La prise en soins d’un patient atteint de la maladie d’Alzheimer, au travers de situations spécifiques

La prise en soins d’un patient atteint de la maladie d’Alzheimer, au travers de situations spécifiques

NPG Neurologie - Psychiatrie - Gériatrie (2008) 8, 17—26 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com DOSSIER : LES SOINS INFIRMIERS EN GÉRIATRIE ...

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NPG Neurologie - Psychiatrie - Gériatrie (2008) 8, 17—26

Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

DOSSIER : LES SOINS INFIRMIERS EN GÉRIATRIE

La prise en soins d’un patient atteint de la maladie d’Alzheimer, au travers de situations spécifiques夽 Caring for the Alzheimer patient, an analysis of specific situations S. Avet Cadre de santé formateur, unité fonctionnelle « Alzheimer et géronto-psychiatrie », IFSI Paul-Brousse, hôpital Paul-Brousse, 12, avenue Paul-Vaillant-Couturier, 94804 Villejuif cedex, France

MOTS CLÉS Gériatrie ; Maladie d’Alzheimer ; Soins infirmiers ; Hygiène ; Incontinence ; Dénutrition ; Déshydratation ; Errance ; Fugues ; Chutes ; Contentions

KEYWORDS Elderly; Alzheimer’s disease; Nursing cares; Hygiene; Incontinence; Denutrition;

Résumé Prendre soin d’une personne âgée atteinte de la maladie d’Alzheimer nécessite de la part de l’infirmier une connaissance approfondie de cette pathologie. Il parait alors important d’avoir une compréhension de sa physiopathologie, de son évolution et de sa sémiologie spécifique ou non. C’est ainsi que les soins pourront être adaptés, le plus possible, aux besoins de ces personnes, mais aussi à ceux de leur famille. Des situations habituelles de soins pour tout sujet âgé prennent une autre dimension avec les personnes démentes. L’infirmier doit composer avec l’évolution inéluctable de la maladie et parfois inventer des solutions singulières. Il doit également savoir gérer les angoisses, voire l’agressivité des personnes malades ou de leur famille. La recherche de la qualité des prestations s’avère être le moteur de cette prise en soins. Pour l’infirmier exerc ¸ant auprès de patients atteints d’Alzheimer, tout cela relève de l’expertise. © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Summary Nurses providing care for an elderly person with Alzheimer’s disease must have in-depth knowledge of the disease. It is useful to have an understanding of the underlying pathophysiology, the expected disease course and specific and nonspecific manifestations. This enables adapting care not only to the needs of the patient, but also to those of their families. Healthcare situations involving an elderly person take on another dimension with people with dementia. Nurses have to deal with the inevitable progression of the disease and sometimes even invent unique solutions. They must be able to handle the anxieties and even the aggressiveness of sick people or their families. Research on the quality of services provided is proving

夽 Cet article est adapté d’un chapitre du livre : « Gériatrie compétences et rôles infirmiers », sous la direction de Stéphane Avet avec Véronique Chambraud, Christine de Goussencourt, Nathalie Richauvet, Yves Segue, Serge Perrot, Collection IFSI Med-Line, Éditions MED-LINE, Paris 2007. Adresse e-mail : [email protected].

1627-4830/$ — see front matter © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.npg.2008.01.002

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S. Avet

Dehydration; Wanderlust; Fugues; Falls; Contentions; Dehydration

to be a driving force behind healthcare. These different dimensions of the question fall directly within the field of expertise of nurses who work with patients with Alzheimer’s disease. © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Introduction Pour un infirmier, s’occuper d’une personne âgée atteinte de maladie d’Alzheimer revient à régler des situations cliniques spécifiques retrouvées chez n’importe quel patient hospitalisé en gériatrie, à la différence qu’elles sont pour le soignant, plus difficiles à appréhender. Ces difficultés sont liées à la pathologie et à son avancée dans le temps. En effet, les différentes atteintes cérébrales dues à l’Alzheimer compliquent non seulement la mise en évidence des déficits et des besoins perturbés, mais également leurs prises en charge. Ne pouvant traiter ici de toutes les situations et sachant qu’un choix est toujours discutable, je me propose d’aborder les suivants : • les soins d’hygiène ; • les incontinences ; • la dénutrition et la déshydratation ; • les chutes et la contention ; • l’errance et les fugues. Mais avant cela, je m’attarderai quelque peu sur la maladie d’Alzheimer, sa sémiologie, son évolution et je rappellerai quelques données épidémiologiques. Ces connaissances sont nécessaires aux infirmiers pour apporter à la personne malade des soins les plus personnalisés possibles.

• du point de vue clinique, il s’agit de la survenue insidieuse et de l’évolution progressive d’un tableau démentiel ; • anatomiquement parlant, il existe une perte neuronale avec apparition de plaques séniles et des dégénérescences neurofibrillaires.

Les lésions Les plaques séniles sont des agrégats protéiques extracellulaires. Ce sont les plaques amyloïdes ou plaques neuritiques, qui forment des dépôts diffus. Le constituant majeur de ces plaques est un polypeptide fait d’environ une quarantaine d’acides aminés, nommé amyloid beta (A␤). Ce peptide A␤ résulte de la coupure d’une protéine plus grande, nommée amyloid protein precursor (APP). Le gène APP se situe sur le chromosome 21. La protéine APP est une protéine transmembranaire et elle interagit avec le système cholinergique. La dégénérescence neurofibrillaire (DNF) se traduit par une accumulation intraneuronale de fibrilles anormales. Ce sont des filaments appariés en hélice, appelés PHF pour paired helical filaments ou en franc ¸ais « paires hélicoïdales de filaments ». Ces PHF sont des filaments pathologiques, constitués principalement de protéines tau qui normalement

Le fléau du xxie siècle La maladie d’Alzheimer, grande cause nationale en 2007, fait actuellement l’objet de nombreuses publications et interventions. Il convient assurément d’en parler tant la prévalence de cette maladie ne cesse de croître et tant les projections pour les années futures sont alarmantes. L’enjeu de santé publique n’est plus à démontrer. Je reprendrais les termes de C. Berr [1] pour dire que cette maladie est le « fléau du xxie siècle ». La maladie d’Alzheimer est une démence neurodégénérative classée communément parmi les démences corticales (Fig. 1). Elle est la plus connue, car la plus fréquente des démences dégénératives et elle fait actuellement l’objet de nombreuses recherches. Il y a 100 ans (1907) qu’Aloïs Alzheimer, médecin psychiatre allemand, en a fait une description. À cette époque, l’état de démence chez les personnes âgées est considéré comme normal par la plupart des psychiatres ; il paraît lié à l’usure du temps. La définition de la maladie est duelle, car elle repose sur la clinique mais aussi sur des bases anatomiques :

Figure 1.

