Nutrition clinique et métabolisme 19 (2005) 79–81 http://france.elsevier.com/direct/NUTCLI/
Journée de printemps de la SFNEP Lyon 2004 : « Compléments oraux »
Anorexie secondaire à des pathologies Secondary anorexia Nelly Yar, Pauline Coti Bertrand, Michel Roulet Unité de nutrition clinique, CHUV, 1011 Lausanne, Suisse Disponible sur internet le 12 mai 2005
Résumé L’anorexie est fréquente au cours des cancers et des pathologies inflammatoires. Les cytokines produites en quantité importante possèdent un rôle majeur dans la physiopathologie de l’anorexie. Une prise en charge précoce privilégiant l’utilisation du tube digestif limite la dénutrition secondaire à l’anorexie et ses conséquences (complications infectieuses, ...). © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract Anorexia is frequent in course of malignancies and inflammatory diseases. Cytokines, produced in excess, have a major role in pathophysiology of anorexia. Early oral or enteral nutrition could prevent malnutrition and its complications (infectious,...). © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Anorexie ; Compléments oraux ; Cancer ; Cytokines Keywords: Anorexia; Oral supplements; Malignancy; Cytokines
L’anorexie est un symptôme fréquent dans la population générale (4 %), mais elle est surtout présente chez les patients atteints de pathologies cancéreuses, (15 à 40 % lors de l’annonce du diagnostic, près de 80 % au stade dépassé de cancer), ou de pathologies infectieuses et inflammatoires [1]. 1. Comment est-elle définie ? L’anorexie est définie comme une perte du besoin et du plaisir de s’alimenter, liée à une diminution de la faim et de l’appétit. 2. Quels en sont les mécanismes ? Les mécanismes par lesquels les affections induisent une perturbation de l’appétit et de la sensation de faim sont encore > Cet article a fait l’objet d’une communication orale lors de la journée de printemps de la SFNEP « Compléments oraux » en juin 2004 à Lyon. Adresse e-mail :
[email protected] (N. Yar).
0985-0562/$ - see front matter © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.nupar.2005.03.004
mal connus, malgré une avancée considérable des connaissances ces dernières années, notamment en ce qui concerne l’anorexie et la cachexie cancéreuse. Physiologiquement, la régulation de la faim et de la satiété est un système extrêmement complexe. La régulation de l’appétit serait le résultat de multiples interactions neuropharmacologiques au niveau de l’hypothalamus. La prise alimentaire dépend de substances neuronales et humorales, de facteurs gastro-intestinaux, métaboliques et nutritionnels, ainsi que de composantes psychologiques [2]. La modification de l’un ou l’autre de ces facteurs entraîne une anorexie. La régulation de la prise alimentaire permet d’assurer l’équilibre énergétique (homéostasie). Cette prise alimentaire dépend de trois éléments physiologiques importants : la faim, la satiété et le comportement alimentaire. Le comportement alimentaire va déterminer la taille et la fréquence des repas et il sera influencé par de nombreux paramètres comme les émotions, la palatabilité et la disponibilité des aliments, l’environnement et les horaires des repas.
80
N. Yar et al. / Nutrition clinique et métabolisme 19 (2005) 79–81
Fig. 1. Mécanismes de régulation de la prise alimentaire.
Faim et satiété sont sous le contrôle de plusieurs organes (hypothalamus, tissu adipeux, estomac, pancréas, foie, intestin grêle et côlon) qui produisent des substances orexigènes ou anorexigènes, telles que les neuromédiateurs, les hormones et peptides régulateurs. Les signaux métaboliques et les nutriments jouent aussi un rôle dans cette régulation (Fig. 1).
3. Face à une telle complexité physiopathologique, quelle type de prise en charge peut-on envisager pour une anorexie ?
Les pathologies vont interférer avec ces mécanismes physiologiques à chacun de ces niveaux avec parfois plusieurs points d’impact simultanés. Tous ces facteurs s’intriquent les uns aux autres. Un véritable cercle vicieux s’installe.
3.1. Quand s’inquiéter ?
Les cytokines, médiateurs synthétisés par les cellules impliquées dans l’immunité, ont un rôle prépondérant. Les cytokines pro-inflammatoires, anorexigènes, sont produites lors d’agression. Elles représentent une réponse normale à l’agression. Elles ont un rôle positif dans les défenses antibactériennes. Mais leur production à un niveau excessif ou de manière trop prolongée devient délétère. Les cytokines pro-inflammatoires vont induire des secrétions d’hormones (CCK...), de peptides (leptine...) et de neuromédiateurs qui vont aboutir à l’anorexie [3]. Ainsi s’explique la réduction de la prise alimentaire lors de tout processus inflammatoire témoignant d’une agression : infection, cancer, traumatisme, brûlure ou chirurgie...[4]. Dans le cas spécifique de cancer, en plus de ces divers mécanismes, on retrouve des symptômes, liés à la tumeur elle même et aux effets secondaires des traitements, aggravant encore la réduction de la prise alimentaire ou induisant une augmentation de pertes (vomissements, diarrhée) (Fig. 2).
