Revue de Pneumologie clinique (2009) 65, 118—121
DIAGNOSTIC
Une pneumopathie infiltrante particulière A special infiltrative pneumonia H. Benothman Service de pneumologie, clinique médicale MGEN, 1, avenue Louvois, 78600 Maisons-Laffitte, France Disponible sur Internet le 13 mars 2009
Observation Madame J., âgée de 83 ans, d’origine caucasienne, était hospitalisée dans le service de pneumologie pour bilan d’une altération de l’état général avec dyspnée. Elle présentait comme antécédents principaux : une cardiomyopathie dilatée sévère (fraction d’éjection ventriculaire estimée à 25 %), la mise en place d’un stimulateur cardiaque pour trouble du rythme et une phlébite surale droite un an auparavant. Elle n’a jamais fumé et ne présentait pas d’antécédent tuberculeux ni d’exposition environnementale particulière. Son traitement comportait : Cardensiel® , Fozitec® , Digoxine® , Elisor® , Lasilix® , Corvasal® . L’anamnèse révélait la notion d’altération progressive de l’état général avec amaigrissement de plusieurs kilogrammes, asthénie profonde et dyspnée progressivement croissante évoluant depuis au moins trois mois. Le bilan cardiologique excluait une possible origine cardiaque. Le médecin traitant, évoquant l’hypothèse d’une néoplasie profonde, faisait réaliser un scanner abdominopelvien. Celui-ci s’avérait normal à l’étage sousdiaphragmatique, mais révélait des anomalies parenchymateuses pulmonaires sur les coupes thoraciques basses. L’examen clinique montrait une patiente asthénique et amaigrie (poids : 38 kg pour une taille à 150 cm) ; une pression artérielle de 12/6 ; une température de 36,5 ; une saturation oxyhémoglobinée en air ambiant au repos de 95 % avec désaturation au-dessous de 90 % au moindre effort. L’auscultation pulmonaire était libre (pas de crépitants). L’auscultation cardiaque retrouvait un souffle systolique endapexien connu. L’électrocardiogramme montrait un entraînement électrosystolique permanent. Une radiographie thoracique (Fig. 1) et un scanner (Fig. 2) ont été réalisés.
Adresse e-mail :
[email protected]. 0761-8417/$ — see front matter © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.pneumo.2008.10.003
Une pneumopathie infiltrante particulière
Figure 1. Radiographie thoracique : opacités nodulaires hétérogènes bilatérales, prédominant aux deux tiers inférieurs des deux champs pulmonaires. Cardiomégalie.
Sur le plan biologique : hémoglobine : 10,6 g/dl ; leucocytes : 7400 éléments par millimètres cube ; plaquettes : 523 000 éléments par millimètres cube ; vitesse de sédimentation : 105 à la première heure ; protéine C réactive : 17 mg/l. Le bilan hépatique et la fonction rénale étaient normaux. La gazométrie artérielle en air ambiant au repos montrait une hypoxémie modérée : PaO2 : 66 mmHg ; PaCO2 : 35 mmHg ; pH : 7,45 ; HCO3 : 23mEq/1 ; SaO2 : 94 %. La sérologie VIH ainsi que les sérologies vis-à-vis des germes atypiques (mycoplasme, chlamydiae et légionelle) et l’antigénurie des légionelles se sont avérées négatives.
119
Figure 2. Tomodensitométrie thoracique : opacités nodulaires bilatérales.
Une endoscopie bronchique montrait un aspect inflammatoire du premier degré sans lésion suspecte. Les biopsies d’éperons bronchiques montraient des remaniements inflammatoires non spécifiques. Les recherches de BAAR dans le liquide d’aspiration bronchique et de lavage alvéolaire se sont avérées négatives à l’examen direct. Le lavage bronchiolo-alvéolaire (lobe moyen) ramenait un liquide clair contenant 270 000 cellules par millilitre dont 74 % de macrophages, 18 % de polynucléaires neutrophiles, 4 % de lymphocytes et 4 % de polynucléaires éosinophiles. Une antibiothérapie à large spectre associant bêtalactamine et macrolide n’entraînait aucune amélioration.
Quel est votre diagnostic ?