Les démences dégénératives.

La prise en soins d’un patient atteint de la maladie d’Alzheimer assurent la cohérence des microtubules. Dans la maladie d’Alzheimer, la plupart des grands neurones de la substance grise-corticale sont affectés par la DNF. Les protéines tau s’accumulent aussi bien dans les corps cellulaires que dans leurs prolongements. Il peut parfois y avoir accumulation de neurites (prolongements cytoplasmiques neuronaux) à la périphérie des plaques amyloïdes ou plaque séniles d’où également le nom de plaques neuritiques. Les lésions débutent par les neurones de l’hippocampe (structure de la région temporale interne où convergent les informations mémorisées). C’est le premier site de la localisation de la maladie, ce qui explique qu’elle débute par des troubles mnésiques. Cette atteinte évolue vers une atrophie de l’hippocampe et un élargissement des ventricules. Puis, les lésions s’étendent aux aires associatives du néocortex cérébral se traduisant par des troubles du langage, de la reconnaissance, du raisonnement. . . Au final, il apparaît une atrophie corticale.

Le diagnostic Le diagnostic de la maladie d’Alzheimer est un diagnostic probable, par élimination des autres causes pouvant entraîner un état démentiel. Pour avoir une certitude, il faudrait pratiquer un examen histologique du cerveau, ce qui ne se fait pas du vivant des personnes malades, mais aussi assez rarement postmortem. Cependant, on parle de démence type Alzheimer lorsque plusieurs critères sont identifiés ; ceux-ci sont répertoriés par l’American Psychiatric Association, dans le DSM-IV [2]. Il existe d’autres critères de diagnostic de la maladie d’Alzheimer : ce sont les critères de la NINCDS-ADRDA [3]. Ils permettent également le diagnostic probable de démence type Alzheimer. Les critères du DSM-IV n’ont pas une spécificité suffisante, mais sont intéressants pour la séméiologie et le diagnostic de maladie d’Alzheimer au stade démentiel. Ceux du NINCDS-ADRDA, le sont pour la clinique et pour la recherche du degré de probabilité et de plausibilité du diagnostic. Cependant avec le NINCDS, il faut faire un examen clinique minutieux et s’appuyer sur des examens sanguins et radiologiques (scanner et/ou IRM) pour éliminer d’autres étiologies. Le test de Folstein ou mini-mental status (MMS) ou encore appelé mini-mental status examination (MMSE) permet de déterminer les capacités cognitives de la personne examinée. Ce test a été présenté en 1975 par M.F. Folstein et al., dans la revue Journal of Psychiatric Research [4]. Ses consignes de passation et de cotation ont été traduites en plusieurs langues. Actuellement en France, on utilise la version consensuelle du GRECO [5], datant de 1998. Le MMSE est le test le plus anciennement utilisé pour dépister une atteinte des fonctions intellectuelles et son suivi. Il n’est aucunement spécifique de la démence et n’en permet pas le diagnostic [6]. Il explore une performance cognitive au moment de sa passation. Il est d’utilisation rapide (10 à 15 minutes) pour une personne entrainée et ne nécessite pas de formation préalable. Il paraît nécessaire de mesurer l’autonomie/dépendance du sujet à l’aide, notamment, des échelles ADL de Katz (1959 et révisée en 1976) ou IADL de Lawton (1969). Enfin,

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des tests psychométriques (test de Grober et Buschke, échelle NPI. . .) et pas seulement le MMSE vont orienter le diagnostic. . . Certes, diagnostiquer une pathologie n’est pas de la compétence de l’infirmier. Cependant, il me semblait intéressant d’aborder ce sujet dans la mesure où ce professionnel participe au recueil des informations utiles afin d’aider le médecin à poser son diagnostic [7]. De plus, il me paraît plus enrichissant pour un infirmier de comprendre l’intérêt et la portée de ses actes.

Données épidémiologiques La longévité augmente en France et la proportion des personnes âgées s’accroît au sein de la population. En extrapolant, nous pouvons prévoir une augmentation du nombre de personnes atteintes de maladie d’Alzheimer, puisque nous savons qu’il s’agit d’une pathologie dont la fréquence augmente avec l’âge. Les chiffres dont nous disposons sont issus de plusieurs études européennes regroupées sous le sigle EURODEM. En France, c’est l’étude PAQUID [8], débutée en 1988, en Aquitaine qui sert également de référence, puisque les données ont été mises à jour en 2003. Actuellement, il y aurait environ 800 000 Franc ¸ais touchés par la maladie d’Alzheimer. Le taux de prévalence (proportion de cas existants dans une population à un moment donné), ne cesse d’augmenter, puisqu’il y avait en 1999, 625 000 cas de démences (tous types confondus) et 430 000 cas de maladie d’Alzheimer. Selon J. Ankri [9] s’appuyant sur l’étude coopérative européenne, l’estimation de la prévalence des démences d’Alzheimer serait en 2006 de 4,4 % (6,4 % pour les démences toutes causes confondues). Les données de la cohorte PAQUID pour les personnes âgées de 75 ans et plus, en 2003 (Tableau 1), confirment une augmentation du nombre des démences avec l’âge, en particulier chez les femmes. Le nombre total des démences est bien supérieur à celui de 1999 (768 883 versus 625 000 cas). Cela tend à prouver que le nombre de cas de démences augmente avec les années. L’incidence annuelle de maladies d’Alzheimer (nombre de nouveaux cas par an) semblait être en 2006 de 100 000 nouveaux cas par an selon J. Ankri [9]. Cela annonce des prévisions pessimistes pour les années futures. Les projections pour la France, compte tenu de l’incidence actuelle, prévoient [10] :

