdre, qu’il peut les attaquer, leur en vouloir et les aimer en même temps (accession à l’ambivalence), sans qu’ils ne le rejettent ou qu’ils ne soient détruits par son agressivité » [2] : pour avancer, il vit des angoisses d’abandon à chaque séparation, angoisses que ses parents, en revenant vers lui et en le rassurant, lui permettent de dépasser. - Quand la maladie impose très tôt des séparations importantes, en lien avec des hospitalisations, des examens complémentaires plus ou moins douloureux, les parents ont du mal à aider l’enfant à progresser dans ces mécanismes de séparation, tant la situation de la réalité est insécurisante. Parfois, ils peuvent s’enfermer avec lui dans une dépendance tout à fait défensive, renvoyant à leur propre peur de le perdre, qui reste très difficile à dépasser au moment de l’entrée en adolescence.
Celle-ci renforce un cercle vicieux persécutif épuisant, entravant le nécessaire processus de séparation spatiale et psychique propre à l’adolescence : les parents, comme l’adolescent, se sentent « étouffés » par cette proximité, mais restent totalement incapables de s’en détacher sans angoisse majeure. Ce phénomène bloque l’autonomisation de l’adolescent de façon globale, et bien entendu, sa prise en main de sa maladie. • La maladie intervenue dans l’enfance complique aussi la bonne résolution du conflit œdipien, en maintenant l’enfant dans une proximité avec ses parents d’où est éliminée la vision du couple parental, bien souvent maltraité par la maladie elle-même. Du coup, l’enfant s’installe souvent dans une certaine toute puissance, niant la sexualité des parents, oubliant que la qualité d’amour qui le relie à eux est de nature différente que celle qui les relie entre eux (tabou de l’inceste). Ce type de situation peut encore compliquer l’accès au processus d’adolescence, qui nécessite une bonne élaboration de l’œdipe pour aller chercher, en confiance, en dehors de la famille, un objet d’amour. - Dans beaucoup de cas, les parents ont également du mal à poser des limites à l’enfant malade, invoquant parfois la crainte d’aggravation de la maladie à chaque frustration (peur d’une rechute, peur d’une nouvelle crise d’épilepsie, peur de la mort, etc.). L’enfant aborde alors la puberté avec des difficultés à mettre en place des « Idéaux du Moi », c’est-à-dire des projets d’avenir possiblement ambitieux, mais réalisables grâce à ses capacités propres. Rappelons que la maladie complique déjà cette construction par la présence de variables de contrainte parfois très lourdes (professions interdites, etc.). - L’adolescent, dans ces conditions, risque fort de s’enfermer dans des mécanismes maintenant une vision idéale de soi et du monde, loin d’une authentique autonomisation qui prend forcément en compte la réalité. Ce refus de toute limite et de toute frustration, complique bien entendu la mise en place de projets scolaires, professionnels et/ou affectifs. Dans cette économie du « Tout ou Rien », certains adolescents refusent de construire, de peur de ne parvenir à
être « parfaits », et sombrent dans des mouvements parfois extrêmement destructeurs (refus de soins, tentatives de suicide, conduites à risques multiples, auto sabotage, etc.). • Á la lumière de toutes ces observations, on peut remarquer que bon nombre de parents d’enfants malades, sont terrorisés par l’approche de l’adolescence, craignant que leur « travail » de plusieurs années, pour que la maladie ne s’aggrave pas, qu’elle ne produise pas de séquelles irréversibles, soit balayé par des velléités d’indépendance trop destructrices [3]. - Du coup, ils ont tendance à maintenir l’enfant dans ses