Douleurs Évaluation - Diagnostic - Traitement (2014) 15, 192—194
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DROIT ET DOULEUR
Aspects médicaux légaux du mésusage du médicament Medico-legal aspects of drug misuse Nathalie Lelièvre 1 Lyon, France Rec ¸u le 23 juin 2014 ; accepté le 23 juin 2014 Disponible sur Internet le 22 juillet 2014
MOTS CLÉS Mésusage ; Dispositif réglementaire ; Responsabilité ; Médicament
Résumé La notion de bon ou mauvais usage d’un médicament évolue avec la vie du médicament. Quant à la définition du mésusage, deux critères peuvent être retenus. Il peut se définir, d’une part, par le non-respect des recommandations de bonnes pratiques, et d’autre part, le mésusage peut être analysé eu égard aux pratiques des patients. Sur le plan réglementaire, un certain nombre de dispositif a été mis en place concernant les médicaments délivrés sur prescription médicale qui peuvent être, également, détournés de leur usage par les patients. Mais qu’en est-il de la responsabilité des professionnels de santé quand le patient détourne la prescription à l’insu du prescripteur ? © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
La notion de bon ou de mauvais usage d’un médicament évolue avec la vie du médicament. Comme repère de définition deux critères peuvent être retenus. Le mésusage peut se définir, d’une part, par le non-respect des recommandations de bonnes pratiques, et d’autre part, il peut être analysé eu égard aux pratiques des patients. En effet, depuis la vente « en accès direct de certains traitements », des études montrent que les abus sont nombreux et les conséquences ne sont pas négligeables quant à la santé des usagers de traitement.
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[email protected] Juriste spécialisée en droit de la santé ; AEU droit médical, DESS droit de la santé ; certificat d’aptitude à la profession d’avocat ; membre de la commission « éthique et douleur » ; espace éthique méditerranéen ; chargée de conférence. 1
http://dx.doi.org/10.1016/j.douler.2014.06.007 1624-5687/© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Aspects médicaux légaux du mésusage du médicament Sur le plan réglementaire, un certain nombre de dispositif a été mis en place concernant les médicaments délivrés sur prescription médicale qui peuvent être, également, détournés de leur usage par les patients. Mais qu’en est-il de la responsabilité des professionnels de santé quand le patient détourne la prescription à l’insu du prescripteur ?
La pratique des médicaments « en accès direct » La plupart des médicaments disponibles sans ordonnance ne sont pas en libre accès dans les officines, les patients doivent donc en faire la demande au pharmacien. Seuls certains médicaments peuvent être placés devant le comptoir de la pharmacie afin de permettre au patient de se servir lui-même. Il s’agit des médicaments dits « en libre accès » ou « en accès direct ». Cette pratique existe depuis le 1er juillet 2008 ; la liste de ces médicaments est établie par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et est régulièrement mise à jour après évaluation des demandes effectuées par les industriels du médicament2 . Selon une étude menée par l’Inserm, « mésusage, abus, dépendance : ces trois termes caractérisent malheureusement la consommation d’utilisateurs de médicaments psychoactifs disponibles sans ordonnance. C’est ce qui ressort d’une étude menée par le Centre d’évaluation et d’information sur la pharmacodépendance du service de pharmacologie clinique de l’hôpital de Toulouse et des chercheurs en pharmacoépidémiologie de l’Inserm (UMR 1027, Toulouse) »3 . Cette étude porte sur l’usage de médicament disponible sans ordonnance.
Le fait que les médicaments soient en « accès direct » laisse à penser aux personnes que les médicaments ne sont pas dangereux et ne présentent aucun risque. Sachant que le mésusage de certaines molécules a pour conséquence entre autres : • aggravation des douleurs, notamment pour les céphalées ; • risque potentiel d’accident du fait que ces médicaments présentent des effets sur la vigilance et donc des risques d’accidents de la route et/ou domestiques comme des chutes ; • risque que le patient devienne addict au traitement ; • risque que le médicament soit détourné de son usage (drogue du violeur, par exemple). Il est fondamental que le pharmacien soit vigilant et attire l’attention des patients sur les effets iatrogènes des traitements. Il est également important que les 2
Décret no 2008-641 du 30 juin 2008 relatif aux médicaments en accès direct dans les officines Journal Officiel du 1er juillet 2008 : 10577—10578. 3 http://www.inserm.fr/actualites/rubriques/actualites-societe/ mesusage-abus-et-dependance-a-des-medicaments-disponiblessans-ordonnance; 8 novembre 2013.