Tableau 1 Estimation du nombre de déments, chez les personnes de 75 ans et plus en France métropolitaine : données réactualisées de la cohorte PAQUID. D’après l’étude PAQUID [8,9]. Âge (ans)

Hommes

75—79 80—84 85—89 90 et plus Total

Femmes

Total

67 374 41 707 65 194 31 607

73 175 96 392 190 417 203 017

140 549 138 099 255 611 234 624

205 882

563 001

768 883

20 • en 2020 : 1 300 000 cas de démence (tous types confondus) ; • en 2040 : 2 100 000 cas de démence (tous types confondus). L’incidence de la maladie d’Alzheimer augmente avec l’âge : elle est plus élevée après 85 ans. D’après l’étude PAQUID, cette incidence varie en fonction de l’âge, mais aussi du sexe. Avant 80 ans, l’incidence de la maladie d’Alzheimer est plus élevée chez les hommes que chez les femmes. Au-delà de 80 ans, elle est plus élevée chez les femmes que chez les hommes. Ces chiffres confortent l’idée que la maladie d’Alzheimer est un véritable enjeu de santé publique et je partage sans équivoque les termes de « fléau du xxie siècle », utilisés par C. Berr. Un des défis majeurs sera sa prévention, en s’appuyant sur les facteurs de risque, un dépistage précoce, une prise en charge immédiate et des traitements préventifs ou de nouveaux traitements curatifs. . .

Sémiologie et évolution Il convient également à l’infirmier de connaître les trois phases de la maladie d’Alzheimer. Les actes de soins doivent prendre en compte les possibilités de chaque sujet. Il existe trois phases : • la phase préclinique durant laquelle il convient de dépister les sujets à risque. La plainte mnésique est présente mais les déficits cognitifs ne sont pas mis en évidence par les tests neuropsychologiques ; • la phase prédémentielle, pendant laquelle le médecin peut faire un diagnostic précoce. Ce dernier permet de retarder l’évolution vers la démence. Durant cette phase, les premiers troubles cognitifs peuvent être objectivés par les tests, en particulier les troubles de la mémoire ; • la phase dite « de démence », comprenant elle-même trois stades : ◦ démence légère : il est encore possible de poser un diagnostic précoce de démence ; le malade a tendance à nier la maladie et est souvent sujet à une dépression réactionnelle ; parfois la dépression est le prodrome de la maladie, ◦ démence modérée, ◦ démence sévère, avec trois grades de sévérité : — modérément sévère, avec un MMSE entre 10 et 15, — sévère, avec un MMSE entre 3 et 9 et, — très sévère, avec un MMSE entre 0 et 2. Cette phase de démence se traduit par des perturbations cognitives et comportementales qui deviennent pathologiques lorsqu’elles ont un retentissement sur les activités de la vie quotidienne (AVQ).

Les perturbations cognitives Elles portent en premier lieu sur la mémoire. La première touchée est la mémoire des faits récents, puis la mémoire des faits anciens devient également déficitaire. Au stade avancé, il existe une atteinte mnésique globale. Plus précisément, on note une altération de [11] : • la mémoire de travail : mauvaises performances aux épreuves d’empan (suite de chiffres ou de mots) ;

S. Avet • la mémoire épisodique : il existe une diminution du rappel libre et indicé, ce qui signifie un problème de codage et de restitution de l’information ; • la mémoire sémantique : avec perturbation des épreuves de dénomination, de vocabulaire ou de fluence verbale ; • la mémoire procédurale : dans la maladie d’Alzheimer, elle reste longtemps normale, sauf dans les formes très évoluées ; • le trépied : « aphasie/apraxie/agnosie » : ◦ les troubles du langage ou « aphasie » : ils se caractérisent au début par un manque du mot, puis une inaptitude franche à trouver le mot correspondant à ce que la personne veut signifier. En revanche, la compréhension semble conservée assez longtemps. L’aphasie s’installe progressivement et passe par plusieurs étapes. À un stade très avancé, le malade s’exprime par écholalie (il répète passivement des mots de son interlocuteur) ou palilalie (répétition progressivement plus rapide d’un mot ou d’une syllabe) et en fin de maladie, il peut être complètement mutique, ◦ les troubles de la réalisation gestuelle ou « apraxie » : il s’agit de difficultés à réaliser les gestes. Au début il s’agit de gestes fins (fermer un bouton), puis la maladie évoluant, la réalisation de gestes plus grossiers devient impossible. Cependant, il existe plusieurs types d’apraxies : — l’apraxie idéatoire : impossibilité d’utiliser des objets courants (peigne, brosse à dent, fourchette) ou à exécuter un geste courant, qui a un fort retentissement sur la vie quotidienne, — l’apraxie réflexive : impossibilité de reproduire un geste bimanuel réalisé par l’examinateur (par exemple : mettre les doigts en anneaux croisés), — l’apraxie visioconstructive : impossibilité à reproduire un dessin, en particulier en perspective (un cube) ou également l’impossibilité de dessiner sur ordre (l’apraxie constructive est assez précoce), — l’apraxie idéomotrice : incapacité à reproduire un geste symbolique (salut militaire, signe de croix), qui est souvent couplée aux troubles du langage — l’apraxie de l’habillage : il s’agit d’une incapacité à s’habiller seul (elle est plus tardive), — l’apraxie buccofaciale : elle se voit dans les formes avancées de la maladie ; ◦ les troubles de la reconnaissance ou « agnosie » : ce sont des problèmes de reconnaissances visuelle, auditive, olfactive, sans atteinte des organes sensoriels. La plupart du temps, il s’agit d’une agnosie visuelle. Au début, le malade ne reconnaît pas les objets usuels ou les symboles abstraits, puis ne reconnaît plus les visages familiers (aprosognosie), ses proches jusqu’à ne plus se reconnaître lui-même dans un miroir. Les troubles de l’orientation se manifestent par des défauts d’orientation dans l’espace et dans le temps. Ceuxci s’aggravent progressivement au fur et à mesure de l’évolution de la maladie. Par exemple, les personnes ne trouvent pas leur chambre ou ne reconnaissent pas un endroit connu d’eux auparavant, ne se souviennent pas du mois, de l’année. . . Les perturbations intellectuelles sont caractérisées par des troubles du jugement, de la capacité à résoudre

La prise en soins d’un patient atteint de la maladie d’Alzheimer des problèmes (troubles du raisonnement), de la capacité d’abstraction. Ce sont des troubles des fonctions exécutives, qui induisent une difficulté d’adaptation du sujet, renforcée par les troubles de l’attention.

