Temps et pratiques modales. Le plus court est-il le mieux ?

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Recherche Transports Sécurité 75 (2002) 131–143 www.elsevier.com/locate/rectra

Temps et pratiques modales. Le plus court est-il le mieux ? The rationality of perception and modal choice. Is quickest best? Vincent Kaufmann * LATTS, École nationale des Ponts et Chaussées, 6 à 8, avenue Blaise-Pascal, 77455 Marne-la-Vallée cedex 2, France Reçu le 8 février 1999; accepté le 7 mars 2002

Résumé L’article traite de la rationalité des pratiques modales vis-à-vis des temps de déplacement. La problématique peut être formulé ainsi : dans quelle mesure n’est-ce pas la qualité comparée du temps de transport plutôt que sa quantité comparée, en matière de critères temporels, qui détermine les pratiques modales ? L’article est fondé sur l’analyse des pratiques modales domicile-travail d’un échantillon représentatif de deux mille actifs en situation de choix modal, répartis dans les agglomérations de Grenoble, Genève, Lausanne et Berne. L’étude qui fonde l’article explore deux directions : tandis qu’une première partie est consacrée à la perception des temps de déplacement, une seconde traite de la rationalité du choix modal des usagers en fonction des temps de déplacement réels et des temps de déplacement perçus. Cette double analyse montre que, si les usagers ne cherchent pas nécessairement à minimiser leur temps de déplacement domicile-travail, ils cherchent en revanche à éviter des temps de déplacement inappropriables, car peu ergonomiques ou peu flexibles. De plus, il ressort des résultats que qualité du temps et vitesse du temps sont liés : lorsque le temps de déplacement est appropriable, il passe vite, lorsqu’il ne l’est pas, il passe lentement et s’apparente à une longue attente. Ce dernier cas de figure est souvent l’apanage du transport public. Au final, il apparaît que la comparaison des temps de déplacement est un critère de choix modal, mais un critère qui prend sens par rapport à la forme et au contenu de ce temps. Si la majorité des personnes interrogées préfère utiliser l’automobile plutôt que le transport public, c’est autant pour la flexibilité et la qualité du temps procurées par ce moyen de transport que pour sa vitesse. © 2002 E´ditions scientifiques et médicales Elsevier SAS et INRETS. Tous droits réservés. Abstract This paper considers the rationality of travel practices with regard to journey times. The problem can be formulated as follows: to what extent is modal choice determined by a qualitative rather than a quantitative comparison between journey times? Modal choice for home-to-work trips in the conurbations of Grenoble, Geneva, Lausanne and Berne among a representative sample of 2,000 employed persons faced with an alternative is analyzed. The study on which the paper is based explores two directions: the first examines the perception of journey times and the second considers the rationality of users’ modal choice with regard to real and perceived travel times. This dual analysis reveals that although users do not necessarily attempt to minimize their home-to-work travel time, they do try to avoid time spent travelling that is impossible to put to good use because of a lack of comfort or flexibility. Furthermore the results show that the quality of time and the speed at which time passes are linked: when use can be made of the journey time it passes quickly, when it cannot it passes slowly and is viewed in the same way as a long waiting time. Such poor quality is a frequent characteristic of public transport. Ultimately, the study shows that while the comparison between journey times is a criterion for modal choice it only takes on meaning in relation to the form and content of the time. While most respondents prefer their car to public transport it is as much on the grounds of flexibility and quality of the time as on the grounds of speed. © 2002 E´ditions scientifiques et médicales Elsevier SAS and INRETS. All rights reserved. Mots clés: Mobilité; Choix modal; Rationalité; Sociologie; Temps Keywords: Mobility; Modal choice; Rationality; Sociology; Time

* Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (V. Kaufmann). © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS et INRETS. Tous droits réservés. PII: S 0 7 6 1 - 8 9 8 0 ( 0 2 ) 0 0 0 1 5 - 8

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1. Introduction L’a priori d’une rationalité de l’usager vis-à-vis du temps de déplacement est souvent postulé, implicitement ou explicitement, comme une évidence dans le champ des transports. On le retrouve en ingénierie des transports (par exemple, le potentiel de clients du projet de la ligne M2 du métro lausannois a été calculé sur la base des gains de temps que cette infrastructure procure par rapport à la situation actuelle — cf. (État de Vaud, 1996)), mais aussi dans des argumentaires militants (à l’instar du récent pamphlet de C. Gérondeau (2000) à l’intention des maires de France) ; on le rencontre enfin dans la recherche, comme par exemple chez le sociologue allemand Diekmann (1995), qui part du postulat que la minimisation du temps de déplacement est le principal facteur à l’origine des pratiques modales. La rationalité de l’usager en fonction du temps de déplacement va parfois même jusqu’à être présentée comme une loi du comportement humain, que seule pourrait contrer des difficultés financières. Traduite en langage courant, cette proposition conduit à l’équation le plus court est le mieux. Ce type de raisonnement sous-entend que les temps de déplacement constituent des interstices que l’usager cherche à minimiser. De nombreuses recherches récentes suggèrent au contraire que la mobilité est un temps social ayant ses propres qualités. C’est ainsi que nous avons montré, par exemple dans une recherche sur l’usage du temps, fondée sur des interviews menées dans les gares suisses auprès d’usagers du chemin de fer (Kaufmann et al., 2000), qu’un trajet domicile–travail en train est souvent considéré comme une occasion d’exercer une activité autre que le transport (la lecture, voire l’écriture, la tenue de réunions informelles). Par ailleurs, le déplacement en automobile apparaît à des auteurs d’horizons aussi différents que Putnam (2000), Bordreuil (1997) ou Bellanger et Marzloff (1995) comme un temps de sociabilité. Plus généralement, d’autres auteurs à l’instar de Urry (2000), Ascher (2001) ou Montulet (1998) arguent que nous sommes en train de passer d’un cadre social de perception du temps et de l’espace, fondé sur la succession spatio-temporelle de territoires enclos dévolus à une activité précise, à un espace-temps qui serait un support organisant, où de nombreuses micro-mobilités se déploieraient en fonction des opportunités rencontrées. Une telle recomposition serait de nature à invalider une conception interstitielle de la mobilité et en ferait une activité centrale de la vie quotidienne. Voici plusieurs décennies que les pouvoirs publics de nombreuses villes européennes tentent d’endiguer la croissance du trafic automobile urbain (croissance repérable aussi bien en chiffres absolus, qu’en termes de répartition d’usage entre les moyens de transport — voir par exemple (Guidez, 2002) ou (Salomon et al., 1993)), en améliorant les performances des réseaux de transport public. Souvent,

