Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
Annales Me´dico-Psychologiques 166 (2008) 686–688 http://france.elsevier.com/direct/AMEPSY/
Analyses de livres
Robert Arnaut La folie apprivoise´e. L’approche unique du Professeur Collomb pour traiter la folie. Paris, E´dition De Vecchi, 2006, 410 pages Au moment ou` l’E´cole de sante´ navale, si fortement inscrite dans l’identite´ de la ville de Bordeaux, va fermer ses portes, ce livre est bienvenu. Il est consacre´ par le brillant conteur Robert Arnaut a` l’un des plus illustres enfants de cette institution qui, depuis 1890, a forme´ de tre`s nombreux me´decins pour la marine et les colonies. Rappelons quelques noms : Segalen, Hesnard, Laborit, etc. Ne´ en 1913 dans les montagnes de l’Ise`re, ce brillant sujet aura traverse´ le XXe sie`cle comme un he´ros de roman d’aventures, un novateur et un bienfaiteur de l’humanite´. Il e´tait beau (il ressemblait a` Spencer Tracy), travailleur, admire´ des hommes et aime´ des femmes. Cinq ans a` l’E´cole de sante´ navale (1933–1937), interne des hoˆpitaux de Bordeaux, professeur agre´ge´ de me´decine et neuropsychiatrie, me´decin des hoˆpitaux psychiatriques, il travaillera a` Marseille (le Pharo puis Michel-Levy), a` l’hoˆpital Grall (Saigon), 1951–1953. Ensuite de nombreuses affectations : Bordeaux, Marseille, Djibouti, Aden, Djibouti, l’E´thiopie, l’Indochine, Dakar, Nice. . . Il est affecte´ a` Djibouti en 1939 (qui restera longtemps fide`le a` Vichy et soumise au blocus). En de´cembre 1942, passage a` Addis-Abeba pour la France Libre. En 1943, il devient me´decin personnel d’Haı¨le´ Se´lassie´, roi des rois, empereur d’E´thiopie. En 1948, il quitte sa femme, le Ne´gus et l’E´thiopie pour Marseille. Triumvirat neuropsychiatrique : professeur Pierre Gallais, Collomb agre´ge´ et Guy Miletto assistant. En 1951 l’Indochine, chef de service de l’hoˆpital Grall a` Saigon dans l’Indochine en guerre, avec « le roi » Delattre-de-Tassigny aux commandes. Fin 1953, retour a` Marseille. 1959, Dakar ou` l’E´cole de me´decine est transforme´e en faculte´. Collomb devient le premier professeur agre´ge´ de neuropsychiatrie de la re´publique du Se´ne´gal, pre´side´e par Le´opold Se´dar Senghor, dont il deviendra l’ami. Commence alors la mythique aventure de Fann qui restera le symbole d’une entreprise de psychothe´rapie institutionnelle spe´cifique pour l’Afrique subsaharienne. Notons que Collomb avait e´te´ pre´ce´de´ en 1956 par Jean Rainaut et bien avant encore par Henri Aubin (L’homme et la magie). Collomb a rapidement compris que la psychiatrie selon le mode`le occidental des XIXe et XXe sie`cles ne 0003-4487/$ – see front matter doi:10.1016/j.amp.2008.07.002
pouvait s’appliquer en Afrique. Ici la maladie mentale (la folie !) est un de´sordre du monde, une pathologie de l’ensemble du groupe social de la communaute´ des morts et des vivants. Le traitement ne peut eˆtre que collectif, groupal. Le fameux N’doep en est une de ses pratiques. Il faudra associer les gue´risseurs (les tradi-praticiens) au syste`me de soins et cre´er des villages the´rapeutiques dans tout le pays. Nous avons e´te´ nombreux a` penser que Collomb s’e´tait e´gare´ dans le culturalisme psychiatrique, l’ethnosociologie, au me´pris de la me´decine psychiatrique moderne. En re´alite´, cette dernie`re e´tait encore dans les anne´es 1950–1960 a` ses balbutiements et ce qui n’avait pas encore pu eˆtre re´alise´ en matie`re de psychiatrie sociale en France (le