Médecine Nucléaire 34S (2010) e39–e41
Cas clinique
Apport de la scintigraphie osseuse dans le diagnostic des arthrites inflammatoires rares : à propos d’un cas de syndrome de Sapho à l’hôpital général de Grand Yoff Contribution of bone scintigraphy in the diagnosis of rare inflammatory arthritis: About a case of Sapho syndrome in Grand-Yoff general hospital B. Ndong a,*, G. Mbaye b, M. Mbodj a, S. Seck-Gassama a, I.D. Bako c, L.A.D. Diouf b, O. Ndoye a, H. Toure Sow a, M. Diarra b b
a Service de médecine nucléaire, hôpital général de Grand Yoff, 3270 Dakar, Sénégal Laboratoire de physique et de biophysique pharmaceutique, faculté de médecine, de pharmacie et d’odontostomatologie de Dakar, Sénégal c Service de radiologie, CHU Aristide le Dantec, 30, avenue Pasteur, BP 3001, 3270 Dakar, Sénégal
Reçu le 17 juin 2010 ; accepté le 9 juillet 2010 Disponible sur Internet le 23 aouˆt 2010
Résumé Le syndrome de SAPHO est évoqué devant une patiente sénégalaise, âgée de 47 ans, présentant une tuméfaction du quart interne de la clavicule droite et des antécédents de pustulose palmaire. L’état général est conservé, la biologie montre un syndrome inflammatoire non spécifique (VS accélérée, CRP élevée) et une absence d’hyperleucocytose. L’examen anatomopathologique retrouve un granulome inflammatoire polymorphe avec des cellules mononucléées et des cellules géantes. La radiologie standard et le scanner ne décèlent pas la lésion, alors que la scintigraphie montre dans la région sternoclaviculaire droite une image d’hyperfixation « en cornes de taureau » évocatrice d’un syndrome de SAPHO. Le fréquent retard au diagnostic positif, habituellement lié à la méconnaissance du syndrome et à la crainte d’un processus tumoral osseux, est une source majeure de traitements antibiotiques abusifs et/ou de biopsies traumatisantes pour les patients. La scintigraphie osseuse a un rôle majeur à jouer en orientant le diagnostic lorsqu’elle découvre des foyers claviculaires et du sternum, elle peut également être utile pour faire le bilan des atteintes et apprécier leur évolutivité. # 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Syndrome de SAPHO ; Scintigraphie osseuse ;
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Abstract The SAPHO syndrome is suspected in a 47 years old Senegalese female patient with a swelling of medial quarter of the right clavicle, and a history of palmar pustulosis. The general state of health is preserved, biology shows a nonspecific inflammatory syndrome (elevated erythrocyte rate and C reactive protein level) and an absence of leukocytosis. Histopathological examination found a polymorphic inflammatory granuloma with mononuclear cells and giant cells. The standard radiographs and CT scans did not disclose any lesion while the bone scan displayed a ‘‘bull’s horn’’ image of increased uptake on the right sterno-clavicular region suggestive of SAPHO syndrome. The frequent delay in diagnosis, usually related to ignorance of the syndrome and the fear of a bone tumour, is a major source of antibiotic abuse and/or biopsies, invasive or harmful for patients. Bone scintigraphy has a role to play in guiding the diagnosis when it discovers focal increased uptake on clavicle and sternum. May moreover, bone scintigraphy be useful to review and assess the distribution of lesions and their follow-up. # 2010 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Keywords: SAPHO syndrome; Bone scintigraphy;
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* Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (B. Ndong). 0928-1258/$ – see front matter # 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.mednuc.2010.07.010
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1. Introduction
3. Résultats
L’acronyme SAPHO a une histoire relativement ancienne. C’est en 1987 que le SAPHO a été proposé par l’équipe de Bichat, à partir d’une enquête de la Société française de rhumatologie [1], il traduit un ensemble de signes tels que la synovite, l’acné, la pustulose, l’hyperostose et l’ostéite. C’est une arthrite inflammatoire d’étiologie inconnue touchant de préférence les structures sternocostoclaviculaires. Le syndrome SAPHO est une affection rare, répertoriée comme maladie orpheline qui n’a jamais réellement bénéficié de traitements adéquats ni consensuels, dont la prévalence est difficile à évaluer. Il a été décrit et observé au Japon et en Europe occidentale, notamment dans les pays scandinaves. Peu de cas ont été rapportés aux États-Unis [2]. Au Maghreb, un seul cas tunisien [3], deux cas au Maroc ont été publiés depuis que le concept SAPHO existe [4]. Le but de ce travail est de montrer l’intérêt diagnostique de la scintigraphie osseuse pour orienter le diagnostic vers cette affection rare et surtout méconnue du corps médical et modifier la prise en charge des patients.
