Manifestations orthopédiques de la neurofibromatose de Von Recklinghausen

Manifestations orthopédiques de la neurofibromatose de Von Recklinghausen

Presse Med. 2011; 40: e152–e162 ß 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Article original en ligne sur / on line on www.em-consulte.com/rev...

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Presse Med. 2011; 40: e152–e162 ß 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

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en ligne sur / on line on www.em-consulte.com/revue/lpm www.sciencedirect.com

Manifestations orthopédiques de la neurofibromatose de Von Recklinghausen Moez Trigui1, Kamel Ayadi1, Mourad Sakka1, Wassim Zribi1, Faten Frikha2, Fakher Gdoura1, Sami Sallemi1, Mohamed Zribi1, Hassib Keskes1

1. CHU Habib Bourguiba, Faculté de médecine de Sfax, Service de chirurgie orthopédique et traumatologique, 3029 Sfax, Tunisie 2. CHU Hedi Chaker, Faculté de médecine de Sfax, Service de médecine interne, 3029 Sfax, Tunisie Reçu le 26 mars 2010 Accepté le 6 septembre 2010 Disponible sur internet le : 11 novembre 2010

Correspondance : Moez Trigui, CHU Habib Bourguiba, Service de chirurgie orthopédique et traumatologique, route El-Aïn KM 0,5, 3029 Sfax, Tunisie. [email protected]

Summary Orthopaedic manifestations of Von Recklinghausen’s neurofibromatosis

e152

Objective > Von Recklinghausen’s neurofibromatosis is a dominant autosomic genetic disease characterized by different clinical manifestations. The goal of this work was to study its orthopaedic manifestations and to show the characteristics of their management. Method > A retrospective study was carried out on 15 patients having a Von Recklinghausen’s neurofibromatosis. For each patient, different orthopaedic manifestations and their evolution after treatment were analyzed. These manifestations were classified in spinal deformities, pseudarthrosis of long bones and tumours of the peripheral nerves. Results > The spinal deformities were observed in 9 cases. A dystrophic scoliosis was observed in 6 patients with an average angle of 508 and was associated to a kyphosis in 5 patients. The treatment was surgical by posterior arthrodesis in 2 cases and circumferential arthrodesis in 2 cases. The congenital curves and pseudarthroses of leg were observed in 5 cases, localized at the lower third of the leg in all cases. An Ilizarov external fixator with segmental osseous transport was carried out in 2 patients. The

Résumé Objectif > La neurofibromatose de Von Recklinghausen est une maladie génétique autosomique dominante dont les manifestations cliniques sont très diversifiées. Nous avons étudié les manifestations orthopédiques et la prise en charge de cette maladie. Méthodes > Une étude rétrospective a été réalisée chez des patients ayant une neurofibromatose de Von Recklinghausen. Pour chaque patient, les différentes manifestations orthopédiques ont été cherchées, ainsi que l’évolution lors de la prise en charge. Ces manifestations ont été classées en déformations rachidiennes, pseudarthroses des os longs et tumeurs des nerfs périphériques. Résultats > Quinze cas ont été évalués : des déformations rachidiennes étaient observées dans 9 cas. La scoliose était dystrophique chez 6 patients avec une angulation moyenne de 508 et associée à une cyphose dans 5 cas. Le traitement était chirurgical par arthrodèse postérieure dans 2 cas et circonférentielle dans 2 cas. Les courbures et pseudarthroses congénitales de jambe observées dans 5 cas, siégeaient au tiers inférieur de la jambe. Un fixateur externe de jambe type Ilizarov avec transport osseux segmentaire a été réalisé chez 2 patients. La durée de maintien en place du fixateur était de 23 mois avec 5 interventions dans chaque cas. Quatre neurofibromes plexiformes et 3 neurofibromes nodulaires ont été observés. Une transformation en neurofibrosarcome a été observée chez 2 patients.

tome 40 > n83 > mars 2011 doi: 10.1016/j.lpm.2010.09.025

duration of the external fixator was 23 months with 5 interventions in each case. Four plexiform neurofibromas and 3 nodular neurofibromas were observed. A transformation into neurofibrosarcoma was found in 2 patients. In one case, a resection without functional sacrifice was carried out and in the other case the patient was dead before the resection. Conclusion > The orthopaedic manifestations of Von Recklinghausen’s neurofibromatosis are frequent, varied and have a difficult management. The functional and sometimes vital prognoses are challenging.

