Acidose lactique sévère chez les patients infectés par le VIH traités par inhibiteurs nucléosidiques de la reverse transcriptase : 9 cas

Acidose lactique sévère chez les patients infectés par le VIH traités par inhibiteurs nucléosidiques de la reverse transcriptase : 9 cas

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Acidose lactique sévère chez les patients infectés par le VIH traités par inhibiteurs nucléosidiques de la reverse transcriptase : 9 cas Severe lactic acidosis in HIV-infected patients treated with nucleosidic reverse transcriptase analogs: a report of 9 cases F. Bonnet a,*, M. Bonarek a, A. Abridj a, P. Mercié b, M. Dupon c, M.-C. Gemain d, D. Malvy a, N. Bernard a, J.-L. Pellegrin b, P. Morlat a, J. Beylot a a

Fédération de médecine interne, maladies infectieuses et pathologies tropicales, hôpital Saint-André, 1, rue Jean-Burguet, 33075 Bordeaux cedex, France b Service de médecine interne et maladies infectieuses, hôpital Haut-Lévèque, avenue de Magellan, 33604 Pessac cedex, France c Département de médecine interne et maladies infectieuses, hôpital Pellegrin, place Amélie-Raba-Léon, 33076 Bordeaux cedex, France d Service de médecine interne, centre hospitalier de la Côte-Basque, 13, avenue de l’Interne J.-Loëb, 64100 Bayonne, France Reçu le 25 mars 2002 ; accepté le 27 juin 2002

Résumé Propos. – L’acidose lactique est un événement secondaire rare et sévère, lié à une toxicité mitochondriale des analogues nucléosidiques (AN) de la reverse transcriptase du VIH. Méthodes. – Nous avons rétrospectivement recherché les cas d’acidose lactique imputables aux AN parmi les patients infectés par le VIH entre les années 1996 et 2000 dans un CHU et un CHG du sud-ouest de la France. Résultats. – Neuf patients ont été identifiés (incidence estimée à 0,9/1000 patients traités par AN année), quatre hommes et cinq femmes d’âge médian 36 ans. Le taux médian de lymphocytes T-CD4+ au moment du diagnostic d’acidose était de 197/mm3 et un seul patient était en situation d’échappement virologique. Les motifs d’hospitalisation étaient : une dyspnée (n = 6), des douleurs de l’hypochondre droit (n = 6), une asthénie (n = 6), un ictère (n = 4), des vomissements (n = 2). Une hépatomégalie était notée 6 fois. Le pH médian était de 7,28, la bicarbonatémie de 12 mmol/l, le trou anionique de 27 mEq/l, l’acide lactique plasmatique de 13 mmol/l. Une cytolyse (n = 8), une choléstase (n = 4), une insuffisance hépatique (n = 4), une rhabdomyolyse (n = 4) ou une pancréatite biologique (n = 2) étaient également relevées. Malgré des soins de réanimation, sept patients sont décédés. Les deux autopsies pratiquées ont mis en évidence des lésions de stéatose hépatique sévères. La durée médiane de traitement par AN était de 4 ans. Au moment du diagnostic, cinq patients étaient traités par lamivudine, cinq par didanosine, quatre par stavudine, et trois par zidovudine. Six patients étaient coinfectés par les virus des hépatites B et/ou C, quatre avaient une insuffisance rénale modérée ou sévère, et cinq une infection intercurrente. Conclusion. – L’acidose lactique est de pronostic très sévère. La prescription d’AN doit faire l’objet d’une surveillance clinique et biologique, en particulier chez les patients porteurs de comorbidités. © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract Purpose. – Symptomatic lactic acidosis requiring intensive care is a rare and severe adverse event related to the mitochondrial toxicity of the nucleoside analog reverse transcriptase inhibitors (NRTIs). Method. – We retrospectively investigated the clinical and biological features of HIV-infected patients who developed severe lactic acidosis syndrome at the University teaching hospital of Bordeaux and the regional community hospital, during 1996–2000. Results. – Nine patients were identified (incidence: 0,9/1000 NRTI treated patient-years), 4 men and 5 women with a median age of 36 years. They had a moderate immunodeficiency (median CD4+ T lymphocyte counts: 197/mm3) and only one of them presented a virological failure. The causes of hospital admission were abdominal pain (n = 6), dyspnea (n = 6), asthenia (n = 5), jaundice (n = 4), and vomiting

