Actualités en thrombose et cancer

Actualités en thrombose et cancer

La Revue de médecine interne 32 (2011) 265–267 Entendu et noté Actualités en thrombose et cancer Update in thrombosis and cancer Un symposium sur l’a...

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La Revue de médecine interne 32 (2011) 265–267

Entendu et noté Actualités en thrombose et cancer Update in thrombosis and cancer Un symposium sur l’actualité en thrombose et cancer s’est tenu à Dijon, pendant le 62e congrès de la Société nationale franc¸aise de médecine interne (SNFMI) le 10 décembre 2010 sous l’égide du laboratoire LEO Pharma. 1. Épidémiologie de l’association maladie thrombo-embolique veineuse (MTEV) et cancer Jusqu’à présent sous estimée, l’association maladie thromboembolique veineuse (MTEV) et cancer est démontrée par le parallélisme des courbes d’incidence des deux affections qui croissent exponentiellement à partir de l’âge de 50 ans avec un pic vers 70 ans. La maladie cancéreuse réunit « naturellement » les éléments de la triade de Virchow : (1) stase veineuse (alitement, déshydratation. . .), (2) agression pariétale vasculaire (chirurgie, chambre implantable, chimiothérapie, radiothérapie. . .), (3) hyper coagulabilité. Une MTEV préliminaire est l’occasion de découvrir (surtout dans les six à 12 mois) un cancer (souvent métastatique) dans 10 à 20 % des cas, surtout en cas de thrombose veineuse profonde récidivante, bilatérale, idiopathique, ou survenant sous antivitamines K (AVK). Un bilan étiologique raisonnable par scanner thoracoabdominopelvien, mammographie et cytologie de l’expectoration aurait le meilleur rapport médicoéconomique [1]. Les patients cancéreux ont un risque de développer une MTEV de 4 à 20 % et quatre à sept fois supérieur à celui des patients non cancéreux. Deux tiers des MTEV sont asymptomatiques. On peut classer les cancers selon leur caractère thrombogène (par ordre décroissant : pancréas, estomac, ovaire, poumon, lymphome, gynécologique, prostate, côlon, sein. . .). Le stade métastatique décuple le risque. Un patient atteint de cancer hospitalisé sur sept décède d’embolie pulmonaire. La MTEV est la deuxième cause de décès. Les facteurs de risque de MTEV sont connus : chirurgie (risque relatif [RR] : 2), chimiothérapie (RR : 2 à 6), hormonothérapie/tamoxifène (RR : 2 à 5), traitements anti-angiogéniques, usage d’érythropoïétine (RR : 10,3), compression tumorale, paramètres biologiques (hyperleucocytose, thrombocytose, élévation des D-dimères, de la CRP), chambres implantables. Le risque peut être estimé par le score de Khorana [2]. Il faut combattre le défaitisme d’études anciennes. L’affirmation « MTEV et cancer : c’est déjà trop tard ! » doit être tempérée car les héparines de bas poids moléculaire (HBPM) ralentissent l’évolution fatale de la maladie cancéreuse chez les patients sans métastases initiales, avec un taux de décès à un an de 20 % sous HBPM, versus 36 % sous AVK (p = 0,03) (différence non significative en cas de métastases) [3] ; ce bénéfice s’expliquerait par l’effet de l’HBPM sur la 0248-8663/$ – see front matter doi:10.1016/j.revmed.2011.01.010

coagulation laquelle est intrinsèquement impliquée dans la tumorigénèse et/ou la progression tumorale. Au cours d’un cancer, le taux de récidive de MTEV est plus important sous AVK que sous HBPM qui permettent une réduction de 50 % des récidives [4].

