Revue générale
Aspergillose pulmonaire aiguë invasive et pathologies pulmonaires chroniques F. Ader 1, S. Nseir 2, B. Guery 1, I. Tillie-Leblond 3
Résumé Introduction Parmi les patients atteints d’aspergillose pulmonaire aiguë invasive, les pathologies pulmonaires chroniques, en particulier les broncho-pneumopathies chroniques obstructives (BPCO), sont au troisième rang après les pathologies malignes et les transplantés d’organe. État des connaissances Les BPCO représentent environ 2 % des patients décédant d’aspergillose pulmonaire aiguë invasive. Sa survenue masque une immunodépression relative intégrant des facteurs locaux (dérégulation immunitaire) et généraux (corticothérapie, dénutrition). La présence de filaments aspergillaires dans les expectorations et/ou les aspirations trachéales de ces patients signifie dans 50 % des cas le développement d’une « maladie » aspergillaire. La sérologie et l’antigénémie aspergillaires, la tomodensitométrie thoracique avant endoscopie bronchique avec LBA orientent le diagnostic. Le pronostic de ces patients est inférieur à celui des hémopathies malignes. Pour ces derniers, la mise en route rapide du traitement après une procédure diagnostique hiérarchisée améliore le pronostic. La monothérapie antifongique reste la règle. La bithérapie est indiquée dans les aspergilloses réfractaires ou récidivantes. La question de l’abstention, la décroissance ou l’arrêt des corticoïdes doit être discutée.
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Service de Réanimation Médicale et Maladies Infectieuses, CH Gustave Dron, Tourcoing, France. 2 Service de Réanimation Médicale, Hôpital Calmette, CHRU de Lille, Lille, France. 3 Clinique des Maladies Respiratoires, Hôpital Calmette, CHRU de Lille, Lille, France. Correspondance : F. Ader, Service universitaire de Réanimation Médicale et Maladies Infectieuses, Centre Hospitalier Gustave Dron, 135, rue du Président Coty, 59208 Tourcoing Cedex.
Perspectives Des études prospectives évaluant l’extrapolation de la stratégie appliquée aux patients atteints d’hémopathie maligne aux patients de pneumologie permettraient probablement d’optimiser leur prise en charge et leur pronostic. Conclusion La survenue d’une aspergillose pulmonaire aiguë invasive n’est pas rare chez les patients porteurs d’une pathologie pulmonaire chronique. L’optimisation de la prise en charge diagnostique et les récentes avancées thérapeutiques permettent d’envisager une amélioration pronostique. Mots-clés : Aspergillus • BPCO • corticothérapie • galactomannane • scanner thoracique.
[email protected] Réception version princeps à la Revue : 18.08.2005. Retour aux auteurs pour révision : 20.10.2005. Réception 1ère version revisée : 03.02.2006. Acceptation définitive : 09.02.2006.
Rev Mal Respir 2006 ; 23 : 6S11-6S20 Doi : 10.1019/20064024
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F. Ader et coll.
Acute invasive pulmonary aspergillosis in chronic lung disease – a review
F. Ader, S. Nseir, B. Guery, I. Tillie-Leblond
Summary Introduction Apart from malignancies and solid organ transplant, chronic lung disease, in particular chronic obstructive pulmonary disease (COPD), is a third important predisposing factor for acute invasive pulmonary aspergillosis. State of the art COPD is present in 2% of patients dying from invasive aspergillosis. This opportunistic infection occurs because of an immunodeficiency linked both to altered local immunity and to systemic factors such as long term steroid treatment and malnutrition. In patients whose sputum and/or endotracheal aspirate specimens contain hyphal forms of filamentous Aspergillus, half will have a clinically significant aspergillus infection. Diagnostic tests include serum galactomannan antigen test, serum antibody titre, thoracic CT scan and bronchoalveolar lavage (BAL). The identification of fungal hyphae in BAL fluid by microscopy and/or on culture is critical for a positive diagnosis. The mortality rate for acute invasive pulmonary aspergillosis in chronic lung diseases reaches almost 100%. Antifungal monotherapy is still recommended as a first line treatment. Combined treatment can be used in refractory aspergillosis as a salvage therapy. The question of maintaining, decreasing or interrupting steroid treatment must be considered. Perspectives Prospective studies are needed to evaluate a standardised diagnostic strategy such as exists for patients with haematological disease. Whether this will improve prognosis remains to be seen. Conclusion Acute invasive pulmonary aspergillosis complicating chronic lung disease is not rare. Improved diagnosis procedures and recent therapeutic advances may have a positive impact on patient prognosis. Key-words: Aspergillus • COPD • corticosteroid treatment • galactomannan • CT scan.
