Revue des Maladies Respiratoires (2012) 29, 912—915
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CAS CLINIQUE
Anomalie de naissance de la coronaire gauche à partir de l’artère pulmonaire révélée par une bronchiolite Anomalous left coronary artery from pulmonary artery revealed by acute bronchiolitis N. Nakle a, S. Biscardi a, V. Lambert b, A. Sigal-Cinqualbre c, R. Epaud a, F. Madhi a,∗ a
Service de pédiatrie, centre hospitalier intercommunal de Créteil, 40, avenue de Verdun, 94000 Créteil, France b Chirurgie des cardiopathies congénitales, centre chirurgical Marie-Lannelongue, 133, avenue de la Résistance, 92350 Le Plessis-Robinson, France c Plateau technique d’imagerie, centre chirurgical Marie-Lannelongue, 133, avenue de la Résistance, 92350 Le Plessis-Robinson, France Rec ¸u le 20 octobre 2011 ; accepté le 1er mars 2012 Disponible sur Internet le 15 juillet 2012
MOTS CLÉS Bronchiolite ; Malformation coronaire
∗
Résumé Malgré son apparence banale, la bronchiolite peut être l’évènement révélateur de nombreuses pathologies, notamment malformatives ou dysimmunitaires. Nous rapportons un diagnostic différentiel rare et grave de la bronchiolite du nourrisson : une anomalie de naissance de la coronaire gauche à partir de l’artère pulmonaire (ANCG). Observation. — Un nourrisson de quatre mois a été hospitalisé pour une bronchiolite hypoxémiante. Une cardiopathie a été suspectée devant la gravité de la symptomatologie et l’association d’une courbe pondérale médiocre et d’une cardiomégalie. L’échographie cardiaque réalisée par une équipe expérimentée et le coro-scanner ont permis le diagnostic d’une coronaire gauche naissant de la partie proximale latérale gauche du tronc de l’artère pulmonaire. Discussion. — L’ANCG est une anomalie congénitale rare qui peut être révélée par une pathologie intercurrente infectieuse courante comme la bronchiolite du nourrisson. Seul un diagnostic précoce et une intervention chirurgicale ayant pour but de restaurer un système à deux artères coronaires ont d’excellents résultats et permettent une récupération myocardique progressive. © 2012 SPLF. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (F. Madhi).
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Anomalie de naissance de la coronaire gauche à partir de l’artère pulmonaire
KEYWORDS Bronchiolitis; Coronary malformation
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Summary Despite its common occurrence bronchiolitis can reveal many disorders such as malformations or immunological diseases. We report a rare and serious cause of bronchiolitis in the newborn: Anomalous origin of the left coronary artery from the pulmonary artery (ALCAPA). Case report. — A four-month-old infant was admitted with hypoxic bronchiolitis. Congenital heart disease was suspected in view of the severity of symptoms and the association of poor weight gain and cardiomegaly. Transthoracic Doppler echocardiography performed by an experienced team and coronary multislice spiral computed tomography led to the diagnosis of a left coronary artery arising from the proximal left side of the pulmonary artery trunk. Discussion. — ALCAPA is a rare congenital anomaly that can be revealed by intercurrent infection such as bronchiolitis in infancy. Only early diagnosis and surgery to restore a system with two normally arising coronary arteries can produce a satisfactory outcome, possibly leading to progressive myocardial recovery. © 2012 SPLF. Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
La bronchiolite aiguë est une infection virale épidémique saisonnière, survenant chez l’enfant de moins de deux ans. C’est un motif fréquent d’hospitalisation chez le nourrisson mais elle peut cependant, dans certains cas, révéler une pathologie sous-jacente notamment malformative ou dysimmunitaire. Nous rapportons ici un cas de diagnostic différentiel rare et grave de la bronchiolite du nourrisson : une anomalie de naissance de la coronaire gauche à partir de l’artère pulmonaire.