On peut se poser trois questions qui permettront d’évaluer la situation dans son ensemble.
L’anorexie est considérée comme étant sévère lorsque les apports alimentaires correspondent au tiers des besoins usuels, et ce, pendant une période minimale de sept à dix jours. Cette situation nécessite donc une intervention nutritionnelle. 3.2. Quel bilan réaliser ? Avant de poser une indication à un support nutritionnel, il est indispensable de réaliser un bilan complet de l’anorexie, symptôme complexe et dont l’origine est le plus souvent multifactorielle. Ce bilan comprendra : 3.2.1. L’évaluation de la prise alimentaire Une question clé : quelle est la consommation actuelle par rapport à la consommation prémorbide ? de moitié ? de un tiers ? de deux tiers ? On peut utiliser un rappel des 24 heures ou les données d’un carnet alimentaire sur trois jours. 3.2.2. La recherche des causes de l’anorexie Un examen somatique et psychosocial permet de recenser les multiples facteurs induisant l’anorexie :
N. Yar et al. / Nutrition clinique et métabolisme 19 (2005) 79–81
81
Fig. 2. Anorexie et cancer.
• situations cliniques possibles : affections aiguës et chroniques (cancers, maladies inflammatoires, infections...), agressions physiques (traumatisme, brûlure, radiothérapie...), prise de médicaments avec effets secondaires (aversions alimentaires, vomissements, diarrhée...) ; • facteurs psychologiques et neuropsychologiques (désordres émotionnels, état dépressif, présence ou non de troubles cognitifs) ; • facteurs fonctionnels (dépendance dans les activités de la vie quotidienne, réduction des activités physiques) ; • situation socioéconomique (isolement, faibles revenus). 3.2.3. Le bilan de l’impact sur l’état nutritionnel et sur la qualité de vie L’anorexie, qui, au départ, est une réponse adaptative physiologique à toute agression, devient délétère si elle se prolonge. Elle aboutit alors à une dénutrition : perte pondérale avec modification de la composition corporelle (fonte de la masse maigre parfois associée à une fonte de la masse grasse, lors de cachexie cancéreuse) L’anorexie peut s’accompagner d’une baisse de fonctions de divers systèmes. Asthénie, fatigabilité à l’effort, par atteinte musculaire, vont entraver les activités physiques. Les infections plus fréquentes chez les patients dénutris révèlent une altération des fonctions immunitaires. Effectuer un bilan complet permettra de prendre en compte tous les paramètres qui risquent d’entretenir l’anorexie. 3.3. Quel traitement proposer ? L’objectif du traitement nutritionnel consiste à prévenir la dénutrition ou son aggravation [5,6]. Les suppléments nutritifs oraux peuvent avoir une utilité dans un premier temps surtout si la diminution des apports oraux reste limitée. Si l’anorexie se prolonge, le recours à une nutrition entérale peut être nécessaire.
Un support nutritionnel est indiqué en cas de persistance de l’anorexie malgré : • l’instauration de traitements curatifs ; • l’arrêt des médicaments avec effets secondaires anorexigènes, quand cela a été possible ; • la prise en charge des causes d’anorexie psychologiques, fonctionnelles et socioéconomiques. Les indications sont à considérer selon le type de pathologie, donc le pronostic, le temps de guérison attendu, et l’état nutritionnel du patient au moment de la prise en charge.
4. Conclusion Faute de pouvoir traiter l’anorexie et ses nombreuses causes, il est judicieux d’en traiter les conséquences et donc de ne pas laisser les patients se « dénutrir » sans tenter une intervention nutritionnelle adaptée.
Références [1] [2]
[3]
[4]
[5]
[6]
Bertrand PC, Roulet M. Anorexie et dénutrition. Rev Prat 2003;53: 259–62. Rigaud D. Les déterminants de la prise alimentaire. In: Leverve X, Cosnes J, Erny P, Hasselmann M, editors. Traité de nutrition artificielle de l’adulte– 2e édition. Paris: Springer; 2001. p. 247–54. Cynober L, Emilie D. Les cytokines. In: Leverve X, Cosnes J, Erny P, Hasselmann M, editors. Traité de nutrition artificielle de l’adulte– 2e édition. Paris: Springer; 2001. p. 187–202. Faisy C, Cynober L. Nutrition, immunité, inflammation. In: Leverve X, Cosnes J, Erny P, Hasselmann M, editors. Traité de nutrition artificielle de l’adulte– 2e édition. Paris: Springer; 2001. p. 365–75. Langhans W, Meguid MM, Plata-Salamàn CR, Schwartz GJ. Anorexia during disease – from research to clinical practice. Nutrition 2001;17:430–3. Laviano A, Meguid MM, Rossi-Fanelli F. Cancer anorexia: clinical implications, pathogenesis, and therapeutic strategies. Lancet Oncol 2003;4:686–94.