Hématologie : Hémopathies lymphoïdes b matures
LLC : physiopathologie, diagnostic et approche thérapeutique Florence Cymbalistaa,*
Résumé Les connaissances sur la physiopathologie de la leucémie lymphoïde chronique évoluent à grand pas. Cette hémopathie lymphoïde ne pose pas de difficultés diagnostiques. En revanche, la grande variabilité de son évolution et l’absence actuelle de traitement éradicateur suscitent une recherche active sur les mécanismes aboutissant à la progression de la maladie. L’immuno-chimiothérapie conventionnelle a fait des progrès récents mais certaines catégories de patients ont une réévolutivité rapide ou une résistance à ces traitements. La capacité de signalisation en aval du récepteur B est un élément central de l’évolutivité de cette maladie. L’analyse des intermédiaires de cette voie a abouti à l’utilisation d’inhibiteurs spécifiques dont les résultats sont extrêmement prometteurs, puisqu’ils semblent aussi actifs chez des patients ayant une résistance à la chimiothérapie conventionnelle. Par ailleurs, ces nouveaux inhibiteurs sont des médicaments oraux bien tolérés, qui ouvrent donc de nouvelles possibilités thérapeutiques chez les patients les plus âgés, et/ou fragiles, dans une maladie où la moyenne d’âge au diagnostic est de 72 ans. La découverte récente de nouvelles mutations génétiques conduit également a envisagé des voies nouvelles de dérégulation pouvant aboutir à d’autres thérapeutiques ciblées. Leucémie lymphoïde chronique – récepteur B à l’antigène – mutations – chimiothérapie – inhibiteurs.
1. Diagnostic
Summary CLL, pathophysiology, diagnosis and therapeutical approach Knowledge of CLL pathophysiology has recently tremendously improved. CLl is easy to diagnose. As disease progression is very heterogenous, and as there is no cure, mechanisms of progression have been a very active field of research. Conventional immunochemotherapy has recently improved but there are some patients who have little benefit from these treatments or who relapse very early. BCR signaling capacity has proved to be a major player in CLL progression. BCR signaling intermediates may be targeted by synthetic inhibitors. Results from the on going clincial trials are very promising, as they seem as active in chemoresistant patients as in naive ones. Morevoer, these inhibitors are oral compouds, with a good tolerability profile, opening new therapeutic possibilities for fragile and/or elderly patients. This is of major importance in a disease such as CLL in which median age at diagnosis is 72. Some new genetic mutations have also been recently uncovered, unraveling new deregulated pathways, which may be targeted in the future. Chronic lymphocytic leukemia – B cell receptor – mutations – chemotherapy – inhibitors.
1.1. Incidence La LLC représente 1 % des cas de cancers et 12,5 % des hémopathies malignes, du moins en Europe. La LLC est rare dans les pays asiatiques. En France, le nombre de cas annuels de LLC est estimé en 2011 à 3 798 cas incidents. La LLC touche plus fréquemment l’homme avec 2 144 cas chez l’homme (56,5 %) et 1 654 cas chez la femme (43,5 %). a Service d’hématologie biologique Groupe hospitalier universitaire Avicenne (AP-HP) UMR 978 INSERM/Université Paris 13 125, rue de Stalingrad 93009 Bobigny cedex
* Correspondance
[email protected]
article reçu le 28 décembre 2012, accepté le 26 février 2013. © 2013 – Elsevier Masson SAS – Tous droits réservés.
45 % des cas incidents sont observés chez les patients de plus de 75 ans. Le taux standardisé d’incidence ajusté à la population mondiale est de 3,6/100 000 habitants en 2005 pour les hommes et de 2,0 pour les femmes. Quand un des membres de la famille est atteint de LLC, le risque relatif pour les autres membres de la famille de développer une LLC est multiplié par 7,5 (95 % IC, 3,63-15,56). Le risque de développer un lymphome lymphoplasmocytaire/macroglobulinémie de Waldenström ou une leucémie à tricholeucocytes est aussi augmenté [1].
1.2. Présentation clinique Le diagnostic de LLC est porté, dans plus de 80 % des cas lorsque le patient est asymptomatique devant une simple augmentation des lymphocytes circulants de découverte fortuite. Chez certains patients, des adénopathies périphériques, une splénomégalie, une anémie ou une thrombopénie sont présentes dès le diagnostic. La présence d’adénopathies et/ou de cytopénies sont à la base d’une Revue Francophone des Laboratoires - Mai 2013 - n°452 //
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Dossier scientifique classification clinique en trois stades, établie par JL Binet en 1981 [2] et sur laquelle reposent encore aujourd’hui les décisions thérapeutiques • Le stade A (environ 80 % au diagnostic) est caractérisé par l’absence d’adénopathie ou la présence de petites adénopathies dans moins de trois aires ganglionnaires et l’absence de cytopénie. Une aire ganglionnaire est une atteinte le plus souvent bilatérale des aires ganglionnaires cervicales, axillaires, inguinales, une hépatomégalie ou une splénomégalie. Ne sont prises en compte que les aires superficielles. Cette classification fait donc appel à l’examen clinique et non aux techniques d’imagerie. • Le stade B (environ 15 % au diagnostic) est défini par l’atteinte d’au moins trois aires ganglionnaires, sans anémie ni thrombopénie. • Le stade C (environ 5 % au diagnostic) se définit par la présence d’une anémie (hémoglobine < 10 g/dl) et/ou d’une thrombopénie (plaquettes < 100 × 109/l), quel que soit le nombre d’aires lymphoïdes atteintes. • Au cours de l’évolution, environ la moitié des stades A vont évoluer vers un stade B ou C.
1.3. Diagnostic biologique Le diagnostic de LLC doit être évoqué devant toute lymphocytose persistante de l’adulte, isolée ou non. Le diagnostic est simple. Il repose exclusivement sur l’aspect cytologique et le phénotypage des lymphocytes circulants. Devant toute lymphocytose supérieure à 4 x 109/L, l’examen du frottis sanguin permet de préciser la morphologie des cellules lymphoïdes. Dans la forme typique, la plus fréquente, les lymphocytes sont de petite taille, avec un noyau entouré d’un anneau de cytoplasme peu étendu. Le noyau est régulier, le cytoplasme est homogène, faiblement basophile et dépourvu de granulations. Le rapport nucléocytoplasmique est élevé. Le noyau présente des renforcements sombres nettement séparés par des espaces plus clairs, donnant l’impression de mottes chromatiniennes ; les nucléoles ne sont pas ou peu visibles. Des cellules lymphoïdes de plus grande taille, des cellules clivées ou des prolymphocytes peuvent être observées mais doivent représenter moins de 10 % des lymphocytes. Les ombres de Gümprecht (smudge cells), décrites dès 1896, sont des cellules lymphoïdes altérées avec un cytoplasme non intact et une membrane nucléaire rompue [3]. Leur présence est très évocatrice du diagnostic de LLC. La formation de ces ombres est liée à une expression diminuée de vimentine, protéine du cytosquelette essentielle pour la rigidité et l’intégrité du lymphocyte. Un pourcentage faible d’ombres de Gumprecht est un facteur de pronostic défavorable. L’étude des marqueurs de membrane par cytométrie en flux est indispensable pour affirmer le diagnostic de LLC. Les cellules leucémiques portent les antigènes caractéristiques de la lignée B, en particulier le CD19 marqueur pan-B et le CD20, marqueur des cellules B matures qui est plus faiblement exprimé que dans les cellules B normales. Les deux marqueurs principaux sont la molécule CD5, normalement exprimée par les cellules lymphoïdes T et certaines cellules B autoréactives, qui est retrouvée de façon constante. De même, le CD23, marqueur d’activation des lymphocytes B, est toujours présent.
