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Mémoire original
Affections pseudotumorales : dix ans d’expérience dans un service d’oncologie pédiatrique Pseudotumoral diseases: ten years experience in a department of pediatric oncology G. Raimondo a,*, V. Ridola a, L. Brugières a, D. Couanet b, D. Valteau-Couanet a, J. Grill a, F. Pein a, O. Hartmann a a
Département d’oncologie pédiatrique, institut Gustave-Roussy, 39, rue Camille-Desmoulins, 94800 Villejuif, France b Département d’imagerie, institut Gustave-Roussy, 39, rue Camille-Desmoulins, 94800 Villejuif, France Reçu le 23 juillet 2001; accepté le 29 juin 2002
Résumé Objectif . – Parmi les 350 nouveaux patients adressés annuellement en pédiatrie à l’institut Gustave-Roussy, environ 2 % n’ont pas de maladie tumorale. Nous présentons l’étude de ces enfants vus pour des maladies pseudotumorales. Patients et méthodes. – Étude rétrospective sur dix ans à partir du fichier informatique en sélectionnant les patients vus en pédiatrie et ne nécessitant plus de suivi en oncologie. Résultats. – Entre 1990 et 2000, 64 patients nous ont été adressés pour une pseudotumeur. Les motifs les plus fréquents étaient une masse des parties molles (15 cas), une masse abdominale (14 cas), une lésion osseuse (13 cas), une adénopathie (12 cas). Les diagnostics définitifs étaient prioritairement une infection dans 33 cas, ou une lésion post-traumatique dans 10 cas. Dans 25 cas sur 64, plusieurs consultations, voire une hospitalisation, ont été nécessaires pour établir le diagnostic. Dans les trois quarts des cas un complément de bilan a été nécessaire. Dix-neuf patients ont eu un examen histologique. Pour deux patients, le diagnostic n’a été rectifié qu’après le début d’une chimiothérapie. Conclusion. – Les pseudotumeurs conduisant à une consultation d’oncopédiatrie sont rares et représentent un chiffre probablement incompressible de 2 % de ses patients. Seule la multidisciplinarité d’une équipe spécialisée en oncologie pédiatrique permet d’aboutir au diagnostic. © 2002 E´ditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. Summary Purpose. – Among the 350 new patients per year treated in the pediatric oncology department of the Gustave-Roussy Institute, about 2% have no tumor. This study analyzes these children presenting a pseudotumoral disease. Patients and methods. – Ten-year-retrospective study. Patients for which no follow up in oncology was necessary after one consultation or hospitalization were selected. Outcome. – Between 1990 and 2000, 64 patients were seen in the pediatric department for pseudotumoral disease. The reasons of orientation were mainly a soft tissue mass (15 cases), an abdominal mass (14 cases), or a bone lesion (13 cases). Diagnosis was most often infectious diseases (33 cases), or post-traumatic lesions (10 cases). Diagnosis was established following several consultations or an hospitalization for 29 of 64 patients. In 75% of the cases new investigations were necessary to determine the diagnosis. A biopsy was performed in 19. For two children, diagnosis was corrected after the beginning of chemotherapy.
* Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (G. Raimondo). > Communication affichée au congrès de la SFP à Paris le 17 mai 2001 : p 28 Communication affichée et orale au congrès d’oncologie pédiatrique de la SFOP à Beaune le 21 juin 2001. © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. PII: S 0 9 2 9 - 6 9 3 X ( 0 2 ) 0 0 0 5 1 - 9
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Conclusion. – Pseudotumoral diseases leading to a consultation in pediatric oncology are rare and represent two per cent of the patients. For these difficult cases, only a pluridisciplinary discussion may lead to diagnosis. © 2002 E´ ditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. All rights reserved. Mots clés: Pseudotumeur; Diagnostic différentiel; Erreur de diagnostic Keywords: Neoplasms; Diagnosis, differential; Child; Diagnostic errors
En janvier 2000, un enfant de dix ans présentant une fièvre associée à des douleurs osseuses, une adénopathie cervicale et une paralysie faciale périphérique a été pris en charge dans le service de pédiatrie de l’institut GustaveRoussy (IGR). Les examens ont mis en évidence un syndrome inflammatoire, de multiples fixations osseuses à la scintigraphie et des lésions de plusieurs vertèbres à l’IRM, le conduisant a être hospitalisé pour suspicion de lymphome. Finalement, il s’agissait d’une maladie des griffes du chat. Cet enfant a donc été hospitalisé une semaine dans un service d’oncologie pédiatrique pour une maladie infectieuse bénigne ne nécessitant, dans la plupart des cas, aucun traitement. Cette observation nous a poussé à étudier les patients pris en charge en pédiatrie à l’IGR pour des maladies pseudotumorales. Parmi les 3450 nouveaux patients adressés entre 1990 et 2000 en oncologie pédiatrique à l’IGR, 64 soit environ 2 % ne présentaient pas de maladie tumorale. Nous présentons l’analyse des dossiers de ces patients. Les objectifs étaient d’étudier leur mode d’arrivée dans le service, les signes ayant conduit à demander un avis en oncologie, comment le diagnostic a été redressé et quelles étaient ces maladies.
1. Patients et méthodes Cette étude rétrospective, de 1990 à 2000, a été faite à partir du fichier informatique du département de pédiatrie en sélectionnant les patients ne nécessitant plus de suivi à l’IGR. Nous avons volontairement exclu tous les patients présentant une tumeur maligne ou bénigne, ainsi que les enfants du personnel de l’IGR vus pour un problème de pédiatrie générale. Nous avons relevé l’origine et le mode d’arrivée des patients, les signes et symptômes ayant motivé l’orientation du patient en oncologie et la durée des investigations. Parmi les examens complémentaires, seuls ont été retenus les examens radiologiques, les marqueurs tumoraux et les examens invasifs comme les bilans médullaires et les ponctions lombaires ; nous n’avons pas retenu les examens biologiques standards. Enfin le diagnostic définitif et le devenir des patients ont été étudiés : réorientation dans un service hospitalier ou retour à domicile avec un suivi assuré par le médecin traitant.
2. Résultats Soixante-quatre patients ont été adressés dans le service d’oncologie pédiatrique pour des maladies pseudotumorales entre 1990 et 2000. Quarante-quatre (70 %) ont été adressés par des services hospitaliers : 5 de l’étranger, 2 des DomTom, 24 d’Île-de-France et 13 des autres régions. Huit (12 %) ont été adressés par leur médecin traitant et 11 (17 %) sont venus d’eux-mêmes dont 3 avaient des membres de leur famille pris en charge à l’IGR pour une maladie maligne. La population était composée de 37 garçons et 27 filles soit un sex-ratio de 1/3. L’âge moyen était de 8,6 ans et l’âge médian de 8 ans (extrêmes : 10 jours et 19 ans). 2.1. Signes et symptômes Les circonstances qui avaient amené à consulter sont résumées dans le Tableau 1. Les masses des parties molles, découvertes par le patient lui-même, étaient localisées dans la région parotidienne dans un cas ; au tronc dans 7 cas : trois gynécomasties, trois masses thoraciques, une masse testiculaire ; aux membres dans 7 cas : trois masses du membre supérieur, quatre masses du membre inférieur. Les masses abdominopelviennes étaient la deuxième cause de consultation. Elles étaient découvertes soit par les parents ou devant des douleurs ayant conduit à un examen médical. Les lésions osseuses comportaient toujours des anomalies radiologiques, associées à des douleurs dans 10 cas sur 13, à une masse dans 3 cas ; 4 de ces 13 patients étaient fébriles. La découverte d’adénopathies faisant craindre un lymphome a été le motif de consultation pour 12 enfants. Elles étaient isolées dans 3 cas ; associées à une altération de l’état général dans 9 cas. Les signes neurologiques ayant motivé une consultation étaient dans 2 cas un syndrome opsomyoclonique sans anomalie neuroradiologique et dans 4 cas : une crise convulsive avec déficit moteur post-critique, un syndrome cérébelleux avec paralysie de paires crâniennes, une baisse de l’acuité visuelle et une hémiparésie, tous associés à des anomalies à l’imagerie.
