Journal de thérapie comportementale et cognitive (2016) 26, 49—51
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IN MEMORIAM
Ovide Fontaine : un pionnier nous a quittés Ovide Fontaine: A pioneer has passed away
Ovide Fontaine s’est éteint le 2 juillet 2015 à l’âge de 80 ans. Son décès a attristé celles et ceux qui ont régulièrement collaboré ou dialogué avec lui tout au long de sa vie professionnelle consacrée à la recherche scientifique, à la pratique clinique et au développement des thérapies cognitivo-comportementales. Beaucoup d’autres ne connaissaient que le psychothérapeute chevronné, l’enseignant brillant, l’orateur séduisant ou l’auteur didactique. Il n’est guère possible de retracer toutes les facettes d’une carrière riche et diversifiée. Nous évoquerons uniquement celles qui illustrent sa démarche en psychothérapie, qui reflètent ses apports aux TCC, qui traduisent sa contribution à la formation clinique des psychologues et des psychiatres. Docteur en médecine (1963), Ovide se spécialise en psychiatrie (1967) sous la direction de Maurice Dongier (université de Liège). En 1965, il est engagé comme assistant par Marc Richelle au laboratoire de psychologie expérimentale où il accèdera au grade de chef de travaux (1975). Il y mène de nombreuses recherches en psychopharmacologie animale tout en se familiarisant avec le behaviorisme skinnerien et la méthodologie du conditionnement opérant. Dans ce cadre, il effectue plusieurs séjours chez Neal Miller 1155-1704/$ – see front matter http://dx.doi.org/10.1016/j.jtcc.2016.01.002
(Rockefeller University, New York). Ces recherches susciteront son intérêt pour la behaviour therapy, puis pour la médecine comportementale et la psychologie de la santé. En effet, le jeune chercheur était aussi un clinicien. L’ouvrage princeps d’Eysenck (1960) [1] le sensibilise à la thérapie comportementale et il intègre rapidement la méthode de la désensibilisation systématique dans sa pratique clinique (Wolpe, 1958) [2]. Il est d’emblée séduit par les fondements scientifiques de cette nouvelle approche thérapeutique et conforté par les résultats obtenus. Malgré les critiques ou les sarcasmes que suscitaient alors ces behavioristes qui confondaient les poètes avec des rats de laboratoire, il maintient le cap avec fermeté et élégance sans verser dans des polémiques stériles. Il estimait que les améliorations constatées chez les patients que daignaient lui adresser ses confrères en désespoir de cause étaient la meilleure réponse à apporter aux détracteurs. Ses choix théoriques et méthodologiques reflétaient déjà la force de son caractère, la rigueur de ses convictions, l’acuité de sa vision du futur. Depuis lors, son investissement proactif pour les thérapies cognitivo-comportementales a été sans faille. En 1978, Ovide publie Introduction aux thérapies comportementales (behavior therapies) présentée comme un éclairage original sur l’étude scientifique de la connaissance de soi-même et d’autrui (Fontaine, 1978) [3]. Les synthèses didactiques des modèles théoriques et méthodologiques, les illustrations cliniques, la richesse bibliographique et la clarté du style contribueront à son succès. Face à la diversité des recherches, des données et des hypothèses déjà relevée à l’époque, il se demandait « si les qualificatifs de ‘‘behavioristes’’ ou ‘‘comportementales’’ ne pourront pas dans un avenir plus ou moins proche être englobés dans un terme plus large : celui d’une psychologie et d’une thérapie
50 expérimentale et scientifique » (p. 14). Ce vœu n’est pas encore exaucé, même si le label actuel a pris en compte les apports cognitivistes. Quelques années plus tard, il édite avec Jean Cottraux et Robert Ladouceur l’ouvrage collectif Cliniques de thérapie comportementale (Fontaine et al., 1983) [4]. Celui-ci restera une référence pour les cliniciens pendant de très nombreuses années. En effet, chacun des 24 chapitres consacrés à diverses problématiques cliniques comporte l’étude approfondie d’un cas en décrivant la fac ¸on dont une thérapie se déroule dans les faits et dans la tête du thérapeute sans éviter les problèmes qui se posent, les difficultés, les