comme il a été relevé plus haut, l’idée sous-jacente à ces améliorations est de rendre le transport public concurrentiel par rapport à l’automobile en termes de temps de déplacement. Or, l’expérience démontre que la mise en service de nouvelles offres de transport public amène peu de report d’usage de l’automobile vers celui-ci (Lefèvre et Offner, 1990), (Pharoah et Apel, 1995). Au moins deux interprétations de ce constat général sont possibles, si on le ramène à la question des temps comparés : soit l’offre de transport public reste, malgré les améliorations apportées, trop lente par rapport à l’usage de l’automobile, soit les usagers fondent leurs choix modaux en bonne partie sur d’autres critères que la rapidité comparée des moyens de transport. Ces considérations sont à la base de la recherche dont est tiré le présent article. Celui-ci se propose d’interroger la rationalité des usagers en fonction de la comparaison des temps de déplacement entre moyens de transport à partir d’un questionnement qui peut être formulé ainsi : dans quelle mesure n’est-ce pas, en matière de critères temporels, plutôt la qualité comparée du temps de transport que sa quantité comparée qui détermine les pratiques modales ? L’article se décompose en cinq parties. La première présente les données sur lesquelles est fondé l’ensemble de l’analyse statistique. La deuxième discute brièvement les notions de temps et de durée sur lesquelles s’appuie l’ensemble des analyses réalisées. La troisième partie traite des biais de perception des temps de déplacement en automobile et en transport public et de leur explication. La quatrième aborde la rationalité des pratiques modales en fonction des temps de déplacement perçus et réels. La dernière propose une conclusion discutant de la minimisation des temps de déplacement en automobile et en transport public.

2. Méthodologie et données Pour tester la question de recherche posée, nous nous appuyons sur un corpus de données issues d’une recherche portant sur les logiques d’action sous-jacentes aux pratiques modales dans les agglomérations de taille comparable de Grenoble, Genève, Lausanne et Berne1. L’enquête a été menée par téléphone auprès d’un échantillon représentatif de la population active de chaque agglomération (cinq cents interviews par agglomération), en situation de choix modal entre automobile et transport public, selon des quotas par

1

Cette recherche a fait l’objet d’une thèse de doctorat à l’École polytechnique fédérale de Lausanne, qui a été publiée sous forme de livre (Kaufmann, 2001). La place nous manquant pour développer les aspects méthodologiques de ce travail, nous invitons le lecteur intéressé à consulter cet ouvrage qui comprend l’ensemble des analyses réalisées et leurs résultats.

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sexe, classe d’âge et catégorie socioprofessionnelle. La répartition entre les localisations résidentielles en villecentre ou en couronne d’agglomération a été respectée dans chaque agglomération urbaine. Les quotas ont été établis sur la base du microrecensement transport de 1989 pour les agglomérations suisses et de l’enquête ménage de 1992 pour Grenoble. Comme définition de la situation de choix modal, nous avons retenu la disponibilité personnelle d’une automobile et la qualité de l’offre de transport collectif desservant le domicile. Les critères de qualité de desserte retenus sont : • la quantité d’offre, mesurée par la fréquence de passage ; • la couverture spatio-temporelle des services ; • le type de transport en commun, soit le bus ou le tram (les quatre agglomérations étudiées disposent de ces deux moyens de transport), sachant que la perception de l’offre est associée à cette dimension ; • le type de desserte, soit la configuration de la ou des lignes desservant le domicile des personnes interrogées (ligne de rabattement, ligne de rocade, ligne radiale). Les quartiers ayant fait l’objet de l’enquête ont été sélectionnés en fonction de ces quatre critères : ils sont tous desservis par une ou des lignes de transport en commun, exploitée(s) de façon continue toute la journée, avec au moins une fréquence de dix minutes en heure de pointe et de quinze minutes en heure creuse de semaine et offrant des services le samedi et le dimanche. Cette desserte est radiale et donne accès directement au centre-ville. Elle est exploitée par bus/trolleybus ou tramway dans des proportions comparables dans chaque agglomération étudiée. Le questionnaire d’enquête, d’environ vingt minutes, à été administré au printemps 1993 dans les trois agglomérations helvétiques et à l’automne 1994 à Grenoble. Il porte sur l’équipement des ménages, leur situation par rapport à l’offre de transport (disponibilité d’un stationnement sur le lieu de travail, nombre de changements de ligne de transport en commun pour aller travailler, etc.), les habitudes modales de la vie quotidienne (en général, pour les déplacements domicile–travail, pour les déplacements à destination du centre-ville), la perception de l’offre de transport public et les représentations sociales de l’automobile et du transport public. En ce qui concerne les temps de déplacement, l’analyse a été menée pour les trajets domicile–travail, un déplacement à la fois habituel et contraint en termes de destination et d’horaires, structurant la vie quotidienne. L’intérêt de la comparaison des quatre agglomérations réside dans le fait que les pratiques modales pour les déplacements domicile-travail y sont contrastées. Ainsi, si la part de l’automobile dans ces déplacements s’élève à 75 % à Grenoble pour notre population, elle n’est que de 65 % à Lausanne, 60 % à Genève et tombe à 43 % à Berne (résultats issus de notre enquête). Cette situation permet dès

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lors de s’interroger : peut-on expliquer ces contrastes uniquement par une efficacité du transport public par rapport à l’automobile différente entre les agglomérations en termes de temps de déplacement ?