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Tableau 1 Signes et symptômes Nombre (%)
Localisation (nombre)
Symptômes et signes
Masses des parties molles 15 (23,5)
Parotide (1) Tronc (7) Membre supérieur (3) Membre inférieur (4) Pelviennes (4) Rénales (5) Surrénales (2) Autre (3) Membre inférieur (7) Membre supérieur (2) Tronc (3) Maxillaire (1) Cervicales (3) Amygdales (1) Abdominales (7) Inguinales (1) Lésion médullaire (1) Lésion cérébrale (2) Lésion du tronc cérébral (1) Cervelet ? (2) Masse thoracique (1) Pas de localisation (2)
Découverte d’une masse à la palpation dans tous les cas
Masses abdominopelviennes 14 (22)
Lésions osseuses 13 (20 )
Adénopathies 12 (19)
Signes neurologiques 6 (9)
Autres 4 (6) .
Dans 3 cas, la persistance de symptômes fonctionnels a amené à consulter : dans 2 cas des douleurs abdominales, dans un cas une boiterie avec douleur de hanche. Enfin un patient a été vu pour une masse intrathoracique du lobe supérieur gauche découverte à l’occasion d’une dyspnée avec fièvre et syndrome inflammatoire. L’intradermoréaction fortement positive a orienté vers le diagnostic de tuberculose. 2.2. Confirmation du diagnostic Les explorations nécessaires pour aboutir à un diagnostic de certitude ont été variables. Dans près de la moitié des cas (29 sur 64) plusieurs consultations ont été nécessaires et 14 patients ont dû être hospitalisés pour une durée moyenne de 4 jours. Pour 49 patients sur 64, un complément au bilan fait avant la première consultation a été nécessaire. Dix-neuf ont eu une biopsie ou une cytoponction (pour trois d’entre eux c’était la deuxième). Vingt-cinq patients ont eu un examen histologique. 2.3. Gestes à visée thérapeutique Un cathéter veineux central a été posé avant que le diagnostic d’abcès rénal avec septicémie à staphylocoque et localisations pulmonaires soit fait chez un patient adressé pour suspicion de néphroblastome avec métastases pulmonaires, dans un contexte fébrile.
Découverte d’une masse à la palpation dans 10 cas Fièvre et altération de l’état général dans 4 cas
Douleur et anomalies radiologiques dans 10 cas Découverte d’une masse et anomalies radiologiques dans 3 cas
Altération de l’état général dans 9 cas Découverte isolée d’ADNP dans 3 cas
Troubles de la marche Crise convulsive Anomalies des paires crâniennes Syndrome opsomyoclonique Dyspnée fébrile Douleurs abdominales Boiterie
Pour deux patients, le diagnostic n’a été rectifié qu’après le début d’une chimiothérapie. Une jeune enfant avait été adressée pour une masse rénale avec altération de l’état général et fièvre. Les images d’échographie et de scanographie étaient très en faveur du diagnostic d’un néphroblastome. La patiente a reçu une cure de chimiothérapie. Au 8e jour, l’évolution rendait nécessaire une intervention chirurgicale qui a permis de faire le diagnostic d’abcès rénal. Le deuxième patient était un nourrisson déjà traité par chimiothérapie pour un hépatoblastome devant une masse hépatique, une insuffisance hépatocellulaire, et une augmentation de l’alphafœtoprotéine. Il nous avait été adressé pour discussion du traitement chirurgical. Il a reçu une quatrième cure de chimiothérapie à l’arrivée avant que le diagnostic ne soit révisé pour celui d’une tyrosinose de type 1. 2.4. Diagnostic étiologique Les diagnostics définitifs sont détaillés dans le Tableau 2. Dans 33 cas, il s’agissait de problèmes infectieux liés à différents agents pathogènes : actinomycose (1), staphylocoque pathogène (5), tuberculose (2), streptocoque (1), Enterobacter cloacae (1), maladie des griffes du chat (1), dans les autres cas, il s’agissait d’infections aspécifiques dont le germe n’a pas été identifié. Ces problèmes infectieux correspondaient à 8 des 15 masses des parties molles, 6 des 14 masses abdominales : 3 abcès du rein, 2 lésions de néphrite interstitielle post-pyélonéphrite et une lésion de
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Tableau 2 Diagnostic étiologique en fonction de la maladie initiale Infection Masse des parties molles Masse abdominopelvienne Masse thoracique Lésion osseuse Adénopathie Signes neurologiques Douleur Total .