Dans un cas, une exérèse sans sacrifice fonctionnel a été réalisée et dans l’autre cas, le patient était décédé avant l’exérèse. Conclusion > Les manifestations orthopédiques dans la neurofibromatose de Von Recklinghausen sont fréquentes, très variables et de prise en charge difficile.

L

surveillance attentive et une prise en charge globale de la maladie sont nécessaires [3]. Les déformations rachidiennes, pseudarthroses congénitales des os longs et tumeurs des nerfs périphériques peuvent être sévères et leur prise en charge peut être difficile. Le but de ce travail était d’étudier ces manifestations orthopédiques et de montrer les particularités de leur prise en charge.

Ce qui e´tait connu 

La neurofibromatose de Recklinghausen a de multiples présentations cliniques : dermatologiques, oculaires, neurologiques et orthopédiques.



Son diagnostic repose sur 2 critères cardinaux parmi 7 établis lors de la conférence de consensus de l’Institut national de la santé de Bethesda en 1988.



Elle nécessite une prise en charge multidisciplinaire.

Ce qu’apporte l’article 

Les manifestations orthopédiques de cette maladie sont fréquentes et intéressent aussi bien le squelette que les parties molles.



Les principales manifestations orthopédiques sont la scoliose, la pseudarthrose congénitale de jambe et les tumeurs nerveuses périphériques.



Ces manifestations orthopédiques doivent être détectées dès le plus jeune âge et nécessitent une surveillance régulière à vie.

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Méthodes Une étude rétrospective a été réalisée avec les patients hospitalisés pour problème orthopédique associé à la neurofibromatose de Von Recklinghausen entre 1994 et 2007, dans le service de chirurgie orthopédique et traumatologique du centre hospitalo-universitaire Habib Bourguiba de Sfax (Tunisie). Les patients ont été convoqués pour un interrogatoire, un examen clinique, des photographies cliniques et des explorations radiologiques. Des examens d’imagerie [radiographie, imagerie par résonance magnétique (IRM). . .] ont été pratiqués, et les patients ont consultés des spécialistes (ophtalmologue, neurologue. . .). Les dossiers des patients ayant été suivis dans d’autres services (ophtalmologie, neurologie, ORL. . .) ont été consultés afin de reconstituer l’histoire clinique. Une fiche d’étude de ces dossiers a été réalisée en insistant sur les manifestations orthopédiques et l’évolution lors de leur prise en charge. Les patients ont été classés selon les manifestations orthopédiques : les déformations rachidiennes, les pseudarthroses des os longs et les tumeurs des nerfs périphériques. Pour les déformations rachidiennes, l’histoire naturelle, l’évolution, l’aspect radiologique et la sévérité de la déformation ont été étudiés. Le traitement, ses complications et l’évolution après traitement ont été précisés. Les pseudarthroses des os longs ont été classées selon leur aspect radiologique ; la nature du traitement a été précisée, ainsi que la durée et le nombre d’interventions nécessaires pour obtenir la consolidation. Les caractéristiques cliniques des tumeurs des nerfs périphériques (taille, douleur, signes neurologiques) ont été analysées, ainsi que leurs aspects radiologiques (radiographie standard, échographie, IRM), la nature du traitement et son évolution. Tous les

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a neurofibromatose de Von Recklinghausen, ou neurofibromatose type 1 (NF1), est une maladie génétique liée à un trouble du développement des cellules dérivées de la crête neurale. C’est une maladie autosomique dominante dont le gène responsable est localisé sur le chromosome 17. Sa fréquence est de 1/3000 environ [1]. Ses manifestations cliniques sont très diversifiées avec une atteinte multisystémique et une grande variabilité d’expression inter- et intrafamiliale. La conférence de consensus de l’Institut national de la santé de Bethesda en 1988, a précisé 7 critères cardinaux : si 2 sont présents, le diagnostic est établi [2]. Un suivi multidisciplinaire, un dépistage précoce des complications, une

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M Trigui, K Ayadi, M Sakka, W Zribi, F Frikha, F Gdoura et al.

malades ont été revus jusqu’à la fin de l’étude, soit lors de leur consultation périodique, soit par convocation. Ce travail a été validé par le comité d’éthique du CHU Habib Bourguiba de Sfax.