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Introduction Ces dix dernières années, Aspergillus s’est imposé comme le premier pathogène fongique à transmission aérienne dans les pays développés, avec une nette augmentation de son incidence. L’émergence de ce pathogène opportuniste est cohérente avec l’évolution des pratiques médicales. Les patients atteints d’hémopathie maligne représentent la catégorie « cible » par excellence, en raison de l’emploi de thérapeutiques fortement et durablement cytotoxiques pour la moelle. La neutropénie profonde reste le facteur de risque majeur de cette infection. La corticothérapie au long cours représente le deuxième grand facteur de risque. Par ailleurs, d’autres facteurs concourent à l’augmentation de son incidence : l’intensification des régimes de chimiothérapie pour les tumeurs solides, l’émergence du SIDA avant l’avènement des thérapeutiques anti-rétrovirales, l’augmentation de la pratique des transplantations d’organe, le développement des thérapeutiques immunomodulatrices en matière de maladies autoimmunes, les progrès de prise en charge des malades aigus graves admis en réanimation médicochirurgicale [1]. En dehors de ces groupes à risque d’immunodéprimés, on décrit de plus en plus de cas chez des patients atteints de maladies bronchopulmonaires chroniques, en particulier de broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO). En effet, ces patients sont logiquement plus vulnérables à ce genre d’infections si l’on considère l’impact des modifications structurales bronchopulmonaires occasionnées par la maladie, le recours itératif aux anti-inflammatoires stéroïdiens par voie générale, les hospitalisations fréquentes associées à des cures d’antibiothérapie sélectionnant l’écologie fongique. Les comorbidités telles que l’alcoolisme, diabète et dénutrition sont de plus fréquemment associées. L’aspergillose pulmonaire invasive (API) est définie par une invasion aspergillaire bronchique plus ou moins distale, un envahissement du parenchyme pulmonaire et/ou vasculaire occasionnant un risque de dissémination viscérale [2]. En dehors des pathologies hématologiques et carcinologiques, les disparités des groupes exposés, les durées variables d’exposition, la relative méconnaissance de cette pathologie en général, ses multiples présentations cliniques, les faibles sensibilités et spécificité des examens paracliniques, la lourdeur du traitement de référence ne facilitent pas l’obtention du diagnostic et la décision de mise en route du traitement. Pourtant, de réels espoirs sont permis car l’expérience de prise en charge rationnelle des hémopathies malignes suspectes de développer cette infection et les dernières avancées thérapeutiques se sont concrétisées par une amélioration du pronostic pour ces catégories de patients. Cette revue a pour but de faire la synthèse des données épidémiologiques récentes concernant l’API et la pathologie pulmonaire chronique, de discuter les facteurs de risque et la physiopathologie de l’infection, de préciser des critères diagnostiques de haute probabilité d’infection sur lesquels
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s’appuyer pour décider d’un traitement précoce qui peut permettre d’améliorer le pronostic.
Épidémiologie Des études autopsiques permettent de mieux cerner l’idée qu’il y a probablement une sous-estimation du diagnostic d’aspergillose pulmonaire aiguë invasive, en particulier chez les patients atteints de pathologies pulmonaires. Les premiers travaux autopsiques sur des séries indifférenciées de malades décédant en milieu hospitalier montraient une prévalence globale de 4 % d’aspergillose invasive [3, 4]. Bien que les données épidémiologiques concernant l’incidence nette de l’aspergillose invasive hors du contexte des pathologies hématologiques malignes soient pauvres, un certain nombre de données permettent d’affirmer son émergence, en particulier chez les patients atteints de BPCO. Les premiers éléments étayant cette hypothèse sont les nombreuses études relatant des séries de patients décédés d’aspergillose pulmonaire aiguë invasive [5-9]. Elles mettent toutes en avant le rôle majeur de la corticothérapie, les tableaux cliniques atypiques impliquant un délai diagnostique et le pronostic systématiquement péjoratif. Une autre approche consiste à reprendre tous les cas de patients décédés d’aspergillose pulmonaire aiguë invasive dans des structures de réanimation et à rechercher les co-morbidités associées. Deux études de grande ampleur permettent de mieux cerner la prévalence de l’infection chez les patients pneumologiques. La première étude de Lin et coll. est une méta-analyse de 53 études colligeant des cas fatals d’aspergillose pulmonaire aiguë invasive de 1995 à 1999 [10]. Sur un total de 1 941 patients, 388 soit 20 % étaient considérés comme porteurs d’une pathologie pulmonaire. Cette proportion très significative les classait immédiatement après les patients atteints d’hémopathies et/ou de tumeurs solides malignes et les transplantés d’organe. Les pathologies pulmonaires chroniques incriminées étaient l’emphysème, la mucoviscidose et les BPCO. Ce sous-groupe des BPCO comprenait 26 patients (1,3 %). On remarquera également la fréquence des co-infections pulmonaires associées à cette infection fongique, notamment la tuberculose (82 patients soit 4,2 %) et la pneumonie à cytomégalovirus (153 patients soit 7,9 %), ce qui laisse augurer du statut immunitaire précaire de ces patients même si cette étude ne donne aucune précision à ce propos. Une deuxième étude récente s’est intéressée aux patients entrant en réanimation sur une période de 3 ans, de 2000 à 2003, et présentant une aspergillose pulmonaire invasive en dehors du cadre d’une hémopathie ou d’une tumeur solide maligne [11]. 89 patients (4,8 %) sur 1 850 répondaient formellement à ce critère selon les définitions émises pour les patients atteints de pathologie maligne (European Organization for Research and Treatment of Cancer/National Institute of Allergy and Infectious Diseases Mycosis Study Group, EORTC/MSG) [12]. 35 patients (1,89 %) étaient