mécanismes infantiles, repoussant des questions pourtant essentielles et existentielles qu’il pourrait leur poser (D’où vient la maladie ? Va-t-elle toucher sa sexualité ? Va-t-elle provoquer une stérilité ou a-t-elle des risques d’être transmise à sa progéniture ?). C’est bien souvent la culpabilité parentale qui alimente ce type de fonctionnement, poussant l’enfant à s’enliser alors dans une « adolescence blanche » [4]. Ce blocage développemental représente une sorte de fuite devant les conflits d’autonomisation qui pourraient bouleverser, de façon beaucoup trop dangereuse, le trop fragile pseudo-équilibre trouvé par la famille autour de la maladie [5]. • Dans tous ces cas, très souvent, la relation à la mère reste prévalente. Le père s’exclu souvent peu à peu, laissant l’adolescent dans une proximité maternelle dangereuse, renforçant la demande implicite ou explicite de bénéfices secondaires, entretenant une toute puissance infantile entravant toute authentique autonomie. - Parfois, un véritable faux-self [6] s’organise : ces adolescents deviennent ainsi des sortes de caméléons qui sont toujours ce que les autres veulent qu’ils soient, sans personnalité propre, car ils ne peuvent entrer dans un processus d’individuation suffisant (devenir un sujet avec ses propres valeurs), de peur de perdre le lien sécurisant à leurs parents, seuls remparts contre la progression de leur pathologie. Rappelons que ce processus nécessite habituellement une capacité à remettre en cause les valeurs et les comportements parentaux par des attaques que les parents
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tolèrent, encadrent, et limitent, de façon constructive. - Le risque majeur de ce type d’organisation de personnalité réside dans le fait que cette carapace ne peut s’adapter à des événements de vie trop forts, comme l’aggravation ou les rechutes de la maladie. Dans ces cas, ces adolescents peuvent décompenser physiquement ou psychiquement très brutalement, en présentant, dans ce dernier cas, des épisodes dépressifs majeurs, des épisodes anxieux bruyant ou des bouffées délirantes, ou/et en effectuant des passages à l’acte les mettant en danger, notamment des tentatives de suicide qui peuvent utiliser leurs traitements.
La maladie peut frapper l’enfant au moment où la puberté le catapulte dans l’adolescence • La maladie peut également frapper l’enfant juste au moment où la puberté le catapulte dans l’adolescence. Ce coup double établit une véritable cascade traumatique très déstabilisante, qui aboutie généralement à un vécu d’intense culpabilité du sujet. - Vivant ses premiers émois sexuels, ses premiers conflits d’autonomisation, l’adolescent est en quelque sorte rattrapé par la maladie qu’il vit comme une punition incontournable du destin. - Il bascule alors, en général, dans deux types de comportements : - soit, il rebrousse chemin, bloque tous ses processus d’autonomisation, de séparation, et d’individuation, et campe sur des positions résolument infantiles (même problématique que précédemment) ; - parfois, au contraire, il semble vouloir brûler la chandelle par les deux bouts, en entrant bruyamment dans une adolescence déstructurée, parsemée de troubles du comportement et de troubles des conduites (mise en place d’une sexualité débridée, passages à l’acte divers, etc.). Dans certains cas, il va même jusqu’à mettre en place des conduites à valeur ordalique (véritables « tests » vis-à-vis du destin), qui peuvent le mettre en grand danger, conduites dans lesquelles il utilise parfois les médicaments qui lui sont prescrits (oubli de médicaments vitaux, changement de doses, etc.).