Résultats Dix-sept cas ayant une neurofibromatose certaine ont été sélectionnés. Deux patients ont été exclus de l’étude car ils étaient perdus de vue et leurs dossiers étaient inexploitables. Les caractéristiques des 15 patients sont disponibles dans le tableau I. Les manifestations oculaires ont été notées chez 2 patients : un gliome des nerfs optiques chez un patient et des nodules de Lisch chez l’autre. Sur le plan orthopédique, des déformations rachidiennes étaient présentes chez 9 patients, des courbures ou pseudarthroses congénitales de jambe chez 5 patients et des tumeurs des nerfs périphériques chez 6 patients. La scoliose était non dystrophique chez 3 patients. L’angle de Cobb était inférieur ou égal à 208 dans les 3 cas. Ces 3 patients ont été surveillés sans traitement. Pour les 6 autres patients, la scoliose était dystrophique. L’âge d’apparition de la scoliose était inférieur à 7 ans dans tous les cas. L’angle de Cobb moyen était de 508 (268 à 908). Une cyphose associée à la scoliose a

été observée chez 5 patients, l’angle de la cyphose était supérieur à 408 chez ces patients (figure 1). Un aspect dystrophique de l’os a été observé dans ces scolioses avec amincissement des côtes, aspect festonné et cunéiforme (scalloping) des corps vertébraux et dans 2 cas une pénétration intracanalaire de côte ou d’apophyse transverse (figure 2). Aucun patient n’avait de signes neurologiques. Le traitement était chirurgical par arthrodèse postérieure instrumentée chez 2 patients et circonférentielle chez 2 autres (tableau II). L’acte chirurgical a été très hémorragique chez 2 patients, nécessitant une transfusion sanguine en per- et postopératoire. Le traitement chirurgical a permis une correction de la scoliose de 68 en moyenne. Le contrôle clinique et radiologique à la fin de l’étude a montré un maintient de la correction chez les 4 patients, un patient a eu une saillie de l’extrémité inférieure de la tige en sous-cutané qui a nécessité l’ablation du matériel d’ostéosynthèse. Les pseudarthroses et déformations congénitales se situaient à la jambe. La pseudarthrose siégeait au niveau du tiers inférieur dans tous les cas. Deux patients avaient une courbure de la jambe (figure 3) ; pour les 3 autres, la pseudarthrose intéressait les 2 os de la jambe dans 2 cas et seulement la fibula dans un cas. L’âge de survenue de la pseudarthrose était inférieur à

Tableau I Les différentes manifestations de la neurofibromatose Âge de consultation (ans)

Sexe

Antécédents familiaux

TCL

Lentigines

Gliome du nerf optique

Nodules de Lisch

Scoliose

Pseudarthrose congénitale

Tumeurs des nerfs périphériques

Autres

Obs. 1

2

M

Oui

Oui

Oui

Absent

Absent

Oui

Non

Obs. 2

48

M

Non

Oui

Oui

Absent

Absent

Oui

Non

Oui

Obs. 3

14

M

Non

Oui

Oui

Absent

Oui

Oui

Non

Non

Hypertrophie jambe

Obs. 4

6

M

Non

Oui

Oui

Absent

Absent

Oui

Non

Oui

Lésions fibreuses

Obs. 5

3

M

Non

Oui

Non

Oui

Absent

Oui

Oui

Non

Obs. 6

2

F

Oui

Oui

Non

Absent

Absent

Oui

Oui

Non

Obs. 7

1 1/2

F

Non

Oui

Non

Absent

Absent

Oui

Oui

Non

Obs. 8

12

F

Non

Oui

Non

Absent

Absent

Oui

Oui

Non

Obs. 9

26

M

Non

Oui

Non

Absent

Absent

Oui

Non

Oui

Obs. 10

21

F

Oui

Oui

Non

Absent

Absent

Oui

Non

Oui

Obs. 11

35

F

Non

Oui

Non

Absent

Absent

Non

Non

Oui

Obs. 12

25

M

Non

Oui

Oui

Absent

Absent

Non

Non

Oui

Obs. 13

52

M

Oui

Oui

Non

Absent

Absent

Oui

Non

Non

Obs. 14

14

M

Oui

Oui

Oui

Absent

Absent

Oui

Non

Non

Obs. 15

16

F

Oui

Oui

Oui

Absent

Absent

Non

Oui

Non

Non

Lésions fibreuses

Pied varus équin

Hypotrophie Jambe

e154

Obs : observation ; TCL : tâches café au lait.