3. Le temps et la durée Le temps est une valeur objectivée. Pourtant, demander l’heure, regarder sa montre, consulter un horaire n’ont pas toujours fait partie de la vie quotidienne. Le temps de la montre s’est imposé lors de la production industrielle de cet objet dès la fin du XIXe siècle (Mercure, 1995). Ce temps extensif est conçu comme un bien, dont le bon usage favorise la réussite sociale. Il va quelque part et il est fortement associé à l’espace. Vaincre l’espace-temps n’est-il pas synonyme de liberté ? Le temps extensif est associé aux notions de vitesse et de productivité, qui sont de véritables obsessions de notre temps (Moscovici, 1983 ; p. 261). Mais le temps extensif est en opposition constante avec la vie quotidienne, qualitative par définition (Guitton, 1985), (Zarifian, 2000). Si, dans notre civilisation, le temps se mesure avec une montre ou un chronomètre, sa perception ne se mesure pas mécaniquement : elle est intensive par essence (Zarifian, 2000) et renvoie aux temporalités sociales (Pronovost, 1989) et au souvenir (Block, 1990). D’une manière générale, la perception du temps traduit la manière dont il est vécu : on trouve le temps long lorsque l’on s’ennuie, on s’étonne de ne pas l’avoir vu passer lorsque l’activité est captivante. Le temps de la montre ne correspond pas à sa durée vécue par notre conscience (Nahoum-Grappe, 1995), (Wallemacq, 1991). Chercher à quantifier la valeur de la durée est dès lors tentant, notamment pour les temps de déplacement. Appliquée à l’analyse des temps de transport de la vie quotidienne, cette approche a donné lieu à une abondante littérature ces trente dernières années (voir par exemple (Jara-Diaz, 2001), (Duann et Shiaw, 1996), (Brög, 1980), (Goodwin, 1976), (Oort, 1969)). Pour tester notre question de recherche, nous confronterons temps et durée. Les biais de perception du temps extensif seront l’expression de sa durée. Un temps surestimé sera considéré comme l’indicateur d’un temps peu intense, un temps sous-estimé sera au contraire considéré comme un temps apprécié. À partir de ces mesures, nous pourrons alors analyser la rationalité des pratiques modales des répondants en fonction de la comparaison des temps et des durées.

4. La perception des temps de déplacement La comparaison entre temps et durée est fondée sur deux mesures.

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Fig. 1. Biais de perception des temps de déplacement en automobile et en transport public pour les déplacements domicile-travail.

Nous avons premièrement demandé aux personnes interrogées de nous donner une évaluation de la durée nécessaire à leur déplacement domicile-travail, en automobile et en transport public, indépendamment de leurs propres pratiques. Le choix du trajet aller a été retenu plutôt que l’aller-retour pour éviter les problèmes méthodologiques de mesure du temps de déplacement : s’il est généralement direct à l’aller, il est en revanche souvent combiné à la réalisation de microactivités au retour, si bien qu’il est difficile de l’isoler. Les questions relatives à ces évaluations demandaient explicitement d’inclure les temps de marche et d’attente (pour le transport public) et de marche et de stationnement (pour l’automobile) dans les temps de déplacement. Deuxièmement, nous avons calculé des temps de déplacement domicile-travail à partir des adresses de domicile et de lieu de travail de chaque personne interviewée, pour l’automobile et pour le transport public. En ce qui concerne l’automobile, les temps ont été calculés sur la base des vitesses effectives sur le réseau routier à l’heure où le répondant se rend sur son lieu de travail. Des temps de prise en charge du véhicule au domicile et de stationnement sur le lieu de travail ont été additionnés en fonction des conditions de stationnement (place privée réservée, parking d’entreprise, stationnement sur voirie). En ce qui concerne le transport public, les temps ont été calculés sur la base des horaires des lignes concernées et des distances à parcourir à pied. Une attente à l’arrêt correspondant à une demifréquence a en outre été ajoutée systématiquement dans le calcul (sauf pour les trains où une attente de trois minutes en gare a été admise, ce qui implique une connaissance de

l’horaire). Pour le calcul des temps de déplacement en transport public et en automobile, il a été tenu compte des horaires de travail effectifs, les fréquences de passage sur les lignes de transport collectif et les conditions de circulation n’étant pas les mêmes tout au long de la journée. Avec ces deux chiffres, nous connaissons donc les durées de déplacement et les temps de déplacement. Le calcul n’a été réalisé que pour les déplacements domicile-lieu de travail de plus de 3 km, pour lesquels les alternatives modales sont effectivement l’automobile et le transport public. Les temps ont été considérés comme surestimés ou sous-estimés à partir d’un différentiel de 20 % entre le temps et la durée. 4.1. Les biais de perception des temps de déplacement domicile-travail La confrontation des durées perçues et des temps réels laisse apparaître une perception biaisée des temps de déplacement. Ces biais ont déjà été mis en évidence par d’autres chercheurs tels que Bailly (1979) ou O’Farrel & Markham (1974). Les temps de déplacement en automobile sont fortement sous-évalués, tandis que ceux en transport public sont, au contraire, surévalués dans des proportions appréciables (Fig. 1). Ces biais ont pour conséquence qu’un certain nombre de répondants estime le transport public moins rapide que l’automobile, alors même que les temps de déplacement sont équivalents, voire à l’avantage du transport public. C’est le cas d’un tiers des personnes interviewées.

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Tableau 1 Biais de perception des temps de déplacement en transport public selon la fréquence d’utilisation Utilisation du transport public (*)

Tous les jours ou presque 2 à 3 fois par semaine 2 à 3 fois par mois Moins souvent Jamais Toutes fréquences confondues .

Temps de déplacement (en %)

Total (en %)

sous-estimé

correct

surestimé

20 14 7 5 3 12

62 49 49 46 47 49

18 37 44 49 50 39

100 100 100 100 100 100

(*) 1 252 personnes interrogées Tableau 2 Biais de perception des temps de déplacement en transport public selon le nombre de ruptures de charge Correspondances (*)

Aucune 1 2 Plus de 2 Tous nombres de correspondances confondus .

Temps de déplacement (en %)

Total (en %)

sous-estimé

correct

surestimé

17 7 4 0 12

54 51 51 37 49

29 42 45 63 39

100 100 100 100 100

(*) 1 252 personnes interrogées Tableau 3 Biais de perception des temps de déplacement en transport public selon le sexe Sexe (*)

Hommes Femmes Hommes et femmes ensemble .