Les troubles psychocomportementaux Aux troubles de la cognition s’ajoutent ceux du comportement et de la relation à l’autre, très variables en fonction des personnes. Ils sont la conséquence directe du retentissement cognitif sur la vie sociale ou encore la conséquence de l’atteinte des régions cérébrales propres à l’activité émotionnelle. Le moment de leur survenue dépend de la phase d’évolution de la maladie et ils sont liés à la sévérité des troubles cognitifs. Ils dépendent de la localisation des lésions cérébrales, de la personnalité antérieure du sujet, mais aussi des réactions de l’entourage. Ce sont ces troubles qui contribuent à l’épuisement des proches, en particulier celui de l’aidant naturel (conjoint ou enfant). Ils sont bien moins tolérés que les troubles cognitifs et aboutissent souvent à l’institutionnalisation de la personne malade, la plupart du temps, après plusieurs échecs de retours au domicile suite à des hospitalisations de courte durée : • la dépression pose un problème diagnostique. Elle coexiste souvent avec la maladie d’Alzheimer mais peut être un diagnostic différentiel de celle-ci, car la sémiologie au niveau cognitif se recoupe. Elle peut s’observer à tous les stades de la maladie, soit parce qu’elle est réactionnelle, au début surtout, soit parce qu’elle est liée à un dysfonctionnement biochimique de l’encéphale, avec diminution des catécholamines et de la sérotonine. Souvent la dépression s’accompagne de manifestations d’anxiété. Parfois, il est quasiment impossible de faire le diagnostic différentiel entre maladie d’Alzheimer et dépression. Seul un traitement antidépresseur peut faire la différence ; • les comportements psychopathologiques : en début de la maladie, il est fréquent de rencontrer une perte de l’initiative, un désintérêt, des comportements passifs, une réduction des activités et un repli sur soi. À un stade plus avancé, apparaissent des comportements d’agitation verbale et motrice, qui se renforcent par la suite. Les canadiens parlent volontiers de « comportements perturbateurs ». Ces agitations peuvent s’accompagner d’agressivité surtout verbale, mais aussi parfois physique. Elles peuvent se traduire par des conduites stéréotypées, des compulsions comme des répétitions gestuelles, telles que frotter un vêtement, ranger et déranger une armoire ou encore ouvrir et fermer un tiroir, s’asseoir et se lever d’un siège, déambuler sans but précis pour explorer les lieux avec un risque de fugue. Ce peut être également le fait de suivre l’aidant ou un soignant dans tous ses déplacements (cela marque une anxiété ; syndrome de Godot). Les compulsions ou répétitions verbales peuvent se traduire par du comptage à haute voix, la répétition d’un même refrain, d’une même question. . . Pour compléter ces comportements psychopathologiques, notons les troubles du sommeil avec l’inversion des rythmes durant le nycthémère avec, souvent, une agitation en fin d’après-midi et dans la soirée. Enfin tard dans la démence, apparaissent les troubles sphinctériens et les incontinences urinaires et fécales liées à

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la désorientation temporospatiale, la confusion du jour et de la nuit, en rapport avec l’atteinte neurologique. Il existe également des troubles alimentaires, comme, par exemple, l’hyperphagie. Au contraire, on peut noter une perte de l’appétit, voire une anorexie, ayant pour conséquence une perte de poids et/ou une dénutrition. Il peut apparaître également une désinhibition (utilisation de mots crus ; perte de la décence) et des troubles des conduites sexuelles. On peut aussi observer des manifestations psychotiques, comme des hallucinations, des idées délirantes, paranoïdes (idées de vol, d’abandon, d’infidélité du conjoint, d’illusion du domicile. . .). Ces comportements ne sont pas spécifiques de la maladie d’Alzheimer ; ils peuvent être rencontrés dans d’autres types de démences ; • les manifestations neurologiques apparaissent tardivement, mais ne sont pas spécifiques de la maladie d’Alzheimer. Ce sont essentiellement des troubles de la marche avec diminution de l’amplitude des pas, une tendance à chuter en arrière. Ils sont en rapport avec la sévérité de la démence. Il apparaît parfois, très tardivement, des myoclonies, voire des crises d’épilepsie. On voit aussi, quelque fois, des signes extrapyramidaux à type d’augmentation du tonus musculaire et de dyskinésies buccofaciales.

