Nécrose médullaire avec sepsis compliquant une thrombocytémie essentielle : à propos d’une observation et revue de la littérature

Nécrose médullaire avec sepsis compliquant une thrombocytémie essentielle : à propos d’une observation et revue de la littérature

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La Revue de médecine interne 33 (2012) 279–283

Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com

Communication brève

Nécrose médullaire avec sepsis compliquant une thrombocytémie essentielle : à propos d’une observation et revue de la littérature Extensive bone marrow necrosis with sepsis in primary thrombocytemia: A case report and literature review E. Rivière a,∗,b,c , J. Pillot b , T. Saghi b,c , Y. Castaing b,c , J.-L. Pellegrin a,c , D. Gruson b,c , A. Boyer b,c a

Service de médecine interne et maladies infectieuses, hôpital Haut-Lévêque, avenue Magellan, 33600 Pessac, France Service de réanimation médicale, hôpital Pellegrin, 33000 Bordeaux, France c Université Victor-Ségalen, Bordeaux 2, 33076 Bordeaux cedex, France b

i n f o

a r t i c l e

Historique de l’article : Disponible sur Internet le 16 février 2012 Mots clés : Nécrose médullaire étendue Moelle osseuse hématopoïétique Thrombopénie Thrombocytémie essentielle Choc septique

r é s u m é Introduction. – La nécrose médullaire, caractérisée par une nécrose des progéniteurs hématopoïétiques, des îlots adipocytaires et de la trame de réticuline, est une pathologie très rare. Observation. – Nous rapportons l’observation d’une patiente de 62 ans admise en réanimation pour une nécrose médullaire étendue compliquant l’évolution d’une thrombocytémie essentielle associée à un choc septique sans germe retrouvé, amenant rapidement au décès dans un contexte de défaillance multiviscérale. Il s’agit, à notre connaissance, du deuxième cas rapporté dans la littérature à ce jour. Sa présentation clinique est aspécifique et associe douleurs osseuses et fièvre, et parfois un syndrome d’insuffisance médullaire. La biologie peut montrer des cytopénies diversement associées, une élévation des LDH et des phosphatases alcalines osseuses. Le diagnostic est histologique, obtenu après biopsie ostéomédullaire. La nécrose est dite étendue si elle concerne plus de 50 % du cylindre biopsique. Cette pathologie est associée dans 90 % des cas à une hémopathie maligne (notamment les leucémies) ou à une tumeur solide le plus souvent gastro-intestinale ou pulmonaire. D’autres étiologies regroupent la drépanocytose ou le syndrome catastrophique des anticorps antiphospholipides, la thrombocytémie essentielle étant exceptionnellement responsable d’une nécrose médullaire. Conclusion. – Toutes causes confondues, le pronostic de la nécrose médullaire étendue est généralement sombre sauf en cas de traitement précoce et intensif, notamment chez les patients drépanocytaires chez qui peut s’observer une régénération médullaire complète. © 2012 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

a b s t r a c t Keywords: Bone marrow necrosis Bone marrow Thrombocytopenia Essential thrombocytemia Septic shock

Introduction. – Bone marrow necrosis is a very rare condition which is characterized by a necrosis of hematopoietic progenitors, adipocytes and reticulin network. Case report. – We report a 62-year-old woman admitted to an intensive care unit for an essential thrombocytemia associated with bone marrow necrosis complicated by septic shock and progressive multi-organ failure. To our knowledge, this is the second case reported in the literature. The clinical presentation of bone marrow necrosis includes non-specific symptoms such as fever, bone pain and sometimes a clinically significant medullar insufficiency syndrome. Biology can reveal cytopenias, elevated LDH and alkaline phosphatase serum levels. The diagnosis is confirmed by bone marrow trephine biopsy. Bone marrow necrosis is classified as extensive if more than 50% of the bone marrow biopsy show necrosis. Haematological malignancies (particularly leukaemia), and solid malignant tumours (particularly gastro-intestinal or lung cancers) represent up to 90% of aetiologies and must be actively researched. Also, sickle cell disease and catastrophic anti-phospholipid syndrome must also be investigated. Essential thrombocytemia remains an exceptional cause of bone marrow necrosis.

∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (E. Rivière). 0248-8663/$ – see front matter © 2012 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.revmed.2012.01.011

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Conclusion. – Overall the prognosis of bone marrow necrosis is poor unless appropriate and intensive treatment, especially for sickle cell disease in which complete medullar regeneration has been observed. © 2012 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

1. Introduction La nécrose médullaire étendue (NME) est une entité clinicohistologique rare. Elle est associée dans plus de 90 % des cas à un processus néoplasique évolutif. Nous rapportons l’observation singulière d’une patiente de 62 ans, suivie pour une thrombocytémie essentielle (TE) présentant une thrombopénie progressive révélant une NME. À notre connaissance, il s’agit du deuxième cas rapporté de NME compliquant l’évolution d’une TE. À partir de cette observation, nous effectuons une revue de la littérature sur les aspects diagnostiques, étiologiques, thérapeutiques et pronostiques des NME connus à ce jour. 2. Observation Une patiente de 62 ans, suivie depuis sept ans pour une TE JAK2 V617F négative, était hospitalisée en réanimation médicale pour un choc septique. Elle était traitée depuis deux ans par hydroxycarbamide, traitement interrompu par la patiente quatre semaines auparavant alors que la numération était normale. Elle était hospitalisée pour un tableau de fièvre supérieure à 38,5 ◦ C avec des douleurs paroxystiques osseuses médio-thoraciques et lombaires basses associées à une thrombopénie à 7 G/L. L’examen objectivait une altération de l’état général, une hépato-splénomégalie et quelques ecchymoses limitées. La biologie retrouvait une anémie macrocytaire à 9,2 g/dL (VGM à 127 fl), une hyperleucocytose avec des polynucléaires neutrophiles à 7,7 G/L, une myélémie à 10 % (0,8 G/L) ainsi qu’un syndrome inflammatoire (CRP à 225 mg/L). On notait également une élévation majeure des LDH à 5577 UI/L, ainsi que des phosphatases alcalines à 376 UI/L, d’origine osseuse (taux de 5 -nucléotidase normal). Son état clinique se dégradait rapidement avec apparition d’une détresse respiratoire aiguë, puis d’un choc septique pour lequel la patiente était transférée en réanimation médicale. Malgré une antibiothérapie à large spectre, la fièvre à 40 ◦ C persistait et une pancytopénie apparaissait en 24 heures. Un bilan bactérien, viral et mycoparasitaire large restait non contributif. Après une ponction sternale blanche, une biopsie ostéomédullaire (BOM) était réalisée dans le même temps qu’une transfusion plaquettaire. Elle mettait en évidence un aspect de NME sur plus de 50 % du cylindre biopsique associé à une myélofibrose de grade 2 (Fig. 1). Un syndrome de détresse respiratoire aigu réfractaire s’installait, associé à un syndrome néphrotique pur. La patiente décédait d’une défaillance multiviscérale dix jours après son admission.

3. Discussion La NME est rare avec une prévalence estimée à 0,3 % parmi toutes les BOM ou myélogrammes réalisés hors autopsie dans les équipes qui ont préalablement contribué à décrire cette entité [1]. Cette faible prévalence est corroborée par le petit nombre d’observations décrites dans la littérature (environ 350 cas en 70 ans), et, à notre connaissance, il s’agit du deuxième cas décrit de NME compliquant l’évolution d’une TE [2]. La NME touche préférentiellement les os à forte activité hématopoïétique comme les os plats ou les épiphyses des os longs. Le tableau clinique comporte quasi systématiquement des douleurs osseuses brutales, intenses, diffuses ou localisées dans les lombes