porteurs de BPCO. La mortalité observée, malgré une mortalité prédictive en fonction du score de gravité SAPS II moyen de 48 %, atteignait en fait 86 %. Une troisième approche consiste à colliger tous les prélèvements respiratoires positifs à Aspergillus des patients admis en réanimation et à étudier la présence ou l’absence d’une pathologie de fond. Deux études récentes confirment que les pathologies pulmonaires chroniques et en particulier la BPCO sont les premières pathologies à risque d’acquisition d’Aspergillus, après les pathologies malignes et les transplantions d’organe [13, 14]. Enfin, une dernière approche consiste à mener des études autopsiques systématiques des patients décédés en réanimation afin d’obtenir un relevé précis des diagnostics responsables du décès. L’étude de Dimopoulos et coll. est à ce titre exemplaire. Sur 489 décès durant l’année 1999, 222 autopsies ont été pratiquées, révélant 6 aspergilloses pulmonaires aiguës invasives méconnues dont 5, soit 2,3 %, chez des patients atteints de BPCO [15]. Dans cette étude, cette infection fongique tenait le premier rang des affections non diagnostiquées responsables du décès des patients. En synthèse, les patients pneumologiques chroniques sont les premiers touchés par l’aspergillose pulmonaire invasive, en dehors des pathologies malignes et des transplantés d’organe. On estime qu’environ 1,3 à 2,3 % des patients décédant d’une aspergillose invasive sont porteurs d’une BPCO. Les cas sporadiques rapportés dans la littérature soulignent l’importance de la corticothérapie comme facteur de risque ubiquitaire de survenue.
• Le diagnostic d’aspergillose pulmonaire aiguë invasive est sous-estimé, en particulier en cas de pathologie pulmonaire chronique. • L’aspergillose pulmonaire invasive survient essentiellement au cours des affections malignes ou chez les transplantés d’organe et en troisième lieu en cas de pathologie pulmonaire chronique. • Sur des séries autopsiques indifférenciées de malades décédant en milieu hospitalier, la prévalence globale était de 2-5 % d’aspergillose invasive.
Physiopathologie « Pseudo-immunocompétence » Pathologies pulmonaires chroniques et immunité locale
En dépit du fait que les pathologies obstructives soient des maladies inflammatoires chroniques, l’évolution vers la colonisation bactérienne et l’augmentation de la fréquence © 2006 SPLF, tous droits réservés
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des épisodes infectieux bronchiques semble inéluctable. Ce processus est d’origine multifactorielle : 1) l’augmentation quantitative des effecteurs de l’inflammation n’implique pas, à long terme, le maintien d’une phagocytose optimale. En effet, pour la BPCO, il a été démontré une corrélation entre le nombre croissant de macrophages dans les voies aériennes distales et la progression de la maladie [16]. En revanche, la fonction phagocytaire de ces effecteurs ne suffit plus à contrôler la pullulation microbienne et les épisodes infectieux respiratoires itératifs ; 2) le stress oxydatif bronchique chronique génère des remaniements architecturaux hétérogènes où les pathogènes peuvent subsister dans des « niches » peu accessibles au système immunitaire et aux anti-infectieux (biofilm). 3) Les glucocorticoïdes altèrent significativement la fonction phagocytaire des macrophages [17] et l’activation des polynucléaires neutrophiles (PNN) [18]. 4) Les cures d’antibiothérapie successives exercent une pression de sélection sur la flore bactérienne aboutissant à l’émergence de mutants résistants encourageant le cercle vicieux de la séquence colonisationinfection. 5) Les infections virales des voies aériennes supérieures (rhinovirus, adénovirus) font le lit de la colonisation et des infections par les pathogènes bactériens et fongiques opportunistes [19]. Dénutrition
La dénutrition des patients atteints de pathologie pulmonaire chronique (en particulier de BPCO et de mucoviscidose) est responsable d’une surmortalité [20]. La dénutrition accroît la susceptibilité aux infections, en particulier par les mycobactéries et les pathogènes opportunistes tels qu’Aspergillus. Alcoolisme
Dans les études récentes, la cirrhose post-éthylique se démarque comme une catégorie à risque à part entière. En effet, l’étude de Meersseman recense parmi les patients sans pathologie maligne six patients cirrhotiques Child C sur un total de 89 patients décédant d’une aspergillose pulmonaire aiguë invasive [11]. L’étude de Vandewoude en compte huit sur 83 patients indemnes de pathologie maligne [13]. • Dans les pathologies inflammatoires chroniques du poumon, l’augmentation quantitative des effecteurs de l’inflammation ne signifie pas amélioration de la phagocytose mais plutôt une perte fonctionnelle qualitative. • Le stress oxydatif bronchique chronique génère des remaniements architecturaux hétérogènes, avec formation de « niches » peu accessibles au système immunitaire et aux anti-infectieux. • La dénutrition et la cirrhose alcoolique sont des facteurs de risque de l’infection aiguë aspergillaire.
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• Les infections virales saisonnières font le lit des surinfections par d’autres pathogènes opportunistes notamment fongiques.