Les soins infirmiers dans la maladie d’Alzheimer Prendre soin d’une personne âgée signifie également s’occuper de ses proches, a fortiori lorsqu’il s’agit d’une personne atteinte de démence. Cette prise en soins des sujets atteints d’Alzheimer par les infirmiers, nécessite donc une parfaite connaissance de cette pathologie et de son évolution. L’approche doit être singulière et tenir compte de l’avancement de la maladie pour une personne donnée. Le patient doit être regardé par le soignant comme un être humain à part entière, malgré ses handicaps. Il faut le considérer comme sujet et non pas objet de soins. Mais les proches doivent aussi être pris en compte par les professionnels et être vus comme des partenaires de soins. Je me propose de montrer ici la spécificité des soins infirmiers au travers de quelques situations. Leur but est double : • conserver aussi longtemps que possible à la personne, le maximum d’autonomie en adéquation avec l’évolution de la maladie ; • prévenir les complications et/ou les situations à risque. Ces soins nécessitent une communication entre soignants et personnes âgées mais aussi des relations privilégiées avec leurs proches. Avec les personnes malades, il convient d’instaurer une communication verbale mais aussi non verbale, notamment par le toucher. Cependant pour une personne Alzheimer, il est important de respecter quelques règles (Tableau 2). Souvent, il s’agit de rassurer les proches mais aussi de lutter contre une certaine culpabilité des aidants d’avoir confié leur parent à une institution. L’infirmier doit les rassurer en répondant à leurs demandes et en leur donnant des informations. Il peut aussi diminuer ce sentiment en les faisant

22 Tableau 2 Principales règles à respecter pour faciliter la communication avec les patients atteints de la maladie d’Alzheimer. Se positionner face à elle, à sa hauteur et la regarder dans les yeux. Établir un contact physique en lui prenant doucement la main ou l’avant-bras. Parler distinctement avec un débit peu rapide en articulant et en usant de mots simples et de phrases courtes (une seule idée par phrase). Répéter si nécessaire avec les mêmes mots. Ne pas poser plusieurs questions à la suite et attendre la réponse après une question. Ne jamais surprendre la personne : se déplacer lentement et ne pas l’attraper par l’arrière en lui mettant la main sur l’épaule. Accorder le langage corporel au langage verbal.

participer directement aux soins à la personne âgée. Souvent, comme le soulignent J.-P. Aquino et M. Fremontier, ils ont « un comportement ambivalent » [12]. Ils sont conscients d’avoir besoin de l’aide des professionnels, mais sont également réticents aux diverses solutions proposées. L’aide du psychologue peut être alors requise tant il est difficile de démêler un tel écheveau. Cette ambiguïté des proches peut se traduire par de l’agressivité envers les soignants. Il convient à l’infirmier de savoir la décrypter.

Les soins d’hygiène Ces soins sont nécessaires au maintien d’une bonne hygiène de la personne âgée, mais aussi de son image et de son estime de soi. Par ailleurs, ces soins permettent de préserver l’autonomie des personnes, de lutter contre les apraxies et de recentrer leur représentation du corps dans l’espace, en tentant d’agir sur leur schéma corporel. Cela me paraît fondamental lorsqu’il s’agit de personnes âgées atteintes d’Alzheimer. Pour maintenir les capacités physiques de la personne, il convient de ne pas faire à sa place mais de la guider dans l’exécution des gestes. Il est particulièrement important avec les personnes démentes de donner des consignes séquentielles et une à la fois et d’attendre leur exécution. En effet, plusieurs ordres à la suite ne vont plus être engrangés dans la mémoire à cour terme. Il est donc important de décomposer tous les gestes. Bien évidemment, cette manière de procéder est consommatrice de temps et une toilette peut durer plus d’une heure, alors qu’une toilette réalisée par le soignant prend au plus, un quart d’heure. Mais comme le soulignent Y. Gineste et J. Pélissier, reprenant la philosophie de l’humanitude : « Dans un grand nombre d’institutions, le bon soignant est celui qui accomplit le maximum de tâches et d’actes en un minimum de temps. » [13]. Pourtant, préserver l’autonomie prend du temps au soignant, afin de respecter le rythme de la personne âgée. Ainsi, un ratio minimum de personnel est nécessaire, si nous souhaitons obtenir un travail de qualité auprès des personnes démentes. La participation du dément a pour but de conserver une certaine capacité gestuelle par l’intermédiaire des tâches plus simples car décomposées.

S. Avet Il est possible ainsi de conserver des gestes acquis, voire de réadapter la personne âgée malade aux gestes de la vie quotidienne. Outre le fait de préserver l’autonomie, guider une personne durant sa toilette comme je l’ai évoqué, présente un autre avantage. Cela permet de rappeler à la personne les différentes parties de son corps en les nommant et en les touchant et de resituer son schéma corporel dans l’espace. Cette manière de procéder (l’utilisation d’ordres séquentiels) peut s’appliquer à d’autres tâches habituelles de la vie comme à l’habillage, au coiffage, aux repas et à l’utilisation de couverts, etc.

Les incontinences Les troubles sphinctériens peuvent se rencontrer chez bon nombre de personnes âgées. Leurs étiologies sont très variables selon les individus. Les états de démence constituent une d’entre elles. Cependant, si d’autres causes sont exclues, les incontinences surviennent assez tardivement dans la maladie d’Alzheimer. Néanmoins, un épisode aigu engendrant un alitement peut favoriser sa survenue. De même, la pose systématique de changes complets par les soignants engendre à la longue des incontinences. L’institution privilégierait-elle les incontinences ? C’est une question qu’il est légitime de se poser, lorsqu’on sait que les incontinences fécales ont une prévalence avoisinant les 50 % en institution. Certes, elle est liée au vieillissement et à la dépendance des populations accueillies, néanmoins ce chiffre paraît énorme. Devant toute incontinence, qu’elle soit urinaire ou fécale, il convient d’en rechercher la cause et de la traiter le plus efficacement possible. Il s’agit de faire la différence entre une cause médicochirurgicale et une cause environnementale liée à la prise en soins des personnes âgées. Cela est valable pour toute personne âgée a fortiori pour un patient dément. Il n’est pas tolérable de tout attribuer à l’avancée de la maladie. Au niveau médical, il est souhaitable de préciser les circonstances de l’incontinence à l’aide du personnel et de la famille si nécessaire. Il faut rechercher les antécédents médicaux et chirurgicaux de la personne, une éventuelle infection urinaire à l’aide d’une bandelette urinaire (recherche de leucocytes et de nitrites), voire d’un examen cytobactériologique des urines. Une exploration urodynamique peut être demandée, avec une évaluation du volume résiduel, du débit mictionnel, de la contractilité électrique du sphincter, si le patient est coopérant. En cas d’incontinence fécale, une recherche systématique de constipation et de fécalome s’impose. Mais il faut éliminer une diarrhée infectieuse ou par abus de laxatifs ou toute autre cause neurologique telle qu’un AVC. Le médecin recherche également une cause associée à une atteinte péritonéale traumatique ou neurogène. C’est après avoir éliminé toutes ces étiologies que l’on peut attribuer cette incontinence fécale à la maladie d’Alzheimer. Il est difficile de réaliser un interrogatoire avec une personne démente ; il est nécessaire de s’appuyer sur la clinique avec l’aide des observations des personnels paramédicaux, mais aussi celles des familles. La solution à une incontinence n’est pas forcément la mise en place de protections ou de changes complets. C’est