La biologie montre un syndrome inflammatoire avec une C-réactive protéine élevée (10 mg/L), une accélération de la vitesse de sédimentation (première heure 10 mm, deuxième heure 15 mm) et une absence de syndrome infectieux avec une numération formule sanguine normale (globules blancs 5,3 103/mm3). L’examen bactériologique ne montre aucun germe à l’hémoculture. La radiologie standard du thorax est normale (absence d’images hypertrophiantes et condensantes et de lésions d’ostéolyse). Le scanner est normal (absence d’images de remaniement trabéculaire et d’érosion). L’examen anatomopathologique retrouve un granulome inflammatoire polymorphe avec cellules mononucléées des cellules géantes. La scintigraphie du corps entier au 99mTc-HMDP montre une hyperfixation focalisée au niveau de l’articulation sternoclaviculaire, sans autre localisation au niveau du squelette. Les clichés statiques centrés sur la zone d’intérêt (région sternoclaviculaire droite) montrent une image d’hyperfixation « en cornes de taureau » évocatrice d’un syndrome de SAPHO (Fig. 1).
2. Patiente et méthodes
4. Discussion
2.1. Contexte clinique
La scintigraphie est un bon examen discriminatoire de l’inflammation osseuse, cependant si sa sensibilité est grande et peut être infraradiologique, sa faible spécificité est bien connue. Pour évoquer le syndrome de SAPHO chez cette patiente, l’hyperfixation focale osseuse, témoin de l’augmentation de l’activité ostéoblastique, a été interprétée en s’appuyant sur d’autres données :
Il s’agit d’une patiente d’origine sénégalaise de 47 ans, adressée pour suspicion de tumeur osseuse, devant une tuméfaction du quart interne de la clavicule droite d’évolution progressive, sur un fond douloureux par poussées depuis 2009. Cette tuméfaction osseuse, sensible à la palpation, avait motivé plusieurs consultations dans les services de médecine interne de Dakar. La patiente ne signalait aucun antécédent pathologique particulier, à l’exception d’infections cutanées dans l’enfance à type de pustulose palmoplantaire ayant disparu sous traitements à base d’antibiotiques. L’examen clinique ne montrait pas d’altération de l’état général, ni d’autres signes d’appel au niveau de l’appareil locomoteur. Devant la persistance de la lésion osseuse, plusieurs examens complémentaires avaient été demandés, notamment la biologie (numération formule sanguine, C-réactive protéine, vitesse de sédimentation, hémoculture), l’imagerie médicale (radiologie standard, scanner, scintigraphie) et l’examen anatomopathologique.
les arguments épidémiologiques : c’est une pathologie très fréquente chez l’adulte jeune (30–50 ans), rare après 60 ans, alors que notre patiente est âgée de 47 ans. Elle prédomine chez la femme avec des manifestations ostéo-articulaires associées aux pustuloses palmoplantaires. La prédominance [(Fig._1)TD$IG] masculine est surtout nette lors d’acnés sévères [6] ;
2.2. Technique de l’examen scintigraphique Pour l’exploration, un dérivé diphosphonate, le HMDP-99mTc (hydroxyméthylène diphosphonate), marqué au 99mTc a été injecté par voie intraveineuse à la dose de 742 MBq [5]. L’acquisition a été réalisée trois heures après, patiente en décubitus dorsal sur la table d’examen, par balayage corps entier au moyen d’une gamma-caméra SPECT MEDISO avec collimateur LEHR (low energy high resolution) à la vitesse de 15 cm/min. Des clichés complémentaires statiques centrés sur le thorax ont été réalisés pour une meilleure définition de la zone sternoclaviculaire, siège de la lésion osseuse.
Fig. 1. Scintigraphie centrée sur la région sternoclaviculaire. Bone scintigraphy centered on spot view of the sternoclavicular region.
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les arguments cliniques : la tuméfaction thoracique antérieure sensible à la palpation, localisée au niveau de la région sternoclaviculaire droite (localisation la plus fréquente) et la notion de manifestations cutanées dans l’enfance (les atteintes cutanées du syndrome SAPHO pouvant précéder l’atteinte osseuse avec un délai d’un à deux ans pouvant aller jusqu’à 20 ans) [7] ; les arguments paracliniques en faveur d’une ostéite inflammatoire chronique aseptique fondée sur un syndrome inflammatoire plus ou moins net avec absence d’hyperleucocytose à la biologie, une hémoculture négative à l’examen bactériologique et une ostéite inflammatoire chronique à l’histologie [8]. Le syndrome de SAPHO peut être confondu avec certaines maladies infectieuses, d’autres tumeurs bénignes et les techniques décrites précédemment ne suffisent pas toujours à écarter les hypothèses suivantes [9–11] : la spondylodiscite à pyogène avec une hyperfixation focalisée au niveau du rachis ; l’ostéome ostéoïde, qui est la plus fréquente des tumeurs osseuses bénignes. Il atteint le plus souvent l’enfant ou l’adulte jeune et se révèle par des douleurs localisées à prédominance nocturne et typiquement calmées par l’aspirine. À