* Auteur correspondant. © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. PII: S 0 2 4 8 - 8 6 6 3 ( 0 2 ) 0 0 7 0 2 - 6

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(n = 2). Hepatomegaly was present in 6 patients. Lactic acidosis was found in all cases: median pH: 7.28, bicarbonate: 12 mmol/l, anion gap: 27 mEq/l, plasma lactic acid: 13 mmol/l. Cytolysis (n = 8), cholestasis (n = 6) , hepatic failure (n = 4), rhabdomyolysis (n = 4) and pancreatitis (n = 2), were also present. Despite medical intensive care, seven patients died. The only two post-mortem examinations revealed severe hepatic steatosis. Median duration of NRTI therapy was 4 years. At presentation, five patients were receiving lamivudine, five didanosine, four stavudine and three zidovudine. Six patients were coinfected by HCV and/or HBV, four had chronic renal failure and five an immediately preceding infectious disease. Conclusion. – The prognosis of lactic acidosis is severe. Nucleosid-analog therapy needs clinical and biological monitoring, specially in patients with comorbidities. © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. All rights reserved. Mots clés : Infection par le VIH ; Inhibiteurs nucléosidiques de la reverse transcriptase ; Acidose lactique Keywords: HIV infection; Nucleosidic reverse transcriptase inhibitors; Lactic acidosis

La mise sur le marché de nouvelles molécules antirétrovirales dans le cadre du traitement de l’infection par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) a considérablement bouleversé l’histoire naturelle, l’approche thérapeutique et le pronostic de la maladie. Le recours aux associations d’antirétroviraux repose sur des trithérapies qui associent en règle générale, deux analogues nucléosidiques (AN) inhibiteurs de la transcriptase inverse et soit un inhibiteur non nucléosidique de la transcriptase inverse soit un inhibiteur de protéase (IP) dont la mise sur le marché est relativement récente (1996). Ces multithérapies ont ainsi permis une réduction très significative de l’incidence des infections opportunistes, un allongement de l’espérance de vie et une amélioration notable de la qualité de vie des patients infectés par le VIH [1]. Cependant, l’utilisation des associations d’antirétroviraux peut être à l’origine d’une iatrogénie qu’il est important de prendre en compte, d’une part pour le confort des patients, permettant une meilleure observance et donc une plus grande efficacité thérapeutique et, d’autre part, parce que parmi les effets secondaires liés à ces traitements, certains peuvent être sévères, parfois mortels. Parmi les effets secondaires imputables aux analogues nucléosidiques, la myopathie, la neuropathie, la pancréatite, et la stéatose hépatique sont probablement sous-tendues par un mécanisme physiopathologique commun : une toxicité mitochondriale caractérisée par une altération de la capacité des mitochondries à produire de l’énergie, dont le terme évolutif ultime est représenté par un état d’acidose lactique pouvant engager le pronostic vital [2,3]. Une soixantaine de cas d’acidose lactique ont été rapportés de façon éparse dans la littérature chez des patients infectés par le VIH et traités par AN [4–8] mais il n’existe pas de définition standardisée de ce syndrome, et les circonstances déclenchantes et les facteurs favorisants de cette complication iatrogène restent mal définis. L’objectif de notre étude est de détailler les caractéristiques cliniques et biologiques d’une série de neuf cas d’acidoses lactiques sévères, survenues chez des patients infectés par le VIH et traités par AN, entre 1996 et 2000.

1. Patients et méthodes De mai 1996 à juin 2000, 9 cas d’acidose lactique ont été identifiés chez des patients infectés par le VIH et traités par AN. Nous n’avons retenu que les sujets présentant une acidose lactique non compensée (pH < 7,38) et justifiant des mesures de réanimation excluant ainsi les tableaux plus courants d’hyperlactacidémie asymptomatique. Étaient également exclus les patients présentant une autre cause potentielle d’acidose lactique : médicamenteuse (salicylés, paracétamol, biguanides, isoniazide), toxique (cyanure, méthanol, éthylène-glycol), acidocétosique, septiques sévères, tumorales, hématologiques ou cirrhotiques. Ces patients étaient tous régulièrement suivis au CHU de Bordeaux ou au CHG de Bayonne qui représentent une file active d’environ 2000 patients année. Les données cliniques et biologiques de chacun de ces patients ont été revues rétrospectivement. Les paramètres suivants ont été relevés : âge, sexe, date de découverte de la séropositivité, co-infection par les virus des hépatites, comorbidités associées, historique du traitement et durée d’exposition aux produits, symptomatologie clinique, taux de lymphocytes T–CD4+ et de charge virale VIH, numération globulaire, tests biochimiques, pH et dosage de l’acide lactique.

