Signes neurologiques dans la schizophrénie

Signes neurologiques dans la schizophrénie

Signes neurologiques dans la schizophrénie Ph. NUSS (1), F. FERRERI (1), C. AGBOKOU (1), C.-S. PERETTI (1) SIGNES NEUROLOGIQUES MINEURS (NSS) – GÉNÉR...

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Signes neurologiques dans la schizophrénie Ph. NUSS (1), F. FERRERI (1), C. AGBOKOU (1), C.-S. PERETTI (1)

SIGNES NEUROLOGIQUES MINEURS (NSS) – GÉNÉRALITÉS Avec une prévalence d’environ 1 % dans la population générale, la schizophrénie représente un défi thérapeutique majeur. Son âge de début précoce, son évolution chronique, la difficulté à traiter adéquatement les symptômes et leurs complications (notamment sociales et familiales) justifient la recherche d’indices cliniques pouvant éventuellement améliorer et guider l’approche thérapeutique. L’observation d’anomalies motrices, proches de celles connues dans certaines maladies neurologiques, chez des personnes présentant des troubles mentaux est ancienne. Les anomalies neurologiques sont regroupées sous plusieurs appellations. Le terme de signe neurologique « mineur » [neurological soft sign (NSS)] est souvent utilisé. Les NSS sont des indicateurs d’atteintes neurologiques non spécifiques. Ils s’opposent aux « hard signs » qui témoignent d’une atteinte cérébrale localisable. Cliniquement, les NSS se traduisent par des difficultés dans : – la coordination motrice fine, – l’intégration sensorielle, – la réalisation de tâches motrices complexes. Les NSS sont présents de manière plus fréquente chez les patients schizophrènes, y compris jamais traités (5), et de façon pré morbide dans l’enfance (7). Leur fréquence est augmentée chez les apparentés (1). Les NSS sont transmis au sein des familles (2). La présence d’un ou plusieurs NSS a été démontrée dans la schizophrénie chez 45 à 100 % des sujets selon les études : 98 % selon Lane et al. (6) ou 50 % selon Heinrichs et Buchanan (3). L’origine vraisemblable des disparités dans l’établissement de la prévalence des NSS dans la schizophrénie serait liée la diversité des échelles utilisées, la taille des échantillons et les caractéristiques des patients inclus dans les études (premier épisode vs chronique, traitement antipsychotique typique vs atypique…).

NSS ET PERFORMANCES COGNITIVES Les travaux de recherche sur les NSS retrouvent des indications contradictoires et laissent des problèmes non résolus. Toutefois, il est généralement admis qu’un score élevé de signes neurologiques est associé à des formes de la maladie plus sévère et une symptomatologie négative et désorganisée plus marquée. Le lien entre la présence d’anomalies neurologiques chez les patients schizophrènes et les performances aux tests neuropsychologiques a été étudié par de nombreux auteurs. L’ensemble des résultats semble indiquer que la présence de NSS est associée, globalement, à un surcroît de dysfonctionnements cognitifs, notamment dans les tâches impliquant le lobe frontal (4, 8). Ainsi, les NSS pourraient avoir une valeur prédictive sur l’évolution de la psychose.

ACTIVITÉ CÉRÉBRALE DE PATIENTS SCHIZOPHRÈNES PRÉSENTANT DES SIGNES NEUROLOGIQUES MINEURS : ÉTUDE EN IRM FONCTIONNELLE Le texte ci-après reprend partiellement le contenu d’une présentation orale faite lors 14e Journées de Laguiole. Le détail de la méthode et de procédure expérimentale ainsi que les résultats dans leur intégralité feront ultérieurement l’objet d’une autre publication ailleurs. Ce travail est une étude des patterns d’activation neurofonctionnelle chez des sujets souffrant de schizophrénie lors d’une tâche de Stroop. Il a été réalisé en collaboration avec le CHU Saint-Antoine, le CHU Reims et l’unité INSERM U483. Objectifs de l’étude L’objectif principal est d’évaluer et de comparer les différences d’activation fonctionnelle préfrontales en IRM