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[()TD$FIG]

Figure 1 Scoliose thoracique droite avec cyphose angulaire, rapidement évolutive chez un garçon de 14 ans

[()TD$FIG]

Figure 2 A. Aspect dystrophique avec scalloping des corps vertébraux à la tomodensitométrie. B. Pénétration intracanalaire d’une apophyse transverse à l’ imagerie par résonance magnétique (IRM)

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5 interventions chirurgicales et la durée de prise en charge globale a été respectivement de 7 ans et de 12 ans avant d’obtenir la consolidation complète de ces pseudarthroses. Quatre neurofibromes plexiformes étaient localisés au niveau de la jambe dans 3 cas et au niveau de l’oreille dans un cas. Les neurofibromes nodulaires ont été trouvés chez 3 patients et étaient localisés au niveau thoracique (figure 5). La transformation maligne des neurofibromes en neurofibrosarcomes a été observée chez 2 patients (tableau IV). L’âge de découverte était de 21 ans et 32 ans. Ces neurofibrosarcomes siégeaient au niveau du tronc du sciatique et du nerf fibulaire commun. Sur le

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2 ans dans les 3 cas. Une inégalité de longueur des membres inférieurs de 5 cm en moyenne (extrêmes de 2 à 12 cm) a été notée chez les 3 patients, et un valgus de la cheville a été noté chez la patiente qui avait une pseudarthrose isolée de la fibula. La pseudarthrose était atrophique chez les 3 patients. Une ostéotomie tibiale de varisation a été effectuée pour la patiente qui avait une pseudarthrose isolée de la fibula et un fixateur d’Ilizarov avec transport osseux segmentaire a été réalisé pour les 2 autres patients (figure 4). La durée totale de maintien en place du fixateur externe était respectivement de 23 mois et 24 mois (tableau III). Chacun de ces patients a nécessité

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Tableau II Déformations rachidiennes et leur traitement Âge début (ans)

Siège

Signes neurologiques

Type

Signes dystrophiques

Angle de Cobb initial (-)

Cyphose associée (-)

Traitement

Complications du traitement

Angle au recul (-)

Obs. 1

<2

Dorsale

Non

Dystrophique

Vertèbres cunéiformes

40

45

Arthrodèse postérieure

Hémorragie Saillie matériel

40

Obs. 2

Jeune âge

Dorsale

Non

Dystrophique

Scalloping Vertèbres cunéiformes Côtes amincies

40

40

Arthrodèse circonférentielle

Hémorragie

35

Obs. 3

<7

Dorsale

Non

Dystrophique

Vertèbres cunéiformes

90

70

Arthrodèse postérieure

Absentes

78

Obs. 4

<7

Dorsale

Non

Dystrophique

Scalloping Vertèbres cunéiformes

26

50

Arthrodèse circonférentielle

Absentes

20

Obs. 5

<3

Dorsale

Non

Dystrophique

Côtes amincies Vertèbres cunéiformes

50

Absente

Corset de Milwakee

Absentes

50

Obs. 6

12

Dorsale

Non

Non dystrophique

Absents

10

Absente

Surveillance

Absentes

10

Obs. 7

11

Dorsale

Non

Non dystrophique

Absents

20

Absente

Surveillance

Absentes

20

Obs. 8

10

Dorsale

Non

Non dystrophique

Absents

20

Absente

Surveillance

Absentes

20

Obs. 14

6

Cervicodorsale

Non

Dystrophique

Vertèbres cunéiformes

50

45

Chirurgie prévue

Absentes

50

Obs : observation.