2. Résultats Nous avons identifié 9 patients traités par AN et présentant un tableau d’acidose lactique sévère justifiant la mise en œuvre de mesures de réanimation : un en 1996, un en 1997, trois en 1998, deux en 1999 et deux en 2000 (Tableau 1). L’incidence de ce syndrome est ainsi estimée à 0,9 pour 1000 patient année traité par AN. Il s’agissait de 5 femmes et de 4 hommes, d’âge médian 36 ans (étendue : 33–63) (Tableau 1). Les facteurs de risque de transmission du VIH étaient : la toxicomanie (n = 4), l’homosexualité (n = 2), l’hétérosexualité (n = 1) et inconnu (n = 2). Quatre patients étaient au stade A de la classification CDC de l’infection par le VIH, 1 au stade B et 4 au stade C. L’ancienneté médiane de la séropositivité était de 9 ans (étendue : 0,5–13). Le taux médian des lymphocytes

Décès Décès Survie Survie Décès Décès Décès Décès Décès

13

7,19 7,00 7,29 7,28 7,37 7,37 7,29 7,20 7,25 372 707 31 382 7 197 300 54 141

ND : non déterminé ; HBV : hépatite B ; HCV : hépatite C ; HTAP : hypertension artérielle pulmonaire ; IRC : insuffisance rénale chronique.

IRC HBV Infection ORL HBV HCV Infection ORL HBV, HCV Rétinite CMV IRC IRC Cryptococcose HCV, cirrhose cryptococcose HTAP HBV HCV 0 HCV IRC 15390 138 126 6607 ND 48 ND ND 120

Comorbidité Amylase (UI/l)

CPK (UI/l) 290 ND 1595 1340 492 ND ND ND 56 Bilirubine totale (µmol/l) 157 240 83 15 21 386 ND 79 11 ASAT (UI/l) 318 2840 6702 242 50 197 ND 96 52 Lactates (mmol/l) 51,5 32 13,1 6,02 6,6 5,58 13 ND 13,8 Trou anionique 56 39 24 28 16 22 ND 34 22 pH

ARN-VIH (copies/ml) < 500 < 500 1 486 000 < 50 17 501 1500 < 500 36 700 1700 CD4/mm3

Patient, sexe, âge 1 H, 49 2 F, 36 3 H, 44 4 F, 35 5 H, 35 6 H, 51 7 F, 33 8 F, 33 9 F, 63

Tableau 1 Caractéristiques épidémiologiques, cliniques et biologiques de 9 patients affectés d’une acidose lactique non compensée sous analogues nucléosidiques

