Apnées du sommeil et stimulation cardiaque : mécanismes d’action et perspectives

Apnées du sommeil et stimulation cardiaque : mécanismes d’action et perspectives

Annales de Cardiologie et d’Angéiologie 52 (2003) 239–245 www.elsevier.com/locate/ancaan Mise au point Apnées du sommeil et stimulation cardiaque : ...

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Annales de Cardiologie et d’Angéiologie 52 (2003) 239–245 www.elsevier.com/locate/ancaan

Mise au point

Apnées du sommeil et stimulation cardiaque : mécanismes d’action et perspectives Sleep apnea syndrome and cardiac pacing: what mechanisms and which patients? S. Garrigue *, P. Bordier, J. Clémenty Hôpital cardiologique du Haut-Lévêque, 19, avenue de Magellan, 33600 Bordeaux-Pessac, France Reçu le 6 mars 2003 ; accepté le 19 mai 2003

Résumé La prévalence du syndrome des apnées du sommeil dans la population adulte est de 4 % chez l’homme et 2 % chez la femme. En général, la ventilation nasale en pression positive continue en est le meilleur traitement. À ce jour, bien que des brady-arythmies sévères puissent survenir au cours des apnées du sommeil, la stimulation cardiaque n’est pas une indication de traitement. Cependant, des travaux récents ont rapporté un effet anti-apnée de la stimulation atriale permanente. Les mécanismes d’action résident dans 2 grandes voies thérapeutiques : combattre l’hypertonie vagale nocturne et/ou l’insuffisance cardiaque. En augmentant la fréquence cardiaque (par stimulation atriale forcée), le débit cardiaque s’améliore, la congestion pulmonaire diminue et les fibres vagales afférentes pulmonaires ne sont plus excitées. De ces changements résulte une baisse de l’incidence des apnées centrales. Au cours d’une hypertonie vagale nocturne, le ronflement et la fréquence des apnées obstructives sont augmentés, dus à une relaxation excessive des muscles des voies aériennes supérieures. Au niveau du pharynx, l’effet vagolytique et/ou la stimulation sympathique peut activer les motoneurones des muscles environnants, ce qui maintient les voies aériennes supérieures perméables par augmentation de la rigidité des parois. Chez les patients à fréquence cardiaque lente, la stimulation atriale forcée peut s’opposer à l’hypertonie vagale soit en stimulant le système sympathique soit en le maintenant à un certain niveau de vigilance. Il est possible, dans le futur, que le traitement des apnées du sommeil par la stimulation cardiaque puisse être une alternative à la pression positive continue dans le cadre d’une hypertonie vagale nocturne et/ou d’une bradycardie associée ou non à une insuffisance cardiaque. Ainsi, la tâche du cardiologue serait, non seulement de dépister les apnées du sommeil, mais aussi d’identifier un nouveau phénomène physiopathologique qu’est le rôle de la balance vagosympathique dans la genèse des apnées. © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract In an adult population, the prevalence of sleep apnea is 4% for men and 2% for women. Generally, nasal positive pressure ventilation is the best therapeutic option. To date, and in spite of the possible presence of marked brady-arrhythmias during sleep apnea, there is no recognised indication for Pacemaker implantation. However, recent data show the potential benefit of permanent cardiac stimulation in these patients. Increasing heart rate (using atrial pacing) improves cardiac output, and reduces pulmonary congestion and pulmonary vagal afferent nerves are no longer stimulated. The incidence of central sleep apnea is thereby reduced. Excessive nocturnal vagal tone increases snoring and sleep apnea, because of excessive relaxation of the oropharyngeal muscles. In patients with bradycardia, atrial stimulation may oppose increased vagal tone, by stimulating the sympathetic system or maintaining it at a minimal level. It is therefore possible that cardiac stimulation will become part of the treatment of sleep apnea in patients with documented bradycardia and/or heart failure. © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Apnée du sommeil ; Stimulation cardiaque ; Insuffisance cardiaque ; Tonus vagal ; Fréquence cardiaque Keywords: Sleep apnea; Cardiac pacing; Heart failure; Vagal tone; Heart rate

* Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (S. Garrigue). © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/S0003-3928(03)00083-0

