Les antiviraux de la grippe servent-ils à quelque chose ?

Les antiviraux de la grippe servent-ils à quelque chose ?

Médecine et maladies infectieuses 39 (2009) 667–673 Éditorial Les antiviraux de la grippe servent-ils à quelque chose ? Do we really need antiflu vir...

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Médecine et maladies infectieuses 39 (2009) 667–673

Éditorial

Les antiviraux de la grippe servent-ils à quelque chose ? Do we really need antiflu virus medication?

Ne soyez à la Cour, si vous voulez y plaire, Ni fade adulateur ni parleur trop sincère, Et tâchez quelquefois de répondre en Normand. La Fontaine Malgré l’avalanche de recommandations et de stratégies que les différents pays proposent dans le contexte de l’actuelle pandémie, il y a de réels doutes quant aux effets des mesures présentées pour l’usage des médicaments antiviraux. Le traitement antibiotique d’une méningite et de bien d’autres infections bactériennes, de même, par exemple, que celui d’un accès palustre par la quinine ne souffre aucune discussion. Ces thérapeutiques sont indispensables et ont depuis longtemps fait la preuve d’une efficacité certaine. Il n’en est pas de même des antiviraux. Certes le traitement d’infections chroniques – hépatites, VIH – est bien établi. Certes les traitements curatifs ou prophylactiques des infections à Herpes viridae (herpes simplex virus [HSV], cytomegalovirus [CMV], virus varicelle zona [VZV]) en cas d’immunodépression constituent de réels progrès. Mais le traitement d’infections virales aiguës chez des sujets immunocompétents n’a que rarement apporté des résultats probants, à l’exception très notable des méningo-encéphalites herpétiques dont le pronostic a été bouleversé par l’acyclovir. On peut enfin citer l’usage anecdotique de la ribavirine en traitement de recours dans des infections à virus respiratoire syncitial (VRS) et quelques fièvres hémorragiques (Lassa, Crimée-Congo). N’oublions pas que la grippe, infection très contagieuse, est une maladie majoritairement bénigne, même si pour beaucoup de patients cliniquement malades c’est une période de quatre à sept jours fâcheux, qu’un traitement symptomatique banal aide à faire accepter. Qu’en cas de grande pandémie, cette affection généralement sans gravité puisse avoir des conséquences socioéconomique est clair. Habituellement la mortalité liée à la grippe elle même est faible (autour de 3 pour 1000 pour la grippe saisonnière et semble t-il pour la grippe A [H1N1] en cours). Mais cette évolution fatale, jusqu’ici peu médiatisée, prend une dimension d’épouvante, lorsque l’épidémie touchant des millions de personnes, on enregistre quelques dizaine de milliers de décès dans 0399-077X/$ – see front matter © 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.medmal.2009.08.001