2. Physiopathogénie de la thrombose chez les patients cancéreux Le facteur tissulaire (FT), initiateur physiologique de la coagulation, et ses variants solubles sont surexprimés lors des cancers et hémopathies fortement thrombogènes. Le facteur FT semble impliqué dans la migration des cellules tumorales et l’angiogenèse tumorale. Les microparticules (< 1 ␮M), libérées par les cellules tumorales lors de processus d’activation et d’apoptose, sont riches en facteur FT et phospholipides anioniques procoagulants. Elles véhiculent de multiples éléments et molécules tels que les intégrines et P-sélectines. Libérées massivement par une chimiothérapie « brutale », elles proviennent aussi des plaquettes, des cellules endothéliales, des leucocytes, avec d’importantes interactions cellulaires. On sait les analyser par cytométrie de flux. La thrombine, les facteurs VIIa et Xa activent des récepteurs spécifiques PARs (sur les cellules endothéliales, les plaquettes et la tumeur) impliqués dans les processus d’angiogenèse, de croissance tumorale et de développement des métastases. Cela fait le lien entre coagulation et prolifération tumorale. Interviennent également une héparanase tumorale, une cystéine protéase activant le facteur X indépendamment des cytokines tumorales pro-inflammatoires (IL1, TNF␣) proangiogéniques (VEGF). Une activité fibrinolytique des cellules tumorales favoriserait leur migration métastatique. Les inhibiteurs de cette activité prothrombotique sont : le TFPI, inhibiteur de la voie du facteur FT, l’antithrombine, les protéines C et S, le système fibrinolytique. La stratification du risque thrombotique du cancer à partir de nouveaux biomarqueurs (P-sélectines, FT, microgranules) pourrait être pertinente (projet d’étude du GFTC/Christophe Dubois). Les plaquettes ont de nombreux rôles : elles émettent des microparticules, transportent le facteur FT, sont le siège préférentiel de la génération de thrombine. Elles ont également un rôle protecteur contre l’activité lytique des cellules NK, favorisent l’angiogenèse et l’adhésion des cellules tumorales métastatiques (par la P-sélectine et l’␣IIb␤3) et sécrètent de nombreux microgranules pro-angiogéniques ou anti-angiogéniques, via les récepteurs PAR, régulant l’angiogenèse. Elles sont enfin une source considérable de facteurs de croissance impliqués dans l’intégrité de la vascularisation tumorale. Néanmoins, il y a peu de données actuelles en thérapeutique pour viser des cibles plaquettaires.

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À l’heure actuelle, les anticoagulants sont le traitement de choix. Les HBPM sont la référence avec la double acté anti-Xa et anti-thrombine, à laquelle s’ajoute une activité TFPI inhibant la voie du facteur FT. À noter que les schémas posologiques des HBPMs sont propres à chacune d’entre elles et qu’il n’est donc pas recommandé de substituer le schéma posologique d’une HBPM par celui d’une autre. À l’heure actuelle, il n’y a pas d’arguments pour cibler uniquement le facteur Xa ou la thrombine. 3. Gestion optimale du traitement anticoagulant de la maladie thrombo-embolique veineuse en présence d’un cancer Les recommandations nationales de prévention et du traitement de la MTEV en présence d’un cancer, largement diffusées et disponibles sur le site http://www.sor-cancer.fr, s’appuient sur trois études pilotes (Canthanox, LITE et CLOT) et plusieurs métaanalyses. Elles recommandent en curatif l’utilisation d’HBPM au long cours (trois à six mois) avec un haut niveau de preuve. Trois produits sont recommandés : daltéparine 200 UI/kg une fois par jour pendant un mois puis 150 UI/kg une fois par jour ; tinzaparine 175 UI/kg une fois par jour ; énoxaparine 150 UI/kg une fois par jour. Des alternatives sont proposées en cas de contreindication aux HBPM. La prise en charge des thromboses sur cathéter bénéficie également de recommandations. Paradoxalement ces recommandations sont insuffisamment suivies en France [5]. Dans la « vraie vie », la décision thérapeutique est souvent difficile, notamment lors de stades avancés polymétastatiques ou de contre-indications relatives ou absolues aux anticoagulants. C’est l’intérêt des réunions de concertation pluridisciplinaire (RCP) qui permettent une réflexion à plusieurs, selon les nombreux paramètres de la MTEV et du cancer, rendant moins hasardeuse la progression sur une « ligne de crête » thérapeutique. La mise en place d’un responsable « soins de recours/RCP » sera obligatoire en mars 2011. C’est dire l’intérêt de la mise en place par le GFTC d’un registre observationnel de la MTEV chez le patient cancéreux. Ce registre [inscription à l’adresse [email protected] (cotisation 20 euros)] favorise l’application des SORs–INCa, la mise en place d’une RCP de recours, la création d’une base de données commune, la recherche clinique et la coopération avec les groupes nationaux et internationaux de travail déjà existants.