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1. Introduction Alors que le ronflement par lui-même n’a aucune incidence sur la santé (excepté le partenaire de lit), le syndrome d’apnées du sommeil (SAS) est une maladie aux répercussions bien plus préoccupantes. Le National Institute of Health des États-Unis rapporte une prévalence s’élevant aux alentours de 18 millions de personnes atteintes de ce syndrome, sachant que ce chiffre est sous-estimé car la maladie sous-diagnostiquée [1]. Tous âges confondus, la prévalence est de 2 % chez les femmes et 4 % chez les hommes, alors qu’elle peut s’élever à 20 % chez les sujets de plus de 65 ans [1]. La morbimortalité du SAS est principalement liée aux évènements ischémiques cardiovasculaires, l’hypertension artérielle et les accidents vasculaires cérébraux [2]. D’autre part, le risque d’accident de la route est 7 fois plus important comparé à la population générale [3]. Enfin, il existe des répercussions sociales et professionnelles non négligeables telles qu’une incidence accrue de divorce, de phénomène de chambre à part, de somnolence diurne source de reclassement professionnel voire de licenciement [4]. L’une des populations les plus concernées par le SAS est celle des patients suivis pour insuffisance cardiaque, puisque la prévalence atteint 50 % [5]. Le traitement de référence du SAS est la pression positive continue (PPC) [6,7]. Celle-ci est efficace dès les premières nuits et prévient rapidement des conséquences cliniques du SAS, en diminuant aussi bien les apnées obstructives que celles de type central. Cependant, le traitement par PPC est contraignant, bruyant, à tel point que la compliance des patients n’est plus que de 40 % après une année de traitement [8]. Une récente étude pilote a suggéré que la stimulation cardiaque pourrait être une alternative à la PPC, puisqu’elle permet de réduire de moitié le nombre d’apnées du sommeil chez des patients déjà équipés d’un stimulateur cardiaque [9]. Nous verrons dans cet article de synthèse les différents mécanismes d’action de la stimulation sur le SAS, puis essaierons de définir le profil type de patient chez qui ce traitement potentiel du SAS pourrait s’avérer efficace. 2. Définitions Une apnée est la cessation de flux nasal pendant plus de 10 s, alors que l’hypopnée est une diminution ≥ 50 % du flux nasal avec une saturation en oxygène artériel (SaO2) diminuée d’au moins 4 % [9,10]. La polysomnographie (PSG) permet de calculer l’index d’apnées (IA – nombre d’épisodes apnéiques par heure de sommeil –) et l’index d’hypopnées (IH – nombre d’épisodes hypopnéiques par heure de sommeil –), ainsi que l’index d’apnées–hypopnées (IAH) [11]. Le SAS se définit par un IA ≥ 5 et/ou un IAH ≥ 15 [12] (réf. 26 T. Young). Une apnée centrale est caractérisée par la cessation simultanée du flux nasal et des efforts respiratoires (Fig. 1). Ce type d’apnée s’observe souvent chez les patients insuffisants cardiaques ou après un accident vasculaire cérébral important. La présence de mouvements thoraciques et/ou

Fig. 1. Panel A : apnée obstructive avec mouvements de lutte respiratoires et abdominaux. Panel B : apnée centrale dit « calme », sans mouvement respiratoire ni abdominal.

abdominaux (efforts de respiration) pendant un épisode apnéique définit une apnée obstructive (Fig. 1). Cette obstruction des voies aériennes supérieures est le plus souvent anatomique, due à un excès de tissu cellulograisseux au niveau de la base du cou et/ou une hypotonie des muscles pharyngés au cours du sommeil [12]. Ce type d’apnée est souvent retrouvé chez les patients atteints de bronchopathie chronique. Ici, la PPC est reconnue efficace si elle réduit de moitié l’IAH ou descend ce dernier en dessous de la valeur 10.

3. Stimulation électrique dans les apnées du sommeil La stimulation électrique a un rôle particulièrement limité. Elle n’est utilisée que dans le cadre de la ventilation par trachéotomie [13,14]. Dans ces circonstances, la ventilation électrogénique par stimulation diaphragmatique (via le nerf phrénique) garantit une respiration permanente. Cependant, celle-ci ne peut s’effectuer qu’en présence d’une trachéotomie car la stimulation diaphragmatique a tendance à collaber les voies aériennes supérieures. En ce qui concerne la stimulation cardiaque, même si l’alternance d’épisodes sévères de bradycardie et de tachycardie est bien connue chez les patients apnéiques (Figs. 2 et 3) [11,15,16], il n’existe pas d’indication de stimulation définitive chez de tels patients puisque dans la majeure partie des cas, la PPC fait souvent disparaître les blocs sinusaux et/ou atrioventriculaires [17]. Récemment, nous avons rapporté l’effet bénéfique de la stimulation atriale forcée sur l’incidence des épisodes apnéiques dans le SAS [18]. Cette approche avait déjà été suggérée par les observations de Kato et al. [19]. Les auteurs avaient constaté, chez 6 patients traités par PPC pour SAS sévère, que la mise en place d’un stimulateur cardiaque pour syncopes répétitives, avait fait disparaître le SAS. Notre étude, elle, s’est fondée sur une observation antérieure, suggérant que la théophylline réduit l’incidence des apnées du sommeil par antagonisme de l’adénosine et augmentation de la fréquence cardiaque