T–CD4+ était de 197/mm3 (étendue : 31–707) au moment du diagnostic de l’acidose lactique et un seul patient se trouvait en situation d’échappement virologique. Huit patients ont présenté un nadir de lymphocytes T–CD4+ < 200/mm3 dont 4 au-dessous de 50/mm3 au cours de l’histoire de leur maladie. Aucun des neufs patients ne présentait d’histoire de surcharge pondérale évidente, ni d’hyperlactatémie asymptomatique. L’installation des signes cliniques de l’acidose était toujours brutale, en moins de 24 h, mais la présentation clinique était polymorphe. Les signes cliniques les plus fréquemment rencontrés étaient : une dyspnée (n = 6), des douleurs de l’hypochondre droit avec hépatomégalie (n = 6), une asthénie (n = 6), un ictère cutanéomuqueux (n = 4), un amaigrissement (n = 4), une fièvre (n = 2), des nausées et vomissements (n = 2), des œdèmes diffus (n = 2), un collapsus (n = 1), des troubles moteurs non systématisés avec syndrome confusionnel et agitation (n = 2). Sur le plan biologique, il existait une acidose métabolique avec un pH médian abaissé à 7,27 (7–7,29), la réserve alcaline était constamment abaissée en médiane à 12 mmol/l (étendue : 4–17), le trou anionique augmenté à 27 mmol/l (étendue : 22–39). L’hyperlactacidémie médiane était à 13 mmol/l (étendue : 5,5–51,5). Les autres anomalies biologiques relevées montraient une cytolyse hépatique 8 fois, une choléstase 6 fois, des signes d’insuffisance hépatocellulaire 4 fois, une rhabdomyolyse 4 fois et une élévation des enzymes pancréatiques 2 fois. Un seul patient ne présentait pas d’anomalie biochimique hormis l’apparition d’une élévation à deux fois la normale des cGT la veille de son décès, l’acidose évoluant depuis plusieurs jours, non controlée par le traitement symptomatique. Malgré les mesures de réanimation symptomatique, l’évolution était marquée par sept décès survenus entre 3 et 29 jours après l’admission dans des tableaux de défaillance multiviscérale. Trois patients avaient reçu un traitement supplétif par vitamine B1, B2 et p. C.-carnitine (deux décès). Deux nécropsies ont été pratiquées montrant sur le plan hépatique, une fois des images de stéatose microvacuolaire diffuse sans nécrose ni inflammation et une fois des lésions d’hépatite chronique fibrosante avec importante stéatose macrovacuolaire, choléstase hépatocanaliculaire et nécrose hépatocytaire. L’ancienneté médiane du traitement était de quatre ans (étendue : 4 mois–8 ans) (Tableau 2). Au moment du diagnostic d’acidose lactique, un patient recevait une monothérapie d’AN (lamivudine) et les huit autres une bithérapie. Les associations au moment du diagnostic sont décrites dans le Tableau 2. Au total, les AN prescrits au moments du diagnostic d’acidose lactique étaient la lamivudine 5 fois, la didanosine 5 fois, la stavudine 4 fois, et la zidovudine 3 fois initiés depuis 12 semaines en médiane (étendue : 4 semaines–8 mois). Sept patients étaient également traités par inhibiteurs de protéase et deux autres par inhibiteurs non nucléosidiques de la reverse transcriptase. Tous ces patients suivaient régulièrement un traitement en plus des antirétroviraux :

Devenir

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Tableau 2 Histoire thérapeutique de 9 patients affectés d’une acidose lactiques non compensée sous analogues nucléosidiques Patient, sexe, âge 1 H, 49 2 F, 36 3 H, 44 4 F, 35 5 H, 35 6 H, 51 7 F, 33 8 F, 33 9 F, 63

Ancienneté du traitement par AN (mois) 4 46 88 36 90 40 8 46 10

Durée cumulée d’AN (mois)

Durée cumulée (en mois) de chaque AN AZT

DDI

DDC

D4T

3TC

8 101 116 72 146 80 14 61 20

4 23 68 0 84 0 0 25 2

4 21 0 37 5 26 0 4 10

0 15 0 0 0 0 0 16 0

0 24 18 1 5 15 7 3 8

0 18 30 36 50 39 7 13 0

Association d’AN au moment de l’acidose

Devenir

AZT, DDI D4T, 3TC AZT, 3TC D4T, DDI D4T, DDI DDI, 3TC D4T, 3TC 3TC AZT, DDI

Décès Décès Survie Survie Décès Décès Décès Décès Décès

AN : analogues nucléosidiques.

sulfaméthoxazole-triméthoprime (n = 5), malocide-adiazine (n = 2), ambisome (n = 2), interféron (n = 1), cyclosporine et corticoïdes (n = 1), foscavir (n = 1), fluconazole (n = 1). La présence d’une affection évolutive au moment de l’acidose lactique était relevée dans tous les cas : hépatite chronique B ou C 6 fois (aucun patient n’avait développé antérieurement de décompensation de cirrhose, mais trois présentaient une cytolyse hépatique chronique modérée), insuffisance rénale avec clairance de la créatininémie inférieure à 60 ml/min, 4 fois, dont 3 avec clairance inférieure à 30 ml/min, myocardiopathie avec hypertension artérielle pulmonaire 1 fois. Cinq patients présentaient, au moment du diagnostic d’acidose lactique, une infection évolutive (infection des voies aériennes supérieures 3 fois, rétinite à cytomégalovirus 1 fois, cryptococcose neuroméningée 1 fois) ayant débuté un à 15 jours avant le diagnostic d’acidose.