La prise en soins d’un patient atteint de la maladie d’Alzheimer une solution répondant souvent à un manque criant de personnel dans les institutions mais aussi parfois il s’agit d’une solution de facilité. Dans les cas de démences très avancées, il paraît difficile de faire autrement, ne serait-ce que pour le bien-être des malades eux-mêmes. Il est nécessaire de prendre en compte le stade de la maladie. Les soins infirmiers en cas d’incontinence s’appuient sur le respect de la personne et cela débute par le respect de son intimité. Cela est d’autant plus important chez les personnes âgées atteintes d’Alzheimer, présentant parfois des désinhibitions. Les soins et leur déroulement doivent être expliqués aux personnes. L’infirmier doit planifier des temps pour emmener systématiquement les personnes aux toilettes plusieurs fois dans la journée et répondre le plus rapidement possible à toute demande. L’utilisation de changes complets doit faire l’objet d’une évaluation précise de la part des équipes afin d’en limiter l’usage. Ils doivent être changés régulièrement pour éviter toute macération et atteinte cutanée. La toilette des parties génitales et du siège est un moment favorable pour observer l’état cutané (recherche de rougeurs, escarres, mycoses. . .). Cette toilette est suivie d’un rinc ¸age à l’eau claire et surtout d’un bon séchage des plis. L’application d’une crème hydratante ou d’une préparation huileuse peut terminer ce soin. Par ailleurs, les patients doivent faire l’objet d’une hydratation régulière.

La dénutrition et la déshydratation La dénutrition Elle est très fréquente chez les personnes âgées et plusieurs études montrent que sa prévalence augmente avec l’âge. Selon que les personnes se trouvent au domicile, en institution ou hospitalisées la fréquence de la dénutrition s’accroît. La dénutrition peut entraîner des conséquences graves avec un risque de mortalité élevé. D’après l’HAS, « La dénutrition protéinoénergétique résulte d’un déséquilibre entre les apports et les besoins de l’organisme. Ce déséquilibre entraîne des pertes tissulaires, notamment musculaires, qui ont des conséquences fonctionnelles délétères. » [14]. Cette dénutrition entraîne ou aggrave chez les personnes une fragilité ou une dépendance. Cette malnutrition se traduit par une perte de poids progressive, un amaigrissement. Chez le sujet atteint de maladie d’Alzheimer, il est fréquent de constater une perte de poids. Celle-ci peut être due à la maladie elle-même, c’est-à-dire liée aux troubles cognitifs et à la perte d’autonomie entraînant une insuffisance d’apports (troubles des conduites alimentaires, perte de l’autonomie. . . égale à dénutrition exogène) ou encore une augmentation des dépenses énergétiques (déambulations, hyperactivités. . . égale à dénutrition endogène). Elle peut aussi être conséquente de la survenue d’épisodes pathologiques surajoutés. Les conséquences d’une dénutrition sont les suivantes : • une perte de poids ; • l’apparition d’escarres ; • les chutes et les fractures (du fémur, en particulier) ; • l’altération du système immunitaire ; • les infections (urinaires, bronchopulmonaires) ;

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• l’hospitalisation. L’évaluation de l’état nutritionnel nécessite : • une courbe de poids ; • un Mini Nutritional Assesment Short Form (MNASF), simplifié à six items et qui peut être réalisé par un infirmier. Les six items sont comme suit : ◦ l’appétit, ◦ la perte de poids, ◦ la motricité, ◦ les maladies aiguës ou le stress psychologique, ◦ les problèmes neuropsychiatriques, ◦ l’indice de masse corporel (IMC) ; si le score est inférieur à 12, il existe un risque de dénutrition certain.

La déshydratation Les réserves en eau sont diminuées chez les personnes âgées et la sensation de soif tend à décroître. Il faut inciter ces personnes à boire régulièrement pour éviter une déshydratation. L’apport journalier se situe entre 1 et 1,5 l/j. Ces besoins sont augmentés en cas de fièvre. La déshydratation est fréquente chez les personnes âgées. Il s’agit d’une situation qui peut survenir le plus souvent l’été, avec les fortes chaleurs ou aux périodes de remise en route du chauffage mais aussi en cas de température excessive des locaux. On peut la définir comme étant un déficit du volume liquidien avec déséquilibre hydrosodé. La déshydratation peut être intra- ou extracellulaire ou les deux. Durant le grand âge, les déshydratations peuvent se manifester par une confusion (souvent le premier signe d’alerte), une modification du comportement ou des troubles de la vigilance pouvant aboutir à un coma. Puis, apparaissent des signes plus habituels comme une baisse de la pression artérielle, une tachycardie, une diminution de la pression veineuse se traduisant par un réseau veineux plat, une oligurie, une sécheresse des muqueuses, une constipation, de la fièvre et parfois une sensation de soif. Quant au pli cutané, il est difficile à évaluer chez le sujet âgé. La biologie montre un hématocrite, des protides, une urée et une créatinine élevées (déshydratation extracellulaire) ou une augmentation de la natrémie, de l’urée et de la créatinine (déshydratation intracellulaire). Les pertes d’eau augmentent avec le vieillissement, soit directement par le rein, soit indirectement à cause d’une thermorégulation moins efficace augmentant les pertes d’eau cutanées. Il existe donc des déshydratations : • par augmentation des pertes (diarrhée, vomissements, diurèse excessive, fièvre, diurétiques, hyperactivité, notamment chez les déments,. . .) ; • par diminution des apports (démences, dépression, troubles de la déglutition, dépendances physiques). Les soins infirmiers débutent par un dépistage du risque de déshydratation. Il est nécessaire de faire un recueil de donnés complet pour connaître les habitudes alimentaires et hydriques des personnes, leurs goûts et ce qu’elles n’apprécient guère. En cas de démence, il parait important de connaître leur état de dépendance physique et les possibilités restantes, de manière à ajuster l’aide paramédicale. Il est indispensable de dépister les personnes à risque, en participant à l’évaluation des patients âgés en collaboration avec le médecin.