[()TD$FIG]

Figure 3

e156

Incurvation du tiers inférieur de la jambe gauche

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[()TD$FIG]

Figure 4 A. Pseudarthrose hypotrophique du tiers inférieur de la jambe. B. Consolidation de la pseudarthrose tibiale avec persistance d’une pseudarthrose fibulaire et varus de la cheville

Tableau III Pseudarthroses congénitales des os longs et leur traitement Âge de survenu (ans)

Siege

Inégalité des MI (cm)

Classification

Crawford

Boyd

Traitement

Durée de prise en charge

Nombre d’interventions

Séquelles

Apoil

Obs. 5

3

1/3 inférieur du tibia

I

I

Non classé

0

Orthèse jambière

4 ans

Absentes

Absentes

Obs. 6

2

1/3 inférieur des 2 os de la jambe

IV

IV

I

12

Ilizarov

12 ans 23 mois d’Ilizaov

5

Raideur valgus cheville

Obs. 7

1 1/2

1/3 inférieur des 2 os de la jambe

IV

IV

I

2

Ilizarov

7 ans 24 mois d’Ilizaov

5

Raccourcissement de 2 cm

Obs. 8

3

1/3 inférieur de la fibula

Non classé

V

Non classé

2

Ostéotomie tibiale

3 ans

1

Raccourcissement de 2 cm

Obs. 15

3

1/3 inférieur des 2 os de la jambe

I

I

Non classé

5,5

Surveillance

3 ans

Absentes

absentes

MI : membres inférieurs ; Obs : observation.

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cas. Dans le second cas, le diagnostic n’a été fait qu’après analyse de la pièce d’exérèse. Une patiente a eu une exérèse de la tumeur sans sacrifice fonctionnel, suivie de radiothérapie. Elle n’a pas eu de récidive tumorale à 6 ans de recul. L’autre patient est mort avant l’exérèse chirurgicale. D’autres anomalies orthopédiques ont été observées à l’examen de ces patients. Ces anomalies n’étaient pas le motif essentiel de consultation et ne causaient pas de gêne impor-

e157

plan clinique : l’exacerbation de la douleur, l’augmentation rapide du volume de la masse tumorale et l’apparition des signes neurologiques étaient les principales circonstances de découverte. L’IRM pratiquée dans les 2 cas a montré une lésion hétérogène avec des zones de nécroses. L’envahissement des structures de voisinages avec suspicion de malignité a été trouvé dans un seul cas (figure 6). La biopsie, réalisée chez les 2 patients, a permis d’établir le diagnostic de neurofibrosarcome dans un

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Figure 5 A. Neurofibromes cutanés. B. Neurofibrome sous-cutané ou nodulaire. C. Neurofibrome plexiforme

Tableau IV Tumeurs des nerfs périphériques et leur traitement Âge (ans)

Type

Siege

Signes cliniques

Traitement

Évolution

Obs. 2

48

NF cutané

Tronc

Absents

Pas de traitement

Stationnaire

Obs. 4

30

NF cutané NF plexiforme

Tronc Jambe - oreille

Gêne esthétique

Pas de traitement

Stationnaire

Obs. 9

32

NF cutané NF nodulaire NF plexiforme Neurofibrosarcome

Jambe Tronc Jambe Tronc

Douleur Signes neurologiques

Non opéré

Décès

Obs. 10

21

Neurofibrosarcome

Cuisse

Douleur Signes neurologiques

Chirurgie + radiothérapie

Pas de récidive

Obs. 11

35

NF cutané NF nodulaire NF plexiforme

Jambe Épaule Tronc

Absents

Pas de traitement

Stationnaire

Obs. 12

25

NF nodulaire NF plexiforme

Thoracique Creux poplité

Absents

Pas de traitement

Stationnaire

NF : neurofibrome ; Obs : observation.

e158

tante, tel que une hypertrophie modérée de jambe dans 1 cas, une hypotrophie modérée de jambe dans 1 cas, une déformation en varus équin d’un pied dans 1 cas et des lésions fibreuses intra-osseuses dans 2 cas (figure 7).