notre seul pays. Curieusement, alors que nos contemporains avaient une connaissance historique de la grippe espagnole de 1918–1919 et de ses millions de morts, il a fallu le spectre rampant d’une grippe aviaire (H5N1), au nombre de cas humains à ce jour très faible, mais avec un risque de mortalité élevé (20 à 50 % des sujets malades), pour qu’une sorte d’égarement gagne tout ce qui touche aux affections grippales. On peut s’étonner que certaines épidémies plus récentes n’aient pas plus marqué l’opinion : grippe asiatique de 1957–1958 (virus A [H2N2]), grippe de Hong Kong 1968–1969 (virus A [H3N2]) chacune aurait fait plus d’un million de mort dans le monde (http://www.pandemie-grippale.gouv.fr/) et entre 18 et 30 000 en France pour la dernière (ces données chiffrées sont difficiles à vérifier). Bien sûr, il y a des groupes à risque de complications et de surmortalité (enfant avant un an, sujets âgés, immunodéprimés, qui constituent l’essentiel des décès) et quelques rares pneumonies virales primaires, précoces, marquées par un œdème pulmonaire, gravissimes. Habituellement, on considère que plus de 90 % des décès liés à la grippe concerne des sujets de plus de 65 ans. Mais pour ce qui est de la pandémie en cours, il est, à ce jour, difficile d’avoir une esquisse du cadre des décès rapportés (âge, comorbidités, grossesse, délai et cause). La note diffusée le 6 août par l’InVs apporte une première analyse. Ainsi que deux articles publiés le 13 août 2009 par le New England Journal of Medicine (NEJM) [1,2] ; ils donnent des indications fort utiles sur des atteintes respiratoires chez des sujets jeunes (moins de 50 ans), sur une mortalité élevée des malades atteints de pneumonie (de l’ordre de 40 %), mais rien ne permet de dire pour l’instant que ce soit très différent de ce qui a été observé lors des épidémies citées plus haut. En revanche, il y a une information importante, qui est le délai entre les premiers symptômes et l’hospitalisation : médiane six jours (quatre à 13). Comme on pouvait le prévoir, l’extension rapide de l’épidémie rend aléatoire un relevé exact des cas documentés. La situation observée au début du mois d’août en Argentine en a été une illustration flagrante : l’European Center of Disease Control (ECDC) situation report du 8 août relève pour ce pays 5710 cas et 337 décès (taux très élevé de près de 5 %), mais

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le journal Le Monde daté du 6 août 2009 rapporte les propos du vice-ministre de la Santé de ce pays d’Amérique du sud, M. Diosque qui annonce 762 711 cas déclarés de syndromes grippaux, dont 93 % auraient été identifiés comme dus au virus A (H1N1) et un nombre de décès supplémentaires en cours d’analyse de 400. Dans ce cas, les chiffres argentins sont plus de 100 fois supérieurs aux données officielles publiées en même temps. Mais le taux de décès ne serait plus que de 1 0/00 . Bref, le maniement de statistiques cohérentes et fiables va devenir de plus en plus difficile. D’ailleurs, à partir du 10 août 2009, l’actualisation européenne devient : l’ECDC daily update, qui ne mentionne plus pour les pays hors de l’Europe que le nombre de décès. Mais pour combien de temps encore les relevés du nombre de cas, dans les pays d’Europe, seront-ils reliés à la réalité ? Au 21 août 2009, l’OMS recense 1800 décès dans le monde mais pour un nombre de grippe inconnu. Un traitement étiologique curatif est légitime s’il abrège la durée des signes cliniques et participe à l’amélioration des symptômes, mais surtout s’il diminue la fréquence et la sévérité des formes graves, ainsi que la mortalité chez les sujets à risque. S’il diminue l’excrétion virale, réduit la contagiosité, des stratégies prophylactiques peuvent être envisagées. Les antiviraux de la grippe sont : Les amantadanes : amantadine [3] et la rimantadine (bloqueurs des canaux ioniques M2) empêchent l’entrée du virus dans la cellule. Handicapés par leur action exclusive sur les virus A et surtout l’émergence d’importantes résistances, les réévaluations de leur efficacité ne sont guère en faveur de la poursuite d’un usage qui a toujours été très limité. Malgré quelques discussions sur leur intérêt en fonction de certains types antigéniques de virus et d’éventuelles associations avec des inhibiteurs de la neuraminidase (IN) [4] (un essai clinique est actuellement en cours en France testant entre autre une association oseltamivir–amantadine), il semble aujourd’hui difficile de valider un intérêt significatif : • the use of amantadine and rimantadine should be discouraged [5]; • the effectiveness of both drugs in interrupting transmission is probably low. . . both drugs should only be used when all other measures fail [6]; • due to the small number of available studies we could not reach a definitive conclusion on the safety of AMT or the effectiveness of RMT in preventing influenza in children and the elderly [7]. Les inhibiteurs de la neuraminidase (IN) (zanamivir, oseltamivir et le péramivir en cours de développement), enzyme virale qui permet à la fois au virus de pénétrer dans les cellules non infectées mais aussi la libération des virions produits par ces cellules, ont vu le jour à partir de 1999. On observe des contradictions extrêmes si l’on reconstitue sur une douzaine d’années l’histoire de ces antiviraux. L’enregistrement des deux produits commercialisés (autorisation de mise sur le marché [AMM] du 26 juillet 1999 à l’Afssaps pour le zanamivir et du 20 juin 2002 en procédure centralisée