193 professionnels de santé prennent l’habitude de demander aux patients quels traitements ils prennent en dehors de ceux prescrits pour éviter les risques de iatrogénie.
Concernant les médicaments sur prescription, quelle peut être la part de responsabilité du médecin si un accident survient à un patient ? Il convient de rappeler quelques fondamentaux concernant la prescription médicale : • la sécurité du patient ; • l’interdiction de lui faire courir des risques inutiles ; • le droit pour le patient de bénéficier des thérapeutiques dont l’efficacité est reconnue. Sachant que tout médicament présente potentiellement un risque et que l’on ne connaît pas les intentions du patient : que faire ? Dès lors qu’un accident survient suite à une prescription médicale, le juge va désigner un expert judiciaire pour déterminer : • si la prescription était dangereuse ou pas pour le patient, c’est-à-dire, rechercher si le professionnel de santé a fait courir un risque au patient du fait de sa prescription ; • si le patient a été informé sur les bénéfices et risques du traitement et surtout les modes de prise du traitement ; • l’expert va faire une appréciation in concreto. La prescription d’un traitement induisant des troubles sur la vigilance pourra être qualifiée de fautive si le patient est un professionnel de la route, par exemple, et conduit sous l’emprise du traitement et n’a pas été informé des effets du traitement. La prescription peut être qualifiée de dangereuse si elle est de nature à exposer le patient à un risque. Les traitements présentant de réels risques sur la vigilance doivent être prescrits avec la plus grande prudence selon l’activité professionnelle de celui-ci. La même prescription ne sera pas qualifiée de fautive dans le cas où le patient est en mesure de prendre le traitement le soir au coucher et que toutes les informations lui ont été délivrées et que son attention a été attirée concernant les risques sur la vigilance. Toute prescription se fait après un examen attentif du patient (c’est le principe de la prise en charge globale).
Risque de détournement des médicaments et dispositif réglementaire Pour les médicaments présentant un risque d’être détournés de leur usage, il a été mis en place un process4 : l’arrêté fixe la liste des médicaments dont la prise en charge sera subordonnée à deux conditions : d’une part, l’inscription du nom du pharmacien désigné par le patient 4
Arrêté 1er avril 2008, http://www.legifrance.gouv.fr/affich CodeArticle.do;jsessionid=6F78BA6BA6473D2E369AF0BC8DD6DE60. tpdjo14v 2?idArticle=LEGIARTI000006685748&cidTexte= LEGITEXT000006072665&dateTexte=20121005.
194 sur l’ordonnance ; d’autre part, en cas d’usage abusif ou de mésusage, l’établissement d’un protocole de soins entre le médecin traitant, le médecin conseil de la caisse d’assurance maladie et le patient. Ce dispositif renforce l’encadrement de la prescription et de la délivrance de soins ou traitements susceptibles de faire l’objet de mésusage, d’usage détourné ou d’usage abusif. Sur la base du rapport d’expertise publié au mois de janvier 2012, l’Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé (ANSM) s’est engagée dans un plan d’actions visant à renforcer la surveillance et la lutte contre le mésusage des dits médicaments et favoriser leur bon usage et à limiter leur surconsommation et les risques qui leur sont liés5 .
Comment évaluer la prescription et le risque de mésusage ?
N. Lelièvre Tant que le médecin n’est pas informé que son patient détourne le traitement prescrit, ce dernier est seul responsable de ses actes. En revanche, dès que le médecin a connaissance de la situation, il doit revoir la prescription (prévoir éventuel sevrage à l’hôpital) sinon il devient complice des agissements du patient. Bien évidemment, l’ensemble des faits doit être consigné dans le dossier et un courrier adressé au médecin généraliste.
En conclusion Toutes les fois, l’appréciation doit se faire au regard des mêmes critères : évaluation des bénéfices et des risques. Dès lors que la balance bascule du côté des risques, des précautions doivent être prises à défaut de pouvoir opter pour un autre traitement.
Le meilleur remède : le bon sens. La mise en place d’un traitement se fait bien évidemment de fac ¸on progressive. Il faut veiller à toujours garder une trac ¸abilité dans le dossier concernant l’évaluation du traitement, la cotation de la douleur et l’observation du patient et toujours prévenir le patient qu’il ne doit pas augmenter seul les doses du traitement (éducation thérapeutique).
5 État des lieux de la consommation des benzodiazépines en France. Décembre 2013. Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé.
Déclaration d’intérêts Sujet présenté avec le soutien institutionnel, Méda ; mai 2014.