Maladie, adolescence et blessure corporelle • Á l’adolescence, le corps est au centre de la problématique des processus de transformations engagées. Du coup, toute attaque corporelle, reste particulièrement difficile à gérer. - Face à la menace de leur maladie, certains adolescents, régressent en utilisant une pensée magique qui les amène à refuser toute prise en charge. Ils pensent, plus ou moins consciemment, que la maladie n’existera pas, s’ils ne la soignent pas. Ces mécanismes de déni, effaçant totalement toute argumentation médicale, quelle qu’elle soit, peuvent devenir très préoccupants, surtout si les parents y adhèrent et les entretiennent. - Si ces mécanismes échouent, et que le sujet n’est pas assez « solide » pour véritablement affronter et apprivoiser ce que la maladie entraîne de transformation corporelle, des éléments dépressifs peuvent apparaître. Ils peuvent secondairement utiliser des fonctionnements masochiques, liés à la souffrance psychique du corps abîmé, malmené, en tout cas peu attrayant et peu solide, ce qui peut encore aggraver la situation (mise en place de conduites à risque). • Lorsqu’il n’est pas malade, l’adolescent dispose de temps pour s’approprier les changements de son corps, et se fabriquer une nouvelle « Image du corps », c’est-à-dire une nouvelle façon de l’habiter psychiquement, image étroitement dépendante de son histoire, du regard de ses parents sur lui, et des liens tissés avec les autres et le monde [7, 8]. - En cas de maladie chronique, la situation est beaucoup plus difficile, puisque la qualité de l’estime de soi, particulièrement lorsque la maladie intervient depuis l’enfance, est souvent touchée. De plus, lorsque la maladie est visible, elle ravive les blessures narcissiques empêchant le rêve d’un possible amour, tout en compliquant l’accès de l’adolescent à l’appui du groupe des pairs, ces derniers ayant souvent la dent dure, eux-mêmes angoissés par ce qu’ils voient. Ainsi, la maladie inflige à l’adolescent des blessures corporelles, parfois très lourdes, aussi bien dans la réalité que dans leur vécu fantasmatique. Elles peuvent être :
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- primaires : ce sont les lésions entraînées par les processus morbides eux-mêmes, comme les douleurs, les déformations, les aspects phénotypiques ; - secondaires : ce sont les lésions liées au traitement, comme l’alopécie, les nausées, les malaises. • Parfois, l’adolescent se sent véritablement persécuté par sa maladie qui empêche son inclusion dans le groupe des pairs, impliquant des restrictions de vie qu’il supporte mal (impossibilité d’aller en voyage scolaire, interdiction de pratiquer le sport, etc.), le poussant à adopter des conduites « jusque boutistes » allant jusqu’à « jeter le bébé avec l’eau du bain ». En fait, dans tous ces cas, la maladie vient renforcer l’inquiétante étrangeté incontournable à l’adolescence, issue des angoisses corporelles provoquées par un corps qui change vite et beaucoup, notamment dans sa dimension sexuelle. Ici, les doutes peuvent rapidement se transformer en désespoir, parfois renforcés par le regard des parents qui sont aussi inquiets que l’adolescent, voire par ceux des médecins, eux-mêmes en difficulté pour bien comprendre et guider leur patient en pleine mutation. - Plus la maladie est visible, plus elle a frappé depuis la petite enfance laissant des traces très visibles, plus elle touche certains organes comme les organes génitaux par exemple, plus l’adolescent est fragilisé, et plus la situation peut devenir véritablement dramatique (par exemple : insuffisance rénale chronique entraînant une très petite taille ; maladie hépatique depuis la naissance avec un faciès et une allure très particulière), dont certains auteurs ont bien rendu compte en parlant de « bonzaï humains » fabriqués par les processus morbides et leurs traitements [9].