8 6 1 6 10 2 33
Traumatisme
Maladie chronique
2 2
2 1
6
1 1 4 1 10
10
cystite subaiguë, 6 des 13 lésions osseuses : 5 ostéomyélites et une spondylodiscite, 10 des 12 cas d’adénopathies : 7 infections cytologiquement prouvées mais non documentées, 3 infections documentées : 2 infections à EBV et une maladie des griffes du chat. La masse intrathoracique était une primo-infection tuberculeuse. Les 2 cas comportant des signes neurologiques étaient un abcès et une leucoencéphalite. Dans 10 cas, les lésions observées étaient des lésions post-traumatiques : 6 lésions osseuses : 3 fractures, 2 lésions séquellaires, et un arrachement musculaire ; deux des masses des parties molles : un hématome de la cuisse et un infarctus testiculaire ; deux masses abdominales : deux hématomes de la surrénale à la période néonatale. Dans 10 cas, les signes observés étaient le mode d’entrée dans une maladie chronique : une fibrodysplasie ossifiante ; un cas d’adénopathies révélatrices d’un syndrome d’activation macrophagique ; une myosite et une fibrodysplasie ossifiante découvertes devant des masses des parties molles ; une tyrosinose de type 1 révélée par une hépatomégalie. Pour 4 enfants, il s’agissait d’une maladie neurologique : 2 syndromes opsomyocloniques idiopathiques et 2 maladies dégénératives du système nerveux central. Enfin, une boiterie a révélé une myopathie. Six cas ont été rapportés à une affection fonctionnelle. Un cas de douleurs abdominales, deux masses des parties molles qui étaient des gynécomasties banales, une masse abdominale qui correspondait à des anses digestives agglutinées, 2 cas de douleurs abdominales fonctionnelles. Pour cinq patients le diagnostic de malformations a été porté. Une masse du membre inférieur était un lymphœdème congénital. Sur 4 masses abdominopelviennes, il y avait 2 hématocolpos sur duplicité müllerienne, une malformation vésicoprostatique et un diastasis des grands droits. 2.5. Évolution et suivi Trente-neuf patients sur 64 ont été réorientés à l’issue du bilan à l’IGR : 15 en chirurgie pédiatrique, 13 en pédiatrie générale, 11 dans un service de « sur-spécialité » pédiatrique.