120
Compte rendu diagnostique La radiographie thoracique montrait une atteinte parenchymateuse multinodulaire bilatérale prédominant dans les deux tiers inférieurs des champs pulmonaires. Le scanner thoracique (coupes fines reconstruites en mode MIP : intensité de projection maximale) a permis de préciser les caractéristiques de cette infiltration : nodules peu denses, de topographie centrolobulaire respectant les zones souspleurales et scissurales, réalisant par endroits un aspect en arbre bourgeonnant caractéristique (Fig. 3) évocateur de bronchiolite infectieuse. L’hypothèse prioritaire de tuberculose pulmonaire a pu être confirmée par la positivité de la culture des prélèvements bronchiques (au 14e jour) : il s’agissait de colonies de Mycobacterium tuber-
Figure 3. Tomodensitométrie thoracique : nodules centrolobulaires basaux réalisant l’aspect en arbre bourgeonnant (tree in bud). Noter les formes en X, V, Y (flèches) caractéristiques.
H. Benothman culosis multisensible. Après mise en route du traitement antituberculeux, l’amélioration de l’état général a été rapide, ainsi que la régression des nodules parenchymateux avec normalisation de l’image pulmonaire en six semaines (Fig. 4).
Discussion Cette observation est une illustration des particularités cliniques et radiologiques de la tuberculose pulmonaire du sujet âgé et de l’apport du scanner thoracique de haute résolution. D’une part, sur le plan clinique, elle peut revêtir un aspect insidieux, torpide, faisant retarder le diagnostic ; en effet, la fièvre, la toux et l’hémoptysie peuvent manquer ; alors que la dyspnée, l’amaigrissement et l’altération de l’état général sont au premier plan [1—3]. D’autre part, sur le plan radiologique, le classique infiltrat des lobes supérieurs est moins fréquent, souvent remplacé par une atteinte des lobes inférieurs et moyens. Les formes diffuses miliaires par diffusion hématogène ou multinodulaires par essaimage bronchogène sont plus fréquentes chez la personne âgée [1]. L’apport de la tomodensitométrie est appréciable ; en effet, elle est plus sensible que la radiographie pour mettre en évidence les lésions excavées et préciser, comme dans notre observation, une atteinte grossièrement alvéolo-interstitielle sur le cliché standard en montrant l’aspect en arbre bourgeonnant ou tree in bud. Cet aspect est très évocateur de la tuberculose pulmonaire par essaimage bronchogène [4]. Il signe une atteinte bronchiolaire centrolobulaire : les micronodules, de taille, généralement identique correspondant à la taille des bronchioles, représentent l’exsudat infectieux ou inflammatoire. Leurs bords sont flous, traduisant l’extension par les pores de Kohn et les canaux de Lambert aux espaces aériens adjacents. Parfois, les bronchioles qui les relient entre eux sont pleines, ce qui donne des aspects en V, X, Y [5]. Un aspect en arbre bourgeonnant peut se rencontrer dans d’autres pathologies [6] : • les bronchiolites infectieuses autres que tuberculeuses (virale : CMV, bactérienne : mycoplasme, fongique : aspergillus) ; • les mycobactérioses à M. avium ; • les bronchiolites d’inhalation ; • les bronchiolites inflammatoires dans le cadre d’une connectivite ; • la mucoviscidose ; • certaines métastases intra-artérielles (de cancer gastrique, notamment) ; • la panbronchiolite.
Références
Figure 4. Radiographie thoracique : un mois et demi après initiation du traitement antituberculeux : régression totale de l’infiltration nodulaire.
[1] Gisselbrecht M. La tuberculose chez les personnes âgées en institution. Rev Mal Respir 2003;20:912—9. [2] Perez-Guzman C, Vargas MH, Torres-Cruz A, VillarrealVelarde H. Does aging modify pulmonary tuberculosis? Chest 1999;116:961—7. [3] Korzeniewska-Kosela M, Krysl J, Muller N, Black W, Allen E, Fitzgerald JM. Tuberculosis in young adults and the elderly. A prospective comparison study. Chest 1994;106:28—32.
Une pneumopathie infiltrante particulière [4] Mascarel P, Remy-Jardin M, Remy J. Aspects tomodensitométriques de la tuberculose thoracique. Feuillets Radiol 1994;34:30—45. [5] Senac JP, Giron J, Durand G. Les bronchiolites. In: Imagerie de la trachée à la bronchiole. Éditions Glaxo Smith Kline; 2005.
121 [6] Rossi SE, Franquet T, Volpacchio M, Gimenez A, Aguilar G. Tree-in-bud pattern at thin-section CT of the lungs: radiologic-pathologic overview. Radiographics 2005;25: 787—801.