Discussion Les manifestations orthopédiques dans la NF1 sont fréquentes. Elles se voient dans environ 50 % des cas, mais sont souvent absentes à la naissance et n’apparaissent que durant l’enfance tome 40 > n83 > mars 2011

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Article original

[()TD$FIG]

Figure 6 A. Neurofibrome plexiforme de la jambe gauche et neurofibrosarcome de la jambe droite. B. Aspect en IRM de ces deux tumeurs

[()TD$FIG]

Figure 7

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e159

A. Hypertrophie modérée de la jambe gauche. B. Lésions fibreuses de l’extrémité supérieure du tibia

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[4–8]. Ces manifestations peuvent être expliquées par 3 facteurs : une dystrophie osseuse caractéristique, une dystrophie des parties molles (cutanée, sous-cutanée, vasculaire et nerveuse) et une pathologie tumorale nerveuse. Ces manifestations orthopédiques méritent d’être individualisées du fait de la difficulté de leur prise en charge, leur potentiel évolutif et leurs conséquences. Les déformations rachidiennes sont trouvées chez 10 à 30 % des patients. Elles doivent être cherchées systématiquement par un examen clinique périodique [1,4,7,8]. Deux types de scoliose peuvent être observées : les scolioses non dystrophiques semblables aux scolioses idiopathiques par l’aspect de leur courbure et leur caractère peu évolutif [7] ; leur traitement est généralement orthopédique [1,6,7,9,10] ; et les scolioses dystrophiques qui sont caractérisées par une courbure courte, fortement angulaire, siégeant le plus souvent en région thoracique avec de lésions dystrophiques telles l’amincissement des côtes, un aspect festonné des corps vertébraux, un aspect cunéiforme des vertèbres, une rotation vertébrale très importante, un élargissement des foramens et du canal médullaire avec ectasie médullaire [1,5–7,9,11,12]. Les scolioses dystrophiques sont évolutives, pouvant aboutir à des déformations importantes, et doivent être stabilisées précocement par arthrodèse vertébrale antérieure et postérieure [1,9–11,13]. Parisini et al. [14], Winter et al. [10] et Sirois et Drennan [15] ont observé respectivement, une incidence de 63 %, 64 % et 72 % d’échec quand les scolioses dystrophiques avec cyphoses de 508 ou plus ont été traitées par fusion postérieure seule. Le traitement orthopédique n’a d’effet que pour ralentir l’évolution ou pour gagner quelques mois ou années de croissance en attendant la chirurgie [10]. Les scolioses dystrophiques associées à une pénétration intracanalaire des côtes doivent être opérées précocement pour lever ou éviter la compression médullaire. Ce traitement chirurgical est souvent accompagné d’un saignement grave qui peut entraîner la mort du patient par désamorçage cardiaque du fait de la présence des veines plexiformes paravertébrales et de neurofibromes paraspinaux. Deux de nos patients parmi les 3 opérés pour scoliose ont eu une hémorragie importante. La réalisation d’une IRM en préopératoire est nécessaire pour détecter ces anomalies, ainsi qu’une hémostase méticuleuse et éventuellement une embolisation préopératoire [16,17]. Les pseudarthroses congénitales des os longs sont peu fréquentes, mais très évocatrices de la maladie [8,18]. La pseudarthrose congénitale du tibia est la plus fréquente ; les autres localisations (fibula, radius, ulna, fémur. . .) sont exceptionnelles [19]. Plusieurs classifications ont été proposées pour la pseudarthrose congénitale de la jambe, la plus fréquemment utilisée est celle de Crawford et d’Apoil [20]. La pseudarthrose congénitale de jambe est l’une des pathologies les plus difficiles à traiter avec des succès partiels et des échecs aboutissant