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Fig. 2. Variations périodiques de la fréquence cardiaque au cours du SAS. Un épisode apnéique entraîne une hypoxie responsable elle-même d’une élévation importante du tonus vagal. En conséquence, une bradycardie apparaît. La seconde phase est provoquée par l’augmentation de la PCO2 (conséquence de l’apnée) induisant une sécrétion de catécholamines avec augmentation de la fréquence cardiaque et de la pression artérielle. Parallèlement, l’apnée a aussi induit une baisse de SaO2 rapidement compensée par une hyperventilation postapnéique avec augmentation du volume courant. Ces 2 phénomènes peuvent facilement à leur tour, entraîner une hypertonie vagale et une baisse de la PCO2 qui, en descendant au-dessous du seuil apnéique, déclenchera un nouvel épisode d’apnée. PCO2, pression partielle de gaz carbonique artériel ; SaO2, pourcentage de saturation en oxygène artériel.

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[10,20]. En d’autres termes, par une action antivagale. Or, cette augmentation de fréquence cardiaque d’origine pharmacologique peut être comparée à celle obtenue par stimulation atriale forcée afin de réduire les arythmies atriales d’origine vagale chez les patients bénéficiant d’un stimulateur cardiaque pour maladie rythmique auriculaire. Ainsi avonsnous interrogé les épouses des patients appareillés pour dysfonction sinusale ou syndrome de bradytachycardie. Une grande majorité d’épouses avaient bien observé une diminution nette des ronflements ainsi qu’une diminution des réveils soudains nocturnes une fois leurs époux appareillés. Parmi une population de 152 patients ayant reçu un stimulateur cardiaque double chambre, 47 présentaient des troubles du sommeil compatibles avec un SAS. La présence du SAS était confirmée chez 61 % d’entre eux grâce à une polysomnographie, alors que le diagnostic était jusque-là méconnu. Quinze de ces patients acceptèrent de participer à un protocole d’étude. Deux polysomnographies furent réalisées, une en rythme spontané, l’autre à 15 coups/min au-dessus de la fréquence cardiaque moyenne nocturne. L’IAH fut réduit de plus de 50 % chez 13 patients et de 40 % chez les 2 restants lors de la stimulation atriale forcée. Détail intéressant, la stimulation était efficace aussi bien sur les apnées centrales que les apnées obstructives.

Fig. 3. Exemples de fluctuations de la fréquence cardiaque durant les phases diurne et nocturne au cours d’un Holter ECG des 24 h. Panel A : chez ce patient sans SAS, la fréquence cardiaque moyenne nocturne est plus basse qu’en période diurne (trait noir), mais l’écart type est comparable pour les 2 phases (pointillés). Panel B : Holter-ECG typique d’un patient avec SAS. L’écart type de la fréquence cardiaque moyenne nocturne est bien plus important comparée à la période diurne (respectivement 24 ± 9 bpm vs 12 ± 8 ; p < 0,01). Ce phénomène est expliqué par la présence de variations cycliques de la fréquence cardiaque (alternance d’épisodes de tachycardie et de bradycardie) au cours d’un SAS.

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Fig. 4. Conséquences d’une plus grande chemosensibilité chez les patients insuffisants cardiaques. Chez un patient avec bas débit cardiaque, le volume courant et la fréquence respiratoire sont augmentés au cours du sommeil. Cet état d’hyperventilation entraîne une baisse de la PCO2. Lorsque celle-ci atteint le seuil apnéique (cf. texte), une apnée centrale apparaît. Dès la phase apnéique, la PCO2 augmente et la SaO2 décroît, ce qui provoque le relarguage de catécholamines. Celui-ci entraîne une élévation de la pression artérielle, de la fréquence cardiaque, un micro (ou macro) réveil et une nouvelle phase d’hyperventilation est générée par la dette en O2. Cette séquence d’hyperventilation est responsable d’une nouvelle diminution en PCO2 qui, en atteignant le seuil apnéique, déclenchera un nouveau cycle d’apnée. Plus le débit cardiaque est bas, plus le temps de circulation est long entraînant une importante hyperventilation qui fera chuter d’autant plus vite la PCO2 et la boucle est bouclée. VT, volume courant