la scintigraphie, on retrouve une hyperfixation intense très ponctuelle ; la maladie de Paget, très fréquente chez l’homme, souvent asymptomatique. À la scintigraphie, elle se manifeste par une hyperfixation très intense et homogène qui atteint l’os ou la portion de l’os concernée de façon globale. Cette hyperfixation est parfois telle que le reste du squelette apparaît en comparaison « éteint ». La seule exception à cet aspect est l’ostéoporose circonscrite du crâne, où l’hyperfixation n’est notable qu’à la périphérie de la lésion. Ce phénomène n’est jamais observé dans les autres affections telles que les métastases osseuses du cancer de la prostate. Lorsque l’augmentation de taille s’accompagne d’une déformation (déformation en cimeterre des tibias, déformation du massif facial), le diagnostic est déjà radiologiquement évident. Le traitement est basé pour l’essentiel sur l’utilisation des anti-inflammatoires non stéroïdiens (naproxène ou le kétoproféne). Leur efficacité est souvent insuffisante, ce qui explique que d’autres traitements leur soient généralement associés (sulfasalazine ou méthotréxate). Un médicament de la classe des diphosphonates (pamidronate) a montré une action favorable non seulement sur les douleurs mais aussi sur les lésions pustuleuses. Dans de rares cas, des corticoïdes (prednisone) sont prescrits généralement à faible dose et sur une courte durée. Ils sont parfois proposés en injection intraarticulaire (infiltration) pour mieux cibler les douleurs localisées et donnent dans ce cas de bons résultats. Une administration par perfusion est également possible. L’évolution est le plus souvent favorable, très rarement on note certaines complications comme une inflammation de l’œil
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(uvéite), de l’intestin (maladie de Crohn ou rectocolite hémorragique) ou une maladie cœliaque. Cette maladie n’évolue jamais vers la cancérisation. Chez certaines personnes, les symptômes peuvent même disparaître spontanément, dans tous les cas l’évolution est imprévisible [12]. 5. Conclusion Le syndrome SAPHO représente une arthrite inflammatoire chronique d’étiologie non encore parfaitement élucidée et dont le diagnostic, le suivi et la prise en charge thérapeutique s’appuient sur l’interdisciplinarité médicale et l’implication privilégiée du rhumatologue et du dermatologue. Le diagnostic peut être difficile et doit prendre en compte tous les éléments cliniques, radiologiques et histologiques. La médecine nucléaire a un rôle important à jouer. En effet, il faut penser à l’indication de la scintigraphie devant toute tuméfaction osseuse aseptique, surtout lorsque la localisation est thoracique antérieure ; cela devrait conduire à multiplier le nombre de cas de SAPHO qui sont probablement moins rares qu’on ne le pense. L’établissement du diagnostic, en permettant d’exclure une étiologie tumorale maligne ou infectieuse, évite à ces patients des traitements antibiotiques abusifs et des biopsies intempestives et traumatisantes. Conflit d’intérêt Les auteurs n’ont pas transmis de conflit d’intérêt. Références [1] Chamot AM, Benhamou CL, Kahn MF, Beraneck L, Kaplan G, Prost A. Le syndrome acné pustulose hyperostose ostéite (SAPHO) : résultats d’une enquête nationale. Rev Rhum 1987;54:187–96. [2] Gmyrek R, Grossman ME, Rudin D, Scher R. SAPHO syndrome: report of three cases and review of the literature. Cutis 1999;64:253–8. [3] Zakraoui L, Laatar A, Haouet Marrakchi H, Zakraoui H, Ben osmen A. Le syndrome SAPHO : un cas tunisien. Tunis Med 1996;74:509–11. [4] Abouzahir A, El maghraoui A, Tabache F, Bezza A, Ghafir D, Ohayon V, et al. Syndrome SAPHO, à propos de deux cas. Med Armees 2001;29: 331–4. [5] Andriamisandratsoa N, Dery M, Scheiber C, Grucker D. Évaluation d’une syphilis tertiaire évolutive en scintigraphie osseuse. À propos d’un cas. Med Nucl Imagerie Fonctionnelle Metabol 2003;27:543–6. [6] Schilling F. Le syndrome SAPHO. Encyclopédie Orphanet 2004;1–10. [7] Miyamoto M, Shirai Y, Nakayama Y, Gembun Y, Kaneda K. A case report of synovitis acne pustulosis hyperostosis an osteitis syndrome presenting with spondylodiscitis. J Nippon Med Sch 2000;67:191–7. [8] Boutin RD, Resnick D. The SAPHO syndrome: an evolving concept for unifying several idiopathic disorders of bone and skin. Am J Rheumatol 1998;170:585–91. [9] Schilling F. Das SAPHO-syndrome-nosologische heterogenitat und diagnostische differenzierung-mit rhumatologischer osteologie hyperosttischer spondarthritiden. Aktuelle Rheumatol 1998;23:1–64. [10] Schilling F. SAPHO, CRMO spondarthritides – a summary. Aktuelle Rheumatol 2001;26:297–302. [11] Van doornum S, Barraclough D, Mc coll G, Wicks I. SAPHO: rare or just not recognized? Semin Arthritis Rheum 2000;30:70–7. [12] Kutzner J, Störkel S, Schilling F, Zapf S. Die bestralhung als therapie bei der schmerzhaften sternokostoklavikulären hyperostose. Med Klin 1988; 83:516–9.