Travail en horaires décalés sur plateforme aéroportuaire pour les personnels au sol

Travail en horaires décalés sur plateforme aéroportuaire pour les personnels au sol

ADMP-1110; No of Pages 10 Rec¸u le : 24 mai 2016 Accepte´ le : 31 juillet 2016 Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com Arti...

255KB Sizes 0 Downloads 58 Views

ADMP-1110; No of Pages 10

Rec¸u le : 24 mai 2016 Accepte´ le : 31 juillet 2016

Disponible en ligne sur

ScienceDirect www.sciencedirect.com



Article original

Travail en horaires de´cale´s sur plateforme ae´roportuaire pour les personnels au sol Effects of shifts in work hours for airport ground staff S. Bellier, M. Briet, S. Chaix, J. Colin, R. Collet, P. Fau-Prudhomot*, C. Monel, S. Picou, B. Robineau, C. Rolland, M.-L. Sanchez-Bre´chot Association interprofessionnelle des centres me´dicaux et sociaux de sante´ au travail de la re´gion ˆIle-de-France, comite´ d’e´tudes e´pide´miologiques, ACMS, 55, rue Rouget-de-Lisle, 92158 Suresnes cedex, France

Summary Purpose. Shifts in work hours concern a large proportion of the ground staff at Orly Airport. Numerous employees request the occupational medicine services to adjust working hours. The objective is to describe work hour shifts, the effect on health and security, and possible psychosocial side effects. We also aim to compare regular, and irregular, shifts in work hours. Method. The cross-sectional study was carried out using a standardized anonymous list of questions answered by employees during an occupational medicine visit. Results. From January to September 2014, 203 valid questionnaires were examined. The majority of the sample was masculine (63%), with average age of 36.5 years. Two-third worked on irregular work hour shifts. They were employed as follows: security (81.6%), stopover (70%), food service (65.2%), runway logistics (58.1%). One-third of the respondents reported sleep problems (32.8%), about 40% felt stressed due to their work (38.5%), and two-third stated there was negative impact on the organization of their family life (66.1%). Around 15% declared frequent napping during work hours, and two-third mentioned increased risk for workplace accidents. The multivariate analysis found as risk factors: sleeplessness, irregular work hour shifts (OR 1.4), weekend and/or holiday work (OR 8.2), age over 30 (OR 1.6), difficulty in arranging work hours with coworkers (OR 1.8). For the impact on family organization, irregular work hour shifts (OR 2.1) and weekend and/or holiday work (OR 4.8) again emerged as factors, as well as the presence of children in the household (OR 3.6) and the unpredictability of the work schedule (OR 2.3).

Re´sume´ Les horaires de´cale´s concernent environ 60 % des personnels travaillant « au sol » sur la plateforme ae´roportuaire d’Orly. Nombreux sont les salarie´s demandant des ame´nagements d’horaires par intercession du me´decin du travail. Objectifs. De´crire les horaires de´cale´s de travail, leurs effets sur la sante´, la se´curite´, le retentissement psychosocial. Comparer « horaires de´cale´s re´guliers » (HDR) et « horaires de´cale´s irre´guliers » (HDI). Me´thode. Enqueˆte descriptive transversale par auto-questionnaire anonyme standardise´ renseigne´ par le salarie´ au centre me´dical. Re´sultats. Entre janvier et septembre 2014, 203 questionnaires valides ont e´te´ analyse´s. L’e´chantillon e´tait majoritairement masculin (63 %), avec une moyenne d’aˆge de 36,5 ans. Deux tiers travaillaient en HDI. Les activite´s professionnelles se re´partissaient de la manie`re suivante : suˆrete´ (81,6 %), escale (70 %), restauration (65,2 %), logistique piste (58,1 %). Un tiers des re´pondants rapportait des troubles du sommeil (32,8 %), pre`s de 40 % s’estimaient stresse´s du fait de leur travail (38,5 %) et deux tiers te´moignaient d’un impact ne´gatif sur l’organisation familiale (66,1 %). Pre`s de 15 % de´claraient des assoupissements fre´quents pendant le travail et deux tiers e´voquaient un risque accru d’accident du travail. L’analyse multivarie´e retrouvait, comme facteurs de risque des troubles du sommeil, le travail en HDI (OR 1,4) et le week-end et/ou les jours fe´rie´s (OR 8,2), l’aˆge supe´rieur a` 30 ans (OR 1,6), les difficulte´s d’arrangements de planning avec les colle`gues (OR 1,8). Pour l’impact sur l’organisation familiale, ressortaient a` nouveau le travail en HDI (OR 2,1) et le week-end et/ou les jours fe´rie´s (OR 4,8), mais

* Auteur correspondant. e-mail : [email protected] (P. Fau-Prudhomot). http://dx.doi.org/10.1016/j.admp.2016.07.002 Archives des Maladies Professionnelles et de l’Environnement 2016;xxx:1-10 1775-8785X/ß 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s.

1

ADMP-1110; No of Pages 10

S. Bellier et al.

Archives des Maladies Professionnelles et de l’Environnement 2016;xxx:1-10

Conclusion. The health consequences of shifts in working hours are multiple, amplified by the negative effects of irregular scheduling. ß 2016 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Keywords: Shift work, Occupational, Airports, Work, Psychosocial

aussi la pre´sence d’enfants au foyer (OR 3,6) et l’impre´visibilite´ du planning de travail (OR 2,3). Discussion. Malgre´ une puissance statistique modeste, cette e´tude permet de documenter les liens entre horaires de´cale´s de travail, retentissement sur la sante´ et impact psychosocial. Conclusion. Les re´percussions des horaires de travail de´cale´s sont multiples. La variante « irre´gulie`re » en majore les effets ne´fastes. ß 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s. Mots cle´s : Travail en horaire de´cale´, Sante´ au travail, Ae´roport

Introduction L’e´quipe du secteur ACMS d’Orly assure pour la plateforme ae´roportuaire la surveillance me´dicale d’une collectivite´ d’environ 6000 salarie´s dont une grande partie (pre`s de 60 %) travaille en dehors d’un horaire fixe. Parmi eux, certains sont en horaires de´cale´s pouvant eˆtre qualifie´s de « re´guliers », les horaires n’e´tant pas toujours les meˆmes mais le roulement e´tant re´gulier (par exemple 2  8, 3  8, etc.). D’autres, au contraire, ont des horaires « irre´guliers », variant par cycle mais de manie`re non de´finie (de´but du poste parfois le matin tre`s toˆt, parfois dans la journe´e, parfois le soir, parfois pendant la nuit, . . .). Nombreux sont les salarie´s qui demandent des ame´nagements horaires par intercession du me´decin du travail. A` la diffe´rence d’une litte´rature ple´thorique portant sur le travail de nuit et le travail poste´, la comparaison entre modalite´s d’horaires de´cale´s est peu documente´e. Elle repre´sente ne´anmoins une base de priorisation des actions. Il nous semblait donc important de de´crire et analyser les situations de travail en horaires de´cale´s et leurs impacts, afin de pouvoir essayer de proposer des pistes d’ame´lioration dans l’inte´reˆt des entreprises et de leurs salarie´s.