De la colonisation à l’infection Aspergillus fumigatus, principal agent causal des aspergilloses, est un micromycète présent dans l’environnement qui se dissémine par ses spores ou conidies de 2 à 3 μm, très résistantes. Ces spores sont inhalées en permanence par l’arbre trachéobronchique (2000 à 3 000 souches environnementales par mois) [21]. L’élimination des spores fongiques passe par une étape préalable de reconnaissance par les macrophages et les cellules dendritiques présentatrices d’antigènes qui ont un double rôle de fongicidie et d’activation de la réponse immunitaire. Concernant la fongicidie, cette reconnaissance semble être sous la dépendance de certains facteurs du complément (notamment C3) et de récepteurs lectiniques pour le mannose et le fucose [22]. Une altération du tapis mucociliaire (tabagisme, mucoviscidose) facilite la colonisation en profondeur de l’arbre trachéobronchique et augmente le pouvoir d’adhérence des spores. Après la reconnaissance et l’adhérence conidienne, fait suite l’internalisation active par le macrophage qui est un prérequis à la fongicidie [23]. Leur élimination est donc assurée en permanence par les macrophages, ce qui explique qu’en dépit d’une inhalation continuelle, la clairance conidienne assurée par la première barrière de défense du système immunitaire inné empêche le passage à une forme invasive. Concernant l’activation du système immunitaire, la présence d’Aspergillus active électivement les récepteurs TLR 2 et 4 à la surface des macrophages et des cellules dendritiques, ce qui aboutit à la production de cytokines telles que le tumor necrosis factor α (TNF- α) et l’interleukine 1- β(IL-1 β) qui amplifient la réponse inflammatoire [24]. S’il y a anomalie de la phagocytose, les spores subissent un processus de germination qui donne naissance à des filaments mycéliens ou hyphes, de taille volumineuse, qui possèdent le pouvoir invasif pathogène. Ce sont les PNN qui assurent la fongicidie des formes filamenteuses aspergillaires, appuyés par les plaquettes activées et l’immunité adaptative qui déploie les effecteurs lymphocytaires cellulaires et humoraux. Chez le sujet sain, on ne doit donc pas retrouver de colonisation aspergillaire puisque l’éradication des spores est un processus continu et en temps réel, stérilisant la germination. On comprend dès lors que toute inhibition fonctionnelle médullaire importante et durable compromet la capacité à contrôler la germination des spores et que la neutropénie aura pour conséquence la prolifération de formes filamenteuses constituant le principal déterminant du développement de la maladie invasive. Dans la hiérarchisation des troubles immunitaires, l’altération du tapis mucociliaire accroît la pénétration et l’adhérence des spores, le déficit macrophagique permet la colonisation par les formes filamenteuses qui doit être étroitement régulée par les PNN et les lymphocytes. Tout déficit
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qualitatif et/ou quantitatif de ces derniers altère la barrière défensive protégeant du stade invasif. • L’élimination des spores fongiques passe par une étape préalable de reconnaissance par les macrophages et les cellules dendritiques présentatrices d’antigènes • La fongicidie semble être sous la dépendance de certains facteurs du complément (notamment C3) et de récepteurs lectiniques pour le mannose et le fucose. • Une altération du tapis mucociliaire facilite la colonisation en profondeur de l’arbre trachéobronchique. • Aspergillus active électivement les récepteurs TLR 2 et 4, avec production de cytokines proinflammatoires telles que le tumor necrosis factor D et l’interleukine 1-E. • Les PNN assurent la fongicidie des formes filamenteuses aspergillaires.
parce qu’elle favorise la colonisation muqueuse chronique des voies aériennes supérieures. Deuxièmement, notamment pour les corticoïdes inhalés fluorés lipophiles, parce que leur vitesse d’élimination des voies aériennes est lente, suggérant qu’en utilisation quotidienne à forte dose, ils puissent entretenir un « climat » d’immunodépression locale. Deux cas notables ont été décrits dans un contexte d’utilisation prolongée de fluticasone inhalé [29, 30]. • La corticothérapie altère significativement la fonction phagocytaire des macrophages, des monocytes et diminue l’activation des PNN. • Ces phénomènes, doses dépendantes, sont observés dès la dose physiologique et augmentent avec des doses pharmacologiques. • La corticothérapie inhalée pourrait également avoir un rôle localement immunosuppresseur.
