dossier
Sommeil et douleur Troubles du sommeil et cancer
Y. Le Guena, F. Gagnadouxa, J. Hureauxa, N. Mesliera, J.-L. Racineuxa a Département de pneumologie,
Centre hospitalier universitaire d’Angers. Auteur correspondant : Frédéric Gagnadoux Département de pneumologie Centre hospitalier universitaire 4, rue Larrey 49933 Angers cedex 09
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Résumé
SLEEP DISORDERS AND CANCER
Les troubles du sommeil chez les patients porteurs de cancer ont fait l’objet de nombreuses études. L’évaluation de la qualité de sommeil a été réalisée par différents outils : questionnaires, actimétrie, polysomnographie. Les résultats des travaux publiés montrent un sommeil fragmenté et une vigilance diurne altérée. L'anxiété et la dépression, souvent liées à l’annonce diagnostique et les symptômes induits par la maladie cancéreuse (douleur, toux, dyspnée, signes fonctionnels urinaires, bouffées de chaleur…) semblent affecter la qualité de sommeil. Les programmes incluant une prise en charge cognitivo-comportementale pourraient être bénéfiques aux patients.
Summary
Mots-clés
Sleep, cancer, pain, anxiety, depression.
Many studies have been conducted to evaluate quality of sleep in cancer patients. Measurements of sleep disturbances have been assessed with different tools : questionnaires, actimetry, polysomnography. Published data shows fragmented sleep and excessive daytime sleepiness. Anxiety and depression related to diagnosis disclosure and symptoms caused by cancer (pain, cough, breathless, urinary symptoms, hot flashes…) seem to influence quality of sleep. Cognitive behaviouralintervention may help cancer patients with sleep disturbances.
Keywords
Sommeil, cancer, douleur, anxiété, dépression.
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© 2008 – Elsevier Masson SAS – Tous droits réservés
MEDECINE DU SOMMEIL - Année 5 - Avril - Mai - Juin 2008
Y. Le Guen, F. Gagnadoux, J. Hureaux, N. Meslier, J.-L. Racineux
INTRODUCTION En France, au cours des 20 dernières années, la mortalité des cancers chez l'homme comme chez la femme a diminué [1]. La mise en place de traitements plus performants sur la survie générale et la réponse tumorale en est une des causes. Les professionnels de santé ont également intégré dans la prise en charge des patients porteurs de cancer la qualité de vie, témoin des symptômes provoqués par la maladie. Les signes fonctionnels présentés par les patients porteurs de cancers sont nombreux et varient selon les localisations de la maladie. Il existe des plaintes qui sont communes à l'ensemble des patients comme la fatigue et les troubles du sommeil. Les troubles du sommeil sont une problématique ancienne et il y a une trentaine d'années Derogatis et al. signalaient, dans une étude sur l’utilisation de psychotropes en cancérologie, la prédominance de la prescription d’hypnotiques [2]. Les travaux portant sur l'insomnie des patients porteurs de cancer ont montré que la fréquence des troubles du sommeil semble plus importante que dans la population générale. Toutefois, sa prévalence reste variable selon les séries (30 à 74 %) [3-6]. Cette variabilité peut s'expliquer par l'hétérogénéité des populations étudiées comportant des patients porteurs de tumeurs et de stades différents. De plus, les moyens d'évaluer la qualité du sommeil ne sont pas les mêmes dans l'ensemble de ces différents travaux. Les raisons de ces troubles du sommeil sont encore discutées. Des facteurs prédisposant (le sexe, l'âge et les antécédents de troubles du sommeil) ou perpétuant une insomnie (habitudes de vie, hygiène de sommeil, alimentation, sédentarité, tabac, alcool, café) ont été proposés par Savard et Morin [7].