Objectifs Les objectifs e´taient de donner un aperc¸u de la re´alite´ des horaires de´cale´s de travail et de leur organisation sur plateforme ae´roportuaire, de prendre en compte leurs effets sur la sante´, la se´curite´, leur retentissement psychosocial ; d’effectuer la comparaison entre les cate´gories « horaires de´cale´s re´guliers » (HDR) et « horaires de´cale´s irre´guliers » (HDI).

Mate´riel et me´thodes Il s’agit d’une enqueˆte descriptive transversale par autoquestionnaire anonyme standardise´ renseigne´ par le salarie´ au centre me´dical, quel que soit le motif de consultation. Outre des parame`tres descriptifs sur les caracte´ristiques personnelles, professionnelles et de sante´, le questionnaire explorait plus spe´cifiquement les modalite´s d’organisation

2

du temps de travail, le retentissement psychosocial ainsi que celui sur le travail. Pour e´valuer la notion d’assoupissement, nous avons choisi de ne pas utiliser l’e´chelle d’Epworth car nous souhaitions circonscrire uniquement le contexte professionnel. En pratique, le questionnaire comple´te´ e´tait de´pose´ par le salarie´ lui-meˆme dans une urne situe´e en salle d’attente. Les donne´es ont e´te´ saisies sur tableur ExcelW et analyse´es avec le logiciel de traitement statistique SPSSW. Des recodages binaires (« jamais–parfois » vs « souvent–tre`s souvent ») ont e´te´ effectue´s pour les questions pre´sentant une e´chelle de Likert. Nous avons proce´de´ a` une analyse uni-varie´e avec utilisation du test du Chi2 de Pearson et analyse de variance en retenant, de fac¸on classique, un crite`re de significativite´ a` 5 % pour les tests statistiques. Nous avons ne´anmoins de´cide´ de mentionner les re´sultats assortis d’un p compris entre 0,05 et 0,10 pour les parame`tres dont la nature est conside´re´e comme the´matiquement pertinente par rapport au croisement teste´, et ceci pour tenir compte du manque de puissance. Pour l’analyse multivarie´e, nous avons conduit trois re´gressions logistiques binaires par la me´thode pas a` pas descendante, en retenant les variables potentiellement explicatives issues de l’analyse uni-varie´e et en conservant celles pertinentes au regard du the`me jusqu’a` une significativite´ des tests e´gale a` 20 % dans l’analyse uni-varie´e. N’ont naturellement pas e´te´ introduits dans la re´gression les parame`tres pouvant eˆtre des conse´quences de la variable de´pendante. Pre´requis et crite`res d’exclusion : e´tait exclue du champ de l’e´tude toute personne travaillant en horaires fixes, ceux-ci e´tant de´finis par un de´but et une fin de poste variant de moins d’une heure. Ne rentraient donc pas dans l’e´tude les salarie´s ayant un horaire de nuit fixe. Par ailleurs, les inte´rimaires, les salarie´s dont l’embauche datait de moins de 6 mois, et les personnels navigants n’e´taient pas inclus dans l’e´tude.

Re´sultats Entre janvier et septembre 2014, 203 questionnaires valides ont e´te´ collige´s et saisis. Nous n’avons enregistre´ que trois refus de participation.

ADMP-1110; No of Pages 10

Travail en horaires de´cale´s sur plateforme ae´roportuaire

Pre´sentation ge´ne´rale

Sante´

Deux tiers de l’e´chantillon travaillaient en HDI. Les salarie´s e´taient interroge´s a` l’occasion d’une visite syste´matique pour 60,1 % d’entre eux, d’une visite a` la demande de l’employeur pour 16,3 %, d’une visite d’embauche pour 14,3 %, visite de reprise 4,9 %, a` la demande du salarie´ ou du me´decin dans une proportion e´quivalente (2,0 % vs 2,5 %). L’e´chantillon e´tait tre`s largement masculin, 63 % d’hommes et 37 % de femmes, d’une moyenne d’aˆge de 36 ans et demi (me´diane 35, e´cart-type 10,1). La presque totalite´ travaillait souvent ou tre`s souvent le weekend et les jours fe´rie´s (92 %). Plus de la moitie´ vivait en couple (58,1 %), et pre`s d’un tiers seul (34,5 %). La moitie´ des salarie´s interroge´s n’avait pas (ou plus) d’enfants au foyer (49,8 %), que ce soit en permanence ou en garde alterne´e. Pre`s des trois quarts des salarie´s n’avaient pas plus d’une heure de trajet quotidien (aller et retour). La tre`s grande majorite´ utilisait un ve´hicule personnel (87,6 %), dont 3 % un ve´hicule 2 roues. Un peu plus de 10 % de´clarait modifier parfois leur mode de transport selon leurs horaires. Plus des 4/5 (85,6 %) des salarie´s de l’e´chantillon e´taient en CDI dont 10 % en temps partiel. La re´partition par cate´gorie socioprofessionnelle e´tait la suivante : plus de 60 % d’employe´s (62,3 %), 20,6 % d’agents de maıˆtrise ou techniciens, 15,1 % d’ouvriers et 2 % de cadres. Concernant les secteurs d’activite´, on retrouvait environ un tiers d’agents logistique piste (32,5 %), un quart d’agents d’escale (26,2 %), 20 % d’employe´s de suˆrete´ (19,9 %), et 12 % de personnels de restauration. Dix-huit salarie´s ne rentraient dans aucun des secteurs d’activite´ pre´de´finis dans le questionnaire et travaillaient majoritairement dans le secteur des transports, soit comme chauffeurs de bus (sur piste ou non), soit comme loueurs de ve´hicules.

Le nombre me´dian d’heures de sommeil par cycle de 24 heures e´tait e´gal a` 6 (moyenne 6,5, e´cart-type 1,3, minimum 3, maximum 12). La majorite´ des re´ponses entourait les valeurs 6 et 7 heures (respectivement 32,8 % et 27,7 %). Ces heures de sommeil s’effectuaient en une fois pour 56,6 % des re´pondants et en plusieurs fois (« nuit + sieste ») pour 43,4 %. Sur l’ensemble de l’e´chantillon, 32 personnes (16 %) de´claraient dormir souvent ou tre`s souvent plus de 10 heures de suite lors d’un jour de repos. Pre`s d’un salarie´ sur 3 (32,8 %) disait avoir souvent ou tre`s souvent des troubles du sommeil et 4,5 % prendre souvent ou tre`s souvent des « me´dicaments pour dormir ». Parmi l’ensemble des personnes prenant des me´dicaments pour dormir, quelle qu’en soit la fre´quence, un sur cinq (21,4 %) le rapportait a` leurs horaires de travail. Pre`s des trois quarts (72 %) de´claraient que leurs horaires de travail modifiaient souvent ou tre`s souvent la dure´e de leur sommeil. Un salarie´ sur deux (53,4 %) se trouvait plus irritable a` cause de ses horaires de travail. En raison de ces meˆmes horaires, un sur 10 (9,3 %) disait avoir recours a` un « traitement contre l’anxie´te´ ou la de´pression », pre`s d’un tiers (30,9 %) estimait avoir augmente´ leur consommation de substances psychoactives, 85,1 % ne pouvaient pas prendre de repas e´quilibre´s et varie´s de fac¸on re´gulie`re, plus de la moitie´ grignotait souvent ou tre`s souvent (56,2 %). Depuis le de´but de leur activite´ sur la plateforme ae´roportuaire, 45,8 % des salarie´s estimaient avoir pris du poids, 16,7 % en avoir perdu, 37,5 % avoir un poids stable. Plus de 40 % (40,8 %) signalaient des troubles digestifs, 12,4 % une hypertension arte´rielle, 5,3 % un diabe`te, et 3,5 % une affection cardiaque. Pre`s d’un tiers (30,6 %) rapportait des troubles de la vigilance.