Maladie fonctionnelle
Malformation
Total
2 1
1 4
15 14 1 13 12 6 3 64
1 2 6
5
3. Discussion Environ 6 enfants par an, soit 2 % du recrutement, sont adressés dans le département de pédiatrie de l’IGR et ne présentent pas de tumeur. La particularité de ce département est d’être situé dans un « centre de lutte contre le cancer ». Tous les patients y sont suivis pour une maladie maligne. La majorité des services d’oncologie pédiatrique de France sont situés au sein d’hôpitaux pédiatriques. Dans ce dernier type de structure, lorsqu’un enfant pose un problème de diagnostic de tumeur, c’est l’oncologue qui se déplace. En revanche, pour avoir l’avis d’un pédiatre oncologue dans un « centre de lutte contre le cancer », il faut adresser l’enfant en consultation pour suspicion de tumeur maligne. Les motivations des médecins qui nous ont envoyé ces patients étaient donc très fortes, témoignant d’une suspicion importante. Les tumeurs malignes de l’enfant sont rares. La hantise du pédiatre est de passer à côté d’un diagnostic qu’il rencontre exceptionnellement. Quand il suspecte fortement le diagnostic, il préfère adresser l’enfant à un service spécialisé. Si le rôle du pédiatre oncologue est bien sûr d’entendre cette inquiétude, il doit être au moins aussi vigilant à ne pas traiter, à tort, une maladie bénigne comme une tumeur maligne. Compte tenu des effets secondaires attendus de ces traitements, il est au moins aussi grave de prendre pour un cancer une affection non cancéreuse que de passer à côté d’un cancer. Un cas particulier est celui du néphroblastome, tumeur qu’on est amené à traiter par chimiothérapie sans histologie, sur des arguments cliniques et radiologiques. La chimiothérapie préopératoire n’est pas très agressive. On accepte donc de prendre le risque de traiter par chimiothérapie une maladie non maligne pour limiter le risque de rupture tumorale d’un néphroblastome en cas de chirurgie de première intention. Le risque est faible, l’étude SIOP 9 a montré que 1,6 % des patients traités n’étaient pas porteurs de néphroblastomes [1]. Les importantes distances parcourues par les enfants adressés rendent compte de la force de la suspicion : près de la moitié d’entre eux venaient de régions hors Île-de-France. Il fallait donc que l’inquiétude de ces pédiatres expérimen-
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tés soit grande pour qu’ils fassent parcourir à leurs patients de telles distances. Soixante-dix pour cent des enfants étaient adressés par des services hospitaliers. De plus tous les patients adressés par un médecin (82 %), avaient eu un bilan sanguin, radiologique et même parfois histologique (9 sur 52) avant de nous être adressés. La suspicion ne reposait donc pas uniquement sur des arguments cliniques. Il s’agissait bien d’une population sélectionnée d’enfants avec des maladies pseudotumorales cliniques, radiologiques voire histologiques de diagnostic différentiel difficile. Ces enfants ont-ils pu être victimes de la cancérophobie de leurs parents ? Probablement pas. Les enfants amenés spontanément par leur famille à nos consultations ont été rares : 11 sur 64, soit environ un cas par an. Le mode de révélation de ces affections était très trompeur dans la mesure où, 45 fois sur 64 (70 %) le symptôme « phare » était l’apparition d’une masse confirmée en imagerie. Les diagnostics différentiels de ces tumeurs malignes peuvent être orientés par le tableau clinique, le terrain, les antécédents et la présentation radiologique et histologique. Dans cette population sélectionnée par les pédiatres correspondants il était cependant difficile d’éliminer une tumeur maligne . En effet dans 76 % des cas (49 sur 64 ) un complément de bilan a été nécessaire. Dans 45 % des cas le diagnostic a été long à établir et a nécessité la réunion d’experts en oncologie pédiatrique. On peut s’interroger sur les conséquences pour le patient d’une telle prise en charge. S’il existe des préjudices, ils sont essentiellement psychologiques compte tenu de l’angoisse que représente une consultation dans un centre spécialisé en cancérologie. Les bénéfices sont cependant majeurs : les parents et l’enfant repartent avec une certitude. La première cause de maladies pseudotumorales chez ces patients est infectieuse. Dans cette série six ostéomyélites se présentaient comme des tumeurs osseuses : douleurs et anomalies radiologiques sans tableau