secteur), ne pouvait l’eˆtre encore moins dans des pays aussi de´munis que ceux du tiers monde. Entoure´ de fide`les collaborateurs motive´s, Collomb a e´labore´ une tre`s originale organisation des soins psychiatriques a` Fann, mode`le qui devint ce´le`bre dans le monde entier. Il e´tait devenu le « grand sorcier blanc », vivant comme un seigneur de´sinte´resse´ a` l’ouest de l’Afrique, s’e´chappant souvent avec son avion personnel. Il semble meˆme avoir adhe´re´ a` certaines the`ses antipsychiatriques de Thomas Szasz. En 1978, apre`s 20 ans d’Afrique, Collomb sent qu’il doit laisser la place a` un enfant du pays. Il est alors nomme´ professeur a` Nice. Il de´ce`de le 9 octobre 1979. Une vie de roman hors du commun ! En octobre 2000, la nouvelle promotion de Sante´ navale rec¸oit le nom d’Henri-Collomb. M.L. Bourgeois Aimer ses enfants ici et ailleurs. Histoires transculturelles. Marie-Rose Moro Paris, Odile Jacob1 vol., 2007, 262 pages IBSN : 978-2-7381-1892-9 L’auteur, professeur de pe´dopsychiatrie (Paris-13) qui a pris la suite de Lebovici et Mazet a` Bobigny, nous propose ce livre doublement exotique. Il concerne les enfants de migrants, et par ailleurs, il invoque des re´fe´rences the´oriques ethno-sociopsychanalytiques devenues minoritaires dans l’univers psychiatrique (acade´mique) franc¸ais. Elle nous e´pargne la lourdeur des recherches empiriques, des re´fe´rences internationales et de la bibliographie convenue. Inte´ressante grille d’interpre´tation
Analyses de livres / Annales Me´dico-Psychologiques 166 (2008) 686–688
des proble`mes pre´sente´s par les populations allochtones et leur abondante proge´niture dans leur adaptation difficile a` une socie´te´ e´trange`re sinon e´trange. Elle rapporte les expe´riences des aides apporte´es dans les drames, d’origine humaine ou naturelle, qui frappent les enfants aux quatre coins du monde. M.L. Bourgeois Julien Mendlewicz La de´pression. Un mal de vivre, des solutions. Paris, Seuil, 2007, 270 pages Le grand spe´cialiste europe´en de ge´ne´tique psychiatrique, J. Mendlewicz, professeur a` l’universite´ de Bruxelles, a re´dige´, avec plusieurs de ses collaborateurs, un ouvrage qui fait le point des recherches les plus re´centes sur la de´pression. Les 20 pages finales, regroupant des re´fe´rences bibliographiques qui vont des anne´es 1980 a` 2005, te´moignent du se´rieux de son travail (quelques auteurs franc¸ais cite´s, mais surtout des AngloAme´ricains). Les 16 chapitres, dont il reste l’auteur principal, pre´sentent un e´ventail clinique, e´tio-pathoge´nique et the´rapeutique tre`s actuel de l’affection. Les deux premiers commencent par un regard croise´ entre neurobiologie et psychanalyse, qui passerait plus par la plasticite´ neuronale hippocampique que par l’e´pige´ne´tique, « aucun phe´nome`ne n’ayant a` ce jour e´te´ rendu re´versible par une approche psychothe´rapeutique ». Me´moire et e´motion comme lien entre non-conscient neurologique et inconscient psychanalytique, convergences entre trace psychique et trace synaptique (avec un renvoi inattendu au signifiant lacanien), ouvrent des pistes de recherche. Suivent une se´rie de chapitres cliniques, qui nous pre´sentent successivement les « formes et visages » de la de´pression chez l’adulte, chez l’enfant et l’adolescent, chez la femme et chez la personne aˆge´e, avant d’envisager les comorbidite´s de´pression/maladies somatiques, puis les anomalies des rythmes circadiens dans les troubles de´pressifs. Apre`s