3. Discussion L’hyperlactatémie, symptomatique ou non, semble un phénomène fréquent chez les patients traités par AN puisque dans une étude transversale récente Boubaker et al. [9] mettaient en évidence que 8,3 % de 880 patients présentaient une élévation des lactates sériques et que 1 % d’entre eux avaient une élévation modérée à sévère (plus de 2,2 fois la limite supérieure). Nous avons par ailleurs montré dans une étude rétrospective que l’incidence de l’acidose métabolique compensée (hyperlactacidémie) appréciée par la mesure de la réserve alcaline et du trou anionique chez les patients sous AN était de 2,7 ‰ patients-année [10], résultats proches de ceux de John et al. [11]. Néanmoins, il n’a pas été actuellement démontré que le niveau d’hyperlactacidémie aurait une valeur prédictive de la survenue d’une acidose lactique décompensée. Celle-ci pourrait donc avoir des facteurs déclenchant actuellement non identifiés. L’incidence de l’acidose lactique symptomatique est estimée à 1,3 % patients/année dans la population de patients traités par AN dans l’étude de Fortgang et al. [12] et à 0,9 % dans la nôtre [10]. Très récemment, Coté et al. [13] ont mis en évidence que l’ADN mitochondrial était significativement abaissé chez les patients infectés par le VIH sans traitement antirétroviral par

rapport à un groupe de sujets non infectés par le VIH [13]. De plus, les patients présentant une hyperlactacidémie symptomatique sous AN avaient un ADN mitochondrial significativement abaissé par rapport aux sujets infectés par le VIH, mais le niveau d’ADN mitochondrial remontait à l’arrêt des traitements suggérant ainsi un phénomène de réversibilité intéressant dans la prise en charge pratique. L’acidose lactique imputable aux AN survient par le biais d’un mécanisme de toxicité mitochondriale avec effet cumulatif. En effet, les AN sont capables, non seulement d’inhiber la transcriptase inverse virale mais à plus forte dose, ils peuvent inhiber d’autres ADN polymérases cellulaires et notamment l’ADN polymérase c impliquée dans la réplication de l’ADN mitochondrial qui code pour certains enzymes de la chaîne respiratoire. Cela a pour conséquence une déplétion en ADN mitochondrial à l’origine d’un déficit enzymatique au niveau de la chaîne respiratoire qui va se traduire par une altération de la phosphorylation oxydative entraînant une faillite énergétique cellulaire à l’origine d’une hyperlactacidémie [14,15]. Des anomalies morphologiques des mitochondries ont été bien décrites à l’échelle structurale dans la littérature chez des patients ayant présenté un tableau d’acidose lactique sévère : aspect pleiomorphe, mitochondries géantes, désorganisation des crêtes, corps denses aux électrons et inclusions paracristallines [16]. Le polymorphisme clinique lié à cette cytopathie mitochondriale acquise comporte de nombreuses similitudes avec les mitochondriopathies héréditaires liées à des mutations de l’ADN mitochondrial : neuropathie optique de Leber, MNGIE syndrome, syndrome de Kearns-Sayre, maladie de Leigh, syndrome de Merrf, syndrome MELAS, qui associent à des degrés divers neuropathie périphérique, encéphalopathie, déficit neurosensoriel, myopathie, cardiomyopathie, pancréatite, syndrome de malabsorption, diabète, stéatose hépatique, atteinte tubulaire rénale ou hématologique [17]. Le tableau clinique est peu spécifique trouvant, dans notre étude, une altération brutale de l’état général, une dyspnée, des douleurs abdominales prédominantes dans l’hypochondre droit, ou plus rarement un ictère, un collapsus ou un syndrome fébrile. Des signes neurologiques (syndrome confusionnel, vertiges, flou visuel, céphalées) ont également

