Deux cas de gangrène pulmonaire chez des patients infectés par le VIH, d’évolution favorable sans chirurgie

Deux cas de gangrène pulmonaire chez des patients infectés par le VIH, d’évolution favorable sans chirurgie

Médecine et maladies infectieuses 41 (2011) 102–104 Cas clinique Deux cas de gangrène pulmonaire chez des patients infectés par le VIH, d’évolution ...

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Médecine et maladies infectieuses 41 (2011) 102–104

Cas clinique

Deux cas de gangrène pulmonaire chez des patients infectés par le VIH, d’évolution favorable sans chirurgie Two cases of pulmonary gangrene in HIV-infected patients: Favorable outcome without surgery G. Le Falher a,∗ , A. Makinson a , A. Eden a , A. Lesnik b , V. Le Moing a , J. Reynes a a

Service des maladies infectieuses et tropicales, hôpital Gui-de-Chauliac, 80, avenue Augustin-Fliche, 34295 Montpellier cedex 5, France b Service de radiologie, hôpital Gui-de-Chauliac, 80, avenue Augustin-Fliche, 34295 Montpellier cedex 5, France Rec¸u le 21 mai 2009 ; accepté le 13 novembre 2009 Disponible sur Internet le 9 d´ecembre 2010

Mots clés : Gangrène pulmonaire ; Traitement médical ; VIH Keywords: HIV infection; Medical treatment; Pulmonary gangrene

1. Introduction La gangrène pulmonaire (GP) est une complication rare des pneumonies, généralement bactériennes. Les bactéries les plus souvent en cause sont les bacilles Gram négatifs, mais le pneumocoque a également été décrit comme responsable [1]. Mais l’apparition d’une GP chez des patients infectés par le VIH n’a été que très rarement décrite dans la littérature [2,3]. Nous relatons ici deux cas de GP (dont une au cours d’une pneumopathie bactériémique à pneumocoque) survenus chez des patients infectés par le VIH. 2. Cas cliniques L’observation no 1 est celle d’un homme de 37 ans admis en unité de soins intensifs pour une altération de l’état général accompagnée de toux sèche et de dyspnée évoluant depuis 18 jours. Ce patient était séropositif pour le VIH, avec un taux de CD4 à 395 par millimètre cube et une charge virale à 100 000 copies par millilitre, sans traitement antirétroviral. Il présentait aussi une intoxication éthylotabagique chronique. À l’admission, il était fébrile à 39 ◦ C. L’auscultation pulmonaire retrouvait une abolition du murmure vésiculaire et un souffle tubaire à la base gauche. Les globules blancs étaient à 13 200 par millimètre cube, la C Reactive Proteine (CRP) ∗

Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (G. Le Falher).

0399-077X/$ – see front matter © 2010 Publi´e par Elsevier Masson SAS. doi:10.1016/j.medmal.2009.11.002

à 100 mg/l. La gazométrie artérielle montrait une hypoxie avec une PO2 à 70 mmHg sous un litre d’oxygène par minute. L’antigénurie légionelle était négative. Les hémocultures et l’analyse des crachats étaient négatives. La recherche de bacilles acido-alcoolorésistants dans les expectorations était négative. La radiographie thoracique retrouvait une pneumopathie gauche, avec un poumon blanc total à gauche. La fibroscopie bronchique retrouvait un bouchon muqueux à gauche. Le lavage bronchiolo-alvéolaire (LBA) réalisé sous antibiothérapie a ramené un liquide inflammatoire et les cultures étaient positives à 2 × 104 staphylocoques à coagulase négative, dont le rôle pathogène ne peut pas être retenu. La recherche de virus, de mycobactérie, de Nocardia, de Rhodococcus et de Pneumocystis était négative dans le LBA. Le scanner thoracique objectivait une pneumopathie des deux tiers du poumon gauche avec une image excavée dans le foyer de pneumonie. La Fig. 1 présente les images scannographiques du thorax après injection de produit de contraste. L’aspect nécrotique a motivé l’instauration d’une antibiothérapie à large spectre couvrant l’ensemble des bactéries potentiellement impliquées et possiblement résistantes (imipénem, linézolide et gentamycine). Son état s’est progressivement amélioré et il est devenu apyrétique après trois semaines. Il a rec¸u au total 35 jours d’antibiothérapie. L’observation no 2 est celle d’un homme de 39 ans, présentant une toux fébrile depuis 14 jours. Il était infecté par le VIH et traité par lamivudine et didanosine ; le taux de lymphocytes CD4 était de 416 par millimètre cube avec une charge virale de 847 copies par millilitre. Il était également infecté par le virus de l’hépatite

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Fig. 1. Scanner thoracique après injection de produit de contraste. Condensation parenchymateuse du lobe inférieur droit avec excavation du parenchyme (étoile). Le tissu nécrotique est en hyposignal (flèches). Le tissu où persiste une vascularisation est rehaussé après injection (têtes de flèche). Thoracic scan after injection of contrast medium. Parenchymatous. condensation of the right inferior lobe with excavation of parenchyme (star). The necrotic tissue is in hyposignal (arrows). Vascularized tissue is enhanced after injection (arrow head).