infectieux. L’analyse de la littérature montre qu’environ 66 % des tumeurs osseuses sont bénignes, 10 % des métastases osseuses et seulement 8 % des tumeurs primitives malignes alors que les lésions pseudotumorales représentent plus de 14 % des tumeurs osseuses [2]. La vigilance doit donc être de règle. Chau et al. ont rapporté 41 cas d’ostéomyélites subaiguës pseudotumorales, dans lesquels la douleur sans fièvre était le symptôme constant. Dans cette série comme dans la nôtre, seule la biopsie chirurgicale a permis de faire le diagnostic [3]. Les abcès pseudotumoraux ont une présentation inhabituelle sans douleur, ni fièvre, ni signes inflammatoires. Ils représentent une part importante des erreurs : abcès des parties molles, abcès rénaux, abcès cérébral. Dans ces cas, comme pour les infections osseuses, la cytoponction et/ou la biopsie ont permis d’affirmer le diagnostic. Au sein d’infections pseudotumorales, émerge une entité bien particulière :
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les pyélonéphrites xanthogranulomateuses. Il s’agit d’une rare manifestation de pyélonéphrite chronique dont la présentation est fréquemment pseudotumorale. Le diagnostic est difficile et il peut être évoqué devant l’association de pyélonéphrite chronique, lithiase rénale et tumeur rénale hypovascularisée. Les images à l’échographie et à la scanographie sont aspécifiques, l’imagerie par résonance magnétique pourrait aider au diagnostic. Le traitement est la néphrectomie [4-6]. La cystite pseudotumorale est le terme utilisé pour décrire un groupe hétérogène de désordres associant une hématurie, des brûlures mictionnelles et une masse inflammatoire vésicale à l’imagerie. Cette situation fait souvent suspecter un rhabdomyosarcome de la vessie. Plusieurs cas de masses inflammatoires de la vessie dues à une cystite à éosinophiles ont été rapportés. Quarante-cinq cas de cystites à éosinophiles ont été rapportés dans la littérature dont 16 cas chez l’enfant [7]. Le plus souvent, on observe une importante hématurie, la dysurie et la douleur sus-pubienne sont fréquentes. La cystoscopie montre une muqueuse vésicale inflammatoire avec des plaques rouges. Histologiquement, on retrouve une fibrose avec des plages de nécrose et un infiltrat inflammatoire. L’étiologie n’est pas connue. Le traitement est symptomatique et le processus reste limité. Quatre cas de cystite pseudotumorale dont le diagnostic a pu être fait grâce à l’échographie en évitant des investigations invasives ont été rapportés [7]. Les lésions traumatiques représentent également un groupe important. Ces situations restent, malgré tout, assez rares parce qu’elles sous-entendent un traumatisme passé inaperçu ou très ancien. Ainsi, Bonnet et al. ont rapporté le cas d’un patient s’étant présenté avec une masse de la cuisse évoquant une tumeur et qui avait, en fait, un hématome consécutif à une fracture spontanée sept ans auparavant [8]. Le problème des masses surrénaliennes néonatales a donné lieu à de nombreuses publications. Leur incidence est en augmentation du fait de l’utilisation accrue des échographies en routine dans le suivi obstétrical [9]. Si la fréquence des hémorragies surrénaliennes est importante, l’incidence du neuroblastome dans ce groupe est élevée, ce qui justifie un suivi. Les hématomes de la surrénale peuvent être d’origine traumatique ou non. Le diagnostic différentiel est d’autant plus difficile que le neuroblastome néonatal peut également être hémorragique. Seule la surveillance échographique régulière des nouveau-nés peut permettre le diagnostic le moins invasif [10] tout en sachant qu’en période néonatale le neuroblastome comme l’hémorragie peut régresser spontanément. Le cas de l’hématome du testicule traité par orchidectomie ne correspond pas à une erreur de prise en charge dans la mesure où le traumatisme était très ancien. On ne pouvait éliminer une tumeur maligne sur la simple notion de