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Tableau I – Score de Matutes/Moreau. 1
0
CD5
Cotation
+
-
CD23
+
-
Faible
Forte
-
+
Faible
Forte
Expression sIg monotypique FMC7 Expression de CD79b
La nature monotypique de la prolifération est révélée par l’expression de membrane d’une seule chaîne légère d’immunoglobuline, kappa ou lambda. La densité d’expression des immunoglobulines de surface est faible. Il s’agit d’une IgM avec ou sans IgD. Cette Ig de membrane centre le récepteur B à l’antigène (BCR) dont nous verrons l’importance plus loin. Le CD79b, chaine accessoire du BCR est également faiblement exprimé. Le FMC7 est absent contrairement à la plupart des autres syndrômes lymphoprolifératifs. Ces marqueurs sont regroupés dans un score, le score RMH (Royal Marsden Hospital) [4] comme indiqué dans le tableau I qui permet de porter avec certitude le diagnostic de LLC. Dans la LLC, le score est à 4 ou 5. Un score à 3 peut correspondre à une LLC atypique et un score < à 3 doit faire remettre en cause le diagnostic de LLC. Les critères diagnostiques de la LLC ont récemment été modifiés pour dégager une forme à faible lymphocytose les MBL (lymphocytose B monoclonale) décrites ci-dessous. Le diagnostic de LLC typique repose donc sur la présence d’une lymphocytose B supérieure à 5 x 109/l et morphologiquement typique [5]. La lymphocytose totale se situe donc entre 6 et 9 G/L. La présence de moins 5 x 109/L lymphocytes sanguins B, en l’absence d’adénopathie, de splénomégalie, de signe clinique d’évolutivité et de cytopénie définissent la MBL. La MBL est dite clinique si la lymphocytose totale est supérieure à 4 G/L, et infraclinique s’il s’agit d’un clone minime sans hyperlymphocytose. Dans une grande étude de population, il a été montré qu’en moyenne 3,5 % de la population générale présente une MBL type LLC. La prévalence augmente avec l’âge et avec l’existence d’antécédents familiaux de LLC [6]. Chez les patients avec une MBL, la survie est identique à celle d’une population contrôle. Le risque de progression de MBL en LLC est évalué à 1 % par an.
2. évolution L’évolution de la LLC est extrêmement variable : certains patients ne nécessitant jamais de traitement et ayant une espérance de vie peu modifiée par la maladie et d’autres mourant en quelques années de la maladie malgré les traitements. Par ailleurs, même si la LLC peut être traitée efficacement, elle ne peut à ce jour, être éradiquée par la chimiothérapie. Lors de la réévolutivité, la maladie peut à nouveau être traitée de façon efficace. Pour cette raison, les traitements de la LLC jusqu’à ce jour ont été limités aux patients ayant des signes objectifs cliniques de progression de la maladie évalués par la classification de Binet.
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2.1. Les complications Elles sont infectieuses, auto-immunes et tumorales (syndrome de Richter ou néoplasie associée, plus rarement une myélodysplasie ou une leucémie aiguë secondaire). • Les complications infectieuses sont les plus fréquentes et représentent la première cause de morbidité et de mortalité. Pouvant survenir à tout moment de l’évolution de la maladie, elles sont plus fréquentes quand la maladie est avancée ou en cours de traitement. Les infections sont le plus souvent banales. Les sphères ORL et broncho-pulmonaire sont les plus touchées et les infections peuvent être virales ou plus souvent bactériennes. L’immunodépression induite par la maladie est humorale (déficit sérique en immunoglobulines) et cellulaire (altération fonctionnelle des lymphocytes, présentation altérée de l’antigène, mauvaise réponse aux stimuli antigéniques, modification de la répartition des lymphocytes T), cette dernière étant aggravée par les traitements, notamment les immuno-chimiothérapies. Cellesci favorisent les infections bactériennes, et apparaissent aussi des infections virales et fongiques et des infections opportunistes sévères. • Parmi les complications auto-immunes, l’anémie hémolytique auto-immune (AHAI) est la plus fréquente (5 à 10 %) suivie du purpura thrombopénique immun (PTI), les deux pouvant être parfois associés (syndrome d’Evans) plus rarement une érythroblastopénie ou une neutropénie. Une anémie de survenue brutale fait évoquer une anémie hémolytique (AHAI), une urgence médicale. Le diagnostic repose sur le caractère régénératif (réticulocytes élevés), l’élévation des LDH, de la bilirubine indirecte, l’effondrement de l’haptoglobine. Le test de Coombs est le plus souvent positif, IgG-complément à auto-anticorps chaud, d’origine polyclonale. Le diagnostic de la thrombopénie immune (PTI) est difficile ; le myélogramme montre la présence de mégacaryocytes en nombre normal ou augmenté mais l’interprétation est rendue difficile par l’infiltration lymphoïde. L’érythroblastopénie est beaucoup plus rare et correspond à une hémolyse de la lignée rouge à un stade de précurseur. La neutropénie immune est plus rare, souvent observée après traitement par immunochimiothérapie, ou rituximab. Son mécanisme est mal élucidé. Les complications infectieuses sont peu fréquentes. • Le syndrome de Richter [7] est une transformation de la LLC en lymphome diffus à grandes cellules ou plus rarement en lymphome de Hodgkin. Observé dans 5 à 10 % des cas, il peut survenir à tous les stades de la maladie mais survient surtout chez les LLC évoluées et préalablement traitées. Les présentations cliniques sont multiples, ganglionnaires – avec des adénopathies possiblement compressives ou très asymétriques –, médullaires ou extranodales. Une fièvre inexpliquée et une altération de l’état général peuvent précéder la découverte du foyer tumoral. Les LDH sont élevées. Le diagnostic de certitude est anatomopathologique • Une fréquence accrue des cancers, sans prédominance d’organe est observée [8]. La survenue de syndromes myélodysplasiques et de leucémies aiguës secondaires est rare, favorisée par l’utilisation préalable d’alkylants et vraisemblablement aussi de chimiothérapie ou d’immunochimiothérapie à base de fludarabine.