Observation Un nourrisson de quatre mois, première née d’un couple sans antécédent, est amené aux urgences pour un premier épisode de bronchiolite. Elle est née à terme, eutrophe avec une bonne adaptation néonatale. Elle a un bon développement staturo-pondéral jusqu’à l’âge de trois mois, puis on note une nette stagnation du poids aux alentours de 5,5 kg. Les parents ne rapportent pas de mauvaise prise des biberons, ni de signes d’épuisement respiratoire lors des tétées. L’enfant présente une toux sèche évoluant depuis une semaine. Son médecin traitant a porté le diagnostic de bronchiolite et prescrit des séances de kinésithérapie respiratoire qui s’avèrent inefficaces. L’aggravation des symptômes a motivé une consultation aux urgences où le diagnostic de bronchiolite est confirmé. Il n’est pas noté de critère de gravité clinique mais la radiographie du thorax révèle une distension et une cardiomégalie avec un index cardiothoracique à 0,70 (Fig. 1). Après un aérosol de terbutaline, elle rentre au domicile avec ses parents. Le lendemain, la mère reconsulte aux urgences devant une aggravation de l’état respiratoire et des difficultés alimentaires. L’enfant présente alors des signes de détresse respiratoire majeurs avec une polypnée (FR > 60/min), un tirage intercostal et xiphoïdien important ainsi qu’un important freinage expiratoire non amélioré par trois aérosols d’Adrénaline, une dose de 2 mg/kg de méthylprednisolone et une hydratation intraveineuse. Devant la majoration des signes de lutte respiratoire et l’apparition d’une oxygénodépendance, le nourrisson est transféré dans un service de réanimation pédiatrique.
Figure 1. Radiographie thoracique de face, première consultation aux urgences avec une distension thoracique et une franche cardiomégalie.
À son arrivée en réanimation, elle demeure polypnéique avec une saturation à 92 % sous 1 L d’oxygène. L’examen clinique révèle alors des crépitants des deux champs pulmonaires ainsi qu’une hépatomégalie. L’échographie cardiaque montre une fonction bi-ventriculaire très altérée avec une fraction de raccourcissement aux alentours de 10 %, des cavités gauches dilatées et un index cardiaque de 3 L/mn/m2 maintenu grâce à la tachycardie (FC à 169/min). Les gaz du sang retrouvent une acidose métabolique avec un pH à 7,28 (normal entre 7,35 et 7,45), des lactates à 4,1 mmol/L (normal < 2 mmol/L) et une réserve alcaline à 13 mmol/L (normale entre 21 et 29 mmol/L). Le pro-Brain Natriuretic Peptide (pro-BNP) est supérieur à 5000 ng/L (normale < 300 ng/L). Devant ce tableau d’insuffisance cardiaque globale, une ventilation non invasive est mise en place ainsi qu’un traitement associant furosémide (2 mg/kg), hémisuccinate d’hydrocortisone (1 mg/kg) et milrinone (0,5 gamma/kg/mn). Elle est ensuite transférée dans un service de réanimation cardiologique ou une deuxième échographie cardiaque est réalisée révélant une coronaire gauche naissant du bord gauche de l’artère pulmonaire (ANCG) ainsi qu’une fuite mitrale de grade I à II.
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Figure 2. Coro-scanner (scanner multicoupes) avec reformatage 3D en volume rendering technique (VRT) : coronaire gauche anormale : tronc coronaire gauche unique (CG) naissant de l’artère pulmonaire (AP).