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été signalés. La présentation clinique ne semble pas avoir de valeur pronostique sur le risque de décès [5]. Les examens complémentaires ont mis en évidence, dans notre étude, une acidose métabolique avec hyperlactatémie jusqu’à 51,5 mmol/l pouvant persister jusqu’à 15 jours après l’arrêt des AN. Il s’y associe une hépatite cytolytique compliquée d’insuffisance hépatocellulaire dans 50 % des cas. L’atteinte hépatique est fréquente mais n’est pas constante dans les observations rapportées dans la littérature, et pourrait constituer un critère de mauvais pronostic. Les explorations morphologiques du foie effectuées chez nos patients et dans la littérature (échographie, scanner, imagerie par résonance magnétique nucléaire) objectivent des images de stéatose aiguë. L’analyse histologique met en évidence le plus souvent des lésions de stéatose macrovésiculaire sans modification de l’architecture hépatique, ni inflammation. Les lésions microvésiculaires, beaucoup plus rares, étaient associées à une cytolyse hépatique plus importante [4]. Des signes biologiques de rhabdomyolyse et de pancréatite sont présents dans environ 20 % des observations. Notre étude se caractérise par une très forte mortalité (7/9), conséquence probable d’une stricte sélection des patients présentant une authentique acidose lactique non compensée comparativement à d’autres études ou analyses de la littérature prenant en compte des observations où le pH était normal [4–6]. Ainsi, dans une analyse de la littérature en 1999 portant sur 40 cas d’acidose lactique survenue chez des patients traités par AN, Mégarbane et al. [4] rapportaient 60 % de décès. Plus récemment, sur 12 cas d’acidose lactique symptomatique, Coghlan et al. [5] signalaient 5 décès, tout comme Falco et al. [6]. Ce dernier, après une analyse de la littérature portant sur 72 cas, retenait qu’un taux de lactates sérique supérieur à 10 mmol/l était associé à une mortalité élevée (OR, 13,23 ; intervalle de confiance à 95 % : 2,96–59,25 ; p = 0,001) et que l’administration d’un traitement spécifique (thiamine, riboflavine, l-carnitine, prostaglandine-E, coenzyme-Q) était associée à une mortalité plus basse (OR, 0,17 ; IC 95 % : 0,04–0,73 ; p = 0,017). À l’inverse, il n’a pas été rapporté clairement de facteur de risque d’acidose lactique à ce jour même si la présence de certaines comorbidités peut être évoquée comme une circonstance favorisante. Il est ainsi possible que l’obésité et la stéatose hépatique augmentent le risque de toxicité des AN par le biais d’un dysfonctionnement hépatocytaire [7]. Nous avons par ailleurs relevé dans notre étude que quatre patients étaient porteurs d’une insuffisance rénale chronique, six d’une co-infection par les virus des hépatites, un d’une insuffisance cardiaque droite. Il n’est pas fait mention d’une diminution de la clairance de la créatininémie dans les deux grandes séries de la littérature [5,6]. Enfin, cinq patients avaient présenté un syndrome infectieux dans les jours précédant l’acidose lactique. Ces comorbidités, et en particulier l’insuffisance rénale, pourraient représenter des situations à risque d’acidose lactique par le biais d’une diminution de clairance et d’un phénomène cumulatif des AN à l’origine de la toxicité mitochondriale.

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Dans notre étude, l’exposition aux AN est importante pour la majorité des patients mais chez trois d’entre eux (dont deux en situation d’insuffisance rénale), l’exposition était plus modeste. L’étude des principaux AN prescrits au moment du diagnostic d’acidose lactique ne permet pas de dégager une association particulière à haut risque. Néanmoins, des données in vitro montrent que la puissance d’inhibition de l’ADN polymérase c est variable selon les molécules avec par ordre décroissant la stavudine, didanosine, zidovudine, zalcitabine, lamivudine [4]. Ces résultats vont dans le sens de plusieurs études rétrospectives cliniques impliquant la stavudine et la didanosine comme les plus pourvoyeurs d’acidose lactique [5–8]. Il est toutefois rapporté des cas d’acidose lactique sévère avec d’autres associations que celles faisant intervenir ces molécules, tels que dans notre étude. La prise en charge thérapeutique reste symptomatique, basée sur l’apport de bicarbonates et une bonne hydratation. L’arrêt des AN paraît indispensable en cas d’hyperlactacidémie symptomatique mais il est décrit de nombreux cas d’hyperlactacidémie asymptomatique ou symptomatique ou le maintien de la bithérapie d’AN ne s’est pas compliqué d’acidose décompensée [9]. Des traitements supplétifs par thiamine, coenzymes Q, riboflavine et l-carnitine sont aujourd’hui proposés sans qu’un bénéfice clinique ou sur la survie n’ait été prouvé par des essais thérapeutiques [4,18]. L’acidose lactique décompensée induite par les AN au cours de l’infection par le VIH est rare mais de pronostic sévère. Son incidence pourrait croître en raison de la durée d’exposition aux AN qui s’allonge avec la diminution de la mortalité des patients infectés par le VIH. La détermination de facteurs génétiques, biochimiques, ou de comorbidité favorisant la décompensation de l’hyperlactacidémie des patients sous AN est importante pour prévenir les risques d’acidose lactique. Des études prospectives semblent donc nécessaires pour mieux définir le syndrome d’acidose lactique induit par les AN, sa prévalence, ses facteurs de risques et les stratégies thérapeutiques à adopter.

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