4. Mécanismes d’action de la stimulation cardiaque sur la prévention des apnées du sommeil 4.1. Apnées centrales Trois mécanismes différents peuvent relier la bradycardie à l’apnée du sommeil : • il existe une relation très étroite entre le débit cardiaque et l’incidence des apnées du sommeil (Fig. 4). Le temps de circulation (intervalle de temps séparant la fin d’un épisode apnéique et le nadir de la désaturation en oxygène – SaO2 –) est particulièrement long chez les patients avec dysfonction ventriculaire gauche et/ou bas débit cardiaque. Or, un temps de circulation long va de paire avec une désaturation en SaO2 importante, qui elle-même entraîne une phase plus longue et plus intense d’hyperventilation afin de rattraper la dette en O2. Cette phase d’hyperventilation abaisse la pression partielle de CO2 artériel (PCO2). Or, le seuil apnéique est dépendant, non pas tant de la SaO2, mais surtout de la PCO2 ; dès que la PCO2 descend en dessous d’une certaine valeur – dite le seuil apnéique –, il apparaît une apnée centrale [1,2]. Ce phénomène a de plus graves conséquences chez les patients insuffisants cardiaques. En effet, ces derniers ont un seuil apnéique plus élevé que la normale, si bien que pour une baisse modérée de la PCO2, le seuil est atteint plus tôt ce qui facilite l’apparition d’une apnée centrale (Fig. 4) [2,22]. De plus, l’insuffisance cardiaque engendre à elle seule une

Fig. 5. Mécanismes d’apparition d’une apnée centrale à partir d’une dysfonction ventriculaire gauche avec ou sans bradycardie. La dysfonction ventriculaire gauche et/ou la bradycardie nocturne excessive engendrent une baisse notable du débit cardiaque, ce qui élève la Pcap et par conséquent, la pression interstitielle pulmonaire. Ceci entraîne une stimulation des afférences vagales directement en connection avec le centre du sommeil ; cette stimulation déclenche une apnée centrale quasiinstantanément. Un mécanisme additionnel réside dans le fait qu’un bas débit cardiaque entraîne une hyperventilation avec prolongation du temps de circulation. Ces 2 phénomènes induisent une baisse de la PCO2, ce qui déclenche l’apparition d’une apnée centrale. Pcap : pression capillaire pulmonaire.

hyperventilation au cours du sommeil (due au bas débit cardiaque), ce qui aggrave le processus quand on sait que l’hyperventilation abaisse la valeur de PCO2, se rapprochant ainsi du seuil apnéique ; • l’augmentation nocturne de la pression capillaire chez les patients avec bas débit cardiaque (Fig. 5) [2,21,22]. Cette augmentation de pression provoque une congestion du tissu interstitiel pulmonaire qui, quasiinstantanément, stimule des afférences vagales pulmonaires appelées « fibres J » directement en connection avec le centre du sommeil situé au sein de la protubérance du tronc cérébral [23–27]. Cette stimulation vagale induit l’apparition d’une apnée centrale [25– 27] ; • localisation des fibres afférentes vagales (Fig. 5). De telles fibres à visée non seulement pulmonaires, mais aussi cardiaques, forment des complexes synaptiques dans le nucleus du tractus solitaire [23] qui lui-même est impliqué dans la régulation des phénomènes respiratoires [2,24–27]. Ainsi, puisque les afférences vagales pulmonaires inhibent la respiration, il est tout à fait possible que les afférences vagales cardiaques puissent avoir un rôle similaire. Des études ont rapporté le fait qu’une stimulation électrique au niveau de la jonction oreillette droite–veine cave supérieure pouvait exciter les fibres nerveuses sympathiques et parasympathiques de la région du tractus solitaire [28]. Il se peut alors que la stimulation atriale droite haute puisse aussi remplir cette fonction neurogène, mais ceci reste à démontrer. En conclusion, en augmentant la fréquence cardiaque (stimulation atriale forcée), le débit cardiaque s’améliore, le temps de circulation se raccourcit et la congestion pulmo-

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naire diminue. De ces changements résulte une baisse de l’incidence des apnées centrales (Fig. 5). 4.2. Apnées obstructives