européenne pour l’oseltamivir) s’est fait avec bien des réserves de la part des autorités. Jusqu’en 2006, on voyait mal comment et pourquoi utiliser ces nouveaux antiviraux et de nombreuses critiques ont été émises quant à leur utilité. Puis, débutant en 2004, se développe la grande peur de la pandémie terrible de peste aviaire touchant l’homme par son virus A (H5N1). Sans qu’il y ait aucun argument scientifique supplémentaire les IN vont devenir des antiviraux de référence. . . pour le cas où ! En effet, jusqu’à la fin de 2008, le cauchemar est H5N1, mais au 1er juillet 2009 l’OMS n’a recensé que 436 cas humains avec 262 décès. Pour l’instant la pandémie de grippe humaine aviaire n’est pas au programme. Mais c’est dans le contexte de cette menace qu’ont été élaborées des recommandations qui, partant de l’alarme aviaire donnent des indications sur l’usage des antiviraux dans le cadre des grippes saisonnières, puis depuis le printemps de 2009, un ajustement en urgence à la vraie pandémie du moment, le A (H1N1), d’origine porcine. Adaptation qui renforce l’usage des antiviraux, en l’absence de vaccination disponible à ce jour. Notre propos n’est ni de détailler ni de discuter de ces recommandations nord-américaines [8,9], européennes, mais aussi pour l’Australie–Nouvelle Zélande, l’Afrique du Sud, l’Islande, etc. . . Pour l’Europe, il y a eu une comparaison des différentes recommandations dans l’Union européenne [10] qui met en évidence de « major variations. . . in recommendations for treatment and prevention of seasonal influenza ». Une fiche officielle de recommandations franc¸aises a été publiée le 6 août 2009 et réactualisée le 12 août [11]. On attend pour début septembre des recommandations européennes élaborées par l’ECDC. L’efficacité des IN a été démontrée par les essais cliniques présentés lors de leur enregistrement. Mais avec deux observations capitales : • en traitement curatif, une efficacité n’est observée que si le traitement a débuté le plus tôt possible après les premiers symptômes, et en tout cas au plus tard dans les 36–48 premières heures. En réalité l’infestation virale a déjà commencée depuis au moins un jour avant les premiers signes et c’est probablement avant le début clinique qu’un traitement devrait être instauré ; • la quantité d’effet observée est modeste : l’effet principal signalé est une réduction moyenne de la durée des symptômes de 30 heures [12]. Chez les sujets âgés ou atteints d’affections chroniques, l’oseltamivir n’apporte aucun bénéfice statistique par rapport au placebo, bien que la durée médiane de la maladie ait été réduite de dix à 25 heures environ. Des résultats préliminaires ont montré, chez les seuls sujets âgés, une réduction des infections respiratoires basses (principalement des bronchites). Malgré cela, les experts ont maintenus les réserves qui figurent toujours dix ans plus tard dans le RCP. Aucune information n’est disponible concernant la tolérance et l’efficacité d’oseltamivir chez les patients présentant un état clinique suffisamment sévère ou instable pour nécessiter une hospitalisation. La tolérance et l’efficacité d’oseltamivir n’ont pas été établies chez les patients