Types de maladies • Certaines maladies s’inscrivent dans une temporalité très discontinue, faites d’avancées, de traitements amputants, exténuants, de rémissions, puis de rechutes obligeant le recours à des traitements encore plus lourds. L’épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête de l’adolescent et de ses parents
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Dossier thématique Autonomie du patient est alors particulièrement difficile à vivre dans une période de la vie où l’insouciance devrait être au premier plan. - Du coup, régressions développementales ou dépression sont au programme, avec, on le sait, un risque bien plus important de tentatives de suicide pour ces adolescents [9]. • Certaines maladies engagent d’emblée, ou secondairement, le processus vital, ce qui bloque - bien entendu encore davantage les processus d’adolescence. En effet, bien des adolescents, confrontés à leur possible mort, se demandent pourquoi ils devraient se contraindre à parcourir, avec toutes les embûches obligatoires, le difficile chemin de l’autonomisation, pour ne jamais pouvoir profiter d’une vie d’adulte. Leurs parents se situent dans la même démarche, souvent bien inconsciente, mais très présente dans leur façon d’aborder l’avenir (gagner du temps, « profiter » de liens infantiles a-conflictuels avant de se séparer, garder des modes relationnels très proche corporellement pour mieux sentir un lien que l’on sait devoir perdre, etc.). • L’accompagnement de ces familles est essentiel pour permettre : - à l’adolescent, quelle que soit l’issue de sa maladie, d’entrer en adolescence pour profiter d’un mouvement de vie qui lui donne de nouveaux plaisirs (indépendance, possibilité de relations amicales et amoureuses, etc.), lui conférant la liberté d’être lui-même jusqu’au bout ; - à la famille, avec le moins de culpabilité possible, de préparer - notamment pour la fratrie - le terrain d’un deuil éventuel, sans organiser une image statufiée de l’adolescent, mais simplement une image d’un frère ou d’une sœur avec qui ils ont partagé de bons moments.
Maladie, adolescence et culture - Notre société martèle des modèles esthétiques extrêmement forts, idéalisés. Société du narcissisme et de la perfection, elle accepte très mal les maladies qui malmènent l’image visible des adolescents, bien qu’elle affiche une bienveillance tout à fait hypocrite vis-àvis de ce type d’affection (la campagne
photographique à propos du cancer du sein en est un bon exemple : elle n’a pas du tout aidé certaines femmes à vivre leur maladie, « le poids des mots » et des fantasmes, restant sans doute bien plus importants à transmettre que le « choc » de photos bien triées pour ne pas être trop « traumatiques », ne correspondant pas aux blessures bien plus mutilantes dans la réalité de bien des patientes). - Par ailleurs, l’accélération de la société, qui demande toujours plus et plus vite aux enfants, n’aide pas non plus les enfants malades à trouver leur place. - Le délitement des rites sociétaux complique encore la tâche des parents d’adolescents malades, car ils ont tendance à ne plus trouver la créativité nécessaire pour créer leurs propres repères. - Enfin, le poids majeur de la réussite scolaire écrase encore les adolescents gravement malades, les laissant en grande difficulté pour satisfaire les attentes de leurs parents, et de la société en général.
Quelques pistes pour aider les adolescents malades à s’autonomiser • Dans les cas où la maladie touche l’enfant très tôt, il est clair que le travail du pédiatre doit permettre d’anticiper positivement les processus d’adolescence, en accompagnant les parents dans une démarche d’acceptation
pas trop honteuse, ni coupable, de la maladie de leur enfant. Il doit très précocement détecter les cercles vicieux relationnels parents/enfants et proposer un lieu de parole pour pouvoir les analyser et les désenclencher [3]. - Quand la puberté apparaît, il semble aussi très important que les parents soient accompagnés parallèlement à leur enfant. Parfois, c’est un autre médecin qui les prendra en charge, leur adolescent ayant besoin d’une complicité avec son référent. Passer la main à un médecin de l’adulte, peut permettre d’avancer, mais ce passage doit être effectué progressivement, afin de ne pas trop déstabiliser l’enfant comme ses parents. Le modèle de consultation effectuées au sein d’un service de « Médecine de l’adolescent » semble très propice à établir cette souplesse de fonctionnement qui permet d’avancer sans masquer les blessures de chacun, et ce, également, dans les cas où la maladie frappe juste au moment où la puberté s’enclenche [10]. • Il faut également garder à l’esprit que, bien souvent, les adolescents malades s’expriment d’abord par des maux et gardent une certaine inhibition à traduire en mots leurs angoisses. Ils parlent alors au médecin surtout des effets secondaires de leur traitement, peuvent refuser pour cela une bonne observance, se mettre en danger de façon plus où moins directe, par la non
Les points essentiels • La maladie à l’adolescence risque d’entraver les processus d’autonomisation (de séparation et d’individuation) et ainsi, de compliquer la prise en charge somatique du jeune qui ne peut faire « sienne » sa maladie. • Le médecin doit anticiper les processus d’adolescence et les accompagner, au plus près des parents et de l’adolescent qui présente une maladie chronique, afin que l’adolescence se passe le mieux possible. • Les deux principaux risques chez un adolescent malade sont : - le blocage des processus d’adolescence (« adolescence blanche ») ; - l’accélération de ces processus mal digérés (« brûler la chandelle par les deux bouts », conduites à risque impliquant éventuellement le traitement de la maladie). • Le corps à l’adolescence est le lieu central des doutes et des questions : quand le corps est malade, particulièrement depuis la petite enfance, l’adolescent est en risque de se construire une image du corps très négative. • L’adolescent porteur de maladie chronique a davantage de risque suicidaire. • La culture actuelle qui prône une autonomie trop précoce et une « perfection » dans tous les domaines, peut empirer les difficultés des adolescents malades.