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traumatisme 6 mois auparavant. Après une ischémie prolongée, le testicule n’était plus fonctionnel. Pour dix de ces pseudotumeurs les signes observés étaient le mode d’entrée dans une maladie chronique. Les maladies inflammatoires du muscle peuvent se présenter comme une masse isolée avec infiltration musculaire à la tomodensitométrie et éventuellement images de calcifications et/ou de lyse osseuse. La myosite focale décrite est une pseudotumeur inflammatoire bénigne d’origine inconnue affectant les muscles squelettiques [11]. Sa localisation et sa rapidité de croissance en quelques semaines en l’absence de notion de traumatisme la font prendre à tort pour un sarcome des tissus mous. Plusieurs cas de myosite proliférative ont également été présentés comme un processus pseudotumoral [12,13] À l’opposé, la fibrodysplasie ossifiante progressive (ou myosite ossifiante) est post-traumatique. Il s’agit d’une maladie autosomique dominante à pénétrance variable [14]. Les masses sont le plus souvent cervicothoraciques et paraspinales [15] (dans notre série une masse scapulaire et une masse sternale) en rapport avec des calcifications des fascia des muscles squelettiques. L’analyse histologique permet, dans tous les cas, de faire le diagnostic. Deux syndromes opsomyocloniques ont été adressés afin d’éliminer un neuroblastome. Cela doit rester l’attitude à recommander. Cinquante pour cent des syndromes opsomyocloniques sont associés à un neuroblastome [16]. Cependant, les symptômes neurologiques peuvent précéder la découverte de la tumeur primitive de plusieurs mois. Ces enfants peuvent ne pas avoir de masse décelable ni de métabolites des catécholamines urinaires élevées [17]. Devant tout syndrome opsomyoclonique chez un enfant, il faut donc rechercher une tumeur surrénalienne, en sachant suivre l’enfant de façon prolongée. Deux patients adressés pour des troubles neurologiques avec des lésions à l’imagerie par résonance magnétique ont été biopsiés et ensuite orientés en neurologie pour prise en charge d’une maladie dégénérative du système nerveux central. On retrouve peu d’autres cas identiques dans la littérature. En 1983, Harpey et al. ont rapporté le cas d’un enfant de 14 ans ayant présenté à trois mois d’intervalle deux épisodes d’hémiplégie en rapport avec une « tumeur pariétale » correspondant en histologie à une maladie démyélinisante du système nerveux central. Après deux exérèses, l’enfant se portait bien avec un recul de deux ans [18]. Un cas similaire a été rapporté par Foasso et al. [19]. Une patiente de 10 mois, adressée pour hépatoblastome, présentait en fait une tyrosinose. La tyrosinose de type 1 est une maladie héréditaire autosomique récessive en rapport avec un déficit en fumarylacétoacétase, dernière enzyme dégradant la tyrosine. Elle se présente comme une hépatomégalie avec insuffisance hépatocellulaire et augmentation
de l’alphafœtoprotéine. La complication principale, outre l’insuffisance hépatique, est la survenue d’un hépatocarcinome. Le diagnostic différentiel avec l’hépatoblastome repose avant tout sur l’insuffisance hépatocellulaire qui ne fait pas partie de la présentation de l’hépatoblastome et doit donc systématiquement faire rechercher une autre cause [20-22]. Les malformations peuvent également être source d’erreur, a fortiori lorsque leur révélation est tardive, c’est le cas notamment des malformations utérovaginales, se révélant à la puberté au moment des premières règles par un hématocolpos. Dans la littérature on retrouve plusieurs manifestations trompeuses : des formes digestives avec constipation et douleur rectale [23], des formes rhumatologiques avec sciatique et faiblesse des membres inférieurs [24] et des formes urinaires avec douleurs pelviennes et dysurie [25].
4. Conclusion Les maladies pseudotumorales conduisant à une consultation en oncologie pédiatrique sont rares et représentent environ 2 % des patients d’un service d’oncologie. Ce taux semble incompressible du fait de la présentation extrêmement trompeuse de ces affections dont certaines, bien que ne relevant pas d’un service d’oncologie, sont des maladies très graves, notamment les maladies chroniques comme la tyrosinose, la myopathie, les myosites ou les maladies dégénératives du système nerveux central. Dans la grande majorité des cas, seule une discussion multidisciplinaire avec des cliniciens, radiologues et anatomopathologistes spécialisés en oncologie pédiatrique permet d’aboutir au diagnostic.
Remerciements Nous adressons nos remerciements tout particulièrement aux pédiatres et chirurgiens nous ayant confié leurs patients et sans lesquels ce travail n’aurait pu exister et les radiologues et anatomopathologistes ayant revu les examens de ces patients et ayant ainsi permis d’aboutir au diagnostic.
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