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immunodéprimés que ce soit pour le traitement ou pour la prophylaxie de la grippe. L’efficacité d’oseltamivir chez les patients ayant des pathologies chroniques cardiaques et/ou respiratoires n’a pas été établie. Dans ce type de population, l’incidence des complications observées dans les groupes sous traitement et sous placebo n’est pas différente [12]. Avec les variations d’écriture et de développement, les mises en garde concernant l’emploi du zanamivir sont du même ordre : « il n’a pas été possible de démontrer efficacité et tolérance chez les patients présentant un asthme sévère ou d’autres pathologies chroniques respiratoires, ou chez les patients immunodéprimés ou ayant des maladies chroniques non stabilisées. Son efficacité dans la prévention de la grippe dans le cadre d’une résidence pour les personnes âgées n’a pas été démontrée. L’efficacité du zanamivir pour le traitement des patients âgés de 65 ans ou plus n’a également pas été établie » (mentions légales franc¸aises). On va m’objecter que ces données sont celles de l’enregistrement, qu’elles datent, et devraient probablement faire l’objet d’une actualisation. Mais on doit noter de 2003 à ce jour les publications de métaanalyses, ou d’analyses poolées faites à partir des mêmes essais et qui ne sont pas plus encourageantes : It is difficult to see what important new information about the treatment of flu this meta-analysis offers. As is often the situation with new drugs, information from new studies is essential before neuraminidase inhibitors will become widely used: characterization of the type and severity of symptoms and end points such as “return to normal activities” should be automatically included; trials should continue for longer; and data collection should provide more details of the type and severity of complications and admissions to hospital [13]. Because of their low effectiveness, neuraminidase inhibitors should not be used in seasonal influenza control and should only be used in a serious epidemic or pandemic alongside other public-health measures [5]. None of the four studies reviews alone allows estimation of the effect of antiviral treatment on infectiousness. . . We hope that this paper illustrates the importance of better planning of field studies to answer the relevant scientific and public health questions of interest [14]. Ces mauvaises impressions apparaissent également dans les avis, qu’en France, la Commission de la transparence a pu rendre sur ces médicaments. Il ne saurait ici être question de reprendre l’intégralité de ces avis que le lecteur pourra trouver sur le site de l’Haute Autorité de santé (HAS) (http://www.has-sante.fr/) en lanc¸ant la recherche par le nom de spécialité. Les derniers avis de cette commission datent du 26 septembre 2007 pour le zanamivir, du 16 avril 2008 pour l’oseltamivir. Dans ce dernier avis ont été analysés les résultats d’une étude postinscription effectuée lors de la saison 2004–2005, à la demande des autorités dans 98 établissements d’hébergement pour personnes âgées (EHPA) et ayant inclus plus de 8000 patients dont près de 4500 exposés à la grippe (on peut trouver le rapport complet de cette étude

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« Cosmos » sur le site de l’HAS). Les conclusions sont : « Il n’a pas été observé de différence statistiquement significative entre les résidents ayant rec¸u Tamiflu et ceux n’en n’ayant pas rec¸u, aussi bien sur le critère de jugement principal (mortalité), que sur les critères secondaires (hospitalisations), ou encore sur le critère composite décès + hospitalisations ». Bien que prospective, cette étude observationnelle ne saurait prétendre à la rigueur d’un essai randomisé en insu, mais le faible nombre de patients traités par oseltamivir a montré les difficultés de la prescription et de l’accès au traitement en situation réelle. Cette réévaluation de 2008 a également pris en compte trois autres études : • en traitement curatif de la grippe, dans une étude de cohorte prospective réalisée au Canada [15]. Cet essai a fait l’objet d’une large utilisation dans l’élaboration de recommandations, en particulier du fait que des traitements débutés majoritairement au-delà de la 48e heure semblaient coïncider avec un pronostic meilleur. En fait, cette étude est méthodologiquement très critiquable, il y a des résultats discordants entre analyse univariée et multivariée. La commission de transparence a conclu qu’aucune différence significative sur la mortalité ne pouvait être certainement affirmée, contrairement aux conclusions des auteurs ; • en traitement prophylactique de la grippe, une étude pragmatique ouverte en maison de soins de longue durée à Taiwan a montré un impact de l’oseltamivir, mais avec des limites méthodologiques en rendant l’interprétation difficile [16] ; • en traitement curatif, dans une étude de cohorte rétrospective à Hong Kong, la prise d’oseltamivir dans les 48 heures suivant le début des symptômes a été statistiquement associé à une diminution de la durée d’hospitalisation. Mais les limites méthodologiques ne permettent qu’une confirmation des données déjà examinées [17]. Schématisées, les avis de la Commission de la transparence, pour les deux spécialités, sont : • le service médical rendu (SMR) dans le traitement curatif de la grippe est insuffisant dans tous les cas, chez l’adulte comme chez l’enfant. • le service médical rendu dans la prophylaxie postcontact chez l’adulte et l’enfant à partir de un an : ◦ est insuffisant chez les sujets sans comorbidités, ◦ est faible dans les populations à risque de complications (définition dans l’avis complet), ◦ est modéré chez des sujets à risque (ci-dessus) dans les cas particuliers suivants : - sujets vivant en collectivités (patients institutionnalisés), - sujets présentant une contre-indication au vaccin, - sujets immunodéprimés (notamment sujets ayant un sida, greffés, ou traités par immunosuppresseurs), - situations où la protection vaccinale est incomplète par rapport à la souche circulante. En dehors de l’aspect un peu tranché de ces avis on notera :