L’électrocardiogramme (ECG) retrouve un rythme sinusal régulier à 160/min, un axe à 30◦ , un PR < 120 ms, un QRS à 80 ms, un sus-décalage du segment ST de V1 à V3, une onde Q en aVL, un miroir en D2 D3 et un aspect RSR’ dans les dérivations inférieures. Le scanner des artères coronaires (coro-scanner) confirme une coronaire gauche naissant de la partie proximale latérale gauche du tronc de l’artère pulmonaire, une dilatation majeure de la coronaire droite naissant de l’aorte et un ventricule droit laminé par une dilatation du ventricule gauche (VG) (Fig. 2). Trois jours après son arrivée, l’enfant bénéficie d’une intervention chirurgicale sous circulation extracorporelle avec réimplantation de la coronaire gauche. Les suites opératoires seront marquées par la présence d’un thrombus ventriculaire gauche justifiant la mise sous héparine avec un relais par antivitamine K et des difficultés alimentaires transitoires. Elle sort à j27 postopératoire en hospitalisation à domicile avec un traitement associant furosémide, spironolactone, aspégic, minisintron, carvedilol et captopril. Depuis l’intervention, ce nourrisson peine à prendre du poids et transpire pendant les tétées. Son VG reste dilaté avec une fraction de raccourcissement de 20 % et une fuite mitrale de grade III liée à une fibrose et un dysfonctionnement des piliers. Le coro-scanner réalisé quatre mois après l’intervention ne montre cependant pas de sténose de l’anastomose coronaire et l’ECG aucun signe de nécrose.
Discussion L’ANCG, en particulier lorsque celles-ci naissent de l’artère pulmonaire, constituent une pathologie rare avec une incidence inférieure à 0,5 % des cardiopathies congénitales de l’enfant [1]. Elle affecte un enfant sur 300 000 naissances
N. Nakle et al. vivantes [2]. En l’absence de prise en charge chirurgicale adaptée, le taux de mortalité est de 90 % avant l’âge de 12 mois [3]. Cependant, 10—15 % peuvent survivre jusqu’à l’âge adulte grâce aux collatérales entre les deux artères coronaires. À la différence de l’ANCG, l’anomalie de naissance de l’artère coronaire droite à partir de l’artère pulmonaire (ANCD) dont l’incidence est quatre fois moins fréquente, est diagnostiquée souvent après l’âge de deux ans. La mort subite du nourrisson est rarement un mode de révélation et l’expression clinique est celle d’un souffle et non d’une insuffisance cardiaque congestive (ICC) [4]. Typiquement en cas d’ANCG, les symptômes apparaissent vers environ huit semaines, quand la pression artérielle pulmonaire chute conduisant à une hypoperfusion du myocarde avec du sang désaturé. Il s’ensuit une ischémie myocardique transitoire qui conduit finalement à un infarctus antérolatéral de la paroi libre du VG, ce qui peut provoquer une insuffisance ventriculaire gauche et une insuffisance mitrale [5]. Par conséquent, le diagnostic de cette anomalie congénitale est celui d’une ICC. Le diagnostic différentiel devient alors celui d’une cardiomyopathie dilatée. La bronchiolite ou tout autre processus infectieux peuvent être un facteur de décompensation révélateur de cette pathologie cardiaque. L’ICC est un diagnostic difficile en pédiatrie notamment en raison de l’absence de spécificité des manifestations cliniques chez le nourrisson. En effet, celles-ci ne sont parfois que des difficultés alimentaires incluant des vomissements pouvant être perc ¸ues notamment comme un simple reflux gastro-œsophagien, une stagnation de la courbe staturo-pondérale ou une tachypnée considérée souvent d’abord d’origine pulmonaire [5,6]. La transpiration abondante, l’hypotonie, l’irritabilité, la pâleur ou les pleurs lors des prises des biberons peuvent orienter l’étiologie. Par ailleurs, une tachycardie (FC > 170/min), la présence d’un souffle systolique au foyer mitral, un bruit de galop, un éclat de B2 au foyer pulmonaire, une hépatomégalie avec reflux hépatojugulaire et des crépitants à l’auscultation pulmonaire complètent le tableau clinique. Dans notre observation, il existait un retard de croissance pondérale, et cela malgré l’absence de difficultés d’alimentation initialement. L’utilisation des aérosols de terbutaline puis d’adrénaline ont probablement joué un rôle aggravant de l’ICC en augmentant la consommation d’oxygène du myocarde. La cardiomégalie retrouvée à la radiographie thoracique est un signe qui doit remettre en question le diagnostic de