à l’amputation. Le fixateur externe d’Ilizarov permet d’obtenir un taux élevé de consolidation avec moins de risque de troubles de croissance et une possibilité de correction axiale et d’allongement en même temps que la consolidation. Il est indiqué surtout après l’âge de 5 ans dans les pseudarthroses avec perte de substance osseuse inférieure à 4 cm. Les inconvénients sont la longue durée de traitement, la nécessité de contrôles réguliers, le nombre important d’interventions et la nécessité de protéger la jambe après consolidation [21]. Dans la série de Paley et al. [22], la consolidation a été obtenue chez 15 de 16 patients. Guidera et al. [23] ont obtenu la consolidation chez 9 parmi 11 patients, les 2 autres ont eu une amputation. Boero et al. [24] ont rapporté 14 consolidations chez 21 patients avec une duré moyenne de consolidation de 12 mois. Dans notre série, 2 patients ont été traités par le fixateur d’Ilizarov. La consolidation a été obtenue dans les 2 cas, mais 4 interventions chirurgicales supplémentaires ont été nécessaires. Le transfert de fibula libre vascularisé consiste à remplacer le foyer de pseudarthrose par de l’os vivant vascularisé. Cette technique est plus difficile, car elle nécessite le recours à la microchirurgie. Elle semble avoir un taux élevé de consolidation, avec pour complications des cals vicieux et un raccourcissement de jambe [25]. Elle est indiquée surtout après échec des autres méthodes [19,25], et lorsque le raccourcissement est supérieur à 5 cm [26]. L’enclouage centromédullaire avec greffe intertibiofibulaire offre une bonne stabilité et une consolidation plus rapide, mais peut retentir sur la mobilité de la cheville et risque d’entraîner des troubles de croissance par épiphysiodèse [25]. Fern et al. [27] ont observé 5 cas consolidés après 8,6 mois en moyenne. Le raccourcissement de jambe au recul a varié de 1,5 à 5 cm. Ohnishi et al. [28] ont étudié une série de 73 patients dont 26 ont eu la technique d’Ilizarov, 25 une greffe de fibula vascularisée, 7 une combinaison des 2 techniques, 6 un enclouage centromédullaire et greffe osseuse et 9 d’autres traitements. Les méthodes qui ont donné les meilleurs résultats étaient la méthode d’Ilizarov et la greffe de fibula vascularisée. Le choix de la technique diffère selon le type et la localisation de la lésion, l’importance de défect osseux et l’âge de l’enfant. La pseudarthrose congénitale de la fibula est généralement associée à celle du tibia et pourrait être responsable d’un valgus sévère et une instabilité de la cheville [29,30]. Tae-Joon et al. [31] et Gilbert [25] ont proposé de reporter leur traitement jusqu’à la puberté car le risque de non-consolidation est plus faible. Les tumeurs des nerfs périphériques sont fréquentes [32], elles sont souvent bénignes comme les neurofibromes, qui peuvent être cutanés se développant à partir d’une petite fibre nerveuse, sous-cutanés ou nodulaires se développant à partir d’une fibre nerveuse plus importante ou plexiformes se développant à partir d’un tronc nerveux. Les neurofibromes cutanés apparaissent généralement pendant l’adolescence et augmentent en nombre et en taille chez les adultes [4,33,34]. Ils sont tome 40 > n83 > mars 2011

généralement présents depuis les premières années de vie. Les neurofibromes plexiformes et nodulaires risquent de dégénérer en neurofibrosacome [34]. Les neurofibrosarcomes sont des tumeurs très agressives, observées chez 2 à 5 % des patients [34–36]. Par ailleurs, 50 % des patients avec des neurofibrosarcomes ont une NF1 [36,37]. Une biopsie des neurofibromes est indiquée devant la suspicion clinique de transformation maligne, même en l’absence de signes de malignité à l’IRM [38]. La biopsie chirurgicale est peu fiable avec un taux de 18 % de faux-négatifs. Chez nos deux patients la biopsie chirurgicale n’a pas établi le diagnostic dans un cas. Il a été recommandé d’associer à la biopsie chirurgicale de multiples biopsies par aiguille Tru-Cut pour diminuer le taux des faux-négatifs [2]. Le traitement des neurofibrosarcomes est basé sur la chirurgie qui doit être la plus large possible. La radiothérapie est indiquée surtout

dans les exérèses marginales ou incomplètes. La chimiothérapie n’est utilisée que comme traitement palliatif. Hruban et al. [37] ont observé une récidive locale dans 45 % des tumeurs traitées par résection marginale. Dans la série de Strom et al. [39], 2/3 des tumeurs traitées par exérèse locale ont récidivé alors qu’une chirurgie radicale a permis un contrôle local dans 2/3 des cas. À côté de ces 3 problèmes orthopédiques majeurs, d’autres anomalies orthopédiques peuvent être observées, mais ne posent pas de vrais problèmes de prise en charge, comme l’hypertrophie ou hypotrophie modérée d’un membre ou d’un segment de membre, les anomalies périostées et les lésions fibreuses intra-osseuses.

Article original

Manifestations orthopédiques de la neurofibromatose de Von Recklinghausen

Conflits d’intérêts : aucun. Remerciements : Aux patients pour leur disponibilité et leur réponse favorable à nos appels.

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