24 Le choix des repas doit prendre en compte les goûts et les habitudes des personnes âgées mais aussi des handicaps qu’elles présentent (problème de dentition, aliments difficiles à mastiquer, risque de fausses routes, positionnement pendant et après le repas pour les personnes atteintes de reflux gastro-œsophagien). L’hydratation doit être proposée par petites quantités tout au long de la journée et durant les périodes de fortes chaleurs des tournées de boisson doivent être entreprises. Il faut les inciter à boire ou les abreuver en cas d’incapacités physiques. Il n’y a que l’eau qui désaltère mais on peut proposer d’y ajouter du sirop, des jus de fruit ou autres. En cas de déshydratation avérée, il est alors nécessaire d’appliquer un traitement médical, c’est-à-dire une réhydratation par voie sous-cutanée (perfusion sous-cutanée ou hypodermoclyse), la nuit de préférence mais aussi sur 24 heures ou encore par perfusion intraveineuse. De même, en cas de dénutrition importante, il peut être envisagé des suppléments protéinoénergétiques, une alimentation entérale par sonde gastrique ou de gastrostomie, mais aussi par voie parentérale veineuse. Les soins infirmiers prennent en compte l’application des prescriptions mais aussi la surveillance des malades âgés et des différentes voies d’abord. Il est à noter que l’installation des personnes doit être aussi confortable que possible et doit tenir compte des voies d’administration. Par exemple, une personne sous sonde d’alimentation (gastrique ou gastrostomie) doit être installée en position demi-assise pour éviter toute régurgitation et inhalation entraînant des infections pulmonaires. L’infirmier doit vérifier la disparition des signes cliniques de dénutrition ou de déshydratation et l’amélioration globale du patient âgé. Dans le cas d’un patient atteint de maladie d’Alzheimer, cela est encore plus nécessaire, car la démence en soi est un facteur aggravant de ces problèmes de santé quand elle n’en est pas la cause directe. Les soins vont viser à suppléer totalement la personne jusqu’à ce qu’elle retrouve une certaine forme d’autonomie. Mais il faudra tout de même être encore plus vigilant dans le dépistage ou le traitement de telles pathologies.

Les chutes et la contention Les chutes concernent dans 70 à 75 % des cas des personnes en bonne santé, dans 10 à 15 %, des personnes âgées fragiles et dans 5 % des cas, des personnes âgées dépendantes en institution. C’est donc un véritable problème de santé publique. En effet, pour une personne âgée, une chute est souvent synonyme de perte d’autonomie, voire de décès. Les chutes sont la cinquième cause de décès de personnes âgées. Leur nombre est estimé à 1200 décès par an suite à une chute. Les sujets atteints de la maladie d’Alzheimer ne sont pas épargnés par les chutes, puisqu’ils déambulent sans but et que selon l’avancement de la maladie, ils peuvent présenter des manifestations neurologiques. Ce sont essentiellement des troubles de la marche avec une tendance à chuter en arrière. Les chutes peuvent avoir des répercussions physiques entraînant un état de dépendance, mais également des conséquences psychologiques comme la peur d’une récidive rendant difficile toute reprise de la marche. Il ne faut pas négliger cette angoisse qui peut aboutir à une grabatisation.

S. Avet Les facteurs de risques de chutes sont à la fois environnementaux (sol humide, lit trop haut, tapis mal ajusté, chaussures non adaptées, mauvais éclairage, mobiliers non adapté, couloirs encombrés. . .), mais aussi liés à la personne (troubles visuels, auditifs, neurologiques, musculaire, ostéotendineux, cardiovasculaires, ioniques. . .) Parfois, il est même retrouvé une iatrogénie médicamenteuse. Les chutes ne doivent donc pas être minimisées et la recherche de leurs étiologies s’impose. Un constat de chute doit être réalisé par un médecin après un examen minutieux de la personne. Il recherchera une fracture, des lésions, des hématomes. . . La prise en soins est triple : • médicale : recherche des conséquences et traitement de la ou des causes ; • infirmière : nursing et soins physiques à la personne, réassurance et maintien de l’autonomie ; • kinésithérapique : rééducation précoce à la marche, rééquilibration de la posture. Cette prise en charge devient plus complexe avec des personnes atteintes de démences et en fonction du stade de la maladie. Alors, il est préférable de prévenir les chutes en évaluant systématiquement les patients âgés et en intervenant directement sur les facteurs environnementaux et ceux liés aux personnes. Il s’agit d’un travail d’équipe ou l’infirmier à toute sa place comme partenaire de soins. La contention physique ne peut être une réponse systématique face au risque de chute. L’Anaes, en 2000, a défini la contention physique comme étant « une contention passive utilisant tous les moyens, méthodes, matériels ou vêtements pour empêcher ou limiter la mobilisation volontaire de tout ou d’une partie du corps afin d’obtenir la sécurité pour une personne âgée présentant un comportement inadapté ou ‘‘estimé dangereux’’ [15]. Elle l’oppose en cela à la contention dite ‘‘posturale’’ et à la contention dite ‘‘active’’ qui font appel à des techniques de rééducation et de kinésithérapie. Elle concerne des patients âgés déments mais pas uniquement ». La contention passive restreint donc la liberté de mouvement des personnes. Elle doit faire l’objet d’une réflexion d’équipe et être envisagée lorsqu’il n’existe aucune autre alternative. Elle doit faire l’objet d’une prescription médicale et ne doit pas être appliquée sous la seule volonté du personnel infirmier. De plus, elle nécessite une information aux membres de la famille. La contention physique n’est pas sans risque ce qui doit limiter sa prescription et son utilisation. En effet, on peut noter l’apparition d’infections nosocomiales, d’escarres et de chutes ayant des conséquences beaucoup plus graves. Sa mise en place nécessite donc une analyse en termes de bénéfices/risques pour la personne. Cela est encore plus difficile lorsqu’il s’agit de personnes atteintes de démence car la décision de contention ne relève pas uniquement du risque de chute. Les personnels sont pris dans un dilemme consistant à choisir entre la protection de la personne contre elle-même et la restriction de ses libertés. Ce choix n’est pas simple. Dans le meilleur des cas il paraît souhaitable de trouver des parades à la contention. En cas de risque de chute, il faut traiter si possible les pathologies les favorisant mais aussi dégager les aires de déambulation, bien chaus-