Organisation du temps de travail L’anciennete´ me´diane dans l’activite´ ae´roportuaire e´tait e´gale a` 7 ans (moyenne 8,9 ans, e´cart-type 7,6, minimum infe´rieur a` un an, maximum 40). La tre`s grande majorite´ des personnels interroge´s avait un planning de´roulant pre´visible de jours travaille´s (89,5 %). En ce qui concerne les horaires de ces jours travaille´s, pre`s de la moitie´ de´clarait un planning pre´visible moins d’une semaine a` l’avance (49,5 %). Peu de salarie´s disaient pouvoir demander souvent ou tre`s souvent a` leur employeur des changements de planning (16,3 %). Les possibilite´s « d’arrangement » avec les colle`gues e´taient plus fre´quentes (23,4 %). Le changement de planning au « dernier moment » e´tait releve´ dans pre`s d’un quart des situations (24,4 %). Ces modifications tardives e´taient perc¸ues comme fortement contraignantes par 38,5 %, et non contraignantes par 34 %.

Retentissement psychosocial L’organisation familiale e´tait impacte´e par les horaires de´cale´s (ensemble HDR et HDI) dans environ deux tiers des cas (66,1 % des salarie´s). Cet impact e´tait juge´ comme ne´gatif par la tre`s grande majorite´ des salarie´s (89,4 %). Les horaires de´cale´s influenc¸aient la vie de couple pour 43,2 % des re´pondants contre 33,7 % qui estimaient ne pas eˆtre impacte´s. Parmi les personnes estimant que les horaires avaient un impact sur leur vie de couple, 90,4 % le vivaient de fac¸on ne´gative. Pour les personnes qui n’e´taient pas en couple, pre`s de la moitie´ (45,6 %) estimait que leurs horaires de´cale´s constituaient l’origine principale de cette situation. Plus d’une personne interroge´e sur deux (56,6 %) estimait que leurs horaires de travail ne leur permettaient plus de poursuivre leurs activite´s extra-professionnelles.

3

ADMP-1110; No of Pages 10

S. Bellier et al.

Archives des Maladies Professionnelles et de l’Environnement 2016;xxx:1-10

Les horaires de´cale´s e´taient bien accepte´s par les proches pour 58,2 % des personnes ayant re´pondu au questionnaire.

Retentissement sur le travail Les salarie´s de la plateforme ae´roportuaire ayant re´pondu au questionnaire ont pre´cise´ avoir rarement (« jamais ou parfois ») ve´cu des assoupissements sur leur lieu de travail pour 85,2 % d’entre eux. Les autres (14,8 %) de´claraient s’assoupir souvent ou tre`s souvent. Pre`s d’un salarie´ sur six (15,8 %) pensait que les horaires irre´guliers pouvaient favoriser les erreurs (« souvent ou tre`s souvent »). Les salarie´s interroge´s estimaient pour deux tiers d’entre eux (66,8 %) que leurs horaires de travail pouvaient augmenter le risque d’accident de travail. Sur une e´chelle de 0 a` 10, le niveau de stress lie´ au travail e´tait estime´, en moyenne, a` 4,7 (me´diane 5, e´cart-type 2,7). En retenant une limite supe´rieure ou e´gale a` 6, le pourcentage de salarie´s s’estimant stresse´s du fait de leur travail au moment de l’enqueˆte e´tait e´gal a` 38,5 %. Les trois quarts des participants (76 %) jugeaient que ce stress e´tait lie´ a` leurs horaires de travail, 22,3 % l’ayant estime´ « tout a` fait lie´ » et 53,6 % « lie´ en partie seulement ». Dans l’hypothe`se ou` l’employeur aurait propose´ aux salarie´s de changer leurs horaires irre´guliers pour des horaires fixes de journe´e, 5 jours par semaine, sans travail le week-end, une proportion identique (50 %) y aurait e´te´ favorable ou de´favorable. Les raisons e´voque´es par les salarie´s se re´partissaient comme suit : financie`res 40 % ; familiales 53 % ; lie´es aux transports 21,5 %.

Analyse uni-varie´e Nous avons proce´de´ a` des croisements selon le type d’horaires, horaires de´cale´s re´guliers (HDR) d’une part, et horaires de´cale´s irre´guliers (HDI) d’autre part. Au sein de l’e´chantillon examine´, les femmes e´taient plus souvent en HDI que les hommes (77 % vs 57,9 %, p < 0,01). Les personnels en HDI travaillaient un peu plus souvent les week-ends et jours fe´rie´s que les HDR (95,4 % vs 85,7 %, p < 0,05), e´taient moins souvent en CDI temps plein (70 % vs 88,4 %, p < 0,01). La proportion de salarie´s en HDI-HDR selon leur type d’activite´ professionnelle figure dans le tableau I. Tableau I Re´partition des types d’horaires de´cale´s selon les cate´gories d’activite´ professionnelle. Suˆrete´ Escale Restauration Logistique Piste p HDI (%) 81,6 HDR (%) 18,4 E´cart (%) 63,2

4

70,0 30,0 40,0

65,2 34,8 30,4

58,1 41,9 16,2

0,10

L’anciennete´ moyenne de travail sur l’ae´roport e´tait moindre pour les salarie´s en HDI (8,20 ans vs 10,5 ans, p < 0,05). Les salarie´s en situation d’HDI dormaient plus fre´quemment en plusieurs fois (48 % vs 34,8 %, p = 0,07) et signalaient plus souvent des troubles du sommeil (36,7 % vs 25,7 %, p = 0,1). En revanche, ce sont les salarie´s en HDR qui de´claraient plus souvent la prise de me´dicaments pour dormir (66,7 % vs 33,3 %, p < 0,05). Les salarie´s en HDI se sentaient plus irritables (58,4 % vs 43,9 %, p = 0,06) et estimaient plus souvent avoir augmente´ leur consommation d’alcool, cafe´, tabac ou autres substances psychoactives, a` cause de leurs horaires de travail (34,4 % vs 24,2 %, p = 0,1). E´tait retrouve´ un impact des horaires de´cale´s sur la vie familiale plus fre´quent dans les foyers avec enfants dans les deux cate´gories d’horaires (HDI et HDR), mais a` un niveau plus e´leve´ chez les salarie´s en HDI (80,6 % vs 71,9 %, ns1). Pre`s des trois quarts (74,8 %) des salarie´s travaillant en HDI estimaient que leurs horaires pouvaient augmenter le risque d’accident de travail contre un peu moins de la moitie´ pour ceux en HDR (49,2 %, p < 0,001). Les diffe´rences mentionne´es ci-dessus parmi les re´ponses aux questions selon le type d’horaires de´cale´s figurent dans le tableau II. Nous avons ensuite conside´re´ les donne´es en relation avec les troubles du sommeil rapporte´s, l’e´tat ressenti de stress lie´ au travail, l’impact sur l’organisation familiale.