échecs ou les réactions internes. Cette formule originale s’écartait des habituelles vignettes cliniques se voulant illustratives d’un modèle théorique ou méthodologique particulier. En 1986, il signe avec Jacques Rognant le premier fascicule consacré aux fondements théoriques des thérapies comportementales dans la vénérable Encyclopédie médico-chirurgicale. Il y note que celles-ci sont souvent perc ¸ues comme moins séduisantes sur le plan théorique que d’autres systèmes proposant de vastes théorisations hypothético-déductives apparemment cohérentes mais ne reposant sur aucune démonstration fiable. Pour lui, « cette incomplétude apparaît comme plus prometteuse d’avenir que certaines certitudes fondées sur le dogmatisme » (Fontaine et Rognant, 1986) [5]. L’application en psychothérapie d’une démarche scientifique fondée sur le rationalisme critique a constamment été au cœur des apports d’Ovide. Dès 1981, il publie un article sur l’analyse fonctionnelle des comportements problèmes dans l’éphémère Journal de thérapie comportementale (Fontaine et Ylieff, 1981) [6]. Celle-ci s’inspire de l’analyse expérimentale du comportement (Skinner, 1969) [7], mais en intégrant les variables organismiques au niveau biologique, cognitif et émotionnel ainsi que les facteurs génétiques, développementaux et historiques. Elle met l’accent sur des rapports de causalité multifactoriels et rétroactifs caractérisés par des relations constantes, complexes et circulaires entre les déterminants biologiques, psychologiques et sociaux (perspective biopsychosociale). Elle permet ainsi de poser des hypothèses explicatives sur le maintien et la genèse des comportements d’une part, de déboucher sur des interventions multifocales et multimodales d’autre part. Ce modèle Fontaine-Ylieff suscitera un large intérêt et Ovide y restera très attaché malgré les évolutions inéluctables vers d’autres conceptualisations. Au-delà des changements terminologiques, il restait convaincu que le raisonnement expérimental doit demeurer le ciment méthodologique de tous les cliniciens s’inscrivant dans une démarche scientifique. Cette conviction a inspiré sa contribution au chapitre sur l’analyse fonctionnelle dans un ouvrage édité en collaboration avec son fils Philippe (Fontaine et Fontaine, 2006) [8]. Il y relève que les évolutions théoriques et méthodologiques n’ont pas démenti les choix effectués en 1981, même si certains concepts du modèle initial méritent d’être précisés, révisés et actualisés à la lumière des apports contemporains (Ylieff et Fontaine, 2006) [9]. Il insiste sur la nécessité de mener des études approfondies sur la variable « thérapeute » trop souvent négligée ou ignorée en soulignant que « chaque individu est un cas unique pour lequel l’art du clinicien, son savoir-faire est aussi important que sa compétence théorique ».
In memoriam Parallèlement Ovide poursuit sa carrière universitaire. En 1988, il est nommé à un poste académique au sein de la Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation de l’université de Liège. Il y dirige d’abord le service de psychologie et de psychopathologie de l’adulte, puis fonde le service de psychologie de la santé. Il devient professeur ordinaire en 1994 et il assume diverses fonctions au sein de l’institution universitaire, plus particulièrement dans son Conseil d’administration (1997—2000). Il est admis à la retraite en 2000. Ses enseignements ont porté sur les thérapies cognitivo-comportementales mais aussi sur la psychopathologie de l’adulte, les méthodes d’action psychologique, le psychodiagnostic clinique ou encore la psychopathologie du travail. Il enseigne également dans d’autres universités (Tunis, Lyon, Louvain, Curitiba) et participe à des formations associatives (AFTCC, AFFORTHECC, AEMTC), notamment au Centre psychothérapeutique de Limoux (1980—1984). Outre ses missions d’enseignement, Ovide initie et dirige de multiples recherches cliniques en psychologie de la santé, en médecine comportementale (stress et maladies physiques, stress au travail) mais aussi en psychogériatrie. Il est le promoteur de nombreuses thèses doctorales et développe des