La variabilité de l’évolution de la maladie, avec une majorité de patients ayant une forme indolente au diagnostic, a engendré une recherche intensive de facteurs pronostiques. Certains facteurs pronostiques peuvent prédire de façon efficace le risque évolutif de patients en stade A et d’autres permettent de prévoir une résistance ou une moins bonne réponse aux traitements. Les facteurs pronostiques ont eu le mérite de permettre d’évoluer considérablement dans notre compréhension de la physiopathologie de la maladie.
3. Physiopathologie Jusqu’aux environs de 2005, on considérait que le mécanisme principal en jeu dans l’accumulation du clone leucémique était le défaut d’apoptose. En effet, dans les cellules de LLC, de nombreuses voies d’apoptoses sont inactivées et il y a une surexpression de protéines anti-apoptotiques. Tous les tests de prolifération réalisés sur les cellules circulantes montrent la quasi-absence de cellules en cycle. Néanmoins, il avait déjà été montré qu’en dépit de leur non prolifération apparente, l’existence de marqueurs de prolifération apparaissait comme l’un des facteurs pronostiques les plus solides. En 2005, les travaux de l’équipe de N Chiorrazzi [9] ont permis de mesurer la prolifération in vivo. Des patients ingèrent une ration quotidienne d’eau lourde (2H2O). L’incorporation de 2H est mesurée par spectrométrie de masse dans les cellules provenant du sang, de la moelle osseuse et du ganglion. Le pourcentage de cellules marquées reflète la prolifération in vivo. Ces études ont montré que chez les patients progressifs, la prolifération était à la base de l’accumulation du clone, avec un renouvellement cellulaire jusqu’à 1 % du clone par jour. Il existe donc au sein du clone leucémique, une fraction de cellules prolifératives. Des études récentes ont montré que cette prolifération avait lieu de façon quasi exclusive au niveau ganglionnaire, expliquant ainsi la corrélation entre masses ganglionnaires et maladie progressive [10].
3.1. La signalisation B normale Le devenir des cellules B normales est déterminé par leur exposition à l’antigène. Celle-ci met en jeu le récepteur à l’antigène des cellules B (BCR) qui est centré sur une immunoglobuline formée d’une partie constante et d’une partie variable, formées de différentes combinaisons de segments V, D, J pour la chaîne lourde et V et J pour la chaîne légère. Ces différentes combinaisons constituent le répertoire qui permet aux cellules B de répondre à un très grand nombre d’antigènes. Les cellules B matures naïves arrivent dans le centre germinatif, dans lequel elles sont exposées aux antigènes par l’intermédiaire de cellules présentatrices, en présence de cellules T, provoquant ainsi une prolifération de ces cellules B. L’acquisition des mutations somatiques dans les chaînes des immunoglobulines augmente leur diversité et leur affinité pour l’antigène reconnu puis un switch de classe. Les lymphocytes B deviennent alors soit des plasmocytes capables de sécréter des anticorps, soit des cellules B mémoires. Revue Francophone des Laboratoires - Mai 2013 - n°452 //
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Dossier scientifique Figure 1 – Intermédiaires de signalisation de la voie du BCR, et inhibiteurs ayant été utilisés en clinique à ce jour.
La fixation de l’antigène sur le BCR provoque une signalisation en aval (figure 1). Tout d’abord il y a agrégation d’un complexe de kinases au niveau des chaînes accessoires intracellulaires du BCR, appelé signalosome. Les protéines présentes dans ce complexe vont subir une cascade de phosphorylations qui vont permettre leur activation [11]. Parmi les protéines présentes dans ce complexe, les kinases Syk et Btk, dont nous reparlerons en thérapeutique. Btk et Syk, vont phosphoryler PLCy2 qui va à son tour mettre en jeu la voie des protéines kinases C et du calcium, aboutissant l’activation de facteurs de transcription nécessaires à la prolifération (NFkB et NFAT). La voie PI3kinase va également être mise en jeu parallèlement et permettre le maintien de l’activation du BCR.
3.2. Rôle prépondérant de l’exposition à l’antigène dans la LLC Le rôle de l’exposition à un antigène dans la sélection du clone leucémique est étayé par plusieurs faits. Dans la LLC, concernant l’existence de mutations somatiques, deux groupes se distinguent : - un groupe de patients dont les gènes IGHV n’ont pas acquis de mutations somatiques, - et un groupe dans lequel les gènes IGHV ont acquis ces mutations. Ces deux groupes se sont avérés de pronostic extrêmement différent, les patients avec les gènes IGHV mutés ayant une forme de la maladie le plus souvent peu évolutive, et les patients avec absence de mutations somatiques des
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gènes IGHV, une maladie agressive [12]. Cette découverte a permis à la recherche sur la physiopathologie de la LLC de faire un bond en avant depuis 10 ans et a mis l’étude du BCR et de la capacité de signalisation au centre de la question de l’évolutivité de la LLC. Néanmoins, avec ou sans mutations somatiques, les cellules de LLC ont toutes un phénotype de cellules mémoires. Les cellules avec IGHV non mutées ayant rencontré l’antigène de façon T indépendante à l’extérieur des centres germinatifs, avec des expositions répétées de faible intensité. Ces constatations ont abouti à la recherche d’antigènes responsables, et ont permis de montrer que les cellules avec IGHV non mutées répondaient à des antigènes polyspécifiques non protéiques ou des autoantigènes. L’étude des immunoglobulines centrant le BCR a permis de constater que le répertoire est très restreint avec l’utilisation de quelques dizaines de VH seulement, et des régions hypervariables CDR3 stéréotypés dans 20 % des LLC. Jusqu’à 1 % des BCR analysés sont identiques bien que les possibilités offertes par les mécanismes de diversité se chiffrent en milliards. Enfin, les travaux de cartographies transcriptomales ont mis en évidence une expression génique spécifique des cellules B de LLC, différente de celle des autres pathologies B et des cellules normales, et ceci, indépendamment du processus de mutations somatiques et de l’expérience antigénique des cellules [13]. Ces études ont, de plus, montré que les gènes dont l’expression est la plus différentielle entre les formes mutées ou non sont ceux activés au cours de la réponse au BCR. Ce résultat laisse entrevoir
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Figure 2 – Survie globale en fonction de la capacité de réponse des cellules à la stimulation du BCR in vitro.
le rôle majeur joué par la stimulation antigénique dans l’évolutivité de la maladie. L’analyse transcriptomale a également révélé la surexpression de plusieurs protéines tyrosine kinases essentielles à la signalisation du BCR dont la kinase Zap-70 [9]. ZAP-70 est le second membre de la famille des tyrosine kinases Syk, dont l’expression est préférentiellement retrouvée dans les cellules T et les natural killer (NK) et ne semble pas être détectée dans les cellules B matures. L’expression de Zap-70 a une forte valeur pronostique. Son expression est corrélée à l’absence de mutations somatiques, et donc aux cas de plus mauvais pronostic. Plusieurs travaux ont aussi montré que Zap-70 peut moduler la signalisation du BCR.