C, sans cirrhose, non traitée. Enfin, il avait été splénectomisé pour une cause inconnue et présentait une intoxication tabagique ainsi qu’un alcoolisme chronique. L’examen clinique retrouvait une température à 38,8 ◦ C, une tension artérielle à 12/7. L’auscultation pulmonaire mettait en évidence des crépitants de l’hémichamp droit. Les globules blancs étaient à 13 600 par millimètre cube, la CRP à 100 mg/l. La gazométrie artérielle sous oxygène montrait une saturation à 97,6 %, une PO2 à 100 mmHg, un pH à 7,37. Trois hémocultures sont revenues positives à Streptococcus pneumoniae pénicilline G sensible (concentration minimale inhibitrice [CMI] < 0,023 mg/L). L’antigénurie légionelle était négative. Le scanner thoracique objectivait des foyers de pneumopathie nécrotique des lobes supérieur et inférieur droits. La Fig. 2 présente les images scannographiques du thorax après injection de produit de contraste. Le LBA a permis d’isoler un pneumocoque, de même antibiogramme que les hémocultures. La recherche de bacilles acido-alcoolorésistants était négative. Une bithérapie antipneumococcique (amoxicilline et lévofloxacine) a été débutée, puis complétée par un traitement anti-anaérobies (métronidazole) au vu de l’aspect nécrotique. Après trois semaines, il était toujours fébrile et le scanner thoracique retrouvait un aspect de cavitations aériques des lésions précédemment décrites. Une ponction sous scanner a été réalisée : elle a ramené un liquide cellulaire sans bactérie. L’antibiothérapie a été modifiée en faveur de l’imipénem afin d’élargir le spectre. L’apyrexie a finalement été obtenue. Le traitement antibiotique a duré 60 jours en tout. Après deux mois, le patient a pu quitter le service.

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Fig. 2. Scanner thoracique après injection de produit de contraste. Destruction du lobe supérieur droit par le processus gangréneux. Condensation du parenchyme pulmonaire avec bronchogramme aérien (flèches). Épaississement pleural correspondant à un empyème (têtes de flèche). Thoracic scan after injection of contrast medium. Destruction of the upper right lobe by gangrene. Condensation of the pulmonary parenchyma with aerial bronchogram (arrows). Pleural thickening corresponding to empyema (arrow heads).

3. Discussion La GP est définie comme une entité radioclinique. Il s’agit d’une pneumonie d’allure bactérienne, dont la présentation initiale est sans particularité, mais qui évolue secondairement vers une ischémie au niveau d’un large segment ou d’un lobe pulmonaire, aboutissant à une nécrose gangréneuse. L’étiologie est généralement bactérienne, le plus souvent un bacille Gram négatif notamment Klebsiella pneumoniae [4], mais cette évolution a également été décrite avec S. pneumoniae [1], Haemophilus influenzae, Escherichia coli ou Staphylococcus aureus [4]. La physiopathologie exacte de la GP est mal connue. On suppose qu’elle est liée à l’action conjointe d’une infection et d’une thrombose artérielle. Une telle association survient soit en cas d’embolie pulmonaire surinfectée, soit en cas d’embolie pulmonaire septique lors d’endocardite droite, d’une infection de cathéter intraveineux ou d’un syndrome de Lemierre. La GP requiert de plus une destruction des artères bronchiques situées dans la paroi des bronches par le processus infectieux local. La survenue simultanée d’une thrombose dans les circulations bronchique et pulmonaire associée à la présence de débris inflammatoires à l’intérieur des alvéoles prive le tissu de ses trois sources d’oxygène. Cela ne se voit pas dans les autres pathologies pulmonaires nécrosantes où une de ces sources est préservée. Les deux diagnostics les plus délicats à éliminer sont les abcès pulmonaires et la pneumonie nécrosante de type staphylococcique. Du fait de l’extrême rareté de cette affection, sa prise en charge thérapeutique est mal codifiée, mais quasiment tous les auteurs recommandent un traitement chirurgical en complément de l’antibiothérapie [1,5]. Nos deux patients, dont l’âge moyen est de 38 ans, avaient des antécédents de tabagisme et d’alcoolisme chronique et ont