un bref rappel historique, sont rappele´s les crite`res diagnostiques actuels de la maladie (petite confusion p. 34 entre de´pression « majeure » et « se´ve`re » du DSM), l’inte´gration dans les troubles bipolaires (dont la de´pression reste la phase dominante, tant chez les BP I que les BP II), les proble`mes de la pre´valence et du couˆt e´conomique des troubles de´pressifs – 4 % de la charge totale des frais de sante´ en Europe, ce qui les place en quatrie`me position, quoiqu’on estime a` seulement 35 % le taux de malades traite´s. C’est au chapitre 14, celui des the´rapeutiques biologiques, qu’est aborde´e l’e´volution d’un acce`s sous traitement, avec les couples re´mission–gue´rison et rechute–re´cidive. Selon Angst, 15 % des patients de´pressifs de´ce`dent par suicide. Un diagnostic de de´pression serait retrouve´ dans pre`s de 65 % des suicides. Chez les jeunes de 15 a` 24 ans, ce taux descend autour de 33 %, avec une fourchette tre`s large (23–43 %), a` peu pre`s a` e´galite´ avec l’abus de substances. Il semble exister une continuite´ entre le trouble de´pressif majeur de l’enfant et de l’adolescent et celui de l’adulte, dont te´moignent la stabilite´ des symptoˆmes et le fait que le taux de rechutes et de re´cidives soit d’autant plus e´leve´ que le trouble est apparu pre´cocement. En revanche, les liens entre trouble
687
bipolaire infanto-juve´nile (se traduisant surtout par hyperactivite´ et irritabilite´) et trouble de´ficitaire de l’attention avec hyperactivite´ (TDAH) sont peu clairs. Il aurait tendance a` se transformer chez l’adulte en trouble bipolaire mixte, e´voluant vers la chronicite´ et re´agissant mal aux thymore´gulateurs. La de´pression est deux fois plus fre´quente chez la femme que chez 1’homme. Artefact pour certains, cette diffe´rence statistique apparaıˆtrait entre 11 et 14 ans, mais se re´sorberait chez la personne aˆge´e. Elle serait en relation aussi bien avec des facteurs biologiques (cycles menstruels, grossesses, me´nopause) qu’avec des facteurs de risque psycho-sociaux (abus sexuels 12 fois plus fre´quents dans l’enfance que chez l’homme). La de´pression concerne pre`s d’une personne de plus de 65 ans sur quatre, consultant en me´decine ge´ne´rale. Ici encore, se conjuguent facteurs somatiques et psycho-sociaux. Sur un plan plus ge´ne´ral, comment envisager les relations entre pathologies organiques et de´pression ? Plus que la se´ve´rite´ de l’affection somatique en elle-meˆme, il semble que ce soient la charge e´motionnelle (comme dans l’interruption de grossesse) et l’e´volution de la maladie physique (soit aigue¨ comme dans l’AVC, soit par pousse´es comme dans la SEP, soit chronique comme dans le diabe`te) qui induisent un risque de´pressif e´leve´. Que sait-on de neuf sur la neurobiologie de la de´pression ? Mendlewicz fait la revue des travaux les plus re´cents, tout en pre´cisant qu’« aucune le´sion visible n’a pu eˆtre mise en e´vidence ». Il faut se me´fier des relations de causalite´ dans l’interpre´tation des dosages de monoamines. Les « de´couvertes » de la neuro-imagerie ce´re´brale (lobe pre´frontal et hippocampe) sont « parfois remises en question ». La recherche de ge`nes, candidats codant pour les facteurs neurotrophiques, « ne´cessite de plus amples expe´rimentations ». L’abord neuropsychologique de la de´pression tire profit des progre`s dans la mise au jour d’un vaste « circuit des e´motions », inte´grant cortex pre´frontal (repre´sentation des