FRÉQUENCE DES TROUBLES DU SOMMEIL CHEZ LES PATIENTS PRÉSENTANT UN CANCER La prévalence des troubles du sommeil chez les patients porteurs de cancer varie selon les études. Dans une série de 1 129 patients traités par radiothérapie, la présence de symptômes était évaluée par des questions fermées. Les troubles du sommeil étaient signalés par 51 % des patients [8]. Davidson et al. avaient recherché chez 982 patients une insomnie, la prise d’hypnotiques et l'existence d'une fatigue ou d'une somnolence [3]. Dans cette étude, 30 % des patients signalaient une insomnie, les sujets présentant un cancer du sein (n = 302) étaient statistiquement plus fréquemment sujets à l'insomnie comparée à la population témoin, et les patients porteurs de cancer du poumon (n = 114) avaient recours plus volontiers aux hypnotiques et étaient plus somnolents dans la journée. Ces questionnaires n'étaient pas validés, ce qui en limitait leur utilisation dans d’autres travaux. Les troubles du sommeil ont été évalués par d'autres outils comme le questionnaire de sévérité de l’insomnie de Morin (ISI), validé chez les patients porteurs de cancer [9]. Ainsi, dans une série de 327 patients traités pour un cancer de prostate, 29,4 % présentaient un ISI > 8 [10]. L'actimétrie étudie plus finement le sommeil permettant, lorsque les enregistrements sont associés à des agendas de sommeil, de déterminer des valeurs comme le temps de sommeil, l’efficacité de sommeil, des index de fragmentation et de mouvement [11]. MEDECINE DU SOMMEIL - Année 5 - Juillet - Aôut - Septembre 2008
Troubles du sommeil et cancer
Notre équipe avait inclus 29 patients présentant un carcinome bronchique nouvellement diagnostiqué, en enregistrant par actimétrie leur activité en ambulatoire pendant 5 jours et 5 nuits consécutifs [12]. Nous retrouvions une efficacité de sommeil significativement plus basse des patients présentant un cancer bronchique. Inversement, les indicateurs de fragmentation du sommeil étaient significativement plus élevés chez les patients porteurs de cancer et un temps immobile plus court en comparaison des patients témoins. L'évaluation de la qualité de sommeil était effectuée par le Pittsburgh Sleep Quality Index (PSQI). Ce score permet une exploration très complète des troubles du sommeil, même si l'exploration des troubles de la vigilance diurne n'est pas optimale. Il a été fréquemment utilisé et validé chez des patients porteurs de cancer [13, 14]. Dans notre travail, le PSQI était significativement plus élevé chez les patients porteurs de cancer. Il existait également une activité diurne, mesurée par actimétrie, et une vigilance dans la journée, estimée par le questionnaire d'Epworth significativement altérées. Levin et al. avaient retrouvé chez 33 patients suivis pour un cancer bronchique des données semblables, en utilisant les mêmes outils et un groupe témoin [15]. Le fractionnement du sommeil a également été mis en évidence dans d'autres travaux. Silberfarb et al. avaient étudié le sommeil de 3 groupes de patients pendant 3 jours au laboratoire du sommeil par polysomnographie. Le premier groupe était constitué de 32 patients présentant un cancer du poumon ou du sein, les groupes comparateurs étaient 32 insomniaques et 32 volontaires sains [16]. Les patients présentant un cancer du poumon restaient plus longtemps au lit mais ne dormaient pas plus. Ils avaient un sommeil fractionné, interrompu par des éveils prolongés, et présentaient un nombre de stades 1 de sommeil plus important. Les troubles du sommeil étaient aussi importants que chez les insomniaques, mais les patients traités pour un cancer bronchique ne semblaient pas en avoir la même perception. Cette différence n'était pas observée chez les patientes suivies pour un carcinome mammaire.