Temps de déplacement (en %)

Total (en %)

sous-estimé

correct

surestimé

13 6 10

50 53 51

37 41 39

100 100 100

(*) 1 252 personnes interrogées

Pour l’automobile, une analyse des biais de perception en fonction de différents facteurs de différenciation (catégorie socioprofessionnelle, sexe, fréquence d’usage, conditions de stationnement sur le lieu de travail) ne permet pas de mettre en évidence des associations significatives : on sous-estime les temps de déplacement de la même manière quelle que soit sa catégorie socioprofessionnelle, que l’on soit un homme ou une femme, usager ou non de l’automobile, que l’on dispose ou non d’un stationnement assuré sur le lieu de travail. Des tests statistiques permettent de constater que les biais de perception des temps de déplacement en transport public sont globalement peu différenciés en fonction des variables de positionnement social. À part la fréquence d’usage du transport public qui est le facteur le plus discriminant, suivi du nombre de ruptures de charge sur le trajet domicile–travail, seul le sexe a un impact significatif sur les biais de perception. Les biais de perception des temps de déplacement en transport public sont associés à la fréquence d’utilisation de

ce moyen de transport (Tableau 1). Les personnes qui l’utilisent quotidiennement ne perçoivent pas les temps de déplacement de façon systématiquement biaisée, tandis que les personnes ne l’utilisant jamais surestiment très fortement les temps de déplacement en transport public. La perception des temps de déplacement en transport public est associée au nombre de ruptures de charge sur le trajet domicile-travail : la surestimation est d’autant plus forte que le nombre de changements de ligne est élevé, attestant ainsi du lien entre les contraintes spatiotemporelles liées à l’utilisation du transport public et les durées de déplacement (Tableau 2). Les femmes surestiment plus que les hommes les temps de déplacement en transport public (Tableau 3), ce qui atteste peut être du fort attachement des femmes motorisées à leur véhicule2. Par ailleurs, relevons que la catégorie

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Une telle interprétation rejoindrait les résultats de l’étude sur les femmes pro-voiture (Espinasse et Buhabar, 1999).

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socioprofessionnelle n’a pas d’impact spécifique direct sur les biais de perception des temps de déplacement en transport public. En effet, à nombre équivalent de ruptures de charges et fréquence comparable d’usage du transport public, les répondants biaisent les temps de déplacement de façon comparable, quelle que soit leur catégorie socioprofessionnelle. Ces résultats corroborent ceux de O’Farrel & Markham (1974) et Bailly (1979) concernant la perception des temps de déplacement en transport public, qui montrent que la surestimation des temps de déplacement en transport public croît avec le nombre de ruptures de charge et varie en fonction de la fréquence d’utilisation du transport public. 4.2. Temps de déplacement et caractérisation de l’automobile et du transport public Si l’on considère les biais de perception des temps de déplacement comme des indicateurs d’une expérience rétrospective (Gasparini, 1995), (Block, 1990), nos résultats suggèrent l’existence de cadres sociaux de perception des temps de déplacement, différents pour l’automobile et le transport public. Les temps de déplacement en automobile sont fortement sous-estimés et cette sous-estimation ne varie pas en fonction de la fréquence d’utilisation ou de la catégorie socioprofessionnelle. À l’inverse, les temps de déplacement en transport public sont fortement surestimés et ceci d’autant plus que le nombre de ruptures de charge est élevé et qu’on les utilise peu. Dans quelle mesure le fait qu’en automobile le temps passe vite, alors qu’en transport public il a tendance à passer lentement prend-il sens par rapport à des représentations sociales plus générales de ces moyens de transport ? Nous avons analysé les représentations sociales de l’automobile et du transport public de façon à mettre en évidence, d’une part l’importance du temps, d’autre part comment le temps prend sens par rapport à d’autres dimensions dans ces représentations. Cette analyse a été menée à partir d’un corpus issu de deux questions ouvertes demandant aux répondants de qualifier l’automobile et le transport public par trois adjectifs3. Les résultats montrent que le

3

Habituellement les représentations sociales sont étudiées par l’intermédiaire de questions fermées de type positionnement sur des échelles bipolaires. Cette manière de faire supprime la possibilité pour l’individu de choisir les dimensions qui lui semblent les plus pertinentes pour qualifier l’objet concerné, ce qui nous est apparu gênant pour l’étude des représentations des moyens de transport. Cela suppose en effet que le concepteur du questionnaire choisisse les oppositions bipolaires à soumettre aux répondants. Étant donné l’état peu avancé des connaissances dans le domaine des représentations sociales des moyens de transport, ce choix nous a semblé peu justifiable méthodologiquement. Nous avons donc opté pour des

Tableau 4 Les huit adjectifs les plus cités pour qualifier l’automobile et le transport public Rang de l’adjectif (*)

Automobile

Transport public

Adjectif le plus cité Deuxième adjectif Troisième adjectif Quatrième adjectif Cinquième adjectif Sixième adjectif Septième adjectif Huitième adjectif .

pratique rapide rend autonome confortable chère polluante personnalisée encombrante

pratique lent contraignant imposant la promiscuité cher bon marché écologique sûr

(*) 1 252 personnes interrogées

temps est très présent dans les représentations sociales de ces deux moyens de transport et que les répondants qualifient le temps de déplacement en automobile de façon beaucoup plus positive que le temps de déplacement en transport public. Parmi les huit adjectifs les plus souvent cités pour qualifier l’automobile et le transport public, trois renvoient au temps de déplacement et à son contenu (Tableau 4). Il s’agit respectivement de rapide, rend autonome (est toujours disponible) et confortable attribués à l’automobile ; et de lent, contraignant (en termes de lignes et d’horaires), imposant la promiscuité attribués au transport public. Si la quantité de temps est bien présente à travers l’opposition rapide-lent, les quatre autres termes renvoient nettement à la qualité du temps. Deux dimensions semblent particulièrement pertinentes dans ce domaine, à savoir la continuité de la disponibilité dans l’espace et le temps (rend autonome versus contraignant) et le caractère collectif ou privatif du déplacement (confortable versus favorisant la promiscuité). Ces deux dimensions connotent l’automobile favorablement et le transport public défavorablement. Elles mettent en relief un processus social d’attribution de qualités et de défauts aux temps de déplacement par ces deux moyens de transport. Pour aborder les combinaisons d’adjectifs cités pour qualifier l’automobile et le transport public et ainsi mettre à jour les relations entre les différentes citations relatives à la quantité et à la qualité du temps, une analyse factorielle des correspondances (ACP) a été réalisée pour chacun des deux modes de transport (voir la matrice des corrélations dans le Tableau 5). Cette analyse montre que l’attribution du qualificatif rapide ou lent à l’automobile ou au transport public est fortement associée à l’attribution de qualités aux temps de déplacement, attestant du fait que quantité (lent versus rapide) et qualité (rend autonome versus contraignant ; confortable versus favorise la promiscuité) du temps

questions ouvertes. Celles-ci demandaient au répondant de citer les trois adjectifs qui permettent de qualifier au mieux le transport collectif et l’automobile. Notés en clair, ces adjectifs ont ensuite été regroupés sur la base d’une analyse textuelle.