Fig. 6. La bradycardie nocturne à l’origine d’apnées obstructives. D’une part, l’hypertonie vagale par elle-même peut induire une relaxation excessive des muscles de la sphère pharyngée amenant rapidement à une obstruction des voies aériennes supérieures, d’où l’apparition d’une apnée obstructive. D’autre part, la bradycardie nocturne engendre les phénomènes suivants : • baisse du débit cardiaque diminuant aussi le débit vasculaire locorégional au niveau des voies aériennes supérieures ; • fluctuations importantes et soudaines du débit respiratoire. Ces 2 évènements peuvent induire facilement une obstruction pharyngée par relaxation excessive et discoordination des muscles locaux. Une fois l’apnée obstructive en cours, celle-ci va entraîner une hypertonie vagale aggravant la relaxation musculaire. Des obstructions répétitives peuvent altérer le remplissage ventriculaire gauche et droit avec pour conséquence, une baisse du débit cardiaque avec formation d’un cercle vicieux d’auto-entretien.

Fig. 7. Mécanisme d’action de la stimulation cardiaque sur les apnées du sommeil. 1. Effet sur l’hypertonie vagale. 2. Effet sur le débit cardiaque. 3. Effet sur la réduction de la pression capillaire pulmonaire. 4. Réduction de l’hyperventilation par augmentation du débit cardiaque.

• L’activation des muscles pharyngés est corrélée avec celle du diaphragme [29]. De même, les cycles d’activité contraction–relaxation à la fois des muscles pharyngés et du diaphragme ont été observés au cours d’apnées obstructives mais aussi centrales [29]. Au cours d’une hypertonie vagale nocturne (absorption excessive d’alcool), le ronflement et la fréquence des apnées obstructives sont augmentés, dus à une relaxation excessive des muscles des voies aériennes supérieures, ce qui entraîne un collapsus du conduit supérieur (Fig. 6) [30]. Au niveau du pharynx, l’effet vagolytique et/ou la stimulation sympathique peuvent activer les motoneurones des muscles environnants, ce qui maintient les voies aériennes supérieures perméables par augmentation de la rigidité des parois. Ainsi, des drogues telle que la sérotonine augmentent la tonicité des muscles pharyngés dilatateurs par un effet stimulant des motoneurones correspondants [24]. Chez les patients à fréquence cardiaque lente, la stimulation atriale forcée peut s’opposer à l’hypertonie vagale soit en stimulant le système sympathique soit en le maintenant à un certain niveau de vigilance (Fig. 7). Or, la stabilisation du tonus vagosympathique réduit les variations périodiques de la ventilation et de la fréquence cardiaque surtout chez les patients apnéiques (Fig. 7) [31]. Ainsi, la restauration de la régulation du

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système nerveux autonome influence favorablement les centres respiratoire, cardiaque et du sommeil [31,32]. Ce concept appuie les observations montrant que la stimulation atriale forcée s’avère efficace non seulement dans le traitement de certaines syncopes vasovagales [33] mais aussi dans la prévention des arythmies vagales [34,35]. De la même façon, l’effet de la théophylline sur les apnées centrales [10] est probablement en partie lié à un effet antagoniste de l’adénosine et la réduction du tonus vagal [20]. Une hypothèse fondée sur les études sus-citées pointe du doigt l’hypertonie vagale associée à la bradycardie, comme une cause potentielle d’apnée du sommeil ; l’inhibition de ce phénomène préviendrait ainsi une grande partie de ces apnées, qu’elles soient d’origine centrale ou obstructive. • À côté de l’effet vagolytique, un stimulus central induit par la stimulation cardiaque n’est pas à écarter. En effet, il a été démontré que les fibres afférentes cardiaques sympathiques stimulent les motoneurones à visée respiratoires [24]. Les effets d’une stimulation centrale sympathique sur le cortex contrôlant la régulation des phases d’éveil et de sommeil, ont déjà été largement documentés [36]. Frapper à la porte en présence d’un sujet en sommeil génère des modifications électro-encéphalographiques et microneurographiques directement en rapport avec une élévation du tonus sympathique nerveux central, de la pression artérielle, sans pour cela réveiller la personne. De même, siffler à l’oreille d’un sujet qui ronfle pendant son sommeil est un autre exemple de stimulus central ; il en résulte une interruption du ronflement et/ou de l’apnée. Ces stimuli maintiennent un niveau de vigilance au sein du cortex de sorte que l’efficacité du contrôle des commandes respiratoires serait augmentée ; la conséquence en serait des épisodes apnéiques moins nombreux. • Enfin, une baisse importante du débit vasculaire régional au niveau des voies aériennes supérieures peut induire des apnées obstructives (Fig. 7) [31,37]. En effet, cette baisse est à l’origine des muscles dilatateurs pharyngés, ce qui entraîne un collapsus des voies supérieures. Ainsi, il a été montré que le calibre de ces voies oscille de façon synchrone avec les fluctuations du débit respiratoire et du débit cardiaque, pouvant conduire à des collapsus répétitifs des voies respiratoires supérieures (Fig. 7) [38–40]. L’un des facteurs aggravant le phénomène est le fait que des épisodes consécutifs d’apnée obstructive conduisent à une élévation dangereuse de la pression transmurale du ventricule gauche (pression systolique du ventricule gauche – pression intrathoracique –) [37]. Comme la pression transthoracique est négative lors d’un épisode d’apnée obstructive, la pression transmurale ne cesse d’augmenter. Celle-ci engendre des troubles majeurs de la relaxation ventriculaire gauche provoquant très vite une baisse notable du débit cardiaque qui à son tour va entretenir l’oscillation importante du calibre des voies aériennes supérieures, et le