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• que jamais cette commission n’a considéré – au vu des études fournies – qu’un SMR « important » pouvait être attribué dans un quelconque sous-groupe ; • qu’ils ont été donnés en considérant que la vaccination constituait la pierre angulaire de prise en charge de cette pathologie, en particulier chez les sujets à risque ; • l’absence de protection vaccinale dans la pandémie en cours, devrait peut-être conduire à revoir ces avis. Avec d’ailleurs une inconnue, qui est le rôle, pour un sérotype donné du virus, de l’immunisation naturelle acquise après infection et sur l’évolution de l’épidémie, et sur la protection ultérieure [18].

On ne tient pour l’instant pas compte de l’extension d’indication de l’oseltamivir au nourrisson avant l’âge de un an (emergency use authorization de la FDA, 27 avril– 14 juillet 2009 ; modifications du CHMP assessment report du 7 mai 2009 pour l’Europe et recommandation Afssaps sur l’utilisation de l’oseltamivir chez les nourrissons de moins de un an, publiée le 6 août 2009). L’objectif étant de pouvoir proposer un traitement à cette population à risque. Mais on se doit d’observer que toutes les analyses des essais de méthodologie correcte soulignent que si des « tendances » en faveur de l’usage des IN peuvent être identifiées, on n’a jamais obtenu de démonstration entraînant une conviction décisive, au vu des résultats avancés, du caractère indispensable de ces médicaments. Il y a eu à peu près 25 essais concernant les traitements curatifs et prophylactiques de ces deux IN. Tous ont été réalisés entre 1995 et 2002. Aucun essai nouveau correct n’a été publié depuis 2003. Toutes les analyses plus récentes de la littérature reprennent « en boucle » tout ou partie de ces essais, avec toujours des conclusions plutôt mitigées. Il en est ainsi de l’article publié le 11 août 2009 dans le BMJ [19] ; il reprend sept essais anciens (mais il n’y en a pas d’autres), tous ont été terminés entre 1998 et 2002. La conclusion globale est : « Neuraminidase inhibitors provide a small benefit by shortening the duration of illness in children with seasonal influenza and reducing household transmission. They have little effect on asthma exacerbations or the use of antibiotics. Their effects on the incidence of serious complications and on the current A/H1N1 influenza strain remain to be determined ». La totalité du paragraphe consacré à la justification des mesures proposées dans le document américain de 2009 [8, p. 1019] fait appel à 25 références, dont, à notre avis la lecture critique ne permet jamais d’autre conclusion que de soutenir des « tendances ». Une exégèse approfondie de cette section et de la bibliographie associée reste à faire. Pourquoi n’y a t-il eu aucun essai entre ceux de l’enregistrement et ce jour ? La communauté médicoscientifique ferait bien de s’interroger sur une telle lacune. On peut comprendre que jusqu’en 2005, époque où l’intérêt de ces médicaments semblait des plus secondaires, même si une certaine efficacité était démontrée, ni les firmes, ni la communauté scientifique n’aient souhaité initier des essais coûteux et difficiles à mener.