3.3. La capacité de signalisation du BCR et l’évolutivité de la LLC Plusieurs travaux, dont les nôtres, confirment l’importance de la capacité de signalisation du BCR dans l’évolutivité de la LLC [14]. La stimulation antigénique est reproduite in vitro en exposant les cellules à un anticorps anti-IgM immobilisé. Ainsi on peut définir deux profils de patients LLC en fonction de la réponse cellulaire : chez les patients « répondeurs », la fixation de l’anti-IgM provoque une activation cellulaire, une entrée en phase G1 et une inhibition de l’apoptose spontanée. Chez les « non répondeurs », il n’y a pas de signalisation. La capacité de répondre à l’engagement du BCR est particulièrement corrélée avec l’évolutivité de la maladie, y compris chez des patients avec statut IGHV muté, et/ou dont les cellules n’expriment pas ZAP-70. La capacité de signalisation du BCR est un élément important du potentiel prolifératif de cette maladie et est très fortement pronostique à la fois en terme de PFS et de survie globale (figure 2). Cette capacité de prolifération s’accompagne d’une surexpression et/ou activation de différents intermédiaires de signalisation de la voie du BCR, aboutissant chez les patients répondeurs à une forte augmentation de la capacité du facteur de transcription NFAT à lier l’ADN qui se traduit par l’augmentation de l’expression de ses cibles, qui sont importantes pour la survie cellulaire. Ainsi, l’inhibition de l’activation du facteur de transcription NFAT, ou d’un intermédiaire de la voie de signaisation en amont, transforme les cellules des cas répondeurs en cas non répondeurs [15] (figure 3). L’inhibition de cette voie de signalisation constitue donc une voie privilégiée pour des traitements ciblés de la LLC, dont nous verrons que l’efficacité in vivo reflète ce qui était attendu d’après les expériences in vitro.
Figure 3 – L’inhibition de la signalisation en aval du BCR annule l’augmentation de la survie cellulaire induite chez les répondeurs, et transforme des « répondeurs » en « non répondeurs ».
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Dossier scientifique Figure 4 – Interactions entre les différents mécanismes aboutissant à la prolifération des cellules de LLC in vivo.
3.4. Rôle du microenvironnement L’apparente contradiction du fait que les cellules ayant une survie prolongée in vivo, mouraient très vite in vitro a abouti à envisager que le microenvironnement, notamment ganglionnaire, devait jouer un rôle important dans la survie et dans la prolifération des cellules in vivo. Les facteurs de survie des cellules de LLC sécrétés par les MSC (mesenchymal stem cells), les NLC (nurse like cells) et d’autres cellules stromales comme les fibroblastes réticulaires ganglionnaires sont variés. Les lymphocytes T participent également notamment par le biais du CD40L. Le microenvironnement ganglionnaire est, par essence, le siège de la stimulation antigénique et plusieurs études, dont les nôtres, ont montré que la stimulation du BCR entraînait in vitro une diminution du chimiotactisme des cellules de LLC en réponse au CXCL12 et une diminution de leur adhésion à des cellules endothéliales lymphatiques [16], ces deux processus (chimiotactisme, adhésion) étant nécessaires in vivo pour la sortie des lymphocytes B du ganglion. Ces données suggèrent fortement que la stimulation antigénique des cellules de LLC au sein du ganglion entraîne une augmentation à la fois de leur survie et de leur rétention intra-ganglionnaire, aboutissant à l’accumulation des cellules tumorales au sein de cet organe et au caractère évolutif de la maladie. Les travaux récents de Herishanu et al. confirment l’importance du microenvironnement ganglionnaire pour la prolifération du clone leucémique [10]. La comparaison des profils d’expression de gènes entre des cellules de LLC issues du sang, de la moelle ou des ganglions a permis l’identification d’une signature d’expression de gènes restreinte aux cellules ganglionnaires. Cette signature comprend une centaine de gènes principalement impliqués dans les voies d’activation du BCR et favorisant les processus de survie, de prolifération et de chimiotactisme cellulaires. Enfin, les cellules de LLC ont une influence sur leur microenvironnement, notamment par exemple les cellules T. L’équipe de J Gribben [17] travaille depuis plusieurs années sur les anomalies des lymphocytes T dans la LLC. Cette équipe a en effet mis en évidence les altérations acquises par les
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lymphocytes T lorsqu’elles sont mises en présence de lymphocytes leucémiques. Ces anomalies sont retrouvées au niveau transcriptomal, et également au niveau fonctionnel, avec la mise en évidence d’un défaut de synapse immunologique B–T. Un point intéressant est la capacité du Lenalidomide, utilisé en thérapeutique à agir notamment par le biais de la restauration de cette synapse immunologique [18]. En conclusion, cet état des lieux nous conduit à schématiser le processus aboutissant au caractère progressif de la maladie de la façon exposée dans la figure 4. L’évolutivité de la LLC réside essentiellement dans le potentiel qu’ont les cellules de LLC à proliférer, qui dépend elle-même de leur capacité de répondre à une stimulation antigénique, et à transmettre un signal par la voie du BCR. La stimulation du BCR se fait notamment au sein du microenvironnement ganglionnaire et l’interaction entre BCR et microenvironnement joue un rôle fondamental dans la capacité des cellules à rester dans les ganglions et à y proliférer.