FACTEURS FAVORISANT LES TROUBLES DU SOMMEIL Plusieurs études ont tenté de comprendre les raisons de la présence plus fréquente d'altérations du sommeil chez les patients présentant une maladie cancéreuse. L'annonce du diagnostic de la maladie cancéreuse est souvent perçue par les patients comme un traumatisme psychologique, qui peut modifier la qualité de sommeil. L'impact de l’annonce diagnostique sur la qualité de vie de 70 patients porteurs d'un carcinome bronchique a été réalisée. L'évaluation de la qualité de vie était effectuée par le questionnaire spécifique de l'European Organisation for Research and Treatment of Cancer (EORTC-Q30) avant et après l'annonce du diagnostic. Une différence significative était mise en évidence sur les items suivants : émotionnel, psychologique et social [17]. L'étude de Davidson et al. montrait que 48 % des insomnies signalées par les 982 patients débutent au moment du diagnostic [3].Toutefois, il peut persister des troubles du sommeil, chez les patients considérés comme guéris de leur cancer. Ainsi, Gooneratne et al. avaient étudié la qualité de sommeil de 76 patients âgés (73,6 ans) opérés depuis plus de 8 ans : 56,6 % des patients présentant un cancer bronchique avaient un PSQI > 5 contre seulement 29,5 % 15
dossier dans le groupe comparateur (p < 0,001) [18]. Les explications avancées par les auteurs étaient la possible présence d'une bronchopneumopathie chronique obstructive ou l'existence d'un syndrome anxiodépressif. L'étude des différents items du questionnaire PSQI montrait une différence significative entre le groupe étudié et le groupe témoin, concernant l'item de la douleur (p = 0,04) comme cause aux réveils nocturnes. Les symptômes associés à la maladie cancéreuse comme les douleurs, mais aussi la toux et la dyspnée, peuvent être également des facteurs d'un mauvais sommeil. Une étude actigraphique de 24 patients traités pour des lésions secondaires osseuses douloureuses montrait une efficacité de sommeil moyenne basse de 70,7 % [19]. Il n'existait pas dans ce travail de groupe témoin, permettant une comparaison. Dans notre étude, l'efficacité de sommeil était mesurée à 78 % pour les patients traités par cancer et à 88 % pour notre groupe exempt de cancer [12]. L'étude des items du questionnaire PSQI retrouvait une prise d'hypnotiques plus fréquente et de nombreux réveils nocturnes attribués à des problèmes respiratoires ou des douleurs, chez les patients présentant un cancer bronchique. Les bouffées de chaleur chez les femmes opérées pour un cancer du sein semblent également corrélées avec des troubles du sommeil. Ainsi Savard et al. avaient enregistré par polysomnographie 24 patientes traitées pour un cancer du sein non métastatique. Les auteurs retrouvaient des éveils plus fréquents lorsque les patientes signalaient des bouffées de chaleur plus importantes [20]. Enfin l'étude de 327 patients porteurs de cancer de la prostate mettait en évidence, parmi les facteurs de risques significatifs d'insomnie ou de troubles du sommeil peu spécifiques, les douleurs, l'existence de symptôme digestifs, mais aussi l'angoisse et des éléments de dépression évalués par l'échelle HAD [10]. Toutes les études n'ont cependant pas retrouvé de lien entre troubles du sommeil et de l'humeur. Ainsi, Silberfarb et al. ne mettaient pas en évidence de corrélation entre des troubles de l'humeur et les troubles du sommeil évalué par polysomnographie chez des patients traités pour un cancer du poumon et du sein [16]. Les traitements proposés au cours de la prise en charge sont eux aussi associés à des troubles du sommeil. Il peut s'agir de chimiothérapie comme cela a été montré dans plusieurs travaux. Berger et al. avaient évalué chez 72 patientes la qualité de sommeil par actimétrie, avant et après 3 cycles de chimiothérapie [21]. Il était retrouvé une augmentation des réveils nocturnes, des périodes d’éveils dans la nuit et des siestes dans la journée. L’activité dans la journée était plus basse après le traitement.
RÉPERCUSSIONS DES TROUBLES DU SOMMEIL Dans plusieurs travaux, il a été suggéré un lien entre les troubles du sommeil et une fatigue importante [22]. Ainsi Broeckel et al. [23] notaient, parmi 61 patientes ayant reçu une chimiothérapie adjuvante pour un cancer du sein, une corrélation entre une fatigue intense et une mauvaise qualité de sommeil évaluée par le PSQI. Un autre travail portant sur 1 957 patientes dont le traitement pour un adénocarcinome du sein était achevé, avait retrouvé chez les patientes asthéniques des troubles du sommeil significativement plus importants en comparaison de la 16
population moins fatiguée [24]. Les troubles du sommeil étaient évalués par le questionnaire Medical Outcome Study-sleep scale (MOS-sleep scale), moins utilisé chez les patients porteurs de cancer. Les répercussions d'un mauvais sommeil sur la qualité de vie avaient été étudiées dans un travail portant sur 954 patients présentant un cancer. Les troubles du sommeil, mesurés par un des items du questionnaire de qualité de vie spécifique EORTC (Q-30), étaient corrélés aux différents domaines explorés par le même questionnaire de qualité de vie [25]. Cependant, ces corrélations ne permettent pas d'établir avec certitude un lien de causalité entre les troubles du sommeil, d'une part, la fatigue et les perturbations de la qualité de vie, d'autre part. Dans notre étude, nous n'avons pas mis en évidence de corrélation significative entre l'évaluation subjective et objective de la qualité de sommeil et le score de qualité de vie SF-36 [12].