(1) Hôpital Saint-Antoine, Paris. S 392

L’Encéphale, 33 : 2007, Juin, cahier 3

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fonctionnelle au sein de deux populations de patients souffrant de schizophrénie se distinguant par la présence (NSS+) ou l’absence (NSS–) de NSS. L’objectif secondaire est de comparer, sur le plan cognitif, les patients schizophrènes NSS– versus NSS+ lors de la réalisation d’une tâche impliquant le lobe frontal (tâche de Stroop). Population La population se compose de 14 patients schizophrènes : – droitiers, – pour lesquels a été posé un diagnostic de schizophrénie selon le DSM IV, – stabilisés cliniquement, – recevant un traitement antipsychotique depuis moins de 24 mois. Les quatorze patients sont répartis en deux sous-groupes selon leur score à l’examen standardisé neurologique pour l’évaluation des signes neurologiques mineurs (5) : – 7 patients présentant un score nul ou faible de NSS (NSS–), – 7 patients présentant un score élevé de NSS (NSS+). D’autre part, quatorze sujets témoins appariés par l’âge, le sexe, le niveau d’étude et la latéralité ont été également inclus. Matériel et procédure Les variables cliniques et diagnostiques (psychiatriques et neurologiques) sont évaluées en outre par : – Mini International Neuropsychiatric Interview 5.0, – Positive and Negative Syndrom Scale (PANSS), – échelle de mouvements anormaux involontaires, – inventaire de latéralité d’Edinburgh. Protocole expérimental Nous avons utilisé une version modifiée de la tâche de STROOP utilisant la projection de mots colorés [adaptée de la version de Zysset et al. (9)]. Deux rangées de lettres étaient projetées sur un écran visible par le sujet à l’intérieur de l’enceinte IRM. Le patient était interrogé et invité à répondre par l’intermédiaire d’un boîtier de commande en fonction de la correspondance entre la couleur du mot supérieur et le nom de la couleur écrit sur la rangée inférieure. – Durant la condition neutre, les lettres de la rangée supérieure sont représentées par 4 croix (XXXX) écrites en rouge, vert, bleu ou jaune et sur la rangée inférieure figure le nom des couleurs ROUGE, VERT, BLEU et JAUNE écrit en noir. – Dans la condition congruente, sur la ligne supérieure figure les noms de couleurs pré-cités écrits dans la couleur correspondante.

Signes neurologiques dans la schizophrénie

– Dans la condition incongruente, l’encre dans laquelle sont écrits les différents mots ne correspondaient pas à la couleur du mot (ex. : VERT écrit en rouge). Le sujet doit donc inhiber l’automatisme de lecture des mots. Une condition dite d’interférence est obtenue entre l’encre utilisée pour écrire le « mot-couleur » et le nom de la couleur. Les sujets étaient interrogés et invités à répondre par l’intermédiaire d’un boîtier de commande (pression de boutons). L’intervalle entre deux stimulis visuels est déterminé au préalable pour chaque sujet, lors d’une session d’entraînement pour s’assurer d’un taux de réponse correcte ≥ 80 % dans les trois conditions. Résultats Données démographiques Entre les patients et les témoins, de même qu’entre les patients NSS– et NSS+, il n’y a pas de différence démographique statistiquement significative (âge, sexe et niveau d’étude). Les durées d’évolution de la maladie sont comparables dans les deux groupes de patients. Par contre, le score global et le sous-score de la dimension négative de la PANSS du groupe NSS+ sont supérieurs à ceux du groupe NSS– (p = 0,01). Données comportementales du test de STROOP Patients/Contrôles Les données comportementales au test de STROOP ne montrent pas de différence statistiquement significative entre le groupe des patients et le groupe des contrôles en terme de pourcentage de réponses correctes et d’omission (le taux de réussite est supérieur à 80 % dans les 2 groupes). En ce qui concerne le temps de réaction, il existe une différence dans la condition incongruente (p = 0,05). Données comportementales du test de STROOP NSS–/NSS+ Absence de différence statistiquement significative entre le groupe des patients NSS– et le groupe des patients NSS+ en terme de pourcentage de réponses correctes et d’omissions. En ce qui concerne le temps de réaction, il existe une différence significative entre les patients NSS+ et les patients NSS– (p = 0,001). Données d’IRM fonctionnelle – Effet d’inhibition : Condition Incongruente versus Neutre (I > N) • Patients/Contrôles Pour le groupe patient, la réalisation de la tâche de STROOP en condition incongruente est associée à une activation principalement dans les régions : S 393

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– frontale gauche inférieure et médiane, – frontale supérieure droite. Pour le groupe contrôle, la réalisation de la tâche de STROOP en condition incongruente est associée à une activation dans les régions frontales : – gyrus frontal inférieur gauche, – gyrus cingulaire gauche, – gyrus frontal inférieur droit. • NSS–/ NSS+ Pour le groupe patient NSS+, la réalisation de la tâche de STROOP en condition incongruente est associée à une activation des régions frontale : – précentrale gauche, – frontale médiane droite. Dans le groupe patient NSS–, la réalisation de la tâche de STROOP en condition incongruente est associée entre autre à une activation dans les régions frontales : – gyrus frontal supérieur droit, – gyrus frontal supérieur gauche, – gyrus frontal médian gauche, – gyrus cingulaire droit, – gyrus frontal inférieur gauche.