3.5. Les anomalies génétiques Des anomalies cytogénétiques récurrentes ont été mises en évidence dans plus de 80 % des cas et ont largement contribué à une meilleure compréhension de la maladie. Il existe notamment 4 altérations : délétions 11q, 13q et 17p et trisomie 12 [19]. Leur valeur pronostique a été étudiée sur de larges cohortes de patients. Ces anomalies doivent être recherchées par technique FISH interphasique. Cette technique – qui n’est applicable que lorsque l’on sait déjà ce que l’on cherche – est indiquée car plus sensible et permet d’apprécier la taille du clone. Deux anomalies en particulier ont un impact pronostique majeur : les délétions 17p et 11q. L’existence d’une délétion 17p témoigne d’une perte monoallélique de la p53 gène suppresseur de tumeur dont la perte est impliquée dans de très nombreux cancers. Dans la majorité des cas, l’autre allèle est touché par une mutation ponctuelle entraînant ainsi l’inactivation de la p53, avec pour conséquence une résistance aux analogues des purines [20]. Le caractère péjoratif d’une délétion 17p est validé sur plusieurs études en terme de survie sans progression et de survie globale. C’est un facteur pronostique défavorable
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au sein des stades A, mais surtout pour les stades B et C en raison de la résistance au traitement qu’elle implique. Sa recherche doit donc précéder tout traitement, première ligne ou non, hors protocole ou dans les essais. La délétion 11q a également un impact pronostique péjoratif fort car associée à des formes volontiers tumorales, presque exclusivement avec IgHV non mutées. Les patients traités ont souvent une durée de réponse courte avec une ré-évolutivité très rapide. Sa détermination est donc intéressante mais n’a pas d’impact thérapeutique réel hors protocole. Le caractère pronostique des deux autres anomalies récurrentes est moins net, et leur détermination n’est donc pas indispensable hors protocole. En revanche, leur analyse a permis de progresser dans la compréhension de la maladie Notamment, la délétion interstitielle du chromosome 13q, qui est présente dans plus de 50 % des cas, a permis de mettre en évidence que cette région délétée code pour de petits ARN régulateurs, appelés microARNs, dont le rôle dans la pathogénie de la LLC paraît majeur [13]. En effet, des souris dont ces deux microARNs ont été invalidés, développent une maladie proche de la LLC humaine. Ce champ d’exploration est actuellement en pleine expansion. D’autre part, d’autres anomalies cytogénétiques ont été décrites, notamment lors d’études de grandes cohortes par cytogénétique conventionnelle, avec les nouveaux stimulants de culture qui permettent de favoriser les mitoses des cellules anormales. Des translocations et des caryotypes complexes ont été décrits [21]. Même si certaines anomalies apparaissent de pronostic péjoratif, leur utilisation comme facteur pronostique n’est pas standardisée. Les nouvelles techniques de séquençage ont permis d’analyser de façon beaucoup plus globale les anomalies génétiques et de découvrir de nouvelles altérations. En particulier, un article publié en 2011 par l’équipe du Dana Farber [22] a retracé les différentes mutations retrouvées par séquençage du génome à haut débit de 91 patients (88 cas de l’exome et 3 cas de génome entier) représentatifs de l’ensemble des situations cliniques de la LLC. Chaque échantillon de LLC a été comparé aux cellules normales du même patient. 1 828 mutations non silencieuses ont été identifiées. Neuf gènes ont été identifiés car les mutations étaient plus fréquentes dans les cellules de LLC que dans les cellules témoins. 4 étaient déjà connus (TP53, ATM, MYD88 et NOTCH1) ; et 5 étaient nouveaux (SF3B1, ZMYM3, MAPK1, FBXW7 and DDX3X). D’autres études ont montré que ces anomalies sont associées de façon significative avec les anomalies cytogénétiques déjà connues [23] : les mutations de NOTCH1 et FBXW7 sont associées avec la trisomie 12, celles de SF3B1 avec les délétions 11q, et MYD88 avec les délétions 13q homozygotes. Plusieurs études depuis l’année dernière ont été présentées en congrès. Même si les fréquences de mutations diffèrent d’une étude à l’autre, l’analyse de ces mutations a deux intérêts majeurs. • D’une part, ces mutations permettent d’entrevoir d’autres mécanismes de résistance que l’inactivation de p53, qui ne représente qu’environ 40 % des patients réfractaires. Avec la découverte de ces nouvelles mutations, qui sont relativement exclusives, la proportion de patients réfractaires à la fludarabine chez lesquels on trouve une mutation de l’un de
ces gènes atteint les 70 %. Il reste encore à comprendre les mécanismes exacts concourant au pronostic défavorable de ces patients. • D’autre part, elles identifient des nouvelles voies de dérégulation, qui n’étaient pas explorées jusqu’ici dans la LLC. Des mutations se retrouvent dans plusieurs molécules participant à une voie commune de signalisation, ce qui suggère l’importance potentielle de cette voie dans la pathogénie de la LLC. Ainsi, les 9 gènes ciblés dans l’étude de Wang jouent un rôle dans des voies de signalisation importantes : réparation de l’ADN et cycle cellulaire (TP53, ATM), signalisation de Notch (FBXW7, NOTCH1), inflammation (MYD88, DDX3X, MAPK1), et épissage ARN (SF3B1, DDX3X). Notamment, SF3B1 est un composant majeur du spliceosome, qui retire les introns de l’ARN primaire. Le rôle de ces mutations n’est pas encore élucidé, mais leur pathogénicité est fortement supposée devant l’existence d’un hotspot correspondant à une région flexible de la protéine dans laquelle a lieu des interactions avec d’autres molécules. Des inhibiteurs de SF3B1 sont actuellement en cours de développement. Une observation intéressante est la mutation de SF3B1, car la même mutation (K700E) que celle décrite dans la LLC a également été mise en évidence dans 28 % des myélodysplasies et notamment dans la quasi-totalité des anémies sidéroblastiques. Les mutations de NOTCH1 ont également été étudiées sur de grandes cohortes. La majorité était des mutations de décalage du cadre de lecture. Les mutations restantes étaient des délétions de 2 bases et une insertion. Toutes les mutations altéraient le domaine PEST. Ce sont des mutations activatrices. Les mutations de FBW7 touchent la même voie, car elles inhibent le mécanisme de dégradation de Notch1. Les mutations de BIRC3 sont les mutations les plus fréquemment retrouvées en dehors des mutations de p53, chez les patients réfractaires (24 % dans une cohorte de 49 patients). Elles sont absentes chez les patients sensibles à la fludarabine, elles sont rares chez les patients au diagnostic et leur pronostic est aussi mauvais que celui des mutations de P53. BIRC3 est une molécule impliquée dans la régulation de la voie non canonique de NFkB et les mutations de BIRC3 sont activatrices de la voie NFkB. En dehors de la LLC, des mutations de BIRC3 ont été retrouvées dans les lymphomes de la zone marginale splénique mais dans aucun autre lymphome à ce jour. En conclusion, si les anomalies cytogénétiques et la détection des 4 anomalies usuelles (del13q, Tri12, del11q et del17p) sont toujours des marqueurs importants y compris pour la stratification des patients dans les essais, ces nouvelles mutations prennent une place de plus en plus grande car elles mettent en évidence l’implication de nouvelles voies dans la pathogénie de la LLC, qui pourront donner lieu à des thérapeutiques ciblées dans l’avenir.