Diagnostic Corticothérapie et croissance fongique En 2002, de nouvelles définitions ont été établies pour classer les infections invasives fongiques chez les patients atteints de maladies hématologiques. Dans cette classification, trois semaines de corticothérapie 60 jours avant l’apparition de l’infection sont considérées chez l’hôte comme un facteur prédisposant d’aspergillose invasive [12]. En effet, la corticothérapie altère significativement la fonction phagocytaire des macrophages, des monocytes [17, 25] et diminue l’activation des PNN [18]. Par ailleurs, les corticoïdes diminuent la transcription de plusieurs cytokines telles que le TNF- α, l’IL-1 et l’interleukine 6 (IL-6) fondamentales pour la genèse d’une réponse inflammatoire systémique adaptée à un stimulus infectieux [26]. Une étude prospective de 33 patients sous corticothérapie au long cours (> 30 jours) présentant un infiltrat pulmonaire ne cédant pas à une antibiothérapie conventionnelle a démontré qu’Aspergillus fumigatus était le pathogène le plus fréquemment mis en évidence sur les prélèvements endobronchiques dirigés [27]. Cette étude corroborait l’hypothèse d’une atténuation de la réponse inflammatoire locale et systémique par les glucocorticoïdes, puisque la mesure des cytokines dans le liquide de lavage broncho-alvéolaire et le sérum des patients montrait des taux significativement abaissés chez les patients traités par rapport au groupe contrôle. Une étude suggère que l’adjonction d’hydrocortisone dans le milieu de culture favorise la germination in vitro d’Aspergillus fumigatus avec une vitesse de croissance augmentée de 30 à 40 % et un temps de doublement de 48 minutes [28]. Ces phénomènes, doses dépendantes, sont observés dès la dose physiologique et augmentent avec des doses pharmacologiques. La question de l’implication de la corticothérapie inhalée dans la survenue d’une API reste ouverte. Premièrement,
Présentation clinique La présentation de l’aspergillose pulmonaire invasive en dehors des pathologies malignes est volontiers aspécifique. Parmi les signes cliniques, la constatation d’un bronchospasme serré et persistant est habituelle et souvent signalé dans la littérature [21]. Il est source d’augmentation des doses de corticothérapie sans que ces derniers réussissent à le faire céder efficacement. L’hémoptysie reste le signe fonctionnel le plus évocateur et bien que tardif, il marque l’invasion parenchymateuse et l’érosion vasculaire.
Examens microbiologiques : comment interpréter la présence de filaments aspergillaires dans les prélèvements trachéobronchiques ? La référence est l’isolement en culture du champignon par prélèvement biopsique pulmonaire, même si le rendement reste décevant, puisque la culture n’est positive que dans environ 60 % des cas quand le diagnostic anatomopathologique est formel [31]. Néanmoins, la découverte sur un prélèvement trachéobronchique de formes filamenteuses à l’examen direct affirme la croissance du champignon et constitue un signe d’alerte significatif. La présence de filaments aspergillaires dans un prélèvement trachéobronchique chez un patient pose la question d’une perte de fongicidie révélatrice d’une immunodépression locale ou systémique. Si une pathologie pulmonaire chronique et/ou générale est préalablement connue, cette colonisation doit être surveillée car elle marque un degré d’immunodépression déjà avancé. Une étude rétrospective portant sur une série de 76 patients de pneumologie © 2006 SPLF, tous droits réservés
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présentant des filaments aspergillaires sur des expectorations trachéobronchiques a montré que pour 37 % d’entre eux cela révélait une aspergillose invasive (aspergillome ou aspergillose nécrosante chronique) [32]. La conjonction d’une corticothérapie au long cours (> 21 jours) ou d’un traitement immunosuppresseur représente une situation à risque majeur d’infection opportuniste fongique et doit faire l’objet d’un bilan et d’une surveillance rapprochée. En ce qui concerne les patients de réanimation, a fortiori avec ou en raison d’une défaillance respiratoire, un prélèvement trachéobronchique positif avec des filaments aspergillaires n’est également jamais anodin. Une étude rétrospective récente effectuée sur une large cohorte de patients admis en réanimation confirme qu’un prélèvement positif au niveau du tractus respiratoire chez un patient BPCO est révélateur d’une aspergillose pulmonaire aiguë invasive dans un cas sur deux [13]. Il appelle donc des investigations supplémentaires immédiates et la discussion d’une stratégie thérapeutique antifongique si nécessaire. À l’inverse, la découverte fortuite d’une colonisation aspergillaire trachéobronchique chez un patient sans comorbidité connue exhorte à en rechercher une sans délai, en particulier de nature maligne. • Il n’y a pas de signe clinique spécifique de l’aspergillose pulmonaire invasive mais le bronchospasme serré, persistant et réfractaire aux corticoïdes ainsi que des hémoptysies sont volontiers présents. • La culture est formelle, mais son rendement est faible (60 % de positivité dans les cas avérés). • La découverte sur un prélèvement trachéobronchique de formes filamenteuses à l’examen direct affirme la croissance du champignon et constitue un signe d’alerte significatif. • La découverte fortuite d’une colonisation aspergillaire trachéobronchique doit faire rechercher une affection associée, en particulier de nature maligne.