cercle vicieux est enclenché (Fig. 7) [37]. Ainsi, non seulement le patient verra ses apnées obstructives augmenter en fréquence, mais en plus, la baisse aggravée du débit cardiaque va élever la pression capillaire de façon à ce que les afférences vagales pulmonaires déclenchent des apnées centrales absentes en début de nuit [37,38]. 4.3. Monitorage des apnées du sommeil à l’aide d’un stimulateur cardiaque Deux récentes études [41,42] révèlent des résultats encourageants sur la faisabilité d’un monitorage des apnées du sommeil grâce à des capteurs implantés dans le stimulateur, particulièrement les capteurs dits de ventilation–minute. Une étude [41] a montré que plus la fréquence cardiaque nocturne était lente, plus la SaO2 était basse (r = 0,71 ; p < 0,01). Ces données appuient le fait que non seulement la bradycardie peut être une conséquence de l’apnée (chose déjà connue), mais que l’apnée peut être aussi la conséquence d’une bradycardie présente de façon continue au cours du sommeil (chose nouvelle). L’autre étude [42] a évalué l’aptitude d’un capteur à la ventilation–minute à détecter les épisodes apnéiques, comparé au gold standard qu’est la polysomnographie. Les valeurs prédictives positives et négatives étaient respectivement 68 et 100 %. Ces nouvelles données devraient encourager les cardiologues et les fabricants de stimulateur cardiaque à poursuivre davantage les investigations sachant que plus de 30 % des patients porteurs d’un stimulateur ont un SAS ignorés d’eux-mêmes et de leurs médecins [43]. La possibilité de monitorer les apnées du sommeil grâce à des appareils implantés soulèvent de grands espoirs dans la gestion des patients insuffisants cardiaques (ischémiques ou non) et dans le contrôle de l’efficacité du traitement, sachant que, chez ces patients, l’apnée du sommeil est un facteur important de morbimortalité. Déjà, une étude préliminaire rapporte une baisse importante (70 %) de l’index apnée– hypopnée chez des insuffisants cardiaques atteints de SAS et qui ont bénéficié d’une stimulation biventriculaire [44]. 5. Conclusions Il est possible, dans le futur, que le traitement des apnées du sommeil par la stimulation cardiaque puisse être une alternative à la pression positive continue dans le cadre d’une hypertonie vagale nocturne et/ou d’une bradycardie associée ou non à une insuffisance cardiaque. Sûr, le traitement du SAS chez les patients insuffisants cardiaques peut passer par la stimulation ventriculaire multisite si celle-ci s’avère nécessaire. Évidemment, de plus larges études prospectives doivent confirmer ces hypothèses, surtout que les capteurs implantés dans les stimulateurs voient leur intérêt grandir devant le besoin diagnostique de SAS qu’il faut développer chez les patients appareillés. Ainsi, la tâche du cardiologue pourrait permettre, non seulement de dépister le SAS chez les patients bradycardes avec ou sans insuffisance cardiaque (quelle que soit l’ori-

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gine), mais aussi d’identifier et d’étudier un nouveau phénomène physiopathologique qu’est le rôle de la balance vagosympathique dans la genèse des apnées du sommeil. Références [1]

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