4. Traitement 4.1. Indications thérapeutiques Seules les formes évolutives justifient d’un traitement. Les recommandations en France se sont longtemps basées exclusivement sur le stade de Binet. Les stades A n’étaient pas traités et les patients étaient traités au passage en stade B et C. Revue Francophone des Laboratoires - Mai 2013 - n°452 //
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Dossier scientifique Depuis quelques années, tout en conservant la classification de Binet, les indications thérapeutiques ont intégré la notion de maladie évolutive qui est un critère international défini dans les recommandations internationales [5] : - atteinte médullaire progressive avec développement ou aggravation d’une anémie et/ou d’une thrombopénie ; - splénomégalie massive (6 cm au-dessous de la marge costale) ou augmentant de taille progressivement ou symptomatique ; - ganglions volumineux (au moins 10 cm dans le plus long diamètre) ou augmentant de taille progressivement ou symptomatiques ; - lymphocytose progressive avec augmentation de plus 50 % sur une période de deux mois ou temps de doublement des lymphocytes (TDL) de moins de 6 mois. Chez les patients avec un chiffre initial de lymphocytes < 30 x 109/L (30 000/mL), le TDL ne doit pas être utilisé pour définir à lui seul une indication de traitement ; - anémie et/ou thrombopénie immune répondant insuffisamment aux corticosteroïdes ou autres traitements usuels ; - signes généraux définis par l’un ou plus des signes ou symptômes ci-dessous en rapport avec la maladie ; - perte de poids de 10 % ou plus non volontaire dans les 6 mois précédents ; - asthénie significative ; - fièvre de plus de 38,0 °C durant 2 semaines ou plus sans signe d’infection ; - sueurs nocturnes d’une durée de plus d’un mois sans signe d’infection. Les patients nécessitant un traitement sont donc les patients en stade A avec des critères objectifs de maladie active, les stades B tumoraux et les stades C à l’exception des cytopénies stables et modérées.
4.2. Les facteurs pronostiques Les facteurs pronostiques prenant en compte la variabilité de l’évolutivité de la maladie d’un patient à un autre sont susceptibles de modifier la décision thérapeutique. Il est indispensable que les facteurs pronostiques soient fiables et validés sinon ils peuvent être dangereux et conduire à des décisions inappropriées, à une inquiétude injustifiée ou à une fausse sécurité. Ces examens doivent être standardisés, évalués cliniquement. • Au stade précoce de la maladie (stade A), ils peuvent servir à informer le patient et influencent les modalités de surveillance du patient en identifiant les patients qui risquent de progresser précocement et donc d’être traités plus tôt. Nous avons mis en place un algorithme en étudiant de façon rétrospective une cohorte de 339 patients avec une LLC en stade A. L’analyse multivariée a montré que 4 facteurs présentaient une valeur pronostique indépendante : sTK, CD38, la lymphocytose et la bêta-2 microglobuline. L’utilisation de ces facteurs simples, qui sont en fait un reflet de l’existence ou non d’un pool prolifératif, permet de discriminer aisément : - des « faible risque » : 80 % patients ayant moins de 2 facteurs défavorables ne progressent pas à 7 ans ; - et des « haut risque » : chez les patients avec 2 facteurs défavorables et plus, la PFS est de 16 mois. Enfin, 75 % des patients peuvent être classés grâce à trois paramètres facilement utilisés en routine (lymphocytose,
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CD38, et bêta-2 microglobuline) sans même utiliser le dosage de la thymidine kinase, qui ne devient discriminante que si un des trois autres facteurs est défavorable [24]. • À un stade plus avancé, lorsqu’l y a une indication à traiter, les facteurs pronostiques doivent aider à choisir la stratégie thérapeutique et/ou prédire une éventuelle résistance au traitement. Actuellement le seul facteur qui doit impérativement être recherché y compris hors protocole est la délétion 17p. En effet, en présence d’une anomalie de la p53, il existe une résistance à la fludarabine. Cette recherche de délétion 17p va dans les années qui viennent être remplacée ou complétée par la recherche de mutations de la p53. En effet, la quasi-totalité des délétions 17p s’accompagne d’une mutation de la p53 sur l’autre allèle, mais il existe en outre, quasiment autant de mutations de p53 sans délétion 17p, qui ne sont donc pas reconnues par FISH et qui ont pourtant un pronostic aussi défavorable [20]. Il a été bien établi par des études antérieures que le statut mutationnel des IGHV avait un impact à la fois sur la PFS (survie sans progression) et l’OS (survie globale). En fait, il intervient sur la durée de la rémission après immunochimiothérapie, les cas avec IGHV non mutées ayant une rémission de plus courte durée [25]. Au-delà de la première ligne de traitement, la littérature est peu informative en terme de pronostic à l’exception de la recherche de la délétion 17p et de la recherche de mutation de TP53 Ces facteurs pronostiques classiques vont éventuellement être remis en question par les nouvelles thérapeutiques ciblées. En effet, les résultats des premiers essais thérapeutiques avec des molécules qui ciblent la voie de signalisation du BCR semblent montrer une efficacité aussi grande chez les patients avec facteurs défavorables.
4.3. Traitements classiques Des recommandations émanant de l’intergroupe LLC ont récemment été publiées dans la revue Hématologie.
4.3.1. Patients sans anomalies de la voie TP53 en première ligne L’association FCR, fludarabine (F), cyclophosphamide (C) et rituximab, (R) constitue le traitement de référence pour le patient en bon état général dit « fit ». La supériorité de FCR a été démontrée dans l’essai randomisé allemand CLL8 comparant FCR à FC [26], 44 % de réponse complète (RC), augmentation de la survie sans progression (PFS) à 51,8 mois versus 32,8 mois et de la survie globale (OS) (risque de décès réduit de 33 %) et plus de maladie résiduelle (MRD) indétectable. La toxicité de cette association avec 34 % de neutropénie et 25 % d’infections grades III-IV, ne permet pas de l’utiliser chez des patients fragiles. Dans cette étude, l’âge médian des patients est de 61 ans et seulement 11 % des patients ont plus de 70 ans. La fludarabine doit être utilisée à doses réduites chez les patients dont la fonction rénale est altérée (clairance entre 30 et 70 ml/mn) et en cas de clairance inférieure à 30 ml/mn, est contre-indiquée. Les patients considérés comme inéligibles au traitement par FCR sont : les patients avec une insuffisance rénale sévère, les sujets fragiles, dont les comorbidités
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impacteraient l’aptitude à tolérer une infection sévère. Chez ces patients notamment les insuffisants rénaux, l’association bendamustine + RITUXIMAB est à privilégier [27]. Chez les patients âgés, les décisions thérapeutiques seront prises non en fonction de l’âge mais en fonction des comorbidités associées, avec l’aide d’un gériatre.