collaborations internationales avec les québécois Robert Ladouceur, André Marchand et Gilles Dupuis, puis avec l’université TIUTI à Curitiba (Brésil). La qualité des enseignements délivrés par Ovide a significativement contribué à la formation des psychologues mais aussi à leur insertion dans la pratique professionnelle. Ainsi, il insistait sans relâche sur l’importance de concilier recherche et clinique. En 1995, il sera l’initiateur d’un service de consultations cliniques au sein de la faculté liégeoise où des étudiants peuvent y prester des stages. Vingt ans après, son bébé a grandi. Il est devenu une clinique psychologique et logopédique universitaire (CPLU) performante, lieu d’enseignement et de recherche qui comporte 15 unités et plus de 80 consultants. Ovide Fontaine a été un homme d’action et il s’est investi sur le plan associatif. Dès le début des années 1970, il caresse le rêve d’une association regroupant la poignée de thérapeutes comportementalistes de l’Europe francophone. Suite à la création de l’AFTCC en 1972, il fonde quelques mois plus tard l’Association pour l’étude, la modification et la thérapie du comportement [AEMTC] (1973). Il maintiendra d’excellentes relations avec l’association sœur franc ¸aise en participant à ses premiers programmes de formation et à ses congrès annuels. Pendant les 12 années de sa présidence de l’AEMTC, il en consolide les fondations, en accroît la visibilité nationale et internationale. En 1975, il organise les premières formations en TCC en Belgique francophone destinées aux psychiatres et aux psychologues. En collaboration avec l’association flamande de thérapies comportementales (VVGT), il organise et préside le 14e congrès de l’European Association for Behavior Therapies [EABT] qui se tiendra à Bruxelles du 17 au 19 septembre 1984. C’était une gageure puisque les deux associations belges réunissaient tout au plus 300 membres. Ce fut un succès sur le plan de l’audience avec la participation des comportementalistes renommés à l’époque tels que Peter Lang, Tom Borkovec, Ivy Blackburn, Terence Wilson, Paul Emmelkamp, Michael Mahoney, Edna Foa, Hans Eysenck et bien d’autres encore. Ce succès contribua à asseoir sa reconnaissance internationale, ce qui se concrétisa en 1985 par
Ovide Fontaine : un pionnier nous a quittés son élection à la présidence de l’EABT. En 1990, il contribue activement à l’élaboration d’une formation de 3e cycle en psychothérapie à l’université catholique de Louvain (UCL) dans laquelle il enseignera pendant de nombreuses années. Pour Ovide, la formation de base en psychothérapie doit être de niveau universitaire et le rôle des associations se situe dans la formation continue des psychothérapeutes. Avec des amis franc ¸ais, il participe à la fondation de l’Association francophone de formation et de recherche en thérapie comportementale et cognitive, l’AFFORTHECC dont il fut président, puis président d’honneur. Il a été le moteur de ses liens étroits avec l’AEMTC qui se sont concrétisés par la création en copropriété de la Revue francophone de clinique comportementale et cognitive [RFCCC] en 1995. Ovide appréciait la fécondité des apports anglosaxons aux thérapies cognitivo-comportementales mais il estimait qu’au niveau de la pratique clinique, ces apports devaient être adaptés en fonction des spécificités socioculturelles des pays européens. Dans cette optique, il a contribué à l’organisation des congrès Latini Dies réunissant des psychothérapeutes de langue latine (franc ¸ais, italien, espagnol, portugais et roumain). Il a présidé les VIIIes Latini Dies qui se sont déroulées à Liège (2003) sur le thème : « Pratiques cognitivo-comportementales en pays latins : universalités et particularités ». Ovide est toujours resté très présent dans la vie associative. Ainsi, il a été élu sans discontinuité au Conseil d’administration de l’AEMTC. Pendant 42 ans, celle-ci a manifestement compté dans sa vie mais elle a pu aussi compter sur lui et elle lui doit énormément. Ses investissements associatifs n’étaient pas une fin en soi mais un des vecteurs permettant d’informer sur les TCC et de proposer une formation de