Revue des Maladies Respiratoires Actualités (2013) 5, 31-34
Disponible en ligne sur
www.sciencedirect.com
CAS CLINIQUE À TENDANCE THÉRAPEUTIQUE N°5
Aspergillose chronique cavitaire compliquant une BPCO C. Godeta,b,*, M. Laudaa, F. Roblota aServices des Maladies Infectieuses, Hôpital la Milétrie, 2 rue de la Milétrie, 86021 Poitiers, France bGroupe pour la Recherche et l’Enseignement en Pneumo-Infectiologie (GREPI) de la Société de Pneumologie de Langue Française (SPLF)
Commentaires
Synthèse de l’observation Il s’agit d’un patient de 60 ans, BPCO sévère traité par corticoïdes inhalés, qui présente un tableau de pneumopathie fébrile évoluant depuis au moins 2 mois associée à une profonde altération de l’état général. Cette pneumopathie n’a pas répondu à une antibiothérapie probabiliste. Le scanner montre une pneumopathie excavée. La sérologie aspergillaire est positive cependant aucun agent pathogène n’est identiÀé au LBA.
Quel est le diagnostic le plus probable ? Dans ce contexte, le diagnostic le plus probable sur les arguments cliniques, radiologiques et mycologiques est celui d’une aspergillose pulmonaire chronique (APC) à priori de type cavitaire (APCC). Ces dix dernières années, Aspergillus spp est devenu le premier pathogène fongique à transmission aérienne dans les pays développés, avec une nette augmentation de son incidence [1]. La pathologie aspergillaire pulmonaire peut prendre des aspects différents selon l’état du poumon sous-jacent et de celui des défenses immunes locales et générales. Chez les patients non immunodéprimés, on distingue classiquement les infections aspergillaires broncho-pulmonaires, des manifestations d’hypersensibilité telles que l’aspergillose bronchopulmonaire allergique, l’asthme aspergillaire et les pneumonies d’hypersensibilité à Aspergillus.
*
Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (C. Godet).
© 2013 SPLF. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
32
La déÀnition des infections aspergillaires reste cependant très imprécise et de nombreuses entités cliniques, radiologiques et anatomopathologiques ont été décrites avec des dénominations variées [2] allant de l’aspergillome simple ou complexe, aux formes chroniques de l’aspergillose cavitaire, Àbrosante et nécrosante, à l’aspergillose semi-invasive, à la trachéobronchite aspergillaire ou encore aux formes dites invasives de l’aspergillose du non immunodéprimé. Les différentes formes chroniques d’aspergillose pulmonaire (APC) ont fait récemment l’objet d’une nouvelle classification [3]. Cette dernière, proposée par David Denning, distingue : i) les formes d’aspergillose pulmonaire chronique cavitaire (APCC), ancien aspergillome complexe ; ii) nécrosante (APCN), ancienne aspergillose semi-invasive ; et iii) Àbrosante (APCF), évolution Àbrosante terminale possible des APCC et éventuellement des APCN. Ces 3 formes d’APC présentent en commun les six caractéristiques suivantes : 1. un développement progressif d’une ou plusieurs cavitations pulmonaires avec paroi et possible épaississement pleural sur l’imagerie ; 2. une sérologie aspergillaire positive ou l’isolement ou la visualisation d’Aspergillus sur prélèvements pulmonaires ou pleuraux ; 3. un syndrome inÁammatoire biologique avec augmentation de la CRP ou de la VS ; 4. une symptomatologie pulmonaire ou générale chronique évoluant depuis au moins 3 mois ; 5. l’exclusion de toute autre cause pouvant mimer la symptomatologie (tuberculose, mycobactéries atypiques, cancer…) ; 6. l’absence d’immunodépression vraie (VIH non contrôlé, hémopathie, granulomatose chronique aseptique, corticothérapie > 7,5 mg/jour de prednisolone). Ainsi, bien que d’expression clinique différente, les formes chroniques de l’aspergillose pulmonaire partagent des caractéristiques communes suggérant qu’elles appartiennent au même groupe d’infection aspergillaire. Néanmoins, une place à part est réservée à la forme nécrosante « subacute IPA » qui, selon sa rapidité d’installation, peut se rapprocher des formes invasives de l’aspergillose sur terrain non immunodéprimé [4]. En fait, à partir de l’inhalation de spores d’Aspergillus (champignon ubiquitaire), l’expression clinique de la maladie