4.3.2. Traitement de première ligne avec del(17p) En raison d’un faible taux de réponse et d’une réponse de courte durée après traitement comprenant de la fludarabine et des agents alkylants, le traitement par alemtuzumab (Campath) est actuellement recommandé associé aux corticoïdes à forte dose, notamment en cas de forte masse tumorale ganglionnaire. L’allogreffe de cellules souches hématopoïétiques est indiquée chez les patients éligibles et répondeurs. La mise en route d’une nouvelle ligne thérapeutique repose sur les mêmes critères qu’en première ligne. Le choix du traitement dépend de plusieurs paramètres : les comorbidités, l’existence d’une del(17p) à identifier de nouveau par un examen cytogénétique par FISH, la nature du ou des traitements précédents et la durée de la dernière réponse. L’inclusion dans un essai clinique doit être favorisée.
4.3.3. Traitement des rechutes Il faut distinguer trois groupes de patients de risque différents [28]. • Patients à très haut risque En cas de maladie réfractaire ou de rechute précoce (échec primaire ou nécessité de retraiter dans un délai < 2 ans en cas de traitement par FCR), ou d’émergence d’une anomalie de TP53, l’objectif sera chez le patient « fit » d’obtenir une réponse permettant en cas d’éligibilité une allogreffe. Pour atteindre cet objectif, il est possible de proposer l’alemtuzumab (+/- corticoïdes), une association incluant de l’aracytine haute dose, des sels de platine et un anti CD20 ou une association B et anti CD20. Lorsque l’allogreffe n’est pas envisageable, une inclusion dans un essai thérapeutique devra être privilégiée. • Patients à risque intermédiaire En cas de nécessité d’un nouveau traitement dans un délai de 2 à 4 ans après FCR, il n’existe pas d’attitude thérapeutique validée. L’évolution de ces patients est globalement défavorable et le choix du traitement devra être discuté au cas par cas en prenant en considération l’ensemble des facteurs pronostiques. L’allogreffe doit être envisagée après obtention d’une nouvelle réponse. • Patients à faible risque En cas rechutes tardive dans un délai supérieur à 4 ans, les traitements FCR utilisés en première ligne peuvent être réutilisés FCR ou l’association BR peut être proposée sous réserve de l’absence de del(17p), qui doit être recherchée à chaque nouvelle ligne thérapeutique.
4.4. Les nouvelles drogues 4.4.1. Ciblage de la voie de signalisation du BCR Quatre inhibiteurs dirigés contre des kinases intermédiaires de signalisation, Syk, Lyn, BTK et PI3Kδ, ont été développés. Dans la LLC actuellement, le développement se poursuit essentiellement avec deux d’entre elles, BTK et PI3Kδ, dont
l’avantage est qu’elles ne sont pas ubiquitaires, contrairement à d’autres intermédiaires de cette voie (figure 1). BTK est la bruton tyrosine kinase qui est exprimée dans les lymphocytes B. Concernant la PI3K, l’isoforme présente dans les cellules de LLC est la PI3Kδ, qui semble avoir une action restreinte aux cellules B. L’intérêt de cibler la voie du BCR, de plus sur des intermédiaires assez spécifiques des cellules B, est majeur [29]. • Efficacité in vitro de ces deux inhibiteurs Il existe actuellement trois différentes compagnies pharmaceutiques qui développent des inhibiteurs de BTK. Le développement le plus avancé est celui du composé de Pharmacyclics, l’ibrutinib, qui va être développé en Europe par Janssen. In vitro, cet inhibiteur semble très puissant avec une concentration inhibitrice à 50 % de 0,5 nM. Il est capable d’abroger l’avantage de survie que donne la stimulation du BCR, y compris en présence de microenvironnement. Sur le plan fonctionnel, cet inhibiteur est capable in vitro, de diminuer la migration des cellules en présence de chemoattractant tel CXCL12, et de diminuer la polymérisation de l’actine. Cette modification de la migration cellulaire est liée à l’interruption de l’impact de la signalisation du BCR sur la rétention des cellules au sein du microenvironnement. Dans un modèle de souris greffées par des cellules de LLC, l’administration d’ibrutinib peut retarder et significativement diminuer la prolifération tumorale. Pour l’inhibiteur de PI3Kδ : le CAL101, ou GS1101 ou idelalisib, développé par Gilead, les résultats in vitro sont tout à fait semblables. Il a été montré que le CAL101 permet également de restaurer in vitro la sensibilité à la fludarabine dans des cellules résistantes. Sur le plan clinique, ces deux inhibiteurs sont très prometteurs parce qu’ils ont in vivo l’effet correspondant à leur efficacité in vitro. Ils sont efficaces sur les masses ganglionnaires, très probablement par inhibition du homing. Au dernier congrès de l’ASH, les résultats d’un essai en monothérapie chez 116 patients ont été présentés (ASH 2012, Abst189). Les patients se répartissaient en 3 groupes : 26 patients première ligne > 65 ans, 61 patients en rechute ou réfractaire, et 24 patients à haut risque (délétion 17p- ou rechute dans les deux ans après immunochimiothérapie). La dose d’ibrutinib était 420 mg/ ou 840 mg/j per os mais aucune différence n’a été retrouvée entre les deux doses. Le suivi médian est de 15 à 22 mois suivant les groupes. Autant de réponses ont été observées chez les patients en rechute et réfractaires que chez les patients naïfs. Aucun facteur pronostique défavorable ne montre d’incidence sur la réponse (67 % de réponse globale chez les del17p réfractaires). La PFS à 26 mois est à 96 % chez les patients naïfs, et à 75 % chez les patients en rechute ou réfractaires. Les effets secondaires sont fréquents mais modérés, tous < grade 3, essentiellement diarrhée, fatigue, rash, nausées, arthralgies et infections ORL. Les cytopénies sont rares. Il n’y a pas eu de toxicité cumulative au cours du traitement. En quelques jours, il y a une augmentation très importante de la lymphocytose par redistribution des cellules de LLC (lymphocytose multipliée par 5) par chasse des cellules résidant dans les ganglions. Cette lymphocytose diminue ensuite doucement, et n’entraîne pas Revue Francophone des Laboratoires - Mai 2013 - n°452 //
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Dossier scientifique d’hyperviscosité symptomatique, même à des chiffres très élevés. La lymphocytose persiste longtemps, et ne semble pas disparaître complètement chez la majorité des patients traités. Néanmoins, chez quelques patients testés, il existe une élimination des cellules de LLC au niveau médullaire constatée après 6 mois. Un protocole associant rituximab et ibrutinib chez 40 patients à haut risque, c’est-à-dire avec mutation de p53, même en première ligne, ou des patients ayant rechuté moins de 36 mois après une immunochimiothérapie ou porteurs d’une del11q en rechute, a été présenté (ASH2012, Abst 187). Après un suivi de 4 mois, les résultats sont excellents 38/40 patients sont toujours sous traitement sans progression. Sous ibrutinib + rituximab, l’augmentation de la lymphocytose sous traitement est plus transitoire, et disparait plus facilement. Pour l’inhibiteur de PI3Kδ, l’étude de phase 1 de GS1101 avec soit bendamustine, soit rituximab, soit l’association bendamustine rituximab chez des patients LLC en rechute et réfractaires a été présentée également à ce congrès (ASH2012, Abst 191). 51 patients ont été inclus. Le profil de tolérance est bon, les effets secondaires les plus fréquemment rencontrés sont des neutropénies modérées et des infections pulmonaires, et plus rarement rash et diarrhées. Il n’a pas été observé de toxicité cumulative avec la chimiothérapie. Les réponses ganglionnaires sont très bonnes : les ganglions fondent rapidement chez la majorité des patients. Ces deux molécules, disponibles par voie orale, semblent particulièrement efficaces en monothérapie et bénéficient d’une bonne tolérance. Cependant, la réponse tumorale sur les ganglions semble plus importante que sur les lymphocytes circulants et les prochaines étapes sont de définir la meilleure façon de les associer à une chimiothérapie et/ ou à une immunothérapie. Par ailleurs, elles ouvrent de nouvelles perspectives de traitement pour les patients plus fragiles et les plus réfractaires.