ou les hanches. Ces douleurs peuvent être associées à une fièvre et à un syndrome anémique ou hémorragique. Cette présentation clinique est somme toute aspécifique et le diagnostic est fortement orienté par les examens biologiques. Dans la revue de la littérature effectuée par Janssens et al. portant sur 240 nécroses médullaires étendues non autopsiques, il existe le plus souvent une bicytopénie avec dans 91 % des cas une anémie et 78 % des cas une thrombocytopénie. Une leucopénie n’est présente que dans 45 % des cas. Une élévation des phosphatases alcalines et des LDH, bien qu’aspécifique, est retrouvée respectivement dans 51 % et 41 % des cas [3]. Il faut évoquer le principal diagnostic différentiel de la NME qu’est la transformation gélatineuse de la moelle osseuse hématopoïétique. Il s’agit d’un tableau de pancytopénie sans douleur osseuse, qui peut s’observer dans les grandes dénutritions, notamment l’anorexie mentale [4]. Le myélogramme est l’examen diagnostique de première intention mais son interprétation est difficile dans la NME faisant préférer la réalisation d’une BOM. En effet, l’analyse cytologique dans la NME requiert une quantité suffisante de moelle osseuse hématopoïétique qui n’est pas toujours obtenue, avec de surcroit des difficultés d’aspiration ou d’étalement voire une hémodilution du prélèvement. Le cytologiste doit être entraîné à ne pas confondre une nécrose des cellules in vivo avec des artéfacts liés à la technique [3]. L’analyse histologique de la BOM permet le diagnostic en retrouvant des plages de nécrose médullaire associant raréfaction et nécrose des progéniteurs hématopoïétiques, des îlots adipocytaires et de la trame de réticuline. Les cellules hématopoïétiques apparaissent nécrosées et mal caractérisables au milieu d’un substrat amorphe éosinophile. La corticale osseuse et l’architecture de l’os spongieux ne sont généralement pas modifiées. La nécrose médullaire est dite étendue si la précédente description s’applique à plus de 50 % du cylindre de BOM. Dans notre observation la trame de réticuline était épaissie, en rapport avec une myélofibrose de grade 2 compliquant la TE. Le diagnostic différentiel de transformation gélatineuse de la moelle osseuse peut être écarté à l’analyse cytologique du myélogramme en présence d’une substance amorphe éosinophile et de travées fibroblastiques [4]. Le diagnostic est également rectifié à l’analyse histologique de la BOM, avec un aspect de raréfaction des progéniteurs hématopoïétiques associé à une atrophie des adipocytes et un dépôt amorphe gélatineux éosinophile d’acide hyaluronique [5]. Les radiographies osseuses ne sont pas indispensables. Devant des douleurs osseuses associées à une insuffisance médullaire, une scintigraphie osseuse peut être réalisée apportant des informations quant à la topographie de la nécrose avec possibilité de guider la biopsie. L’IRM de la moelle osseuse s’est avérée utile pour étudier l’étendue de la NME, en dehors des contextes d’urgence, notamment en milieu de réanimation. Les lésions décrites sont proches de celles retrouvées dans l’ostéonécrose aseptique, mais leur topographie et leur évolutivité varient puisque la NME touche plutôt la moelle osseuse vertébrale et pelvienne, épargnant les épiphyses des os longs, et ne provoquent pas de fracture vertébrale [6]. L’IRM peut également servir à orienter d’éventuelles biopsies vers des zones morphologiquement saines, tout particulièrement pour diagnostiquer une hémopathie sous-jacente. Enfin, le scanner s’est avéré utile dans les cas de NME associée aux tumeurs solides pour guider la ponction en zone suspecte en cas d’échec des gestes aux repères habituels [7].

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Fig. 1. Biopsie ostéomédullaire. A. Coloration HES × 100 : aspect de désertification des logettes osseuses. B. Marquage de la réticuline, × 200 : myélofibrose de grade 2.