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Tableau 5 Matrice des corrélations

.

sont associées dans la représentation sociale de l’automobile et du transport public (Fig. 2). Pour l’automobile : auto = rend autonome ; bm = bon marché ; chère ; conf = confortable ; enc = encombrante ; poll = polluante ; prat = pratique ; rapide. Pour le transport public : bm = bon marché ; cher ; cont = contraignant ; éco = écologique ; lent ; prat = pratique ; prom = imposant la promiscuité ; sûr. Le premier axe est relatif à l’offre de transport : il oppose le caractère pratique du transport public à la lenteur, aux contraintes de ligne et d’horaire et à la promiscuité attribuées à ce même moyen de transport. Le second axe fait clairement ressortir la dimension écologique : il oppose les qualités environnementales du transport public et le caractère polluant de l’automobile à l’efficacité de l’automobile en termes de rapidité, d’autonomie et de confort.

Fig. 2. Plan factoriel 1 et 2 des adjectifs cités pour qualifier le transport public et l’automobile.

Le premier facteur est associé à la position sociale et à la composition du ménage des répondants. Les dirigeants, les travailleurs indépendants et les personnes qui exercent une profession intellectuelle ou d’encadrement citent en moyenne davantage la lenteur et les contraintes du transport collectif. En ce qui concerne le second axe, notons que les dirigeants citent plus que les autres catégories sociales des adjectifs relatifs à l’efficacité de l’automobile. L’association, dans le plan factoriel, entre la lenteur, les contraintes de ligne et d’horaire et le sentiment de promiscuité attribués au transport public d’un côté, la rapidité, l’autonomie et le confort attribués à l’automobile de l’autre, montre que ces différents qualificatifs prennent sens les uns par rapport aux autres. Si le transport public est considéré comme lent, cela renvoie non seulement au temps métrique de la montre (ils sont généralement plus lents que l’automobile, comme l’illustre le Tableau 6), mais aussi au fait qu’ils n’offrent pas de continuité de service dans l’espacetemps, astreignent à des changements de ligne et à des horaires et impliquent un déplacement en commun dans un espace public. Ce résultat est renforcé par le fait que les répondants qualifiant le transport public par ces adjectifs surestiment plus fortement les temps de déplacement par ce moyen de transport. Ainsi, les répondants citant contraignant, lent ou favorisant la promiscuité sont respectivement 45 %, 48 % et 44 % à surestimer leur temps de déplacement domicile–travail en transport public, alors que la surestimation moyenne sur l’ensemble de l’échantillon s’établit à 38 %. A contrario, parmi les personnes qui citent rapide pour qualifier le transport public (taux de citation de 9 %) on ne trouve que 28 % à surestimer leur temps de déplacement domicile-travail en transport public. De même pour l’automobile, si elle est considérée comme rapide, c’est non seulement parce qu’elle permet

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Tableau 6 Temps réels de déplacement et pratiques modales Parts modales (%) quand

Grenoble, Genève, Lausanne Automobile Transport public Total Berne Automobile Transport public Total .

n = 901

n = 351

le transport public est plus rapide

les temps sont comparables

l’automobile est plus rapide

9 % des cas 52 48 100 13 % des cas 17 83 100

28 % des cas 71 29 100 32 % des cas 38 62 100

63 % des cas 84 16 100 55 % des cas 70 30 100

généralement de se déplacer rapidement d’un point à un autre, mais aussi parce qu’elle est en tout temps disponible pour son propriétaire (rend autonome) et confortable. Fondamentalement, ces représentations sociales mettent en évidence une prédisposition culturelle à l’usage de l’automobile. On attribue a priori à l’automobile un certain nombre de qualités, qui renvoient à son efficacité et son confort (qualités qui ne semblent être réellement contrebalancées que par les conséquences environnementales de l’automobile et son prix) et au transport public une certaine inefficacité, assortie d’un caractère contraignant et d’un manque de confort. Cette attribution constitue un référentiel en fonction duquel les moyens de transport sont évalués. Par rapport au temps, ce référentiel oppose un temps flexible et actif, passant vite, à un temps contraint et passif, passant lentement : à la figure d’un automobiliste libre, les représentations sociales opposent la figure d’un usager du transport public captif.

Pour aborder les liens entre temps de déplacement et comportements, nous avons analysé les pratiques modales des répondants en fonction des temps et des durées. Cette analyse est proposée dans les Tableaux 6 et 7, qui présentent les pratiques modales respectivement en fonction des temps de déplacement et en fonction des durées.

5. Temps de déplacement et pratiques modales

En ce qui concerne la comparaison des durées, le Tableau 7 laisse apparaître une association plus marquée et symétrique entre les durées et les pratiques modales à Grenoble, Genève et Lausanne. Il permet d’observer qu’à Berne, en revanche, le transport public est utilisé par une part appréciable d’usagers qui perçoivent pourtant l’utilisation de l’automobile comme plus rapide (34 %).

L’observation de biais de perception des temps de déplacement, leur interprétation et leur lien avec les représentations de l’automobile et du transport public ne nous renseigne pas directement sur l’importance de la comparaison des temps dans les pratiques modales.

En ce qui concerne la comparaison des temps, le Tableau 6 montre que dans toutes les agglomérations la part modale du transport public augmente lorsque ce dernier passe de moins rapide que l’automobile à aussi rapide que l’automobile et plus rapide que l’automobile. Cette relation n’est cependant pas symétrique pour les deux modes de transport. Lorsque l’automobile est effectivement plus rapide, elle est généralement utilisée dans les quatre agglomérations étudiées (quoique cette tendance soit moins nette à Berne). En revanche, lorsque le transport public est effectivement plus rapide, il est utilisé dans à peine un peu moins de 50 % des cas à Genève, Grenoble et Lausanne, tandis qu’à Berne plus de 80 % des répondants l’utilisent.