Depuis, la peur de la grippe aviaire aurait pu conduire à plus d’efforts. Mais vu le très faible nombre de cas humains de grippe aviaire due au virus H5N1, un essai randomisé, dans cette indication, relevait de l’impossible et de nouveaux essais dans les épidémies « normales » de grippe saisonnière risquaient fort d’être peu contributifs. On observe depuis deux ans que de nouveaux essais sont en cours et début août 2009, le relevé du National Institute of Health (NIH) américain liste huit essais actifs (dont deux en France). C’est dans ce contexte scientifiquement peu enthousiasmant que les autorités sont amenées, en ce moment, à proposer des recommandations pour l’usage des IN dans la pandémie en cours. Notre objectif n’est pas de faire une exégèse et encore moins une critique de ces recommandations sur lesquelles de nombreux experts, aux compétences indiscutables, ont réfléchi. Mais d’exprimer un avis. Avec des formulations différentes, les propositions de traitement par les traitements antiviraux sont assez semblables. Pour les traitements curatifs proposés, des remarques s’imposent : • l’intérêt démontré est modeste sur la durée et l’intensité des symptômes ; • la démonstration d’efficacité en termes de morbimortalité chez des sujets ayant des facteurs de risque est encore moins documentée ; • de plus, on relève que lors de simulation, l’effet sur l’évolution d’une pandémie du seul usage des antiviraux curatifs est modeste [20]. Ayant en vue ces notions, on doit conseiller au lecteur d’étudier les paragraphes n◦ 14 et 15, page 1018 de la référence [8] (recommandations US). Au terme de cette analyse on voit mal quels patients vont échapper à un traitement antiviral dès lors qu’ils vont présenter des symptômes évocateurs, à l’exception peut-être des sujets sans facteurs de risque audelà de la 48e heure. On reste de plus perplexe devant les choix qui sont discutés entre les différents antiviraux, y compris les amantadanes (§ n◦ 16). Quant aux « grades » avancés par ce document, comme validant ces recommandations, ils mériteraient, à notre sens une réévaluation critique : un grade (A–I) est proposé : « Good evidence to support a recommendation for use, and evidence from ≥ 1 properly randomized, controlled trial ». Il y a deux grades de niveau (A–II), et quand même un grade (C) : poor evidence to support a recommendation, pour les traitements proposés au-delà de 48 heures. Les auteurs se sont exclusivement fondés sur la constatation de différences statistiquement significatives. À aucun moment ils n’ont abordé la question de la quantité d’effet et encore moins de sa pertinence clinique. C’est un point majeur de la discussion sur l’intérêt des IN dans la grippe ; cette discussion est loin d’être close. La fiche pratique franc¸aise [11] conduit à un résultat pratique du même ordre : publiée une première fois le 6 août, elle a fait l’objet d’une modification le 12 août 2009, pour tenter d’atténuer l’impression qu’une prescription généralisée serait recommandée :

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La prescription d’un traitement antiviral à tous les patients suspects de grippe n’est pas systématique. La mise sous traitement antiviral curatif est recommandée aux sujets présentant : –un syndrome grippal caractérisé à début brutal si la forme clinique est jugée sévère par le médecin ; ou – des facteurs de risque particuliers en cas de suspicion de grippe ; ou – une forme clinique grave d’emblée ou compliquée (après avoir éliminé une surinfection bactérienne). Les recommandations canadiennes [21] plus anciennes et australiennes [22] comportent les même schémas, elles incitent cependant moins au traitement généralisé de tous les patients ayant un syndrome grippal. Dans tous les cas il est difficile de ne pas relever qu’à défaut de démonstration, on fait largement appel dans le cadre d’un principe de précaution prégnant, à des propositions de traitements probabilistes, peut être raisonnables, mais qui exposent certainement à des prescriptions excessives et souvent inadéquates. La phrase suivante, issue des recommandations australiennes [22], est exemplaire : « Until further data are available, patients with pneumonia associated with influenza should have blood and sputum cultures and be treated with neuraminidase inhibitors and antibiotics for community-acquired pneumonia. Antibiotics active against S. aureus should be considered for patients with severe pneumonia ». On a fait autrefois une proposition du même ordre pour les suspicions de méningo-encéphalites herpétiques, mais avec un niveau de preuve d’une autre qualité (56 %–15/27 de retour à une vie normale à six mois sous acyclovir vs 13 %–3/24 sous vidarabine ; p = 0,002 et malgré des effectifs faibles, la quantité d’effet ne fait pas de doute ; trois décès vs 12 [23].