Diagnostic immunologique Pour le diagnostic immunologique la problématique chez l’immunocompétent et l’immmunodéprimé n’est pas la même. La sérologie reste utilisable chez l’immunocompétent. Chez l’immunodéprimé, les méthodes de diagnostic biologique reposent sur la mise en évidence indirecte d’Aspergillus. Ces dix dernières années ont permis des avancées significatives en matière diagnostique grâce aux séries de patients atteints de pathologie maligne. Antigénémie aspergillaire
L’antigénémie aspergillaire repose sur l’identification dans le sérum ou dans le liquide de lavage broncho-alvéolaire d’un exoantigène polysaccharidique ubiquitaire de l’organe 6S16
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de fructification d’Aspergillus : le galactomannane (GM). Des études prospectives réalisées sur des cohortes de patients atteints d’hémopathie maligne ont démontré une sensibilité et une spécificité globales proches de 90 % pour le diagnostic d’aspergillose aiguë invasive [33]. Concernant le seuil de détection sérique, le seuil d’alerte est situé dès 0,5 ng/ml. Le seuil de positivité formel est 1 ng/ml et au-delà. Un test positif appelle un deuxième test de confirmation dans la foulée. Il est actuellement recommandé chez les patients aplasiques de réaliser ce test en routine deux fois par semaine [34]. Toute élévation pathologique déclenche la deuxième ligne d’investigations. En dehors de ce contexte, quelques réserves doivent être émises. En effet, nous ne disposons que de peu d’informations sur la viabilité du test en dehors du contexte des patients hématologiques. Une étude prospective récente s’est intéressée à la valeur diagnostique de l’antigénémie aspergillaire par méthode Platelia ™pour le diagnostic d’aspergillose invasive chez les transplantés pulmonaires [35]. Sur 70 transplantés pulmonaires consécutifs, 12 ont développé une aspergillose invasive. Le test y démontre une excellente spécificité (93 %) mais une faible sensibilité (30 %). En revanche, 14 patients avaient des tests faussement positifs dont 9 patients atteints de mucoviscidose ou de BPCO. Les auteurs posent la question d’une positivité sérique accidentelle occasionnée par la translocation d’antigène galactomannane pendant la chirurgie en raison d’une colonisation bronchique aspergillaire préalable. Concernant les patients de réanimation, l’étude de Meersseman fait état d’une sensibilité de 70 % chez 20 patients ayant une aspergillose pulmonaire aiguë invasive prouvée et de 42 % chez 30 patients classés comme aspergillose pulmonaire aiguë invasive probable. Il est à noter que dans le groupe des probables, tous les patients positifs sauf un sont décédés [11]. Ces premiers éléments laissent présager l’utilité d’un tel dosage qui, conjugué au sérodiagnostic conventionnel, peut largement aider au diagnostic des aspergilloses aigues invasives de patients non hématologiques. En second lieu, l’utilisation à grande échelle a permis de constater 15 à 20 % de faux positifs. La consommation d’aliments contenant du GM tels que les céréales peuvent occasionner une translocation de GM du tube digestif vers le compartiment vasculaire [36]. La perfusion intraveineuse de pipérilline + tazobactam ou d’amoxicilline + acide clavulanique peut aussi occasionner des faux positifs [36]. La stratégie diagnostique utilisée chez les patients neutropéniques consiste en une surveillance bi-hebdomadaire de l’antigénémie aspergillaire. Toute ascension significative implique la réalisation d’une tomodensitométrie thoracique qui révélera ou non des signes évocateurs. La sérologie reste utilisable chez l’immunocompétent. • La sensibilité et la spécificité globales de l’antigénémie aspergillaire (galactomannane) sont proches de 90 % pour le diagnostic d’aspergillose aiguë invasive de l’immunodéprimé.
Aspergillose pulmonaire aiguë invasive et pathologies pulmonaires chroniques
• Le seuil d’alerte est situé dès 0,5 ng/ml. Le seuil de positivité formel est 1 ng/ml et au-delà. • Ces tests sont également utiles en dehors du contexte hématologique, mais il existe des faux positifs.
Autres examens paracliniques Scanner thoracique avec injection de produit de contraste
Aspergillus est responsable de pneumopathies en foyer(s) unique ou multiple, classiquement nodulaires pouvant évoluer vers l’excavation et des images d’infarctus segmentaire. Chez les patients aplasiques, certains signes scannographiques sont significativement associés au développement d’une aspergillose pulmonaire aiguë invasive [37]. Le signe du halo est un signe précoce caractérisé par un nodule aspergillaire au centre d’une zone de verre dépoli correspondant à une extravasation d’exsudat hémorragique périlésionnel. La sensibilité de ce signe, évaluée à 84 % chez les patients neutropéniques, tombe à 24 % en dehors des pathologies malignes [38]. Dans l’étude de Meersseman, seuls 17 % des patients ayant une aspergillose invasive prouvée présentent le signe du halo [11]. Le signe du « croissant gazeux » est tardif et quasi pathognomonique d’une infection aspergillaire aiguë invasive chez le patient hématologique. Il s’agit d’un séquestre parenchymateux qui correspond à la détersion du foyer infectieux par la neutrophilie de sortie d’aplasie. Ce signe n’est quasiment jamais observé en dehors des patients hématologiques même si l’évolution naturelle des foyers de condensation est la nécrose et l’excavation. Endoscopie bronchique et lavage broncho-alvéolaire (LBA)
La présence de filaments aspergillaires sur une aspiration bronchique n’a pas la même valeur selon qu’il s’agit d’un patient immunodéprimé ou non. En effet, la présence d’Aspergillus spp dans l’aspiration bronchique d’un patient neutropénique suspect de pneumopathie est considérée comme un argument fort pour une API [39]. Chez les autres patients, l’interprétation est plus difficile, en particulier en cas de BPCO, la difficulté étant de départager une contamination ou une simple colonisation d’une authentique infection, surtout lorsque le prélèvement est pauci filamenteux. Il n’existe aucune étude chez les patients atteints de pathologies pulmonaires chroniques confrontant la valeur de l’aspiration bronchique à celle du lavage broncho-alvéolaire (LBA) en matière d’infection fongique. Chez les patients immunodéprimés, l’isolement d’Aspergillus sur un lavage broncho-alvéolaire signifie une aspergillose pulmonaire aiguë invasive dans 2/3 des cas [40]. La valeur prédictive positive dépend du groupe à risque concerné : elle est de 82 % pour les greffés médullaires et