Tableau 7 Durées perçues et pratiques modales Parts modales ( %) quand

Grenoble, Genève, Lausanne Automobile Transport public Total Berne Automobile Transport public Total .

n = 901

n = 351

le transport public est perçu comme plus rapide

les durées sont perçues comparables

l’automobile est perçue comme plus rapide

6 % des cas 11 89 100 7 % des cas 5 95 100

9 % des cas 48 52 100 13 % des cas 18 82 100

85 % des cas 86 14 100 80 % des cas 66 34 100

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Tableau 8 Part modale de l’automobile en fonction des conditions de stationnement sur le lieu de travail Part modale de l’automobile ( %) quand

Grenoble Genève Lausanne Berne Personnes interrogées .

le stationnement est assuré sur le lieu de travail

le stationnement n’est pas assuré sur le lieu de travail

94 (55 %) 93 (37 %) 94 (46 %) 95 (32 %) 502

54 (45 %) 36 (63 %) 35 (54 %) 13 (68 %) 750

Les Tableaux 6 et 7 montrent que la relation entre temps et pratiques modales est plus forte avec les durées qu’avec les temps4. Dans les deux cas, elle est asymétrique dans certaines agglomérations étudiées. Ces observations suggèrent que d’autres variables agissent en sous-main sur l’association entre temps de déplacement et pratiques modales. Pour le tester, nous avons examiné la structure des associations entre les pratiques modales et la catégorie socioprofessionnelle, le sexe, l’agglomération, les conditions de stationnement sur le lieu de travail, les temps de déplacement comparés et les durées comparées. Il en ressort que les pratiques modales des usagers ne sont pas associées à la comparaison des temps de déplacement en automobile et en transport public, si l’on trie cette variable par la durée comparée de déplacement en automobile ou en transport public. Ce résultat montre que lorsqu’un usager perçoit une durée de déplacement supérieure par un mode de transport, cette perception influence ses pratiques modales indépendamment des temps de déplacement. On peut en déduire que dans le choix modal, la durée du déplacement est une variable plus importante que le temps du déplacement. En revanche, ces usages sont fortement associés aux conditions de stationnement sur le lieu de travail et ceci indépendamment des temps comparés de déplacement. Par ailleurs, les pratiques modales ne sont pas significativement associées au sexe. Enfin, la catégorie socioprofessionnelle n’a pas d’impact significatif sur les pratiques modales des répondants5. Comme d’autres études l’ont montré (Apel & Lehmbrock, 1990), (SET, 1991), les conditions de stationnement à destination sont concrètement le facteur explicatif principal. L’examen de la part modale de l’automobile en fonction des conditions de stationnement l’illustre parfaitement (Tableau 8). La disponibilité d’un stationnement assuré sur son lieu de travail (c’est-à-dire une place réservée et/ou en parking d’entreprise, gratuite ou payante) entraîne neuf fois 4

Le coefficient Gamma est de – 0,41 pour les temps comparés de déplacement. Il est de – 0,52 pour les durées perçues comparées. 5 En ce qui concerne ce dernier aspect, qui peut étonner a priori, il est important de rappeler que toutes les personnes interviewées disposent personnellement d’une automobile. C’est ce qui explique l’absence de différenciation dans les pratiques modales selon la catégorie socioprofessionnelle.

sur dix l’usage de l’automobile pour aller travailler. En revanche, la part modale de l’automobile chez les personnes ne disposant pas d’un tel stationnement diffère selon l’agglomération. À ce niveau, un clivage entre Grenoble, les deux agglomérations suisses romandes et Berne est à nouveau mis à jour, reflétant la difficulté de trouver à stationner sur voirie dans chacune de ces villes, compte tenu de la localisation des lieux de travail (parquer sur rue en périphérie d’agglomération ne pose généralement pas de problème particulier) et de la politique de contrôle du stationnement (Cullinane et Polak, 1992). À Grenoble en particulier, la part modale très importante de l’automobile parmi les usagers ne disposant pas de place de parking sur leur lieu de travail reflète l’absence de politique du stationnement dissuasive pour les déplacements automobiles pendulaires. Cette absence est attestée par la part modale très importante de l’automobile (54 %), lorsque le stationnement n’est pas assuré (Tableau 8). Les parts des populations disposant ou non d’un stationnement sur le lieu de travail sont données entre parenthèses La disponibilité d’un stationnement sur le lieu de travail varie assez fortement selon l’agglomération : si 55 % des répondants grenoblois et 46 % des répondants lausannois en disposent, seuls 37 % des répondants genevois et 32 % des répondants bernois se trouvent dans la même situation. Ces contrastes s’expliquent largement par la localisation des lieux de travail dans ces agglomérations, Genève et surtout Berne se caractérisant pas une forte mono-centralité spatiale des emplois dans la ville-centre, au contraire de Lausanne et Grenoble, agglomérations marquées par une dissémination des emplois en périphérie. Ces structures spatiales sont en particulier le reflet des différences dans les politiques d’aménagement du territoire menées depuis les années 1960 dans ces agglomérations : pour les premières, il s’agissait de maintenir une ville compacte, pour les secondes de développer l’urbanisation autour des infrastructures routières. Les conditions de stationnement sur le lieu de travail sont liées à la catégorie socioprofessionnelle, puisque les dirigeants qui travaillent dans la ville-centre disposent d’un stationnement assuré dans de plus fortes proportions que les répondants des autres catégories socio-professionnelles. La relation qu’on pourrait supposer entre catégorie socioprofessionnelle et pratiques modales est masquée par la relation

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Tableau 9 Part modale de l’automobile en fonction des temps de déplacement comparés et des conditions de stationnement sur le lieu de travail Part modale de l’automobile (%) quand le stationnement est assuré sur le lieu de travail Automobile plus rapide Temps comparables ou transport public plus rapide Personnes interrogées .