La nécrose médullaire est associée dans 90 % des cas à une néoplasie évolutive qui doit être recherchée (Tableau 1). Les hémopathies malignes sont au premier rang, tout particulièrement la leucémie aiguë lymphoblastique. La TE n’a été rapportée qu’une seule fois dans la littérature. Les cancers dits « solides » ne sont retrouvés que dans 30 % des cas et sont essentiellement d’origine digestive (gastrique ou colique), ou indéterminée. Parmi les 10 % d’étiologies non néoplasiques, on retient principalement la drépanocytose, objet de la première description de nécrose médullaire [8]. Les crises vaso-occlusives intramédullaires sont à l’origine de NME, et en cas de traitement précoce adapté, la reconstitution hématopoïétique est complète [9]. Le pronostic est excellent puisque peu de décès ont été rapportés. De nombreux cas de NME iatrogènes ont été décrits, la plupart dans un contexte de leucémie aiguë réfractaire sous chimiothérapie concomitante ou crise blastique. Ces cas étaient associés à la prescription d’imatinib mésylate, d’arsenic ou d’acide rétinoïque (leucémie aiguë promyélocytaires), ou de G-CSF. Des cas sporadiques ont été rapportés avec d’autres molécules, notamment le diclofénac [10], la sulfazalasine [11] ou le paracétamol [12]. Les étiologies infectieuses sont controversées, la plupart des observations ayant été décrites associées à des hémopathies de survenue synchrone, métachrone, ou diagnostiquées post-mortem. Néanmoins, une participation du sepsis en tant que facteur aggravant à la nécrose médullaire est possible, comme dans notre observation. Une équipe franc¸aise a, par ailleurs, décrit un cas de choc septique sur pyélonéphrite à Escherichia coli responsable d’une nécrose médullaire, mais la patiente était porteuse d’une drépanocytose hétérozygote [13]. Notons enfin la possibilité d’une maladie auto-immune sous-jacente associée à la NME, notamment le syndrome des antiphospholipides (SAPL), une dizaine de cas ayant été rapportés, la plupart dans un contexte de syndrome catastrophique des antiphospholipides (CAPS) [14,15]. Les mécanismes physiopathologiques de le nécrose médullaire restent encore mal connus. Le rôle principal serait joué par la microvascularisation médullaire où une conjonction de facteurs aboutirait à l’ischémie, puis à la nécrose de la moelle osseuse hématopoïétique. Plusieurs mécanismes semblent associés : obstruction des micro-vaisseaux par des globules rouges (drépanocytose, polyglobulie de Vaquez), conglomérats tumoraux (cancers solides, hémopathies), et surtout micro-thromboses. Ces dernières résultent d’une formation directe (SAPL, microangiopathie thrombotique [16], coagulation intravasculaire disséminée, syndromes myéloprolifératifs) ou indirecte satellite d’une inflammation locale intense primitive, puis secondaire à l’ischémie (hémopathies, infection médullaire parasitaire ou bactérienne). Ce dernier mécanisme a été bien démontré lors d’une étude de la cinétique des D-dimères dans un cas de nécrose médullaire associé à un lymphome non hodgkinien. En effet, les auteurs décrivent une

Tableau 1 Étiologies des nécroses médullaires. Étiologies rapportées

Nombre de cas décrits avant 2000 [3]

Nombre de cas recensés après 2000

Tumorales Hémopathies Leucémies aiguës Syndromes myéloprolifératifs Leucémie myéloïde chronique Polyglobulie primitive de Vaquez Myélofibrose Thrombocytémie essentielle Lymphomes Leucémie lymphoïde chronique Myélome Leucémie à tricholeucocytes Syndrome hyperéosinophilique chronique Tumeurs solides Indifférenciées Gastrique Autresa

218 145 98 13 11 0 1 1 31 2 1 1 0

43 34 14 5 4 1 0 1 13 0 1 0 1

72 34 14 24

9 0 3 6

Non tumorales Iatrogènesb Infectieuses Choc septique Parvovirus B19 Tuberculose Pneumopathie Paracoccidioidomycose

41 10 10 0 4 2 1 0

41 14 13 1 1 3 0 8 (post-mortem) 0 0

Mucormycose Fièvre Q VIH Leishmaniose viscérale Métabolique Anorexie mentale (sans transformation gélatineuse de la moelle) Constitutionnelle Drépanocytose Autres causesc

1 1 1 0

2

1

0

6 8

8 8

a Autres étiologies néoplasiques : pulmonaire, ovarienne, colorectale, neuroblastome, médulloblastome, prostatique, œsophagienne, carcinoïde, mammaire, sarcome de Kaposi. b Étiologies iatrogènes : imatinib mésylate, fludarabine, diclofénac, interféron alpha, sulfazalazine, acide tout-transrétinoïque, G-CSF, arsenic, paracétamol, millepertuis. c Autres causes : syndrome des anticorps antiphospholipides et syndrome catastrophique des antiphospholipides, sclérodermie, syndrome d’Erdheim-Chester, coagulation intravasculaire disséminée, syndrome hémolytique et urémique, hyperparathyroïdie.