Discussion Ces résultats montrent que les patterns préfrontaux d’activation cérébrale des patients NSS+, des patients NSS– et des témoins diffèrent. Trois patterns d’activation cérébrale peuvent être distingués : – les témoins activent principalement le cortex cingulaire antérieur et le gyrus frontal, – les patients NSS+ activent l’aire de Broca, – les patients NSS– activent des zones cérébrales activées dans le groupe témoins (cortex cingulaire antérieur et gyrus frontal) mais aussi et des zones plus postérieures comme les patients NSS+ (aire de Broca) (figure 1).

Gyrus frontal

3 Profils d’activation cérébrale différents 8

NSS+ : BA 44 , BA 45 NSS– : BA 44 , BA 45 BA 8, BA 9 – BA 32 Témoins : BA 8 , BA 9 – BA 32

9 32 BROCA Cingulaire antérieur

FIG. 1. — Trois profils d’activation cérébrale différents.

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Cette étude met en évidence l’existence de trois profils différents d’activation préfrontale avec un gradient d’activation préfrontal antério-postérieur corrélé positivement à l’efficience de performance. Ce qui pose la question des stratégies mises en jeu par les patients schizophrènes pour traiter une tâche (stratégie de décomposition verbale de la tâche versus stratégie intégrative) et des causes pathophysiologiques sous-jacentes (perte neuronale ou hypoactivité des neurones préfrontaux ou dysconnexions neuronales loco-régionales) en faveur de l’utilisation d’une stratégie plutôt qu’une autre.

CONCLUSION Les signes neurologiques mineurs dans la schizophrénie semblent être un indicateur clinique intéressant. Les profils neurologiques spécifiques pourront renseigner sur : – le profil cognitif, – l’évolution fonctionnelle, – la stratégie thérapeutique (programme de réhabilitation cognitive). L’imagerie cérébrale permet l’étude de réseaux neuronaux dont les dysfonctionnements sont impliqués dans la maladie.

Références 1. EGAN MF, HYDE TM, BONOMO JB et al. Relative risk of neurological signs in siblings of patients with schizophrenia. Am J Psychiatry 2001 ; 158 (11) : 1827-34. 2. GOURION D, GOLDBERGER C, BOURDEL MC et al. Neurological soft-signs and minor physical anomalies in schizophrenia : differential transmission within families. Schizophr Res 2003 ; 63 (1-2) : 181-7. 3. HEINRICHS DW, BUCHANAN RW. Significance and meaning of neurological signs in schizophrenia. Am J Psychiatry 1988 ; 145 (1) : 11-8. 4. KOLAKOWSKA T, WILLIAMS AO, JAMBOR K et al. M. Schizophrenia with good and poor outcome. III : Neurological « soft » signs, cognitive impairment and their clinical significance. Br J Psychiatry 1985 ; 146 : 348-57. 5. KREBS MO, GUT-FAYAND A, BOURDEL M et al. Validation and factorial structure of a standardized neurological examination assessing neurological soft signs in schizophrenia. Schizophr Res 2000 ; 45 (3) : 245-60. 6. LANE A, COLGAN K, MOYNIHAN F et al. Schizophrenia and neurological soft signs : gender differences in clinical correlates and antecedent factors. Psychiatry Res 1996 ; 64 (2) : 105-14. 7. LEASK SJ, DONE DJ, CROW TJ. Adult psychosis, common childhood infections and neurological soft signs in a national birth cohort. Br J Psychiatry 2002 ; 181 : 387-92. 8. LIDDLE PF. Schizophrenic syndromes, cognitive performance and neurological dysfunction. Psychol Med 1987 ; 17 (1) : 49-57. 9. ZYSSET S, MULLER K, LOHMANN G et al. Color-word matching stroop task : separating interference and response conflict. Neuroimage 2001 ; 13 (1) : 29-36.