l’héparine. Le tableau gravissime associe thrombopénie et thromboses artérielles ou veineuses. Le diagnostic biologique n’est pas toujours aisé. Les traitements sont le danaparoïde sodique ou l’hirudine. La TIH de type 2 s’observe essentiellement avec l’héparine non fractionnée (HNF), rarement avec les HBPM. C’est pourquoi les recommandations Afssaps 2009 ont proposé un allégement de la surveillance de la numération plaquettaire sous HBPM (dose curative ou préventive) qui n’est plus recommandée en dehors d’un contexte postopératoire ou si le traitement a été précédé par une HNF. La surveillance reste recommandée deux fois par semaine pendant 21 jours en cas de traitement par HNF, ou si l’HBPM a été précédée par une HNF et en cas de co-morbidités importantes, et un mois en cas de MTEV postopératoire. 5. Influence de la chimiothérapie et des traitements antiangiogéniques sur la maladie thrombo-embolique veineuse Depuis Stein en 2006, on constate une augmentation progressive d’incidence de MTEV chez les patients cancéreux [6] qui a fait envisager l’impact de nouveaux facteurs de risque : augmentation de l’âge des patients, (poly)chimiothérapie, hormonothérapie et traitements anti-angiogéniques. Le risque thrombotique augmente en moyenne de 6,5 fois sous chimiothérapie, variant selon le produit : RR : 2 à 4 sous méthotrexate, 2 à 3 sous 5-FU ou cisplatine, 1,5 à 7 sous hormonothérapie, 2 à 7 sous tamoxifène. . . Les polychimiothérapies, les bolus de corticoïdes, l’usage d’érythropoïétine (RR : 1,7) majorent ce risque. Parmi les anti-angiogéniques, le thalidomide dans le traitement du myélome entraîne un risque de MTEV de 2 à 4 % en monothérapie et de 8 à 27 % en association au melphalan et à la prednisone. Le lénalidomide est thrombogène à des taux variables, selon les essais, le terrain et les produits associés, de 0 à 33 %. [7]. Le bévacizumab utilisé dans le cancer colique entraîne une incidence de 19 à 30 % de MTEV. Les anti-angiogéniques favorisent aussi des thromboses artérielles. Ils perturbent la coagulation en augmentant le fibrinogène, le facteur VIII et la résistance à la protéine C activée. Dans le myélome, des recommandations spécifiques de prophylaxie existent reposant, selon les facteurs de risque, sur l’aspirine, les HBPM ou les AVK [7]. Ce risque peut contraindre en RCP à des choix thérapeutiques alternatifs.

4. Thrombopénie, cancer et traitement anticoagulant

Déclaration d’intérêts

La thrombopénie (Tp) chez un patient cancéreux sous anticoagulants est une situation fréquente et n’a pas fait l’objet de recommandations officielles. Elle est souvent multifactorielle :

L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

• le cancer peut être responsable d’une Tp plus souvent centrale (envahissement, myélodysplasie, carences, hémophagocytose. . .) que périphérique (CIVD, MAT, hypersplénisme, infection associée. . .) ; • la chimiothérapie induit une Tp prévisible typiquement six à dix jours après administration, parfois retardée de deux à trois semaines, habituellement associée à une neutropénie, et de caractère transitoire (quelques jours) ; • les Tp induites par l’héparine (TIH) comprennent : la TIH de type 1, fréquente (10–20 %), précoce, asymptomatique, modérée (100 000 plaquettes/mm3 ), sans gravité, et la TIH de type 2, redoutée, plus rare, apparaissant (du cinquième au 21e jour), mais pouvant être plus précoce chez des malades ayant déjà rec¸u de

[1] Di Nisio M, Otten HM, Piccioli A, Lensing AW, Prandoni P, Büller HR, et al. Decision analysis for cancer screening in idiopathic venous thromboembolism. J Thromb Haemost 2005;3:2391–6. [2] Khorana AA, Kuderer NM, Culakova E, Lyman GH, Francis CW. Development and validation of a predictive model for chemotherapy-associated thrombosis. Blood 2008;111:4902–7. [3] Lee AY, Rickles FR, Julian JA, Gent M, Baker RI, Bowden C, et al. Randomized comparison of low molecular weight heparin and coumarin derivatives on the survival of patients with cancer and venous thromboembolism. J Clin Oncol 2005;23:2123–9. [4] Hull RD, Pineo GF, Brant RF, Mah AF, Burke N, Dear R, et al. Long-term low-molecular-weight heparin versus usual care in proximal-vein thrombosis patients with cancer. Am J Med 2006;119:1062–72. [5] Farge D, Durant C, Villiers S, Long A, Mahr A, Marty M, et al. Lessons from French National Guidelines on the treatment of venous thrombosis and central venous catheter thrombosis in cancer patients. Thromb Res 2010;125(Suppl. 2):S108–16.

Références

Entendu et noté / La Revue de médecine interne 32 (2011) 265–267 [6] Stein PD, Beemath A, Meyers FA, Skaf E, Sanchez J, Olson RE. Incidence of venous thromboembolism in patients hospitalized with cancer. Am J Med 2006;119:60–8. [7] Palumbo A, Rajkumar SV, Dimopoulos MA, Richardson PG, San Miguel J, Barlogie B, et al. Prevention of thalidomide- and lenalidomide-associated thrombosis in myeloma. Leukemia 2008;22:414–23.

L. Geffray Service de médecine interne, centre hospitalier

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Robert-Bisson, 4, rue Roger-Aini, 14100 Lisieux, France Adresse e-mail : [email protected] ´ Disponible sur Internet le 26 fevrier 2011