TROUBLES DU SOMMEIL ET IMPLICATIONS THÉRAPEUTIQUES Les troubles du sommeil chez les patients porteurs de cancer sont actuellement largement traités par la prescription d'hypnotiques [26]. Cependant, la présence de facteurs favorisant les troubles du sommeil peut inciter à tenter de contrôler spécifiquement ces symptômes (douleur, dépression et angoisse, bouffées de chaleur, etc.). Les traitements non pharmacologiques ont été largement étudiés dans la prise en charge de l'insomnie [27]. Il s'agit d'une approche globale comportant une prise en charge comportementale (restriction de sommeil, témoin des stimuli…), cognitive et éducative (hygiène de sommeil, gestion de la fatigue et du stress). Ces techniques ont été évaluées dans la prise en charge des troubles du sommeil de patientes traitées pour un cancer du sein. Ainsi, Savard et al. avaient mesuré l'évolution de la qualité de sommeil après l'inclusion dans un programme faisant appel à des thérapeutiques non pharmacologiques dans l'étude randomisée de 57 patientes traitées pour un adénocarcinome du sein localisé dont le traitement était achevé depuis 1 mois [28]. Les troubles du sommeil étaient évalués par polysomnographie et questionnaire ISI. Ce travail montrait chez les patientes traitées une amélioration significative des paramètres polysomnographiques comme l'efficacité de sommeil et une amélioration du score d'insomnie (ISI). Epstein et al. avaient trouvé des résultats similaires en évaluant la qualité de sommeil par actimétrie parmi 72 patientes traitées pour un cancer du sein [29]. Enfin, devant l'importance des troubles du sommeil chez les patients devant recevoir un traitement anticancéreux, certaines équipes ont développé le concept de chronobiologie dans le domaine de la cancérologie [30]. Il consiste en l'étude des conséquences des altérations du rythme veille-sommeil sur la maladie tumorale et les traitements cytotoxiques. Le rythme veille-sommeil semble être un marqueur du rythme circadien chez les rongeurs comme chez les humains. Certains travaux suggèrent que la modification du rythme circadien peut entraîner un changement dans la tolérance et l'efficacité de certains traitements anticancéreux et aussi interférer sur la croissance de lignées cellulaires tumorales. Des études cliniques ont été réalisées pour mesurer l'impact d'un traitement MEDECINE DU SOMMEIL - Année 5 - Juillet - Aôut - Septembre 2008
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chronomodulé dans le traitement des cancers ovariens, bronchiques et rénaux [30] et surtout dans le cancer du côlon métastatique. Dans cette pathologie, plusieurs essais de phase III ont comparé un schéma de traitement classique comportant 5 FU et oxaliplatine à un schéma de traitement utilisant les mêmes drogues adaptées au rythme circadien [31-33]. Il a été mis en évidence pour le bras de traitement chronomodulé de meilleurs profils de toxicité et une réponse tumorale plus importante, mais ce type de traitement ne permet pas d'améliorer la survie des patients.
CONCLUSION Les troubles du sommeil semblent plus fréquents parmi les patients porteurs de cancer en comparaison à la population générale. Certaines localisations comme les cancers du sein et du poumon induisent plus volontiers des troubles du sommeil. Les résultats des travaux publiés montrent que parmi les patients porteurs de cancer, le sommeil est plus souvent fragmenté et est associé à une diminution de la vigilance diurne. Le traitement des troubles du sommeil chez les patients pris en charge pour une maladie néoplasique doit à l’avenir être axée sur un meilleur témoin des facteurs favorisants (syndrome anxiodépressif et signes physiques de la maladie, douleurs, gêne respiratoire, bouffées de chaleur…) et sur le développement des traitements non pharmacologiques. Cette dernière approche globale est prometteuse mais nécessite impérativement une prise en charge multidisciplinaire. Les prochaines études devront évaluer si ce type de prise en charge permet une amélioration de la qualité de sommeil et du quotidien des patients. n
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