d’environ 60 % pour les patients recevant une corticothérapie au long cours. Certains auteurs soulignent la grande valeur diagnostique d’un examen microscopique positif sur un prélèvement endoscopique révélant des filaments aspergillaires. La positivité d’une culture sur une aspiration bronchique ou un LBA est à considérer comme un argument aussi pertinent qu’une biopsie parenchymateuse pulmonaire [13, 21, 41]. Néanmoins, chez les patients neutropéniques, la réalisation de la fibroscopie bronchique avec LBA n’est pas systématiquement recommandée dans la mesure où le tableau clinique, la cinétique de l’antigénémie aspergillaire et les images scannographiques ont une très bonne valeur prédictive positive permettant souvent d’éviter les examens invasifs. En revanche, chez les patients BPCO, le peu d’évaluation de la fiabilité de l’antigénémie, la faible spécificité de l’imagerie rendent la réalisation d’une endoscopie bronchique avec LBA guidée par les informations topographiques du scanner quasi indispensable. L’identification de filaments aspergillaires sera un argument décisif pour poser un diagnostic toujours difficile et décider de la mise en route du traitement. • Les signes d’aspergillose aiguë invasive au scanner sont le signe du halo et le signe du croissant gazeux. • Chez l’immunodéprimé, la présence d’Aspergillus spp dans l’aspiration bronchique est très évocatrice d’infection. • Chez l’immunocompétent, il est difficile de départager une contamination ou une simple colonisation d’une authentique infection. • La positivité d’une culture sur une aspiration bronchique ou un LBA a globalement la même valeur qu’une biopsie parenchymateuse pulmonaire.
Prise en charge thérapeutique Actuellement, la première ligne de traitement consiste en une monothérapie anti-aspergillaire, les recommandations étant uniquement basées sur des études menées chez les patients immunodéprimés. Une conférence de consensus française en 2004 a émis des recommandations pour les aspergilloses invasives de l’adulte [39]. Le chef de file des triazolés, le voriconazole (V-Fend®), a été comparé à l’amphotéricine B désoxycholate dans une étude randomisée ouverte. Une amélioration globale de la survie à 12 semaines a été observée dans le groupe voriconazole [42]. De ce fait le traitement de premier choix recommandé chez les patients immunodéprimés est actuellement le voriconazole intraveineux. Toutefois, dans l’optique des patients atteints de pathologie pulmonaire chronique, il convient de rester prudent dans l’application de ces recommandations. © 2006 SPLF, tous droits réservés
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En effet, elles reposent pour l’instant sur une seule étude randomisée de non-infériorité dans la population particulière des immunodéprimés et sans que cela préjuge de l’impact de l’utilisation prolongée des triazolés à large spectre sur l’écologie fongique. L’amphotéricine B désoxycholate (Fungizone®) est la molécule sur laquelle nous possédons le plus d’expérience du fait de son ancienneté. Toutes les études évaluant les molécules plus récentes sont des études comparatives avec l’amphotéricine B désoxycholate. Néanmoins, sa toxicité et sa tolérance peuvent limiter son utilisation notamment chez les populations de patients immunodéprimés recevant fréquemment des médications néphrotoxiques. Dans ce cas, les formulations lipidiques de l’amphotéricine B (AmB-L, Ambisome®; AmB-LC, Abelcet®) peuvent être proposées en raison de leur moindre toxicité rénale par rapport à l’amphotéricine B conventionnelle [43, 44]. Dans la mesure où la population de patients atteints de pathologies pulmonaires chroniques cumule rarement une pathologie rénale aiguë ou chronique, l’amphotéricine B désoxycholate peut être encore proposée en première intention par rapport aux formulations lipidiques. Concernant la durée du traitement antifongique, les seules références dont nous disposons émanent de la conférence de consensus de 2004. La réponse clinique au traitement est généralement effective en 2 à 6 semaines. La réponse est considérée comme complète au terme de 10 à 12 semaines de traitement [39]. Le traitement est à poursuivre jusqu’à la guérison clinique, biologique et radiologique, ainsi que jusqu’à la correction du ou des facteur(s) prédisposant(s). L’itraconazole (Sporanox®) ne fait plus partie des traitements de première intention d’une aspergillose pulmonaire aiguë invasive mais reste un des relais possibles de deuxième intention dans la récente conférence de consensus uniquement dans la mesure où l’infection paraît strictement contrôlée [39]. Dans la récente classe des échinocandines, Cancidas® a également obtenu l’AMM en France après une étude évaluant 83 patients présentant une aspergillose réfractaire ou une intolérance aux autres traitements. Le taux de réponse globale était de 44 % dont 39 % en cas d’atteinte réfractaire et de 75 % en cas d’intolérance [45]. Devant une aspergillose réfractaire, une association de deux antifongiques peut être indiquée comme traitement de sauvetage. Le choix des molécules reste à déterminer en fonction des résultats des études en cours. L’embolisation par radiologie interventionnelle peut être indiquée en cas d’atteinte pulmonaire à proximité d’un vaisseau artériel et dans un contexte d’hémoptysie active et menaçante. La résection chirurgicale, de plus en plus proposée chez les patients encore neutropéniques ayant une aspergillose invasive à proximité d’une structure vasculaire, peut être discutée [46]. Cependant, l’embolisation reste la technique de choix sur un terrain présentant des limitations opératoires et anesthésiques fréquentes. 6S18
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• La première ligne de traitement consiste en une monothérapie anti-aspergillaire (ou bithérapie comme traitement de sauvetage). • Le voriconazole est l’agent de première ligne recommandé chez l’immunodéprimé. • Sa valeur reste à établir chez l’immunocompétent. • L’amphotéricine B reste potentiellement une option thérapeutique de première ligne ou une alternative de choix. • Les autres antifongiques sont l’itraconazole et la caspofongine. • L’embolisation ou la chirurgie peuvent être proposées dans les lésions proches d’une structure vasculaire.