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ascension du taux de D-dimères et de TNF-␣ au moment de la survenue d’une nécrose médullaire chez un patient traité par chimiothérapie six semaines auparavant, ce qui témoigne de la mise en place d’une inflammation et de l’activation des mécanismes de la coagulation [17]. Sur le plan moléculaire, le TNF-␣ semble jouer un rôle central dans la formation des microthrombi intravasculaires intramédullaires, d’autant plus s’il est associé à d’autres pathologies inductrices de cette cytokine, comme le sepsis ou les cancers [18]. Le TNF-␣ induit un état procoagulant par la synthèse et l’expression du facteur tissulaire et la dérégulation de facteurs prothrombogènes comme la thrombomoduline [19]. Dans les cas associés à une infection bactérienne, le germe à l’origine du sepsis associé est parfois retrouvé dans les prélèvements histologiques et pourrait contribuer localement à la formations de microthrombi ou directement obstruer les microvaisseaux [20]. Le rôle de certains médicaments est discuté, quatre cas de nécroses médullaires induites par l’imatinib mésylate ayant été rapportés [21–23] : le mécanisme physiopathologique pourrait être un excès d’apoptose intramédullaire des progéniteurs avec relargage de substances prothrombogènes [24]. Le G-CSF, aurait un rôle potentialisateur de l’obstruction microvasculaire de par son effet inducteur de la migration et de la prolifération des cellules endothéliales [25] et des progéniteurs hématopoïétiques contribuant à l’hypoxie intramédullaire [17]. Certains auteurs ont décrit une NME liée à une infiltration médullaire massive de lymphocytes T CD8 en réaction à une leucémie aiguë myéloblastique en phase de prolifération. Cet infiltrat aurait pu contribuer à la NME par des « dommages collatéraux » sur les cellules hématopoïétiques saines environnantes potentiellement médiés par le TNF-␣ [26]. Les accidents vaso-occlusifs notamment microvasculaires du fait de leur fréquence pourraient expliquer cette complication au cours de la TE. En effet, plusieurs mécanismes concourent à ces accidents : activation plaquettaire [27,28], activation leucocytaire plus intense et interaction des leucocytes avec les cellules endothéliales à l’origine d’une synthèse de facteurs prothrombogènes [28,29]. Dans notre observation, une myélémie importante et rapidement intense s’associait au tableau de nécrose médullaire et à la description histologique de myélofibrose. L’association de ces trois éléments plaide pour une évolution vers la myélofibrose. Cette évolution a également pu jouer un rôle dans la survenue de la NME En contexte de choc septique, l’augmentation des besoins en oxygène et l’accroissement de la régénération médullaire ont pu être entravés par les processus de fibrose médullaire, survenant de surcroît sur une moelle osseuse déjà modifiée par l’hydroxycarbamide au long cours. Par ailleurs, l’hypovolémie engendrée par le choc septique a pu jouer un rôle majeur dans les phénomènes ischémiques médullaires initiaux, eux-mêmes favorisés par la brutale libération de TNF-␣ induite par l’endotoxine bactérienne. Le traitement doit être le plus précoce possible et reste essentiellement étiologique. Un traitement symptomatique transfusionnel à la phase aiguë peut s’avérer salvateur pour compenser d’éventuelles hémorragies induites par la thrombopénie. Les complications emboliques fibrino-cruoriques ou graisseuses fréquemment associées notamment en cas de lymphomes B diffus associé [30] ou chez les patients atteints de drépanocytose [31] doivent être prévenues ou traitées. Un seul cas de régression sous corticothérapie en bolus a été décrit mais dans un contexte de sclérodermie [32]. Le pronostic de la NME est sombre et dépend avant tout de l’étiologie sous-jacente. Les hémopathies ou les tumeurs solides, compliquées ou révélées par une NME, sont de très mauvais pronostic à l’exception des leucémies aiguës lymphoblastiques de l’enfant où la mortalité est de 25 %. Des cas de reconstitution ad integrum de la moelle osseuse ont été décrits, notamment au cours de la drépanocytose, avec reprise d’une hématopoïèse normale.