C. Godet et al.
aspergillaire dépendra d’une part des caractéristiques de l’exposition aspergillaire (importance de l’inoculum, répétition de l’exposition) et d’autre part de la présence ou non d’une altération des défenses locales (intégrité de la muqueuse bronchique, du mucus et de la barrière alvéolocapillaire) et enÀn de la sévérité d’un éventuel déÀcit immunitaire général associé. Ainsi, la plupart du temps le sujet procède à l’élimination des spores d’Aspergillus et reste asymptomatique mais la présence dans ce contexte d’une cavité préexistante peut être le lit d’un aspergillome simple ou complexe. En fait, toutes les formes d’APC se développent sur des lésions séquellaires de pathologies pulmonaires préexistantes (BPCO, mycobactérioses, DDB, sarcoïdose...), cependant, le terrain, l’existence d’une immunodépression modérée sous-jacente telle que le diabète, l’alcool, la malnutrition et la prise de faibles doses de corticoïdes prédisposent plutôt à une forme dite nécrosante [3].
Y-a-t-il un intérêt à réaliser des examens complémentaires pour préciser ce diagnostic ? De principe, dans ce contexte de pneumopathie nécrosante fébrile, il convient de réaliser des prélèvements respiratoires répétés (expectoration) ainsi qu’une endoscopie bronchique dont les objectifs sont doubles : 1. conÀrmation diagnostique par la mise en évidence du champignon (examen direct ou culture) : Ⱦ l’examen direct permet la mise en évidence de Àlaments mycéliens de « type aspergillaire », des méthodes de marquage (noir chlorazole, calcoÁuor) ou des colorations (colorations argentique, Giemsa) pouvant augmenter la sensibilité de l’examen ; Ⱦ la culture permet d’afÀner l’identiÀcation de l’espèce ; 2. exclusion de toute autre cause pouvant mimer la symptomatologie (tuberculose, mycobactéries atypiques, cancer…). Effectivement si l’on se rapporte à la déÀnition des APC proposée par D. Denning, l’exclusion de tout autre agent pathogène pouvant simuler notre symptomatologie clinique ou radiologique est indispensable (Tableau 1).
Tableau 1. Critères proposés pour les études cliniques concernant les aspergilloses pulmonaires chroniques cavitaires 1. Développement progressif à partir d’une ou plusieurs cavités préexistantes de cavitations pulmonaires avec paroi et possible épaississement pleural sur l’imagerie. Ces cavités pouvant ou non contenir des balles fongiques. 2. Sérologie aspergillaire positive ( 2 arcs) ou isolement au direct ou en culture d’Aspergillus sur prélèvements pulmonaires ou pleuraux. 3. Syndrome inÁammatoire biologique avec augmentation de la CRP ou de la VS. 4. Symptomatologie pulmonaire ou générale chronique évoluant depuis au moins 3 mois. 5. Exclusion de toute autre cause pouvant mimer la symptomatologie (Tuberculose, mycobactéries atypiques, cancer). 6. Absence d’immunodépression vraie (VIH non contrôlé, hémopathie, maladie chronique granulomateuse, corticothérapie > 7,5 mg/jour de prednisolone).
Cas clinique à tendance thérapeutique n °5
Par ailleurs sur un plan pratique une co-infection reste possible sur ces terrains de bronchopneumopathie pulmonaire chronique et de facteurs d’immunodépression relative comme le diabète, l’éthylisme chronique, la malnutrition ou la corticothérapie orale ou inhalée au long cours et doit être recherchée [5].
L’absence d’Aspergillus dans le LBA récuse-t-elle le diagnostic évoqué ? Non, dans la mesure où comme le précise D. Denning si la sérologie aspergillaire est positive et que les autres critères liés au terrain et à la présentation clinique et radiologique sont présents, l’isolement de l’Aspergillus dans l’arbre respiratoire n’est pas obligatoire pour retenir le diagnostic d’APC [3]. Si on souhaite obtenir une preuve mycologique, les prélèvements mycologiques doivent être réalisés sur des examens cytobactériologiques des crachats, des produits d’aspiration bronchique, des LBA et doivent être répétés. Cependant, comme le précise Felton et al., dans une étude récente ayant portée sur 79 patients atteints d’APC, la rentabilité de ces examens reste faible : culture positive sur expectorations dans uniquement 28 % des cas (22 patients/79), [6]. La sérologie aspergillaire en ELISA conÀrmée par immunoélectrophorèse (IEP) reste cependant positive ( 2 arcs) dans 70 à 92 % des cas [6,7]. Le problème actuel pouvant se poser reste celui d’une sérologie négative en technique de référence à savoir en IEP dans le cadre d’une infection aspergillaire liée à une espèce autre qu’Aspergillus fumigatus. Effectivement, ces techniques ne sont pas standardisées et des variations de résultats peuvent être observées d’un laboratoire à l’autre notamment lorsque le panel des antigènes utilisés en IEP est plus ou moins restreint à l’espèce fumigatus. La sérologie peut alors être « faussement » négative, ce qui peut poser un problème diagnostic si nos prélèvements mycologiques restent eux même négatifs.
