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Le recours aux androgènes est-il indiqué dans le cas des femmes? Timothy Rowe, MB, BS, FRCOG, FRCSC Rédacteur en chef
es recommandations générales issues de la mise à jour 2006 de la Conférence canadienne de consensus sur la ménopause1 comptent l’énoncé énigmatique suivant : « À la suite d’une évaluation exhaustive, de l’essai d’une œstrogénothérapie par voie générale et de l’offre de services de counseling appropriés, le recours à l’androgénothérapie peut être envisagé pour certaines femmes présentant des troubles acquis de la libido. L’androgénothérapie constitue toujours un traitement expérimental et nous ne disposons pas de données suffisantes sur son innocuité à long terme. » La North American Menopause Society offre une recommandation tout aussi nébuleuse dans le cadre de sa déclaration de 2005 sur le rôle du traitement à la testostérone chez les femmes postménopausées2. Il est intéressant de constater le caractère « prudent » des termes choisis; en effet, l’utilisation de mots tels que « peut », « envisagé », « sélectionné » et « expérimental » donnent clairement l’impression que l’on a affaire à un sujet fort trouble. Force est toutefois de constater que la mise à jour 2006 reconnaît ce caractère trouble dans son Tableau 4.6 (lequel dresse la liste des facteurs qui contribuent au dilemme qui entoure actuellement l’androgénothérapie)3. Alors, que devons-nous faire face à une situation telle que la suivante? Une femme de 55 ans, auparavant débordante de vitalité, se présente à vous en se plaignant qu’elle ne vit plus avec le même entrain qu’il y a cinq ou dix ans. Elle a connu quelques bouffées de chaleur pendant un an ou deux au début de la cinquantaine et a eu recours, de façon décousue, à une hormonothérapie œstrogènes-progestatif qu’elle a abandonnée puisqu’elle oubliait fréquemment de prendre ses comprimés. Sa vie sexuelle connaît également un déclin; toutefois, de nombreuses raisons externes pourraient expliquer cette situation. Elle suit toutes les recommandations que nous adressons aux femmes qui en sont à la mi-temps de la vie et en rajoute : adoption d’un régime alimentaire équilibré, pratique régulière d’exercices, utilisation de soie dentaire, et même consommation de huit verres d’eau par jour. Malgré tout, elle se porte assez bien. Son acuité mentale semble adéquate, bien que cette dame affirme ne pas être aussi perspicace qu’autrefois. Au fil de ses recherches, elle semble avoir glané l’idée que le recours à l’androgénothérapie (testostérone, ou peut-être même DHA) pourrait s’avérer bénéfique dans son cas. Elle vous demande donc votre avis à savoir si un essai thérapeutique est indiqué dans son cas. Êtes-vous prêt à lui
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répondre? La réponse prudente qui vient immédiatement à l’esprit est de dire à cette patiente que cette voie ne mènera pas aux résultats attendus; cependant, au moins deux facteurs nous amènent à songer de nouveau à notre réponse. Premièrement, il s’agit d’une femme à l’intelligence manifeste qui est bien au fait des recours qui s’offrent à elle; ainsi, si elle décide de tenter l’expérience de l’androgénothérapie, elle n’aura aucune difficulté à se procurer les substances nécessaires. Deuxièmement, il s’agit d’une patiente que vous aimez bien, puisque vous ressortez toujours ragaillardi de vos discussions avec elle. Vous souhaitez l’aider à conserver son entrain. En bon émule de la médecine factuelle, vous vous en remettez évidemment à la littérature (et ce, bien que votre patiente l’ait déjà fait avant vous). La raison d’être du fait d’envisager le recours à l’androgénothérapie chez les femmes consiste, habituellement, en la présomption selon laquelle les femmes nécessitent une certaine quantité d’androgènes circulants pour se sentir entièrement normales. Puisque l’on estime que « la carence en androgènes chez la femme » se manifeste par une perte de libido, un abandon à l’humeur et de la fatigue4, le recours à un essai thérapeutique compte bel et bien des fondements théoriques. La seule androgénothérapie disposant d’une quelconque