bronchiolite et permettre d’évoquer une étiologie cardiaque et notamment un diagnostic différentiel redoutable qui est la myocardite. Dans notre observation, la cardiomégalie retrouvée a la radiographie du thorax lors du premier passage aux urgences est passée inaperc ¸ue. La cardiomégalie est retrouvée dans tous les cas d’ANCG décrits dans la littérature y compris dans notre observation [7]. L’artère coronaire gauche (ACG) prend naissance à la base antéro-gauche de l’aorte, dans le sinus de valsalva et se divise rapidement en deux branches importantes : l’artère circonflexe et l’artère interventriuclaire antérieure (IVA). Ce réseau coronaire gauche vascularise l’oreillette gauche, trois quarts antérieurs du VG, deux tiers antérieurs du septum et les voies conductrices. On comprend aisément qu’en
Anomalie de naissance de la coronaire gauche à partir de l’artère pulmonaire cas d’ischémie de ce territoire, apparaissent des signes électriques d’infarctus antérolatéral. L’ECG est donc un examen non invasif et utile pour rechercher une ischémie ou un infarctus du myocarde gauche. Les signes électrocardiographiques fréquemment retrouvés dans les différentes séries de la littérature sont un sus-décalage dans le territoire antéro-septal ou des ondes Q en D1 et aVL [7,8]. L’ECG, réalisé dans notre observation, retrouve un sus-décalage de V1 à V3 et une onde Q en aVL. Cet infarctus du myocarde est probablement antérieur à l’épisode de bronchiolite comme suggère la physiopathologie de cette malformation cardiaque. Cela est corroboré par la présence d’une stagnation pondérale préalable à la bronchiolite. L’épisode infectieux bronchique est un facteur de décompensation d’un état hémodynamique déjà précaire. La stabilité de la biologie cardiaque et l’absence de modification du tracé ECG en réanimation vont aussi dans le même sens de cette hypothèse. Dans notre observation, le diagnostic d’ANCG n’a été confirmé que lors de la deuxième échographie réalisée en milieu spécialisé par un cardiologue expérimenté. Il existe d’autres signes échographiques indirects pouvant aider au diagnostic notamment une dilatation de l’anneau mitral avec fibrose ischémique de pilier, une élongation et rupture de cordage avec prolapsus responsable d’insuffisance mitrale significative (non liée à la dilatation de l’oreillette gauche) et des troubles segmentaires de la cinétique du VG. Dans la plupart des séries de la littérature, le diagnostic a été confirmé par cathétérisme cardiaque avec angiographie [7]. Actuellement, le coro-scanner (scanner multicoupes) est l’examen de choix pour faire le diagnostic, le bilan préchirurgical et le suivi post opératoire. Le coro-scanner, à condition de maîtriser les paramètres d’acquisitions pour contrôler l’irradiation, est performant chez le petit enfant mais nécessite des machines très rapides de dernière génération (64 coupes et plus), des acquisitions synchronisées à l’ECG en mode « prospectif séquentiel » et en systole pour s’affranchir du rythme cardiaque élevé [8]. Le traitement des anomalies de naissance de la coronaire gauche est chirurgical et doit être réalisé dès que possible, le but étant de stopper le processus d’ischémie myocardique et de restaurer une anatomie normale [9]. Plusieurs techniques chirurgicales ont été décrites avec un résultat plus ou moins probant. La technique de choix actuelle est la réimplantation de l’ACG à l’aorte permettant de rétablir les deux systèmes artériels coronaires [10]. La récupération myocardique peut être lente malgré une bonne perfusion coronaire post-chirurgicale [11]. Mais une intervention très précoce avant la constitution de l’infarctus doit être choisie dès que possible avec une réanimation moins lourde et une régurgitation mitrale persistante moins fréquente [12]. Cependant, ce choix ne diminue pas le risque opératoire.
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Conclusion L’ANCG est une anomalie congénitale rare qui peut être révélée par une pathologie intercurrente infectieuse courante comme la bronchiolite du nourrisson. Seul un diagnostic précoce et une intervention chirurgicale ayant pour but de restaurer un système à deux artères coronaires ont d’excellents résultats et permettent une récupération myocardique progressive.
Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.
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