Troubles du sommeil Nous rappelons ici que les modalite´s de re´ponse a` la question « Avez-vous des troubles du sommeil » ont e´te´ dichotomise´es en « jamais ou parfois » versus « souvent ou tre`s souvent ». Des liens statistiques ont e´te´ e´tablis avec des variables potentiellement explicatives. Ainsi, les troubles du sommeil e´taient plus fre´quemment rapporte´s dans les situations suivantes :  HDI (36,7 % vs 25,7 %, p = 0,10), comme de´ja` note´ plus haut ;  travail le week-end et/ou les jours fe´rie´s (35,2 % vs 6,3 %, p < 0,05) ;  aˆge supe´rieur a` 30 ans (36,9 % vs 26,2 %, p = 0,10) ;  salarie´s ayant peu de possibilite´s de s’arranger avec les colle`gues pour modification de planning (35,8 % vs 23,9 %, p = 0,10) ;  salarie´s ayant estime´ que les modifications de planning repre´sentaient une forte contrainte (41,6 % vs 23,5 %, p < 0,05). Enfin, les troubles du sommeil e´taient fre´quemment en lien significatif (p < 0,05), voire tre`s significatif (p < 0,01), avec les parame`tres de sante´, le retentissement psychosocial et le retentissement sur le travail. 1

ns : diffe´rence non statistiquement significative.

ADMP-1110; No of Pages 10

Travail en horaires de´cale´s sur plateforme ae´roportuaire

Tableau II Re´partition HDR/HDI. Re´partition HDR/HDI en pourcentages pour les variables suivantes

HDR

HDI

p

Femmes CDI temps plein Anciennete´ me´diane sur l’ae´roport Travail week-end et jours fe´rie´s Sommeil en plusieurs fois Troubles du sommeil Prise de me´dicaments pour dormir Irritabilite´ ressentie Augmentation de la consommation d’alcool, cafe´, tabac rapporte´e en lien avec les horaires de travail Impact ne´gatif sur la vie familiale ressenti dans les foyers avec enfants Augmentation estime´e du risque d’accident de travail

57,9 88,4 10,5 ans 85,7 34,8 25,7 66,7 43,9 24,2

77 70 8,2 ans 95,4 48 36,7 33,3 58,4 34,4

< 0,01 < 0,01 < 0,05 < 0,05 0,07 0,1 < 0,05 0,06 0,1

71,9 49,2

80,6 74,8

ns < 0,001

ns : diffe´rence non statistiquement significative.

Parame`tres de sante´

E´tat ressenti de stress lie´ au travail

Les salarie´s rapportant des troubles du sommeil avaient une dure´e moyenne de sommeil plus courte et plus fractionne´e, prenaient plus souvent des me´dicaments pour dormir, se sentaient globalement plus irritables, avaient plus souvent recours a` un traitement anxiolytique ou antide´presseur, de´claraient plus souvent avoir augmente´ leur consommation d’alcool, de cafe´ ou de tabac, ne pas pouvoir prendre des repas e´quilibre´s et varie´s, recourir au grignotage, ne pas avoir un poids stable, souffrir d’hypertension arte´rielle et avoir des troubles de la vigilance.

Les femmes et les seniors de´crivaient plus fre´quemment un e´tat de stress attribue´ au travail (48,5 % chez les femmes vs 38,9 % hommes ; 61,1 % chez les sujets de 50 ans ou plus vs 40,6 % chez les moins de 50 ans) mais a` chaque fois sans atteindre la significativite´ statistique. En revanche, les sujets de moins de 30 ans se de´claraient moins souvent stresse´s que leurs aıˆne´s (30,6 % vs 49,1 %, p < 0,05). S’estimaient plus fre´quemment stresse´es les personnes ayant des enfants vivant avec elles et celles qui ne disposaient de leur planning de travail que moins d’une semaine a` l’avance (resp. 51,1 % vs 34,1 %, p < 0,05 et 58,3 % vs 27,1 %, p < 0,01). Nous n’avons trouve´ aucun gradient dans la relation entre anciennete´ dans le travail sur l’ae´roport et stress ressenti. La proportion de personnes s’e´tant de´clare´es stresse´es e´tait plus de deux fois supe´rieure chez celles ayant rapporte´ avoir souvent ou tre`s souvent des troubles du sommeil (67,8 % vs 30,3 %, p < 0,001). Le rapport e´tait du meˆme ordre de grandeur pour les sujets ayant signale´ prendre des me´dicaments pour dormir a` cause de leur travail (72,2 % vs 39,7 %, p < 0,05).

Retentissement psychosocial Les salarie´s rapportant des troubles du sommeil e´taient plus nombreux a` de´crire un impact ne´gatif des horaires de travail sur leur vie de couple, a` dire que leurs horaires de travail ne leur permettaient pas de continuer une activite´ extra-professionnelle et que leurs horaires e´taient mal accepte´s par leurs proches. Parmi les 90 personnes ne vivant pas en couple, 71,4 % de ceux qui rapportaient des troubles du sommeil pensaient que le fait de ne pas vivre en couple e´tait en lien avec leurs horaires de travail (p < 0,01).

Retentissement sur le travail Les salarie´s rapportant des troubles du sommeil signalaient plus souvent eˆtre sujet a` des assoupissements au travail (21,3 %), pensaient plus fre´quemment que leurs horaires de travail favorisaient des erreurs professionnelles (32,3 %) et pouvaient augmenter le risque d’accidents de travail (82 %), conside´raient plus volontiers que leur e´tat de stress e´tait lie´ a` leurs horaires de travail, en partie (52,5 %) ou en totalite´ (39,3 %). Enfin, ils e´taient plus nombreux que les personnes ne rapportant pas de troubles du sommeil a` signaler qu’ils seraient favorables a` un passage a` des horaires fixes de jour et sans travail le week-end si l’employeur le leur proposait (68,3 % vs 31,7 %, p < 0,01).

Impact des horaires de travail sur l’organisation familiale Le pourcentage de personnes de´clarant que leurs horaires de travail avaient un impact ne´gatif sur l’organisation de la vie familiale e´tait plus e´leve´ pour les salarie´s en HDI que pour ceux en HDR (71 % vs 56,9 %, p = 0,053), chez ceux de plus de 30 ans (71,3 % vs 56,9 %, p < 0,05), ceux travaillant plus souvent le week-end et les jours fe´rie´s (69 % vs 33,3 %, p < 0,01) et chez ceux ayant des enfants au foyer (77,7 % vs 54,7 %, p < 0,01). Cet impact ne´gatif e´tait e´galement plus fre´quemment ressenti chez les salarie´s de l’e´tude ne disposant pas de leur planning au moins un mois a` l’avance (75,5 % vs 61,8 %, p = 0,10) et chez ceux estimant que les modifications de planning « de dernie`re minute » repre´sentaient une forte contrainte (61,9 % vs 32 %, p < 0,01).