4. Conclusion La nécrose médullaire est une entité rare qui complique ou révèle un processus néoplasique, notamment hématologique, dans 90 % des cas. Sa connaissance permet de guider rapidement l’enquête et le traitement étiologiques, ce dernier étant le seul traitement potentiellement curatif. Le pronostic en est malgré tout le plus souvent défavorable. Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. Remerciements Nous tenons à remercier le Dr Marie Parrens du laboratoire d’anatomie pathologique du Pr de Mascarel, hôpital Haut-Lévêque, Pessac, pour les clichés et la description histologique de la biopsie ostéomédullaire. Références [1] Pennaforte JL, Dufour M, Etienne JC, Schvartz H, Caulet T. Diagnostic problems of bone marrow necrosis: apropos of a case disclosing acute leukosis. Arch Anat Cytol Pathol 1986;34:111–6. [2] Majumdar G, Phillips JK, Pearson TC. Massive bone marrow necrosis and postnecrotic myelofibrosis in a patient with primary thrombocythaemia. J Clin Pathol 1994;47:674–6. [3] Janssens AM, Offner FC, Van Hove WZ. Bone marrow necrosis. Cancer 2000;88:1769–80. [4] Rivière E, et al. Thrombopénie par transformation gélatineuse de la moelle et hépatite aiguë de dénutrition chez une patiente anorexique mentale. Rev Med Interne (2011), doi:10.1016/j.revmed.2011.11.011. [5] Böhm J. Gelatinous transformation of the bone marrow: the spectrum of underlying diseases. Am J Surg Pathol 2000;24:56–65. [6] Tang YM, Jeavons S, Stuckey S, Middleton H, Gill D. MRI features of bone marrow necrosis. AJR Am J Roentgenol 2007;188:509–14. [7] Huang TY, Huang JT, Yam LT, Postel GC, Abaskaron M. Computed tomography guidance in bone marrow aspiration for diagnosis of marrow necrosis and metastasis. J Ky Med Assoc 1999;97:299–302. [8] Wade LJ, Stevenson LD. Necrosis of the bone marrow with fat embolism in sickle cell anemia. Am J Pathol 1941;17:47–54. [9] Godeau B, Bachir D, Randrianjohanny A, Jouault H, Galacteros F, Portos JL, et al. Extensive bone marrow necrosis and major sickle cell syndromes. Rev Med Interne 1994;15:25–9. [10] Aydogdu I, Erkurt MA, Ozhan O, Kaya E, Kuku I, Yitmen E, et al. Reversible bone marrow necrosis in a patient due to overdosage of diclofenac sodium. Am J Hematol 2006;81:298. [11] Van de Pette JE, Cunnah DT, Shallcross TM. Bone marrow necrosis after treatment with sulphasalazine Br Med J (Clin Res Ed) 1984;289:798. [12] Paydas S, Ergin M, Baslamisli F, Yavuz S, Zorludemir S, Sahin B, et al. Bone marrow necrosis: clinicopathologic analysis of 20 cases and review of the literature. Am J Hematol 2002;70:300–5. [13] Cadi P, Claessens YE, Cariou A, Safran D. Severe bone marrow necrosis associated with septic shock in the intensive care unit. Ann Fr Anesth Reanim 2004;23:501–4. [14] Josse S, Benhamou Y, Girault C, Lecam-Duchez V, Provost D, Verspyck E, et al. Abdominal pain in a pregnant 34-year-old woman. Rev Med Interne 2011;32:255–60. [15] Uthman I, Godeau B, Taher A, Khamashta M. The hematologic manifestations of the antiphospholipid syndrome. Blood Rev 2008;22:187–94. [16] González N, Ríos E, Martín-Noya A, Rodríguez JM. Thrombotic thrombocytopenic purpura and bone marrow necrosis as a complication of gastric neoplasm. Haematologica 2002;87:ECR01. [17] Seki Y, Koike T, Yano M, Aoki S, Hiratsuka M, Fuse I, et al. Bone marrow necrosis with dyspnea in a patient with malignant lymphoma and plasma levels of thrombomodulin, tumor necrosis factor-alpha, and d-dimer. Am J Hematol 2002;70:250–3. [18] Knupp C, Pekala PH, Cornelius P. Extensive bone marrow necrosis in patients with cancer and tumor necrosis factor activity in plasma. Am J Hematol 1988;29:215–21. [19] Bradley JR. TNF-mediated inflammatory disease. J Pathol 2008;214:149–60. [20] Terheggen HG, Lampert F. Acute bone marrow necrosis caused by streptococcal infection. Eur J Pediatr 1979;130:53–8. [21] Matsue K, Takeuchi M, Koseki M, Uryu H. Bone marrow necrosis associated with the use of imatinib mesylate in a patient with Philadelphia chromosomepositive acute lymphoblastic leukemia. Ann Hematol 2006;85:542–4.

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