qualité aux psychiatres et aux psychologues exerc ¸ant la psychothérapie. Jusqu’aux derniers mois de sa vie, Ovide a poursuivi sa pratique clinique en restant très attentif à l’évolution des TCC. Il se réjouissait de leur dynamisme, de la richesse des acquis scientifiques et de la diversité des nouvelles méthodes d’action. Toutefois, sa longue expérience de la littérature clinique l’amenait à isoler rapidement les ingrédients méthodologiques (ce qu’on fait) de ceux relevant des fondements théoriques (pourquoi on estime qu’il faut le faire) et des effets potentiels (ce qu’on promet). Les premiers lui paraissaient importants et directement opérationnalisables mais il considérait souvent les seconds comme discutables et transitoires. Quant aux promesses d’effets, elles devaient obligatoirement être vérifiées par des études empiriques de validation (ce que cela donne). Cette grille d’analyse a inspiré ses deux derniers articles consacrés à une étude critique de la 3e vague des TCC (Fontaine et al., 2009) [10,11]. Après un recadrage historique des vagues précédentes, la valeur heuristique et l’originalité d’un certain nombre de concepts proposés par cette 3e vague étaient discutées. Tout en reconnaissant son intérêt et sa validité, Ovide la situait comme une 1re vague revisitée. Ses perspectives théoriques sont similaires mais avec la prise en compte
51 des connaissances acquises sur les événements de l’univers privé. Il avait pointé la parenté de la pleine conscience avec la méthode princeps de Wolpe (1958) et son principe de l’exposition. De même, la méthodologie de la modification comportementale se retrouvait dans l’activation comportementale mais avec d’autres buts et pour d’autres répertoires comportementaux. Quant aux concepts d’« acceptation » et de « valeurs », seule leur validation par la pratique et la recherche permettra in fine d’en déterminer la pertinence et la valeur ! L’ultime paragraphe du premier ouvrage d’Ovide résume ce qui a constamment motivé ses multiples contributions au développement et à la promotion des TCC : « si les Behavior Therapies devaient s’écarter de l’analyse rationnelle, de la méthode expérimentale pour s’enfermer dans le carcan de théories fragmentaires dans le seul but de défendre ce qui est contre ce qui vient, je n’accepterais plus l’étiquette de behavior thérapeute. » (Fontaine, 1978, p. 277) [3]. Face à l’explosion contemporaine des méthodes psychothérapeutiques, une adhésion aussi forte aux fondements épistémologiques de la démarche scientifique demeure plus que jamais d’actualité.
Références [1] Eysenck HJ. Behavior therapy and the neurosis. London: Pergamon; 1960. [2] Wolpe J. Psychotherapy by reciprocal inhibition. Stanford: Stanford University Press; 1958. [3] Fontaine O. Introduction aux thérapies comportementales (behavior therapies). Bruxelles: Pierre Mardaga; 1978. [4] Fontaine O, Cottraux J, et Ladouceur R. Cliniques de thérapie comportementale. Bruxelles: Pierre Mardaga; 1983. [5] Fontaine O, Rognant J. « Les thérapies comportementales : approche théorique ». EMC Psychiatrie; 1986 [37820, A]. [6] Fontaine O, Ylieff M. Analyse fonctionnelle et raisonnement expérimental. J Ther Comport 1981;III:119—30. [7] Skinner BF. L’analyse expérimentale du comportement. Bruxelles: Dessart et Mardaga; 1969. [8] Fontaine O, Fontaine P. Guide clinique de thérapie comportementale et cognitive. Paris: Retz; 2006. [9] Ylieff M, Fontaine O. Démarche diagnostique et analyse fonctionnelle. In: Fontaine O, Fontaine P, editors. Guide clinique de thérapie comportementale et cognitive. Paris: Retz; 2006. p. 51—72. [10] Fontaine O, Ylieff M, Fontaine P. 3e vague des TCC ou 1re vague revisitée ? Partim I : commentaires théoriques. Rev Francoph Clin Comport Cogn 2009;XIV(2):3—12. [11] Fontaine O, Ylieff M, Fontaine P. 3e vague des TCC ou 1re vague revisitée ? Partim II : d’autres objectifs et d’autres méthodes ? Rev Francoph Clin Comport Cogn 2009;XIV(4):22—33.
Michel Ylieff AEMTC, 16, rue Mathieu-Laensberg, 4000 Liège, Belgique Adresse e-mail :
[email protected] Rec ¸u le 8 janvier 2016 Accepté le 8 janvier 2016 Disponible sur Internet le 17 f´ evrier 2016