objectifs, marqueur e´tat), cortex cingulaire ante´rieur (traitement de l’information), hippocampe et amygdale (peur et anxie´te´, marqueur trait). Bref, « les dernie`res e´volutions ont permis de re´concilier les tenants d’une e´tiologie purement biologique et leurs adversaires », puisque facteurs organiques, facteurs de stress et environnement interagissent. Les dysfonctionnements cognitifs dans la de´pression sont un peu e´trangement traite´s dans le chapitre sur les causes psychosociales, entre e´ve´nements de vie et adaptation : triade cognitive de Beck (image ne´gative de soi, du monde et des autres), mode`le de la de´tresse apprise d’Abramson et Seligman. Trois pages seulement sont consacre´es a` la personnalite´ des de´pressifs : 50 % environ des de´pressions re´currentes s’accompagnent d’un trouble de l’axe II du DSM, essentiellement du cluster C. Cause ou conse´quence, la plupart des e´tudes montrent que le syste`me familial des de´prime´s se caracte´rise par une mauvaise re´gulation des distances affectives, oscillant entre de´sinvestissement et implication e´motionnelle excessive. Les quatre derniers chapitres sont consacre´s aux the´rapeutiques : familiales (inte´grant la psychoe´ducation), neurobiologiques, cognitivo-comportementales, combine´es.
688
Analyses de livres / Annales Me´dico-Psychologiques 166 (2008) 686–688
On est un peu e´tonne´ de lire que « la the´rapie de couple est plus efficace et mieux accepte´e que les antide´presseurs » (p. 170) et que « la participation a` un programme psychoe´ducatif accroıˆt les conflits familiaux » (p. 178). Les diffe´rentes classes d’antide´presseurs sont recense´es, l’ECT n’est pas oublie´e, ni les techniques ou me´dications re´centes, « ne´cessitant des e´tudes a` plus large e´chelle » : TMS, VNS, millepertuis, DHEA, omega-3, luminothe´rapie. La TCC serait aussi efficace que les antide´presseurs dans les formes le´ge`res et moyennes (mode´re´es) de de´pression unipolaire. Ses techniques visent a` contrebalancer le manque de renforcements positifs du milieu, le de´ficit d’auto-controˆle, les difficulte´s dans la re´solution des proble`mes quotidiens et les distorsions cognitives du de´prime´ (mode de pense´e dysfonctionnel, vision exage´re´ment ne´gative). La the´rapie cognitive des rechutes fait maintenant appel a` des combinaisons avec les techniques de me´ditation orientale : la « the´rapie cognitive base´e sur la pleine conscience » (mindfullness) de Teasdale (2000). Des me´thodes spe´cifiques de TCC s’appliquent aussi
a` la de´pression chronique ou dysthymie (analyse situationnelle) et au trouble bipolaire (psychoe´ducation). L’ensemble de ces approches visent a` offrir au de´prime´ un mode`le explicatif de son trouble et se centrent sur la re´solution de proble`mes concrets. Est-ce la raison de l’absence de la psychanalyse dans cette vaste revue the´rapeutique ? Ou faut-il plutoˆt invoquer le fait que la de´pression a, depuis le sie`cle dernier, de´troˆne´ les ne´vroses ? L’association chimio-psychothe´rapie semble indique´e dans les de´pressions re´currentes, chroniques, de´clenche´es par des e´ve´nements de vie, s’accompagnant d’un trouble de la personnalite´, d’un mauvais soutien familial ou d’une adhe´sion de´fectueuse au traitement me´dicamenteux. Le travail de J. Mendlewicz re´unit les avantages d’une mise au point pratique actualise´e, d’un texte agre´able a` lire et d’une information scientifique de haut niveau. Un ouvrage indispensable. T. Haustgen