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présenté des pneumopathies d’origine communautaire touchant les lobes supérieurs. Le délai, entre le début des symptômes et la première antibiothérapie, était prolongé (14 et 18 jours). Le microorganisme en cause a été retrouvé chez un patient : il s’agissait d’un S. pneumoniae. Il n’a pas été identifié chez le second. Toutes les données clinicobiologiques concernant nos patients sont concordantes avec la revue de 25 cas de GP réalisée par Penner et al. [4] dans laquelle 75 % des patients étaient des hommes, d’un âge moyen de 47 ans. Soixante pour cent d’entre eux présentaient des facteurs de risque de pneumopathie tels que l’alcoolisme, des maladies pulmonaires chroniques, un diabète sucré, une dénutrition. Dans cette même étude, quasiment toutes les pneumopathies étaient dues à des bactéries communautaires : K. pneumoniae dans 52 % des cas, et S. pneumoniae ensuite par ordre de fréquence (24 %), et l’atteinte principale concernait les lobes supérieurs dans 80 % des cas. Chez nos patients, l’évolution lente vers la cavitation avec absence de niveaux hydro-aériques permet d’exclure un abcès pulmonaire. De même, la lenteur d’apparition des excavations et leur caractère localisé au sein du foyer initial de pneumopathie ne plaident pas en faveur d’une pneumopathie nécrosante. Les lésions présentées par ces deux sujets sont donc des formes typiques de GP, même si l’absence de preuves anatomopathologiques ne permet pas de l’affirmer formellement. Malgré la fréquence des pneumonies bactériennes chez les patients infectés par le VIH, seulement deux cas de GP ont à notre connaissance été décrits chez ces patients à ce jour : le premier a été rapporté par Reich [2] et concernait une infection à P. aeruginosa. Le second a été décrit par Collazos et al. [3] : il s’agissait dans ce cas d’une patiente de 35 ans, profondément immunodéprimée (taux de lymphocytes CD4 à 5 par millimètre cube), chez qui la gangrène était survenue lors d’une rechute de pneumopathie à pneumocoque. Contrairement aux deux précédents cas décrits dans la littérature, le degré d’immunodépression de nos deux patients était modéré (395 et 416 CD4 par millimètre cube). Ils présentent en revanche un facteur de risque plus classiquement décrit dans la survenue de cette affection : l’intoxication éthylique. En effet, l’alcool altère les mécanismes de défense pulmonaire notamment en diminuant l’action phagocytaire des macrophages alvéolaires et les patients alcooliques (hors cirrhose comme c’est le cas pour nos patients) sont plus vulnérables aux infections pulmonaires [6].

La très grande majorité des descriptions de GP datent de l’époque antérieure à l’épidémie de VIH. Depuis les années 1980, les quelques cas décrits concernent essentiellement des patients non infectés par le VIH. Il est donc probable que l’infection par le VIH n’est pas un facteur de risque de GP. Il est aussi à noter que la GP survient habituellement après plusieurs jours d’évolution de la pneumopathie quelle que soit la bactérie responsable. Or la population des patients infectés par le VIH bénéficie très souvent d’un suivi médical régulier. Il est possible que ces patients bien informés consultent plus rapidement, permettant ainsi l’instauration d’une antibiothérapie précoce qui pourrait empêcher l’évolution gangréneuse. 4. Conclusion Malgré la fréquence très élevée des infections à pneumocoque chez les patients VIH, la survenue d’une GP au cours de l’infection par le VIH est rare, puisque seuls deux cas ont été décrits auparavant dans la littérature. Le degré d’immunodépression de nos deux patients était cependant modéré et ils présentaient par ailleurs un tabagisme et un alcoolisme chronique. Même si l’infection par le VIH ne semble pas être un facteur de risque, le diagnostic de GP doit être évoqué devant toute pneumopathie bactérienne n’évoluant pas favorablement chez des patients infectés par le VIH ou non, notamment en cas de retard à la prise en charge. Références [1] Danner PK, McFarland DR, Felson B. Massive pulmonary gangrene. Am J Roentgenol Radium Ther Nucl Med 1968;103(3):548–54. [2] Reich JM. Pulmonary gangrene and the air crescent sign. Thorax 1993;48(1):70–4. [3] Collazos J, et al. Pulmonary gangrene secondary to pneumococcal pneumonia in a patient with AIDS. Clin Infect Dis 1997;24(2):268–9. [4] Penner C, Maycher B, Long R. Pulmonary gangrene. A complication of bacterial pneumonia. Chest 1994;105(2):567–73. [5] Knight L, Fraser RG, Robson HG. Massive pulmonary gangrene: a severe complication of Klebsiella pneumonia. Can Med Assoc J 1975;112(2):196–8. [6] Brayton RG, et al. Effect of alcohol and various diseases on leukocyte mobilization, phagocytosis and intracellular bacterial killing. N Engl J Med 1970;282(3):123–8.