94 % 95 % 502

plus générale entre parking à disposition sur le lieu de travail et pratiques modales. Les conditions différenciées de stationnement auxquelles sont confrontés les répondants sont, en revanche, à l’origine d’une large part des différences de pratique modale constatées entre les agglomérations étudiées pour le motif travail. Ceci explique aussi pourquoi, à Berne, les répondants ont moins tendance à utiliser l’automobile, même lorsque celle-ci est plus rapide que le transport public (voir Tableau 6). Dans cette agglomération, l’usage de la voiture est souvent impossible pour qui ne dispose pas d’un stationnement réservé à proximité de son lieu de travail, ceci indépendamment des temps comparés de déplacement entre l’automobile et le transport public. Si l’impact du stationnement sur les pratiques modales est un fait connu, en revanche la démonstration que cette variable prime sur la comparaison des temps de déplacement dans l’explication des pratiques modales est inédite. On aurait pu imaginer que l’impact du stationnement sur les pratiques modales était lié au temps gagné, le fait de n’avoir pas à chercher une place de stationnement rendant souvent l’automobile plus rapide que le transport public. Or il n’en est rien : lorsqu’ils disposent d’un stationnement assuré sur leur lieu de travail, les répondants utilisent l’automobile, qu’elle soit ou non plus rapide que le transport public (Tableau 9). Finalement, au terme de ces investigations, nous nous trouvons face à un paradoxe : nombreux sont les usagers qui minimisent effectivement leurs temps de déplacement domicile–travail, mais assez rares sont ceux qui ont choisi leur mode de transport essentiellement en fonction de ce critère. Ce paradoxe résulte du fait que les personnes pour qui l’usage du transport public est plus rapide que celui de l’automobile sont peu nombreuses (entre 9 et 13 %). Il est intéressant, car il met le doigt sur la nécessité de ne pas confondre la description et l’explication des pratiques modales : même s’il est généralement plus lent que l’automobile, ce n’est pas forcément pour cette raison que le transport public n’est pas utilisé. Indépendamment de la comparaison des temps de déplacement, lorsque l’on peut utiliser l’automobile pour aller travailler, on le fait. Comme l’a montré l’analyse des représentations sociales de l’automobile et du transport public, les répondants préfèrent a priori l’automobile au transport public pour les caractéristiques de la mobilité qu’elle permet.

Ensemble le stationnement n’est pas assuré sur le lieu de travail 38 % 15 % 750

74 % 26 % 1 252

6. La vitesse du temps comme fonction de ses qualités L’ensemble des résultats présentés montre que des temps de déplacement compétitifs sont une condition nécessaire, mais non suffisante, pour entraîner l’usage du transport public pour les déplacements domicile-travail. En dernière analyse, ces résultats mettent en relief deux aspects. Premièrement, l’existence d’une prédisposition culturelle à l’usage de l’automobile, indépendante de la comparaison des temps de déplacement. De par ses caractéristiques intrinsèques, la mobilité offerte par l’automobile se différencie en effet de celle offerte par les systèmes de transport public : l’automobile permet une continuité du déplacement là où le transport public urbain propose par définition des discontinuités. De même, l’automobile propose un déplacement dans un espace privé là où le transport public propose un déplacement dans un espace public. Les biais de perception des temps de déplacement découlant de cette prédisposition montrent que l’usage de l’automobile n’est pas équivalent à l’usage du transport public. Concrètement cette situation se traduit par le fait que l’automobile est utilisée pour aller travailler, chaque fois que cela est jugé possible, indépendamment de la comparaison des temps de déplacement. Les résultats ont aussi montré que ce sont souvent les conditions de stationnement qui déterminent si cet usage est possible ou pas. Deuxièmement, les analyses ont montré que qualité du temps et perception de la vitesse à laquelle il passe (sa durée) sont liés. D’autres travaux que nous avons menés (Kaufmann et al., 2000) ont permis de mettre en évidence que, lorsque le temps de déplacement autorise ou implique une activité — conduire, lire, téléphoner, etc. —, il est représenté comme libre et passe vite (et pourquoi pas trop vite, même, parfois ?) ; lorsqu’il n’autorise pas de telles activités, il est représenté comme une longue attente et passe lentement. Ce temps-là, qui est souvent l’apanage du transport public, sera toujours trop long, même s’il ne dure que quelques minutes. Avec ce résultat, nous rejoignons les analyses de Ascher (2001), Montulet (1998) ou Urry (2000), qui montrent que se déplacer est de plus en plus souvent une dimension structurante de la vie quotidienne, autour de laquelle s’organisent des activités au gré des opportunités rencontrées. Dans cette optique, gagner du temps ne signifie pas forcément aller le plus vite possible, mais utiliser son

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temps de déplacement, soit en tirant parti des proximités spatiales offertes par le trajet (pour faire un achat, boire un café, etc.), soit en tirant parti du trajet lui-même (pour lire, téléphoner, manger, réfléchir, etc.). Ainsi, la population enquêtée a tendance à s’approprier les systèmes de transport urbain en se détournant d’une stricte confrontation des temps de déplacement, même si nous avons relevé une congruence entre la minimisation des temps de déplacement et les pratiques modales. Cette congruence est liée au fait que l’automobile est généralement plus rapide que le transport public et que cette rapidité converge avec la plus grande flexibilité et la meilleure ergonomie du temps qu’elle offre à ses usagers par rapport au transport public urbain. Il est nécessaire de se défaire d’a priori concernant l’impact du temps sur les pratiques modales. Il ne s’agit bien sûr pas de nier des évidences : la comparaison des temps de déplacements est un critère de choix modal, mais un critère qui prend sens par rapport à la forme et au contenu de ce temps. Si la majorité des répondants préfère utiliser l’automobile plutôt que le transport public, c’est autant pour la continuité et la qualité du temps procurés par ce moyen de transport que pour sa vitesse. Est-ce pourtant une fatalité ?

Remerciements L’auteur tient à remercier Y. Delacrétaz, M. Flamm et F. Potier de leurs conseils et suggestions pour la réalisation du présent article.

Abridged version

1. Introduction This paper considers the rationality of travel practices with regard to journey times. In the area of transportation it is frequently assumed, implicitly or explicitly, to be an obvious fact that users behave in a rational manner with regard to travel time. In everyday language this can be stated by the formula Quickest is best. Implicit in this type of reasoning is the idea that journey times are gaps which the user always seeks to minimize. For several decades now the authorities of many European cities have been attempting to contain the growth in urban motorized traffic (a growth which has taken place not only in absolute terms but also in terms of modal share) by improving the performance of the public transport system. The idea behind these improvements is frequently to make public transport competitive with the car in terms of travel time. However, from experience we know that when new

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public transport services are provided there is little transfer to them from the car. Taking these ideas as our starting point, the paper considers user rationality in the context of the comparison between the journey times provided by different transport modes. Our research question can be stated thus: to what extent are modal choices determined by a qualitative rather than a quantitative comparison between travel times?