Sous traitement antifongique la survenue de crachats hémoptoïques représente-elle un échec du traitement médical ? L’hémoptysie reste la principale circonstance de découverte et la complication la plus fréquente des aspergillomes et des APC. Elle survient dans 58 % des cas comme complication évolutive des APCC dans la série publiée par D. Denning en 2003 [3]. L’hémoptysie est liée à une hypervascularisation bronchique, au pouvoir d’agression vasculaire d’Aspergillus et peut-être à ses propriétés hémolytiques. Ainsi une hémoptysie survenant en cours de traitement antifongique ne signe pas obligatoirement un échec de ce dernier mais peut tout simplement reÁéter l’importance de l’hypervascularisation artérielle systémique de ces lésions bronchopulmonaires. L’artériographie bronchique avec embolisation est le traitement des hémoptysies de moyenne abondance ou massives chez les malades inopérables ou en attente de chirurgie [8,9].
33
Lors de la récidive 4 mois après l’arrêt du traitement antifongique, quel est votre diagnostic et que proposez-vous comme traitement ? Le tableau clinique avec majoration de l’altération de l’état général associé à une aggravation respiratoire et à de la température fait craindre à 4 mois de l’arrêt probablement prématuré du traitement antifongique une ré-évolution de l’infection aspergillaire. La majoration sur le plan radiologique des opacités alvéolaires péri-lésionnelles et surtout la positivité de l’anti-génémie aspergillaire posent le problème dans ce contexte d’immunodépression relative (liée à la prise depuis 4 mois de prednisone) d’une forme de passage avec une aspergillose invasive. D’un point de vue radio-anatomique, l’APCC correspond à la formation et à l’extension de cavités préexistantes. Il existe dans cette forme des remaniements inÁammatoires avec possibles petites ulcérations focales liées à l’Aspergillus sans invasion tissulaire par les hyphes aspergillaires. L’APCN se développe plutôt sur un terrain dit « débilité » par le diabète, l’alcool, la malnutrition ou la prise de corticoïdes prolongée. Dans cette forme, il existe une invasion tissulaire par des hyphes aspergillaires. En réalité, comme le soulignent certains auteurs, il existe une sous classiÀcation propre à cette forme dépendante de la rapidité d’installation, elle même directement conditionnée par le degré de l’immunodépression sous-jacente : on parle d’APCN lorsque l’évolution se fait sur plusieurs mois et de forme subaigüe d’aspergillose, lorsque l’évolution est plus rapide sur quelques semaines. Cette dernière forme se rapprochant alors des formes dites invasives [10]. L’APCN est considérée comme une indication formelle à un traitement antifongique. Le vrai traitement curatif de ces formes serait la résection chirurgicale permettant l’éradication de l’aspergillose et évitant les rechutes, cependant ce traitement reste très lourd et doit être discuté au cas par cas en fonction du terrain, des fonctions respiratoires du patient et de la présentation radiologique. Dans une série chirurgicale, la mortalité des malades opérés d’un aspergillome complexe était plus élevée que celle des malades opérés d’un aspergillome simple (33 % versus 25 %). Cette lourde morbi/mortalité péri opératoire était liée entre autre à l’importante hypervascularisation lésionnelle et aux risques hémorragiques associés, aux défauts de ré-expansion pulmonaire, aux risques de surinfection et de décompensation de comorbidités sous-jacentes [2]. Vu sous cet angle, le traitement antifongique systémique correspond donc plutôt à un traitement « palliatif ». Des données récentes soulignent l’intérêt du voriconazole pour le traitement des APC et notamment des APCC [11,12]. Cadranel et al. ont évalué prospectivement le voriconazole chez 41 patients avec APC nécrosantes et/ou cavitaires. L’efÀcacité globale était évaluée après 12 mois de traitement sur des critères cliniques, mycologiques et radiologiques. Le pourcentage de réponse était de 44 % dans les formes cavitaires et de 58 % dans les formes nécrosantes [11]. D’autre part, Felton et al. [6] ont évalué rétrospectivement le traitement par posaconazole chez 79 patients atteints d’APC, une réponse était notée dans 61 % des cas à 6 mois et dans 46 % des cas à 12 mois.
