ÉDITORIAL
Rev. Stomatol. Chir. Maxillofac., 2005; 106, 6, 324 © Masson, Paris, 2005.
« Uplavici : cherchez l’erreur » C. Charroin Département médical de la Société Hospitalière d’Assurances Mutuelles, 18, rue Édouard Rochet, 69732 Lyon Cedex 08. Tirés à part : C. Charroin, l’adresse ci-dessus. E-mail :
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Citer une référence n’est pas un simple exercice de style. Tout article scientifique doit être accompagné de références bibliographiques attestant de la connaissance du sujet par son auteur, de la lecture des articles cités, prouvant ainsi que le rédacteur a tenu compte des travaux de ses pairs et les a enrichis par son travail. Ainsi la référence bibliographique permet aux lecteurs de retrouver facilement l’information dont il est question. Le chercheur, scientifique, ou médecin, doit avoir lu l’article qu’il cite en référence, donc être en sa possession, sous peine de voir son crédit s’amoindrir. On rencontre cependant divers cas de figure. L’auteur ne cite pas sa source et s’approprie ainsi la paternité du travail d’autres chercheurs. Cette attitude n’est pas récente comme le souligne Lapelerie [1] en citant Chateaubriand [2] qui le remarquait déjà, il y a presque 200 ans. Mais l’auteur cite généralement sa source et là, on est en droit de penser qu’il a lu l’article référencé. Certaines revues, à travers leurs comités de lecture, vérifient l’exactitude des références citées dans les travaux avant publication, mais ce n’est pas le plus fréquent. Quand ce n’est pas le cas, on peut alors retrouver de grossières erreurs dans les références, ce qui montre que le citateur les utilise sans les avoir eues entre les mains. Soit il copie de façon inexacte une référence citée exactement par ailleurs, soit il copie exactement une référence déjà citée de façon inexacte. Les erreurs les plus fréquentes concernent l’année, le volume ou la pagination. Or le citateur fait ici confiance à une analyse intellectuelle du contenu, qui peut être plus ou moins exacte, voire aller à l’encontre des éléments nouveaux apportés par le citateur lui-même. Ces quelques lignes sont issues de la réflexion de Monsieur François Lapelerie [1] dans l’article La vie édifiante du Docteur O. Uplavici, dont voici l’extrait le plus plaisant : « Des citations erronées peuvent donc ainsi circuler de publication en publication, dont on peut reconstituer la généalogie. Le cas le plus extraordinaire est celui du « Docteur O. Uplavici », qui a été raconté en détail par Dobell [3] tout d’abord, puis par Sweetland [4]. Un médecin tchèque réputé, nommé Jaroslav Hlava (1855-1924), publia en tchèque un très important article sur le rôle des
amibes dans la dysenterie et le mode de transmission d’Entamoeba histolytica de l’homme à l’animal. L’article, paru dans Casopis lekaruv ceskych en 1887 (vol. 26, n° 5), avait pour titre : O uplavici, Predbezné sdeleni, qui signifie comme chacun sait : « Sur la dysentrie : communication préliminaire ». La revue bibliographique allemande Centralblatt fur Bacteriologie und Parasitenkunde l’analysa la même année, mais de façon erronée : le nom de l’auteur fut omis et l’article fut attribué à un certain « Uplavici, O. ». L’erreur, avec de multiples variations, se propagea de publication en publication et le comble fut atteint en 1910 : à cette date l’Index-catalogue of medical and veterinary zoology fit monter en grade O. Uplavici qui devint ni plus ni moins que Docteur. Le Docteur O. Uplavici continua ainsi sa brillante carrière bibliographique jusqu’à l’an 1938 ou Dobell [3], qui n’était pas bibliothécaire, découvrit la vérité. Après 51 ans de bons et loyaux services, le bon Docteur disparut des bibliographies, « Requiescat in pace », comme concluait Dobell. Le cas du « Docteur Dysenterie » doit donc mettre en garde tous les utilisateurs de bibliographie, chercheurs comme bibliothécaires. On peut espérer que le développement des applications informatiques de gestion de références bibliographiques, en téléchargeant les références à partir des grandes bases de données scientifiques et leur réutilisation directe dans les bibliographies, sans manipulations manuscrites intermédiaires, améliorera la qualité des citations. À la condition que les bibliographies soient elles-mêmes de qualité, ce qui est la règle pour les plus prestigieuses. Et sans pour autant que cela préjuge de la lecture des textes originaux par les citateurs…
RÉFÉRENCES 1. Lapelerie F. La vie édifiante du Docteur O. Uplavici. Bulletin des Bibliothèques de France, 1992;37:30 (d’après le Bulletin des Bibliothèques de France avec l’aimable autorisation de la revue). 2. Chateaubriand François René. Itinéraire de Paris à Jérusalem et de Jérusalem à Paris, en allant par la Grèce et revenant par l’Égypte, la Barbarie et l’Espagne. Paris : Le Normand, 1811, t. 2, p. 318. 3. Dobell C. Dr. O.Uplavici (1887-1938). Parasitology, 1938;30: 239-41. 4. Sweetland J. Errors in bibliographic citations: a continuing problem. The library quarterly, 1989;59:291-304.