5

ADMP-1110; No of Pages 10

S. Bellier et al.

Archives des Maladies Professionnelles et de l’Environnement 2016;xxx:1-10

Tableau III Facteurs en lien avec l’existence de troubles du sommeil. Troubles du sommeil (« souvent : tre`s souvent ») (cate´gorie de re´fe´rence : « jamais/parfois »)

OR

IC 95 %

p

HDI Travail le week-end et/ou les jours fe´rie´s (souvent ou tre`s souvent) Avoir plus de 30 ans Difficulte´s pour « arrangements » de planning avec les colle`gues

1,42 8,22 1,59 1,78

[0,73–2,79] [1,05–64,75] [0,81–3,14] [0,82–3,86]

ns < 0,05 ns ns

ns : diffe´rence non statistiquement significative.

Tableau IV Facteurs en lien avec le fait de se sentir stresse´ au travail. Risque de se sentir actuellement stresse´ en lien avec le travail (la cate´gorie de re´fe´rence est « non stresse´ »)

OR

IC 95 %

p

Sexe fe´minin Avoir 50 ans ou plus Avoir moins de 30 ans Avoir des enfants vivant au foyer familial Disposer de son planning de travail moins d’une semaine a` l’avance

1,84 1,45 0,69 1,04 3,67

[0,74–4,59] [0,20–10,55] [0,26–1,81] [0,41–2,68] [1,49–9,01]

ns ns ns ns < 0,01

Les sujets appartenant a` ce groupe « impact ne´gatif sur l’organisation familiale » se de´claraient plus souvent stresse´s du fait de leur travail (54,7 % vs 19 %) avec un lien de niveau e´leve´ et hautement significatif (OR = 2,9, IC [1,7–5], p < 0,001). Parmi les personnes relatant un impact ne´gatif sur l’organisation de la vie familiale, des liens significatifs (*)2, voire tre`s significatifs (**)2 ou hautement significatifs (***)2, ont e´te´ retrouve´s avec plusieurs variables de sante´, des parame`tres de vie conjugale et sociale, ainsi que des facteurs de retentissement sur le travail : 60,5 % dormaient moins de 7 heures par nuit contre 39,7 % (**), 40 % rapportaient souvent ou tre`s souvent des troubles du sommeil contre 18,8 % (**), 86,4 % mentionnaient une dure´e de sommeil « souvent ou tre`s souvent » modifie´e par leurs horaires de travail contre 46 % (***), 72 % se sentaient globalement plus irritables a` cause de leurs horaires de travail contre 17,5 % (***), 90,4 % conside´raient qu’ils ne prenaient jamais ou rarement des repas e´quilibre´s contre 75 % (**), 32,5 % pensaient que leur poids e´tait reste´ stable depuis leur arrive´e sur l’ae´roport contre 50 % (p = 0,06), 52,4 % ressentaient des troubles digestifs contre 17,7 % (***), 42 % de´claraient des troubles de la vigilance contre 9,5 % (***). Leur nombre d’heures de sommeil moyen e´tait e´courte´ a` 6,2 heures par nuit contre 6,9 heures (**). Cet impact ne´gatif e´tait e´galement mis en relation avec le fait d’estimer ne pas pouvoir vivre en couple du fait des horaires de travail (63 % vs 17,6 %, ***), le fait de ne pas continuer d’activite´s extra-professionnelles (69,9 % vs 33,3 %, ***), et la mauvaise acceptation des horaires par les proches (55,2 % vs 15,6 %, ***). Le retentissement potentiel sur le travail e´tait atteste´ par l’existence de liens entre l’impact ne´gatif sur l’organisation 2

* : significatif (p < 0,05) ; ** : tre`s significatif (p < 0,01) ; *** : hautement significatif (p < 0,001).

6

familiale et les assoupissements au travail (19,7 % vs 3,2 %, **), et avec le fait de penser que les horaires de travail pouvaient favoriser des erreurs dans les activite´s professionnelles (21,8 % vs 3,2 %, **) ou pouvaient augmenter le risque d’accidents du travail (73,3 % vs 53,1 %, **). Enfin, plus des trois quarts des sujets appartenant a` ce groupe « impact ne´gatif sur l’organisation familiale » accepteraient de changer d’horaires pour un horaire fixe de jour et sans travail le week-end si l’employeur leur en faisait la proposition (77,8 % vs 22,2 %, ***).

Analyse multivarie´e Malgre´ des effectifs d’e´chantillon modestes, nous avons conduit une premie`re re´gression logistique binaire avec comme variable de´pendante l’existence de troubles du sommeil (« souvent–tre`s souvent » vs « jamais–parfois »). Les re´sultats figurent dans le tableau III. Il apparaıˆt que le facteur le plus fortement en lien avec l’existence de troubles du sommeil est le travail le weekend et/ou les jours fe´rie´s, avec un risque supe´rieur a` 8. Nous avons ensuite proce´de´ a` une deuxie`me re´gression logistique avec comme variable de´pendante l’e´tat de stress ressenti comme lie´ au travail (« stresse´ » vs « non stresse´ »). Les re´sultats figurent dans le tableau IV. Il apparaıˆt que seule l’impre´visibilite´ du planning reste significativement associe´e a` l’e´tat « stresse´ », avec un facteur de risque situe´ entre 3 et 4. Avec les meˆmes re`gles me´thodologiques, nous avons enfin proce´de´ a` une re´gression logistique sur la variable de´pendante « impact des horaires de travail sur l’organisation familiale » (oui/non). Les re´sultats figurent dans le tableau V. La pre´sence d’enfants vivant au foyer et le fait de travailler souvent ou tre`s souvent le week-end et/ou les jours fe´rie´s sont

ADMP-1110; No of Pages 10

Travail en horaires de´cale´s sur plateforme ae´roportuaire

Tableau V Risque d’impact ressenti des horaires sur l’organisation familiale. Impact des horaires de travail sur l’organisation familiale : oui (cate´gorie de re´fe´rence : non)

OR

IC 95 %

p

HDI Travail le week-end et/ou les jours fe´rie´s (souvent ou tre`s souvent) Enfant(s) vivant au foyer (oui) Ne pas disposer de son planning au moins un mois a` l’avance

2,11 4,81 3,58 2,25

[0,91–4,90] [0,92–25,64] [1,50–8,55] [0,97–5,21]

0,08 0,06 < 0,01 0,06

les facteurs apparaissant les plus fortement lie´s. Le caracte`re irre´gulier des horaires de´cale´s et l’impossibilite´ d’anticipation du planning augmentent le risque d’impact des horaires de travail sur l’organisation familiale d’un facteur 2.