Pour les traitements prophylactiques Sans entrer dans les détails, on peut considérer que les niveaux de preuve, comme la quantité d’effet sont supérieurs lorsque les antiviraux sont prescrits à visée de prophylaxie, plutôt qu’en curatif. C’est ce qu’il ressort aussi des simulations issues du modèle présenté par F. Carrat, à condition cependant qu’au moins 50 à 70 % des sujets contacts rec¸oivent une prophylaxie [20]. En revanche, si on veut, en période pandémique ne pas prescrire une prophylaxie à tout le monde, les stratégies sont beaucoup plus complexes. Le document américain [8] ne comporte pas moins de 19 paragraphes pour tenter d’expliquer l’ensemble des situations où un antiviral prophylactique devrait être prescrit, lequel, et pour combien de temps et en tenant compte du risque d’émergence de résistances (y compris pour les IN). Le document du CDC est plus didactique [9], mais plus ancien (été 2008), il laisse une place (logique) très large à la vaccination, à ce jour non disponible pour le A (H1N1). La fiche pratique franc¸aise [11] est en revanche beaucoup plus pragmatique et opérationnelle, et ne devrait pas si elle est appliquée exposer à une prescription trop large. La prescription systématique d’un traitement antiviral à visée prophylactique n’est-pas recommandée.

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Elle est recommandée aux contacts étroits des cas suspects de grippe dans les situations suivantes pour les adultes et les enfants de plus d’un an : • sujets contacts présentant des facteurs de risque particuliers ; • contextes particuliers : entourage familial d’une personne présentant les facteurs de risque ou les collectivités (Ehpad, par exemple). Ainsi que pour les femmes enceintes et les nourrissons de moins d’un an. Quelles conclusions et synthèse peut-on, à la mi-août 2009, discuter sur l’opportunité de prescrire des antiviraux au cours de l’actuelle pandémie de grippe A (H1N1) : Pour protéger la population devant l’extension rapide d’une affection très contagieuse, mais aussi les personnes à risque de complications et/ou de formes graves, il est clair que d’autres mesures, en grande partie beaucoup plus efficaces doivent être prises. Tant qu’un vaccin actif ne sera pas disponible, un pan majeur des stratégies de lutte contre l’épidémie ne pourra être engagé. Les antiviraux ont une place certaine, mais il est bien difficile de préciser en toute objectivité et encore bien plus en toute rigueur scientifique, laquelle ; bien qu’une large discussion médicoscientifique soit depuis longtemps ouverte. Doit-on faire la réponse de normand de la Fable de La Fontaine ? Peut-être pas, mais restons certainement critique. Il y a un double problème, celui des indications et celui des stratégies. Et une double réserve, celle des effets indésirables (qui ne semble pas majeurs), celle des conséquences de prescriptions massives, dont beaucoup risquent d’être inutiles quant à l’efficacité, mais funestes si des résistances du (ou des) virus émergent rapidement) (sans parler des questions économiques). En traitement curatif Doit-on, comme le prévoient les recommandations officielles, en prescrire à tous les grippés bénins, sans effet ajouté démontré en plus que ceux des traitements symptomatiques ? Il est à craindre que non. Doit-on en prescrire aux sujets à risque (décrit dans les recommandations) et les formes graves ? En raison de « présomption » d’utilité (à défaut de démonstration) on peut dire que oui. Mais dans tous les cas on voudra bien considérer que, même s’il existe des publications douteuses d’efficacité au-delà de la 48e heure [15], le traitement « doit » être débuté le plus tôt possible après les premiers symptômes et en aucun cas au-delà du second jour. Cet impératif pose une vraie question stratégique. Les grippes graves, avec pneumonies publiées au Mexique [1,2] ont toutes été prises en charge au-delà des 48 heures de rigueur. En pratique, il sera bien difficile de refuser de traiter un patient sévère, mais sans savoir aujourd’hui si ce traitement aura une quelconque efficacité. C’est une question à laquelle il faudrait apporter une réponse ; mais comment faire sans de vrais essais clinique ?