34
C. Godet et al.
Parallèlement à cette prise en charge médicochirurgicale, le traitement des comorbidités reste fondamental, à savoir la réduction et/ou l’arrêt des corticoïdes, la renutrition et une éventuelle réadaptation respiratoire de ces patients. Dans le cas présent se pose néanmoins le problème du développement de résistance aux azolés et notamment au voriconazole avec lequel le patient avait déjà été traité pendant 6 mois, d’où l’intérêt de réaliser chez cet homme de nouveaux prélèvements respiratoires afin d’isoler l’espèce aspergillaire et d’en évaluer la sensibilité aux différents anÀfongiques.
Déclaration d’intérêts C. Godet : consultante (PÀzer, Gilead) ; essais cliniques en qualité de co-investigateur (PÀzer), conférences (PÀzer, Gilead) ; versement au budget d’une association (PÀzer, Gilead, MSD France, Astellas). F. Roblot : au cours des 5 dernières années, F. Roblot a été invitée à participer au congrès de l’ICAAC par PÀzer. M. Lauda : intérêts en lien avec le manuscrit : aucun.
Références [1]
[2]
Marr KA, Carter RA, Crippa F, Wald A, Corey L. Epidemiology and outcome of mould infections in hematopoietic stem cell transplant recipients. Clin Infect Dis 2002;34:909-17. Camuset J, Nunes H, Dombret MC, Bergeron A, Henno P, Philippe B, et al. Treatment of chronic pulmonary aspergillosis
by voriconazole in nonimmunocompromised patients. Chest 2007;31:1435-41. [3] Denning DW, Riniotis K, Dobrashian R, Sambatakou H. Chronic cavitary and Àbrosing pulmonary and pleural aspergillosis: case series, proposed nomenclature change, and review. Clin Infect Dis 2003;37 Suppl 3:S265-80. [4] Philippe B, Germaud P. Aspergillus in the immunocompetent patient. Towards a new classiÀcation" Rev Mal Respir 2005;22:711-4. [5] Montaigne E, Petit FX, Gourdier AL, Urban T, Gagnadoux F. Pulmonary aspergillosis complicating atypical mycobacterial infection in two patients suffering from chronic obstructive pulmonary disease. Rev Mal Respir 2012;29:79-83. [6] Felton TW, Baxter C, Moore CB, Roberts SA, Hope WW, Denning DW. EfÀcacy and safety of posaconazole for chronic pulmonary aspergillosis. Clin Infect Dis 2010;51:1383-91. [7] Faulkner SL, Vernon R, Brown PP, Fisher RD, Bender HW Jr. Hemoptysis and pulmonary aspergilloma: operative versus nonoperative treatment. Ann Thorac Surg 1978;25:389-92. [8] Glimp RA, Bayer AS. Pulmonary aspergilloma. Diagnostic and therapeutic considerations. Arch Intern Med 1983;143:303-8. [9] Khalil A, Fartoukh M, Tassart M, Parrot A, Marsault C, Carette MF. Role of MDCT in identiÀcation of the bleeding site and the vessels causing hemoptysis. AJR Am J Roentgenol 2007;188:W117-25. [10] Philippe B, Germaud P. Aspergillus in the immunocompetent patient. Towards a new classiÀcation" Rev Mal Respir 2005;22:711-4. [11] Cadranel J, Philippe B, Hennequin C, Bergeron A, Bergot E, Bourdin A, et al. Voriconazole for chronic pulmonary aspergillosis: a prospective multicenter trial. Eur J Clin Microbiol Infect Dis 2012;31:3231-9. [12] Camuset J, Nunes H, Dombret MC, Bergeron A, Henno P, Philippe B, et al. Treatment of chronic pulmonary aspergillosis by voriconazole in nonimmunocompromised patients. Chest 2007;131:1435-41.