Discussion Les hommes e´taient plus repre´sente´s dans notre e´chantillon que dans la population active d’Iˆle-de-France surveille´e par l’ACMS (64 % vs 52 %) [1]. Ceci s’explique par le fait que beaucoup de me´tiers sur plateforme ae´roportuaire comportent une charge physique importante, particulie`rement en secteur logistique piste (bagagiste, avitailleur, tractiste, etc.). En revanche la moyenne d’aˆge e´tait identique [1,2], la diminution de la force musculaire avec l’aˆge n’ayant qu’assez tardivement des effets notables au regard de la pe´riode d’activite´ professionnelle. Il aurait e´te´ inte´ressant de de´terminer un taux de sondage avec le nombre de re´pondants comme nume´rateur et le nombre de visites me´dicales concernant des salarie´s en horaires de´cale´s pendant la pe´riode de l’enqueˆte comme de´nominateur. Mais les bases de gestion informatique utilise´es pour les convocations ne peuvent diffe´rencier salarie´s en horaires fixes et salarie´s en horaires de´cale´s. En effet, depuis la le´gislation de 2011 pre´cise´e par les de´crets de 20123, seuls les salarie´s en travail de nuit sont classe´s en surveillance me´dicale renforce´e. En revanche, il n’y a aucune raison a priori de penser que l’e´chantillon de l’enqueˆte ait pu eˆtre biaise´ par rapport a` l’ensemble de la population de la plateforme ae´roportuaire travaillant en horaires de´cale´s (HDR et HDI). Pre`s de 20 % des motifs de visite concernaient des visites a` la demande des employeurs ou des salarie´s (resp. 16,3 % et 2 %) correspondant souvent a` des requeˆtes d’ame´nagement d’horaires comme nous l’e´voquions en introduction. La proportion assez conse´quente (14,3 %) de questionnaires remplis a` l’occasion d’une visite d’embauche en de´pit des crite`res d’exclusion s’explique par le non-respect encore trop fre´quent des de´lais d’adresse a` cette visite. 3 Loi no 2011-867 du 20 juillet 2011 relative a` l’organisation de la me´decine du travail. De´crets no 2012-135 du 30 janvier 2012 relatif a` l’organisation de la me´decine du travail et no 2012-137 du 30 janvier 2012 relatif a` l’organisation et au fonctionnement des services de sante´ au travail.

Les horaires de´cale´s obligent souvent au rapprochement domicile–travail et a` l’utilisation d’un ve´hicule personnel en raison de la rarete´ des transports en commun dans certaines plages horaires, ce qui peut expliquer un temps de trajet environ deux fois plus court que pour l’ensemble des usagers de transport en commun en ˆIle-de-France [3]. Les re´sultats bruts montrent que les horaires de´cale´s pre´sentent a` la fois des caracte`res d’impre´visibilite´ fre´quemment mal ve´cus et un cadre rigide limitant les possibilite´s d’arrangement avec la direction ou les colle`gues. La proportion de troubles alle´gue´s du sommeil (environ un tiers) est a` rapprocher d’un niveau e´quivalent en population ge´ne´rale rapporte´e par la litte´rature spe´cialise´e (par exemple, 34,3 % de symptoˆmes d’insomnie dans l’enqueˆte ESPS de 2008 concernant la population de 15 a` 85 ans) [4]. Mais il s’agit dans notre enqueˆte d’une population au travail que l’on pouvait donc supposer a priori en meilleur e´tat de sante´ ge´ne´ral. La dure´e moyenne de sommeil par cycle de 24 heures (6 h 30) e´tait infe´rieure a` celle d’une population de tranche d’aˆge comparable (environ 7 h 15) rapporte´e dans le barome`tre sante´ 2010 de l’Inpes en France [5]. Ceci est e´galement a` rapprocher de l’e´tude re´cente publie´e par Szabo Gay pointant une dette de sommeil deux fois supe´rieure pour le groupe travaillant en horaires de´cale´s (versus horaires de jour) dans une population consultant pour troubles du sommeil et de la vigilance en service hospitalier spe´cialise´ [6]. La fre´quence rapporte´e des troubles de la vigilance (14,8 %) est proche de celle mesure´e par l’e´chelle d’Epworth sur un e´chantillon de 4651 personnes au travail en ˆIle-de-France en 2004 (16 %) [7]. Ceci semble attester d’une bonne corre´lation entre cette e´chelle et les re´ponses d’auto-appre´ciation globale issues de notre e´chantillon pour cet item, la vigilance constituant un parame`tre moins polymorphe que les troubles du sommeil. Dans les facteurs en lien avec les troubles alle´gue´s du sommeil, notre e´tude pointe le roˆle aggravant des horaires de´cale´s irre´guliers (HDI), et surtout celui du travail le week-end et/ou les jours fe´rie´s, lui-meˆme en relation avec le de´phasage familial et social que cette organisation de travail provoque. En 2010, Arnaud Metlaine rapportait une pre´valence des troubles de la vigilance proche de 17 % dans une population de conducteurs professionnels et documentait la relation sur la sur-accidentalite´ [8]. Dans notre e´tude, le niveau e´leve´ de l’auto-perception du risque d’accident de travail va dans le meˆme sens. Aux E´tats-Unis, une e´tude de cohorte portant sur plus de 12 000 salarie´s, suivis entre 1987 et 2000, a mis en

7

ADMP-1110; No of Pages 10

S. Bellier et al.

Archives des Maladies Professionnelles et de l’Environnement 2016;xxx:1-10

e´vidence l’augmentation du risque de survenue d’une pathologie ou d’un accident du travail pour tout type d’horaires de travail autres qu’un horaire de jour re´gulier [9]. Au Canada, les re´sultats d’une e´tude de cohorte re´cente ayant concerne´ 19 000 travailleurs suivis pendant 6 ans, et portant exclusivement sur les accidents de travail, vont dans le meˆme sens. Mais cette enqueˆte longitudinale montre aussi que les changements de configuration d’horaires de travail accroissent le risque de survenue d’accident de travail, quel que soit le sens de ce changement [10]. Notre e´tude retrouve une proportion de personnes se de´clarant stresse´es plus importante que dans la population au travail d’Iˆle-de-France (38,5 % vs 17 % dans la population au travail suivie par l’ACMS dans le secteur tertiaire selon les crite`res de Chamoux, et 24,3 % selon le mode`le de Karasek dans l’enqueˆte Sumer 2010) [11–13]. Dans notre enqueˆte, apre`s prise en compte des facteurs de confusion, l’impre´visibilite´ du planning est le seul facteur en lien avec le fait de se de´clarer stresse´ du fait du travail, assorti d’un risque multiplicatif e´leve´ de l’ordre de quatre. L’anciennete´ au poste n’a e´te´ retrouve´e en relation ni avec les troubles du sommeil, ni avec le stress ressenti, ce qui n’est pas surprenant du fait du caracte`re transversal de notre travail. En effet, s’il est a` noter que l’anciennete´ e´tait plus importante chez les salarie´s en HDR que chez ceux en HDI, l’enqueˆte n’enregistrait pas les mouvements e´ventuels entre les deux types d’horaires. Concernant le retentissement psychosocial des horaires de´cale´s, la litte´rature de´crit une grande varie´te´ de configurations de facteurs parmi lesquels le degre´ d’acceptation par l’entourage personnel direct qui joue un roˆle important [14]. Nous retrouvons ce lien dans notre e´chantillon d’e´tude. L’e´quilibre de l’organisation familiale est fragile et nos re´sultats indiquent qu’il est plus particulie`rement mis a` mal par certains aspects organisationnels du travail : caracte`re irre´gulier des horaires de´cale´s, travail fre´quent le week-end et les jours fe´rie´s, impre´visibilite´ du planning. Dans de tre`s nombreux secteurs d’activite´, les horaires diurnes re´guliers ont perdu du terrain, « l’atypique est devenu banal » [15]. Face a` cette situation, un axe double doit eˆtre trace´ : sont indispensables, d’une part, la vigilance des professionnels de sante´ pre´ventive que sont les me´decins et infirmiers du travail, pour de´tecter des signes d’inade´quation sante´-travail avant l’apparition de pathologies affirme´es, et, d’autre part, la pre´vention primaire autour des parame`tres organisationnels du poste de travail. Si la suppression des horaires de´cale´s pour un grand nombre d’activite´s sur plateforme ae´roportuaire est a` l’e´vidence inenvisageable, au moins peut-on tenter d’en re´duire le caracte`re irre´gulier, d’en assouplir l’organisation, et d’en accroıˆtre la pre´visibilite´ planifie´e. A` cette condition, les conseils concernant l’hygie`ne personnelle de vie pourront s’inte´grer dans une de´marche pre´ventive globale [16,17]. Comme l’indique et le documente Miche`le Bassargette, la vigilance sanitaire au plan du sommeil ne