Synthèse et conclusion Les patients porteurs d’une pathologie pulmonaire chronique sont les premiers touchés par l’aspergillose pulmonaire aiguë invasive, en dehors des pathologies malignes et des transplantés d’organe. Les données publiées dans la littérature concernent essentiellement les patients atteints de bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) qui représentent approximativement 2 % des patients décédant d’aspergillose pulmonaire aiguë invasive. La survenue de cette infection opportuniste correspond à une immunodépression relative dans laquelle rentrent en ligne de compte des facteurs locaux (dérèglement de l’immunité locale) et généraux (corticothérapie, dénutrition, alcoolisme). L’isolement de filaments aspergillaires dans les expectorations et/ou les aspirations trachéales de ces patients signifie le développement d’une maladie aspergillaire dans un cas sur deux. Cela n’est donc pas anodin et implique la réalisation d’un bilan complémentaire comprenant la sérologie et l’antigénémie aspergillaire, une tomodensitométrie thoracique précédant la fibroscopie bronchique avec lavage broncho-alvéolaire (LBA). L’identification optique ou en culture de filaments aspergillaires sur le LBA est un argument positif décisif pour la mise en route d’un traitement. Le pronostic des patients porteurs de pathologie pulmonaire chronique et atteints d’aspergillose pulmonaire aiguë invasive est largement inférieur à celui des patients porteurs d’hémopathie maligne. Le gain pronostique obtenu chez les patients d’hématologie est corrélé à la rapidité de mise en route du traitement antifongique après une procédure diagnostique désormais bien validée. L’extrapolation des grandes lignes de cette stratégie aux patients chroniques de pneumologie permettrait probablement d’optimiser la prise en charge et le pronostic de cette infection. En ce sens, des études prospectives sont autant souhaitables que nécessaires. La monothérapie antifongique reste la règle en première intention. L’amphotéricine B désoxycholate de référence est supplantée au profit de molécules qui, à résultats égaux, sont mieux tolérées. Dans la famille des triazolés, le voriconazole est recommandé en première intention. Les formulations lipidiques de
Aspergillose pulmonaire aiguë invasive et pathologies pulmonaires chroniques
l’amphotéricine B désoxycholate sont une alternative. Parmi les échinocandines, la casponfongine se positionne dans les aspergilloses réfractaires. L’évaluation d’une bithérapie antifongique en phase aiguë est en cours. Parallèlement et autant que possible, la question de la décroissance ou de l’arrêt des corticoïdes doit être discutée. Enfin, on insistera sur la nécessité de demander plus d’examens autopsiques, en particulier chez les patients décédant d’une pneumopathie extensive non documentée ou quand le diagnostic est fortement suspecté mais non confirmé.
Références 1 2 3
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À RETENIR 6
• L’incidence de l’aspergillose pulmonaire aiguë invasive est vraisemblablement sous-estimée, en particulier en cas de pathologie pulmonaire chronique. • Le facteur de risque majeur, outre la neutropénie profonde, est la corticothérapie au long cours. • La fongicidie physiologique se fait en plusieurs étapes : reconnaissance, fixation, puis destruction des spores par le système immunitaire. • En cas d’anomalie de la phagocytose, les spores germinent et donnent naissance à des filaments aspergillaires ou hyphes qui possèdent le pouvoir invasif pathogène. • Dans un cas sur deux, la mise en évidence de filaments aspergillaires dans les expectorations et/ou les aspirations trachéales témoigne d’une maladie aspergillaire évolutive. • L’examen direct ou l’apparition en culture de filaments aspergillaires sur le LBA est un argument positif décisif pour la mise en route d’un traitement.
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• L’antigénémie aspergillaire a une sensibilité et une spécificité globales proches de 90 % en cas d’hémopathie maligne, mais on ne dispose que de peu de données dans les autres affections.
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• Le pronostic de l’aspergillose pulmonaire aiguë invasive est plus sombre chez les patients atteints de pathologie pulmonaire chronique qu’en cas d’hémopathie maligne.
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• La monothérapie antifongique reste la règle en première intention, mais on peut opter pour une bithérapie dans les formes menaçantes.
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