documentation significative issue d’essais comparatifs randomisés fait appel à la testostérone, laquelle est habituellement administrée sous forme transdermique. La mise à jour 2006 offre des renseignements au sujet du recours à la testostérone dans la prise en charge du dysfonctionnement sexuel, en plus de faire référence à l’étude randomisée portant sur le traitement à la testostérone chez les femmes ayant subi une ovariectomie bilatérale5. Au moment où vous tentez de traduire les résultats présentés par la littérature en des moyens pouvant le mieux répondre aux besoins de votre patiente, le train commence à dérailler. Les données issues d’essais comparatifs randomisés portant sur le traitement à la testostérone chez les femmes postménopausées dont les ovaires sont intacts et qui ne prennent pas d’œstrogènes font vraiment défaut. Vous offrez alors vos excuses à votre patiente en lui disant que rien ne soutient l’efficacité d’un tel traitement dans son cas. Elle vous demande alors : « Ne pourriez-vous pas mener une quelconque exploration permettant d’établir si ce traitement peut tout de même s’avérer utile dans mon cas? » Votre intuition semble vous suggérer qu’un dosage sérique de la testostérone (ou de l’activité de celle-ci) pourrait s’avérer utile; toutefois, votre intuition serait alors fausse. APRIL JOGC AVRIL 2006 l
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Premièrement, les mesures du taux sérique de testostérone ou de son activité (tel que l’indice de testostérone libre, lequel se calcule en divisant le taux sérique total de testostérone par le taux sérique de globuline spécifique et en multipliant le résultat par 100) sont standardisées en fonction des plages propres aux hommes, pour ensuite être adaptées (à contrecœur) aux plages beaucoup moindres qui sont propres aux femmes. Ces mesures demeurent donc très vagues. Deuxièmement, une étude récente portant sur les taux endogènes d’androgènes chez 1 423 femmes préménopausées et postménopausées n’a indiqué aucune association entre ces taux et le bien-être des femmes postménopausées6. « Quoi qu’il en soit », demande-t-elle, « le fait de tenter ce traitement pourrait-il vraiment me nuire? » Vous lui dites alors que, au Canada, aucune préparation ne contenant que de la testostérone n’est approuvée ou encore conçue pour une utilisation chez les femmes (il ne reste donc que la possibilité d’avoir recours à une préparation œstrogènes-testostérone à administration intramusculaire). Pour avoir recours à l’une des préparations destinées aux hommes, il faudrait en réduire la dose de façon considérable et en compromettre grandement la précision de la posologie. Il est très facile d’administrer une trop grande quantité de testostérone, ce qui peut entraîner des effets masculinisants étant non seulement indésirables, mais également irréversibles. Les athlètes qui utilisent des stéroïdes anabolisants en deviennent dépendants; de plus, l’abandon des androgènes est souvent associée à un état de manque donnant lieu à une envie irrésistible de recommencer le traitement7. « Donc, oui, cela pourrait vraiment vous nuire », répondez-vous à votre patiente. « Bon », dit-elle, « une de mes amies peut me procurer de la DHA. Elle affirme qu’il s’agit d’une hormone anti-vieillissement; de plus, ce qu’on peut lire dans Internet au sujet de cette substance est très positif. Pourquoi ne devrais-je pas l’essayer? » « D’accord », lui répondez-vous (puisque vous venez tout juste de vous renseigner à ce sujet), « mais laissez-moi vous en dire un peu plus au sujet de la déhydroépiandrostérone (DHA). Bien qu’il s’agisse du stéroïde le plus abondant chez l’être humain, nous ne savons toujours pas pourquoi! » Les taux de ce stéroïde dans la circulation atteignent, tant chez l’homme que chez la femme, leur pic au cours de la troisième décennie de la vie et déclinent par la suite, ce déclin ralentissant après la ménopause8. Bien qu’aucun récepteur spécifique (que ce soit membranaire ou nucléaire) de la DHA n’ait été identifié, il a été démontré que celle-ci exerçait des effets tant androgéniques qu’œstrogéniques chez l’être humain. Elle exerce, sur les récepteurs androgéniques, des effets directs, lesquels entraînent des effets tant agonistes qu’antagonistes. Elle exerce également des effets androgéniques attribuables à sa conversion enzymatique en des androgènes plus classiques9. Ce qui est encore plus intéressant, cependant (puisque nous avons toujours considéré la DHA comme un androgène), c’est l’effet de la DHA sur les récepteurs œstrogéniques. Elle semble être un activateur direct du récepteur â aux œstrogènes, entraînant une activation de la transcription encore plus puissante que 274