8

concerne pas que « les volants » mais bien aussi les personnels « au sol » [18]. Les limites de notre e´tude sont repre´sente´es par le manque de puissance statistique et son caracte`re transversal empeˆchant de documenter le roˆle de l’aˆge et de l’anciennete´ professionnelle, et plus ge´ne´ralement d’adopter un point de vue diachronique [19].

Conclusion Cette e´tude documente les liens entre les horaires de´cale´s d’une part, les troubles du sommeil, la sensation de stress professionnel et l’impact sur l’organisation familiale, d’autre part. La « variante irre´gulie`re » des horaires de´cale´s, le travail le week-end et/ou les jours fe´rie´s, l’absence de souplesse dans l’organisation et l’impre´visibilite´ de planning majorent les effets ne´fastes. Il est ne´cessaire de prendre en compte l’ensemble des facteurs de nature diffe´rente, physiologique, psychosociologique, organisationnelle, pour rechercher des pistes pre´ventives d’ame´lioration.

De´claration de liens d’inte´reˆts Les auteurs de´clarent ne pas avoir de liens d’inte´reˆts.

Annexe 1. Questionnaire « Dans le cadre d’une enqueˆte statistique, acceptez-vous de remplir un questionnaire sur le the`me du travail en horaire irre´gulier ? Les questionnaires devront eˆtre de´pose´s par le salarie´ lui-meˆme dans l’urne situe´e dans la salle d’attente. Nous insistons sur le fait que ces questionnaires sont totalement anonymes » Quels types d’horaires avez-vous ? (ne cocher qu’une seule case) & Horaires fixes (le de´but et la fin de vos vacations varient de moins d’1 heure) & Horaires de´cale´s re´guliers, c’est-a`-dire que vos horaires ne sont pas toujours les meˆmes, mais le roulement est re´gulier par exemple (28 ; 38. . .) & Horaires de´cale´s irre´guliers, vos horaires varient par cycle de manie`re non de´finie (parfois vous commencez le matin toˆt, parfois dans la journe´e, parfois le soir, parfois la nuit. . .) Dans quel cadre venez-vous aujourd’hui en visite me´dicale ? & Visite Syste´matique & Visite de Reprise & Visite d’Embauche (avec au moins 6 mois d’anciennete´) & Demande Salarie´ & Demande Employeur & Demande Me´decin Si vous avez coche´ « Horaires Fixes », ne remplissez pas la suite du questionnaire Pre´sentation ge´ne´rale Etes-vous ? & Un homme & Une femme Quel aˆge avez-vous ? . . ... ans

ADMP-1110; No of Pages 10

Travail en horaires de´cale´s sur plateforme ae´roportuaire

Vous arrive-t-il de travailler le week-end et/ou les jours fe´rie´s ? & Jamais & Parfois & Rarement & Souvent & Tre`s souvent Vivez-vous ? : & Seul(e) & En couple & Autre . . ............... Avez-vous des enfants vivant avec vous (en permanence ou en garde alterne´e) ? & Aucun & un & deux & trois & quatre et plus Quel est votre temps de trajet aller retour ? & Jusqu’a` 1heure & Plus d’1heure jusqu’a` 2 heures & Plus de 2 heures jusqu’a` 3 heures & Plus de 3 heures Quel est votre mode de transport principal ? (Une seule re´ponse possible) & Transports en commun & 2 roues & 4 roues & A pieds Vous arrive-t-il de modifier votre mode de transport selon vos horaires ? & Oui & Non Quel est votre contrat de travail ? & CDI temps plein & CDI temps partiel & CDD temps plein & CDD temps partiel & Autre (en toutes lettres) : Quelle est votre cate´gorie socioprofessionnelle ? & Ouvrier & Employe´ & Agent de maıˆtrise ou technicien & Cadre Quel est votre secteur d’activite´ sur l’ae´roport ? & Suˆrete´ & Escale & Restauration & Logistique piste & Autre (en toutes lettres) Organisation du temps de travail Depuis combien d’anne´e(s) travaillez-vous sur l’ae´roport ? . . .. an(s) (Si moins d’1 an, noter 0) Avez-vous un planning (de´roulant) de travail pre´visible, c’esta`-dire qu’il vous est possible de savoir quels seront vos jours de travail et de repos ? & Le plus souvent oui & Le plus souvent non Estimez-vous que votre planning a` la journe´e (vos horaires) est pre´visible ? Plus d’un mois a` l’avance ? & Oui & Non Au moins un mois a` l’avance ? & Oui & Non Au moins une semaine a` l’avance ? & Oui & Non Moins d’une semaine a` l’avance ? & Oui & Non Pouvez-vous demander a` votre employeur des changements de planning ? & Jamais & Parfois & Souvent & Tre`s souvent Pouvez-vous vous arranger avec vos colle`gues pour modifier votre planning ? & Jamais & Parfois & Souvent & Tre`s souvent Arrive-t-il que votre planning change au dernier moment ? & Jamais & Parfois & Souvent & Tre`s souvent Si oui, estimez-vous que ces modifications repre´sentent une forte contrainte ? & Oui & Non & Sans objet