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application des consignes de sécurité imposées par la maladie, ou par l’utilisation de leur traitement à des fins négative. Parfois, ils attaquent même directement leur corps pour bien dire qu’ils n’en peuvent plus [11]. - Le médecin somaticien, pédiatre ou médecin de l’adulte, se doit d’appréhender tous ces signes du corps comme de possibles messages d’une souffrance davantage psychique. Il doit alors parfois lutter avec l’adolescent, et parfois avec ses parents, pour instituer un espace de parole qui puisse faire émerger la véritable nature de la souffrance sous-jacente (angoisses de mort, difficultés à entrer dans un processus de séparation–individuation aussi bien pour le jeune que pour les parents, blessure de l’estime de soi très douloureuse, perte de la confiance en soi, etc.). Déclaration d’intérêt L’auteur déclare n’avoir aucun conflit d’intérêt en lien avec cet article.
Conclusion - La maladie à l’adolescence risque, quelle que soit son évolution propre, d’entraver les processus d’autonomisation et ainsi compliquer la prise en charge somatique. - Aussi, le pédiatre, et le médecin de façon plus générale, doivent anticiper les processus d’adolescence et les accompagner quand ils s’enclenchent, au plus près des parents et de l’adolescent, dans une dynamique qui permet à chacun de mieux trouver sa place dans la famille, et au jeune d’utiliser au mieux toutes ses capacités.
Références [1] Klein M. Essais de psychanalyse. Paris: Payot & Rivages, 1974. [2] Jousselme C, Delahaie P. Comment aider son enfant à bien grandir. Paris: Milan, 2012. [3] Jousselme (Graindorge) C. Comprendre l’enfant malade : du traumatisme à la restauration psychique. Paris: Dunod, collection Psychothérapies, 2008. [4] Tridon P, Vidailhet C, Dêtre A. Abandon ou refus thérapeutiques : rite de passage chez l’adolescent handicapé et malade chronique. Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 1983;31:407-18. [5] Jousselme C, Douillard JL. A la rencontre des adolescents : les écouter, les comprendre, les
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aider. Paris: Odile Jacob, collection Sciences Humaines Psychologie, 2012. [6] Winnicott DW. De la pédiatrie à la psychanalyse. Paris: Payot, collection Sciences de l’homme, 1969. [7] Dolto F. L’image inconsciente du corps. Paris: Seuil, 1984. [8] Pireyre EW. Clinique de l’image du corps : du vécu au concept. Paris: Dunod, collection Psychothérapie, 2011. [9] Courtecuisse V. L’adolescent malade, ce qu’il faut savoir – Violence des secrets, secret de violences. Paris: Armand Colin, 2005. [10] Alvin P, Marcelli D. Médecine de l’adolescent. 2e édition, Paris: Masson, 2005. [11] Alvin P. L’envie de mourir, l’envie de vivre, un autre regard sur les adolescents suicidants. Paris: Doin/Lamarre, 2009.
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