La prise en soins d’un patient atteint de la maladie d’Alzheimer Tableau 3

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Les différentes catégories de fugues. D’après [16].

La « fausse » fugue : celle de l’aphasique qui n’a pu expliquer son désir de rentrer chez lui. La fugue « de bon sens » ou « fuite réactionnelle » : c’est une fuite volontaire d’un malade dément qui arrivé dans une structure ne trouve pas ses repères. Elle a lieu dans les premiers jours. La fugue « par errance » : c’est celle du patient déambulateur qui n’a plus de repère dans l’espace. Il s’agit du malade qui suit une autre personne et qui se retrouve à l’extérieur, qui s’angoisse ensuite et est heureux d’être retrouvé. Le fugueur « invétéré » : il associe errance et volonté de fuir souvent par non intégration à la structure de soins dans laquelle il se sent mal. Il trouve toujours un moyen de fuir. La fugue « ludique » : très rare. C’est un malade, qui s’enfuit et se cache du personnel.

ser les patients. . . En cas d’agitation, de risque de fugue, il faut tenter de faire diminuer le niveau d’agressivité, prévoir des promenades, trouver des activités occupationnelles, mettre des repères, autoriser les objets personnels dans les chambres. . . Il est nécessaire à l’infirmier de bien connaître le malade et les différentes étapes de la pathologie pour personnaliser les mesures de prévention. Dans le cas d’une décision de contention, sa réévaluation journalière est indispensable. L’infirmier doit conserver en mémoire les risques et informer le médecin prescripteur des modifications constatées chez le patient, physiques et/ou psychologiques. Cette contention devra être faite avec du matériel adapté. En réévaluant systématiquement les bénéfices/risques le médecin peut prescrire la levée de contention et celle-ci fait également l’objet d’une information auprès des familles.

L’errance et les fugues Elles concernent plus particulièrement les patients atteints de maladie d’Alzheimer. Mais avant tout, il apparaît nécessaire de faire la différence entre « errance » et « fugue ». La première renvoie à l’action de déambuler au gré du hasard. La seconde signifie le fait de s’enfuir volontairement. La question à se poser est la suivante : un patient atteint de la maladie d’Alzheimer s’enfuit-il de manière volontaire ou bien est-ce le hasard qui le pousse au-delà des limites du service ? Nous savons que la déambulation ou l’errance est un comportement habituel dans la maladie d’Alzheimer. De plus, avec les troubles de la mémoire et la désorientation spatiale, il est possible d’admettre que les malades peuvent ne plus retrouver leur chemin. C’est ce qui se passe le plus souvent. Ainsi, il est fait un écart de langage, lorsqu’on parle de fugue. Cependant, certains patients fuguent et il semble que ce soit un acte volontaire. Mais il est difficile de dire avec précision si l’acte est réellement décidé, puisque le malade n’a pas toutes ses facultés de jugement et de discernement. D’après R. Moulias [16] les fugues ne sont pas toutes de même nature et il en répertorie cinq catégories (Tableau 3). Les fugues sont en général favorisées par la configuration des locaux. Souvent, ils ne sont pas adaptés aux déambulations des patients déments : les bâtiments anciens sont une suite de couloirs en enfilade, les plus récents ont beaucoup de sorties difficiles à toutes surveiller. Il faut alors envisager des systèmes qui ne gênent pas la libre circulation des patients non déments. Comme pour la contention, les personnels se heurtent à une double difficulté. Celle de restreindre la liberté de

mouvement des personnes et celle de leur responsabilité en cas de fugue. Cela n’est pas simple à gérer et la plupart du temps c’est la responsabilité qui l’emporte. Cela se traduit par des solutions extrêmes, comme l’enfermement des personnes dans leurs chambres, des contentions au fauteuil, voire des camisoles chimiques. Il convient de choisir les solutions les moins mauvaises pour les personnes et celles-ci sont trouvées en équipe. Rien ne remplace la vigilance des soignants mais les ratios en personnel sont souvent faibles, alors il faut envisager d’autres moyens complémentaires, tels que la qualité de l’accueil, le blocage électromagnétique de certaines issues, les systèmes électroniques par transpondeurs, voire les systèmes G.P.S. très onéreux. En cas de fugue, une procédure structurée doit être lancée. Il s’agit de débuter les recherches par le service et le bâtiment, puis d’élargir le rayon progressivement à partir de ce point de départ. Si la personne n’est pas retrouvée, il convient de faire un signalement auprès des autorités de police, bien sûr d’avertir les proches et de contacter les hôpitaux environnants. Ces fuites génèrent du stress et de la culpabilité chez les soignants mais aussi pour les proches de la personne. Il est rare que l’issue soit malheureuse mais dans ce cas, elle est vécue comme un véritable drame par tous.

Conclusion Les situations rencontrées auprès des personnes âgées en institution prennent une autre dimension lorsqu’elles concernent des patients atteints de maladie d’Alzheimer. Elles nécessitent de la part des soignants, une grande motivation et un savoir-faire singulier. L’exercice infirmier demande une véritable analyse des situations, des solutions adaptées à chacun, du temps et bien sûr des professionnels bien formés. La prise en charge de ces personnes démentes relève pour les infirmiers et aides soignants s’y consacrant, de l’expertise en soins.

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