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celle de l’estradiol lui-même10. Elle exerce aussi un certain effet agoniste sur le récepteur a aux œstrogènes10. Voici donc les questions sans réponses : Le déclin naturel des taux de DHA chez les femmes s’avère-t-il bénéfique ou non? Indique-t-il une hausse ou une baisse du risque de connaître un cancer associé aux hormones, particulièrement celui du sein? Joue-t-il un rôle dans la perte de la densité minérale osseuse? Devrions-nous réellement tenter de hausser les taux de DHA chez les femmes postménopausées? Les travaux de Labrie et de ses collègues ont indiqué un accroissement de la densité osseuse, une baisse de l’insulinorésistance, une activité endométriale inchangée et un effet stimulant sur l’épithélium vaginal chez les femmes postménopausées ayant bénéficié, pendant 12 mois, d’un traitement à la DHA par voie transdermique11. Toutefois, nous ne disposons pas de données suffisantes au sujet des risques et des avantages à long terme d’une telle pratique. Jusqu’à ce que nous nous soyons assurés de l’innocuité de la DHA, elle ne devrait être utilisée que dans le cadre d’essais cliniques. De plus, puisqu’elle est considérée comme un médicament contrôlé (mentionné à l’annexe G) au Canada, il semble que Santé Canada soit du même avis. Vous devez donc, de nouveau, offrir vos excuses à la patiente. « Bon », vous répond-elle, « il semble que vous soyez parvenu à me convaincre. Qui plus est, si je commence à prendre de la testostérone ou de la DHA, mes rêves de victoires olympiques s’envoleront en fumée, n’est-ce pas? » Vous lui dites alors qu’il s’agit d’une sage décision. Cependant, ne croyez surtout pas qu’elle n’abordera plus jamais le sujet en votre présence... RÉFÉRENCES 1. Société des obstétriciens et gynécologues du Canada. « Conférence canadienne de Consensus sur la ménopause – Mise à jour 2006 », J Obstet Gynaecol Can, vol. 28, 2006, p. S8. 2. The North American Menopause Society. « The role of testosterone therapy in postmenopausal women: position statement of the North American Menopause Society », Menopause, vol. 12, 2005, p. 497–511. 3. Basson R. « Conférence canadienne de Consensus sur la ménopause – Mise à jour 2006 », J Obstet Gynaecol Can, vol. 28, 2006, p. S49. 4. Davis S. « Androgen replacement in women: a commentary », J Clin Endocrinol Metab, vol. 84, 1999, p. 1886–91. 5. Basson R. « Conférence canadienne de Consensus sur la ménopause – Mise à jour 2006 », J Obstet Gynaecol Can, vol. 28, 2006, p. S43–52. 6. Bell RJ, Donath S, Davison SL, Davis SR. « Endogenous androgen levels and well-being: differences between premenopausal and postmenopausal women », Menopause, vol. 13, 2006, p. 65–71. 7. Hochberg Z, Pacak K, Chrousos GP. « Endocrine withdrawal syndromes », Endocr Rev, vol. 24, 2003, p. 523–38. 8. Labrie F, Belanger A, Cusan L, Gomez JL, Candas B. « Marked decline in serum concentrations of adrenal C19 sex steroid precursors and conjugated androgen metabolites during aging », J Clin Endocrinol Metab, vol. 82, 1997, p. 2396–2402. 9. Arnold JT, Blackman MR. « Does DHEA exert direct effects on androgen and estrogen receptors, and does it promote or prevent prostate cancer? », Endocrinology, vol. 146, 2005, p. 4565–7. 10. Chen F, Knecht K, Birzin E, Fisher J, Wilkinson H, Mojena M et coll. « Direct agonist/antagonist functions of dehydroepiandrosterone », Endocrinology, vol. 146, 2005, p. 4568–76. 11. Labrie F, Luu-The V, Belanger A, Lin S-X, Simard J, Pelletier G et coll. « Is dehydroepiandrosterone a hormone? », J Endocrinol, vol. 187, 2005, p. 169–96.