2. Methodology To attempt to answer our research question we shall use data obtained from research into the rationality of modal choice in the conurbations of Grenoble, Geneva, Lausanne and Berne. This data was provided by a survey of 2,000 working persons (500 from each conurbation) who had public transport available at less than 500 metres from their home and a private car. Telephone interviews were conducted of a representative sample of car-owning members of the working population, with quotas set for gender, age class and socio-occupational group. In addition, for each conurbation the distribution between city centre and suburban residential locations was respected. These quotas were based on the 1989 minitransportation survey in the case of the Swiss cities and the 1992 household survey for Grenoble.

3. The perception of travel times To answer the research question, the actual times and perceived times taken for home-to-work trips were compared. We have assumed that an overestimated journey time indicates poor quality time, and an underestimated journey time indicates time that was enjoyable. Comparison between perceived duration and real journey times reveals considerable perceptive distortion. Journey times by car are greatly underestimated while journey times by public transport are overestimated, again to a considerable degree (Fig. 1. Perceptive distortion with regard to journey times by car and by public transport). This distortion means that some respondents thought that public transport is slower than the car when the actual travel times are similar, or even shorter by public transport. This applied to 33% of respondents Adjective analysis shows that during a public transport trip time passes slowly (while in a car it passes quickly). Such analysis also suggests that public transport travel times appear longer under unpleasant travel conditions (when buses and trams are packed) and when the need to change buses or trams complicates the journey. The reputed slowness of public transport is therefore not just a question

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of the amount of time, it is also a question of how time is experienced.

function of comparative travel times and parking facilities at the workplace).

4. Travel times and modal choice

5. The speed time passes depends on its qualities

We have analyzed the modal choices of respondents with reference to actual and perceived travel times in order to investigate the links between travel times and behaviours. For real travel times, Table 6 (Actual travel times and modal choice1) shows that when the car is actually quicker it is generally used in the four surveyed cities, although this tendency is less marked in Berne. However, when public transport is actually quicker, it is only used in 50% of cases in Grenoble, Geneva and Lausanne, but by more than 80% of respondents in Berne. For perceived durations, Table 7 (Estimated travel times and modal choice) shows that there is a clear and symmetrical association between journey durations and modal choice in Grenoble, Geneva and Lausanne. In Berne, in contrast, we see that public transport is used by a significant percentage (34%) even of those users who perceive the car as quicker. These observations suggest that other variables influence the association between actual and perceived travel times and modal choice. To investigate this we have examined the statistical association between modal choice and actual and perceived travel times, while controlling for a number of social position variables (socio-occupational group, sex) and the availability of parking facilities at the workplace. We detected no significant association between use of the car or public transport for home-to-work trips and the difference between real and perceived journey times once we controlled for parking facilities at the worksite. As other studies have already shown, parking facilities at the destination are, for car owners, the most important explanatory factor of modal choice for home-to-work trips. Although the impact of parking availability on modal choice has already been established, what is new is the demonstration that it is a more important factor explanatory factor for modal choice than a journey time comparison. The impact of parking on modal choice might have been thought to be due to time savings because not having to look for a parking space makes the car quicker than public transport. However, this is not the case: when they are certain to have a parking space at work respondents use their car irrespective of whether or not it is quicker than public transport (Table 9 The car’s modal share as a

The results contained in this paper show that competitive travel times are a necessary but not a sufficient condition for public transport use in the context of home–to-work trips. Ultimately, two points emerge from our findings. First, the existence of a cultural predisposition to car use which is independent of journey times. Its intrinsic characteristics mean that the type of travel offered by the car differs from that provided by public transport: the car offers continuity of travel, while public transport, by definition, involves discontinuities. Also, the car provides travel in a private space, while public transport, again by definition, takes place in a public space. The distorted perception of journey times which stems from this predisposition shows that car and public transport use are not equivalent. The practical consequence of this is that the car is used to go to work whenever it is thought possible, independently of any comparison between journey times. The results have therefore shown that it is frequently the availability of parking which determines whether the car is used or not. Second, the fact that time spent travelling is unpleasant when it is just seen as a gap between activities that the user cannot put to use. Our analyses have shown that the quality of time and the perception of the speed that time passes are closely linked: when the time spent travelling permits or involves an activity — driving, reading, making telephone calls, etc. — it is represented as free and passes quickly (and why not too quickly sometimes?); when no activity is possible it is represented as a long period of waiting and passes slowly. Time spent on public transport is frequently like this, and will always seem too long even if it only lasts a few minutes. This finding agrees with those of Ascher (2001), Montulet (1998) and Urry (2000), who have shown that travel is becoming an increasingly significant aspect of daily life around which activities are organized according to the available opportunities. From this perspective, saving time does not necessarily involve travelling as fast as possible but using the time spent travelling, either by taking advantage of the opportunities available adjacent to the route (to make a purchase, have a coffee, etc.) or by making use of the journey itself (in order to read, make telephone calls, think, etc.). Thus, when the surveyed population adopts an urban transport systems they tend to avoid a straightforward comparison between journey times, even though we have observed an association between the minimization of journey times and modal choice. This link is related to the fact that the car is generally quicker than public transport, and

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Our analysis dealt only with car or public transport users and ignored other modes. Furthermore, for the sake of concision, we have not conducted separate analyses for the three French-speaking cities (Grenoble, Geneva and Lausanne), as virtually the same trends are replicated in each.

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this rapidity is combined with greater flexibility and better quality time than are provided by public transport. Without denying the obvious — the comparison between travel times is also a criterion for modal choice — we need to free ourselves from the assumption concerning the impact of time on modal choice, as the time criterion only takes on meaning in relation to the form and content of the time. While the majority of respondents prefer the car to public transport it is as much because of the continuity and the quality of the time they experience in this mode as because of its speed. However, is this state of affairs inevitable?

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