Sante´ Combien d’heures de sommeil avez vous (en moyenne) par cycle de 24 h : . . ... h Ces heures de sommeil sont-elles effectue´es en & Une fois & Plusieurs fois (nuit + sieste) Lors d’un jour de repos, dormez-vous plus de 10 h de suite ? & Jamais & Parfois & Souvent & Tre`s souvent Avez-vous des troubles du sommeil ? & Jamais & Parfois & Souvent & Tre`s souvent Prenez-vous des me´dicaments pour dormir ? & Jamais & Parfois & Souvent & Tre`s souvent Si oui, prenez-vous ces me´dicaments a` cause de vos horaires de travail ? & Oui & Non Vos horaires de travail modifient-ils la dure´e de votre sommeil ? & Jamais & Parfois & Souvent & Tre`s souvent Vous sentez-vous globalement plus irritable a` cause de vos horaires de travail ? & Oui & Non Prenez-vous un traitement contre l’anxie´te´ ou la de´pression en raison de vos horaires de travail ? & Oui & Non Avez-vous augmente´ votre consommation d’alcool, cafe´, tabac ou autre a` cause de vos horaires de travail ? & Oui & Non Vos horaires de travail vous permettent-ils de prendre des repas e´quilibre´s et varie´s ? & Jamais & Parfois & Souvent & Tre`s souvent Vos horaires de travail vous incitent-ils au grignotage ? & Jamais & Parfois & Souvent & Tre`s souvent Depuis que vous travaillez sur la plateforme ae´roportuaire, avez-vous ? & Un poids stable & Pris du poids & Perdu du poids Ressentez-vous des troubles digestifs ? & Oui & Non Souffrez-vous ? d’hypertension arte´rielle & Oui & Non, de diabe`te & Oui & Non, d’une maladie cardiaque & Oui & Non autres............................................. Avez-vous des troubles de la vigilance ? & Oui & Non Retentissement psychosocial Vos horaires de travail ont-ils un impact sur votre organisation familiale ? & Oui & Non Si oui, cet impact est-il ? & Positif & Ne´gatif Vos horaires de travail ont-ils un impact sur votre vie de couple ? & Oui & Non & Sans objet

9

ADMP-1110; No of Pages 10

S. Bellier et al.

Archives des Maladies Professionnelles et de l’Environnement 2016;xxx:1-10

Si oui, cet impact est-il ? & Positif & Ne´gatif Commentaires : . . .................................................. Si vous n’eˆtes pas en couple, pensez-vous que cela est lie´ a` vos horaires de travail ? & Oui & Non Commentaires : . . .................................................. Vos horaires de travail vous permettent-ils de continuer une ou plusieurs activite´(s) extra professionnelle(s) (sport, musique, loisirs. . .) ? & Oui & Non Vos horaires de travail sont-ils bien accepte´s par vos proches ? & Oui & Non Retentissement sur le travail Etes-vous sujet a` des assoupissements au travail ? & Jamais & Parfois & Souvent & Tre`s souvent Pensez-vous que vos horaires de travail favorisent des erreurs dans vos activite´s professionnelles ? & Jamais & Parfois & Souvent & Tre`s souvent Commentaires :....................................................... Pensez-vous que vos horaires de travail peuvent augmenter le risque d’accident de travail ? & Oui & Non Commentaires :....................................................... Actuellement, j’estime que mon niveau de stress lie´ a` mon travail est a` . . .. (chiffre entre 0 et 10. 0 signifiant aucun stress et 10 un stress maximum tole´rable) Entourez le chiffre correspondant : 0 0,5 1 1,5 2 2,5 3 3,5 4 4,5 5 5,5 6 6,5 7 7,5 8 8,5 9 9,5 10 Pensez-vous que cet e´tat de stress est lie´ a` vos horaires de travail ? & Tout a` fait lie´ & Lie´ en partie & Sans rapport Si votre employeur vous proposait de changer pour des horaires fixes de journe´e, 5 jours par semaine, sans travail le week-end, accepteriez-vous ? & Oui & Non Et pour quelle(s) raison(s) ? (plusieurs choix possibles) Raisons financie`res & Oui & Non Raisons familiales & Oui & Non Raisons lie´es aux transports & Oui & Non & Autres :........................................ Commentaires : . . ................................................

10

Re´fe´rences [1]

[2] [3] [4]

[5]

[6]

[7]

[8] [9]

[10]

[11] [12]

[13] [14] [15] [16] [17]

[18] [19]

Locher F, Alcouffe J, Fau-Prudhomot P, et al. Troubles de la me´moire et difficulte´s de concentration chez des salarie´s d’Iˆlede-France. Cah Med Interprof 2013;1:1–13. Le´on O. La population active en me´tropole a` l’horizon 2030. Insee Premie`re; 2011: 1371. Enqueˆte aupre`s des salarie´s d’Ile de France sur les transports en commun domicile-travail. Rapport de l’Orstif; 2010;13. Gourier-Fre´ry C, Chan-Chee C, Le´ger D. Insomnie, fatigue et somnolence : pre´valence et e´tat de sante´ associe´, de´clare´s par les plus de 16 ans en France me´tropolitaine. BEH InVS 2012;4445:502–9. Beck F, Richard J-B, Le´ger D. Pre´valence et facteurs sociode´mographiques associe´s a` l’insomnie et au temps de sommeil en France (15-85 ans). BEH InVS 2012;44-45:497–501. Szabo Gay O, Doutrellot-Philippon C, Rose D, et al. Troubles du sommeil chez les salarie´s en horaires de travail de´cale´s. Arch Mal Prof Env 2014;30:1–53. Boyer C, Manillier P, Marchon-Jourdan M-F, et al. Evaluation des troubles du sommeil et de la vigilance dans une population de salarie´s de pme d’Iˆle-de-France. Cah Med Interprof 2004;2:157–79. Metlaine A. Sommeil et travail : une influence re´ciproque, lourde de conse´quences. Concours Med 2010;132(7):290–2. Dembe AE, Erickson JB, Delbos RG, et al. Nonstandard shift schedules and the risk of job related injuries. Scand J Work Environ Health 2006;32(3):232–40. Wong IS, Smith PM, Mustard CA, et al. For better or worse? Changing shift schedules and the risk of work injury among men and women. Scand J Work Environ Health 2014;40(6):621–30. Chamoux A, Paris C, Merle JL. Evaluation du stress professionnel par e´chelle visuelle analogique. Arch Mal Prof Env 2000;61(7):524. Alcouffe J, Fau-Prudhomot P, Jarzuel Y, et al. Du bon usage de la messagerie e´lectronique professionnelle chez les salarie´s utilisateurs re´guliers en Ile-de-France. Cah Med Interprof 20124;[11 pages]. Daniel C, Sandret N. Les situations de tension au travail en Ilede-France. Direccte. BREF Ile-de-France The´matique no 47; 2014. Rousseau C, Gautier M-A, Chapouthier A. Horaires atypiques de travail. INRS ED 5023; 2013. Boulet A-M, Prunier-Poulmaire S. Les vies empeˆche´es des salarie´es du nettoyage. Sante Travail 2014;87:36–8. Rousseau C. Organisation temporelle atypique du travail et gestion des risques professionnels. INRS NS 261; 2006: 42–3. Ge´rer au mieux notre sante´ quand nos horaires nous de´calent. Direction des Risques Professionnels, Carsat Bretagne. Rennes; 2013. Brasseur G, Bonde´elle A, Clergiot J, et al. Horaires atypiques, contretemps de travail. INRS Travail curite´; 2011: 33. Volkoff S. Les approches diachroniques des relations sante´, travail. Centre d’Etudes de l’Emploi. Rapport de recherche no 27; 2005: 7–26.