4.4.2. Ciblage du microenvironnement Le lénalidomide, analogue du thalidomide, a prouvé son intérêt dans d’autres hémopathies comme le myélome ou les myélodysplasies. Le mécanisme d’action du médicament n’est pas clair, mais il semble avoir des effets antiTNF, des effets anti-angiogéniques et être un activateur des cellules T et NK. Ce médicament suscite beaucoup d’intérêt dans la LLC, car il agit notamment lorsque des masses tumorales importantes sont présentes. Des effets secondaires inattendus au début de l’utilisation du médicament ont limité son développement initial dans la LLC. En effet, des syndromes de lyse tumorale avec insuffisance rénale sont survenus lorsque le médicament a été utilisé d’emblée à pleine dose. Par ailleurs des réactions de « tumor flare » avec augmentation du volume des ganglions initiale ont été observées [30]. Le lenalidomide est maintenant utilisé avec des escalades de doses. De nombreux protocoles thérapeutiques sont en cours, et notamment il semble que le lenalidomide puisse trouver une place intéressante en consolidation et maintenance, ou chez des patients fragiles en association avec un antiCD20 Enfin, le lenalidomide a l’intérêt, contrairement aux immunochimiothérapies habituelles, de ne pas aggraver le
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déficit immunitaire déjà important chez ces patients, en raison de sa capacité à restaurer la synapse immunologique entre lymphocytes T et cellules de LLC, permettant ainsi de restaurer partiellement l’immunité cellulaire [18].
4.4.3. Autres voies de développement • Les anticorps monoclonaux Nous n’aborderons pas dans ce chapitre le développement des nouveaux anticorps anti-CD20 ofatumumab et GA-101, dont les avantages respectifs sont en cours d’étude dans des essais cliniques. La cible thérapeutique reste la molécule CD20, comme pour rituximab, même si leur modalité de cytotoxicité peut être différente d’un anticorps à l’autre. En marge du développement des anticorps monoclonaux « classiques », d’autres molécules sont en cours de développement. Le CD37 est une cible thérapeutique très prometteuse. C’est une tétraspanine exprimée sur les cellules B normales et pathologiques et quasiment absente des lymphocytes T dont la fonction est inconnue. Elle active la voie PI3K avec des signaux à la fois pro-survie et pro-apoptotiques. Plusieurs anti-CD37 ont récemment été développés. L’IMGN539 associe un anticorps humanisé IgG1 anti-CD37 à un conjugué toxique, et provoque à la fois la cytotoxicité directe d’un anticorps anti CD37 et l’effet d’une toxine (ASH 2012, Abst 188). Une autre technique a été utilisée à la fois dans les LLC et les leucémies aiguës lymphoblastiques chez les patients très graves ayant une espérance de vie réduite. Il s’agit de lymphocytes T autologues modifiés pour exprimer des récepteurs à l’antigène chimériques ou CAR anti-CD19. Ces molécules combinent le domaine de reconnaissance d’un anticorps avec les domaines intracellulaires de signalisation en une seule molécule chimérique. Les cellules T sont amplifiées et activées ex vivo par exposition à l’anti-CD3/CD28 Les 10 premiers patients (ASH 2012, Abst 717) ont été présentés à l’ASH. Neuf patients sont évaluables, aucun n’est décédé. Sur les neuf patients, 4 sont entrés en rémission complète et 2 ont une rémission partielle durable, 2 autres étant également en rémission partielle mais trop précoce pour conclure. Aucun des patients en RC n’a encore rechuté. Dans le sang des patients en RC, la quantité de CART19 retrouvée est environ 27 fois supérieure à la quantité infusée. L’expansion est maximale à 1 mois après infusion, mais persiste au-delà de la première année. • Les anti-Bcl-2 Bcl-2 est une protéine anti-apoptotique surexprimée notamment dans la LLC [31]. Plusieurs dérivés ont été testés. Le plus prometteur est l’ABT-199, qui se substitue à l’ABT 263, dont le développement est arrêté en raison de thrombopénies induites. Les résultats préliminaires dans une série de lymphomes sont impressionnants sur les quelques LLC testées. Il entraîne des syndromes de lyse, preuve de son efficacité. Ce composé va sans nul doute être développé rapidement chez les patients réfractaires. D’autres cibles sont également à l’étude. Toutes ces recherches permettant une meilleure compréhension de la physiopathologie visent à une utilisation plus personnalisée des traitements, dans cette maladie très hétérogène.
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5. Conclusion En conclusion, la LLC est une pathologie dans laquelle l’état d’esprit a radicalement changé ces dernières années. Le « primum non nocere » a été remplacé par une attitude interventionniste justifiée par une meilleure compréhension de la maladie et le développement des nouvelles possibilités thérapeutiques. Etablir le rôle de la prolifération, de la signalisation du BCR, du microenvironnement dans la
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progression de la maladie a permis ces progrès. On peut attendre une nouvelle vague de progrès thérapeutiques des connaissances qu’apportent actuellement les études génomiques, avec les nouvelles mutations, et les évolutions sous clonales. Ainsi, grâce aux études biologiques et aux essais thérapeutiques, le contrôle à long terme de la maladie est un but atteignable. Déclaration d’intérêts : l’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.
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Revue Francophone des Laboratoires - Mai 2013 - n°452 //
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