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Pour les autres grippés, que l’indication soit bonne ou non, comment donner l’IN ?

Mais cela renforce finalement notre conviction que la médecine, aussi savante soit-elle, reste avant tout un art.

• l’avoir dans sa table de nuit en tant que traitement présomptif à débuter dès qu’apparaissent des symptômes ? c’est déraisonnable ; • proposer comme en Grande Bretagne un centre d’appel téléphonique pour donner une autorisation de délivrance du produit ? c’est déraisonnable et de plus dangereux ; • soyons sérieux, la prescription d’un IN est un acte médical et suppose un diagnostic préalable, même s’il est probabiliste, mais ayant aussi éliminé « autre chose » : d’une pyélonéphrite à un érysipèle, en passant par. . . une méningite bactérienne débutante ; • toute la question d’une stratégie cohérente tient au délai nécessaire pour voir un médecin, qu’une ordonnance soit faite, qu’on puisse se procurer le médicament.

Références

Si on se laisse à distribuer les antiviraux sans acte médical, c’est n’importe quoi, serait-on en situation de milliers de demandes ? En traitement prophylactique Si on applique scrupuleusement les recommandations, la situation peut être plus simple, car les candidats à une chimioprophylaxie sont mieux définis. Mais l’identification des sujets à risque demeure un acte médical. Reste ensuite à assurer le suivi de ce traitement afin de ne pas le poursuivre au-delà du raisonnable, entre autres. Finalement, deux exigences souvent contradictoires devront encore une fois être confrontées : préserver l’intérêt collectif sans nuire à l’intérêt individuel du patient. On ne peut même pas être certain que le traitement antiviral permette de traiter les formes les plus graves. Plus probablement, lorsqu’il est débuté très tôt, les prévientil, mais la preuve indubitable n’est pas établi. La prophylaxie a vraisemblablement un intérêt individuel, l’intérêt collectif ne peut s’évaluer qu’en complément des autres mesures, dont la vaccination lorsqu’elle existera, mais son rôle dans la limitation d’une épidémie nécessite qu’un pourcentage élevé d’une population soit traitée (au moins 50 %) ; est-ce faisable sans conséquences, notamment sur la sélection de résistance des virus ? L’avenir nous le dira. L’OMS a mis en ligne le 21 août des recommandations pour l’usage des antiviraux dans la grippe [24]. Ce document, très complet de 91 pages, comporte des appréciations éclairantes sur les niveaux de preuves des propositions faites : les recommandations sont qualifiées de « strong » à « weak », mais assorties de « low or very low quality of evidence ». Bref, ces qualificatifs confirment bien le doute où nous sommes quand à la véritable justification de recommandations auxquelles il est difficile d’échapper. Finalement en ce siècle où l’evidence based medicine (EBM) se veut reine, la communauté de la santé publique est amenée à proposer des décisions et des stratégies sur des données où la démonstration scientifique est nulle ou au mieux faible.

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F. Trémolières Service des maladies infectieuses, centre hospitalier Fran¸cois-Quesnay, 2, boulevard Sully, 78200 Mantes-la-Jolie, France Adresse e-mail : [email protected]