Asthme professionnel aux métabisulfites chez un marin pêcheur : à propos d’un cas

Asthme professionnel aux métabisulfites chez un marin pêcheur : à propos d’un cas

Rec¸u le : 17 juin 2010 Accepte´ le : 5 juillet 2010 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Cas clinique Asthme professionnel aux me´tab...

199KB Sizes 0 Downloads 51 Views

Rec¸u le : 17 juin 2010 Accepte´ le : 5 juillet 2010

Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com



Cas clinique

Asthme professionnel aux me´tabisulfites chez un marin peˆcheur : a` propos d’un cas Occupational asthma with metabisulfite in a fisherman: Report of one case R. Pougneta,*,b, B. Lodde´a,b, D. Lucasc, J.D. Dewittea,b a

Universite´ europe´enne de Bretagne, universite´ de Brest JE 2535, 22, avenue Camille-Desmoulins, CS 93837, 29238 Brest cedex 3, France b Service de sante´ au travail et maladies lie´es a` l’environnement, CHU Morvan, 2, avenue Foch, 29609 Brest cedex, France c Service interentreprises de sante´ au travail en Iroise (STI), 37, rue Voltaire, 29200 Brest, France

Summary

Re´sume´

Objective. To describe a case of occupational asthma in a fisherman linked to the inhalation of metabisulfites then to discuss history before acting on prevention. Patient and methods. We report the case of a man fishing nephrops who suffered from asthma after being exposed to metabisulfites. This case is compared with other occupational cases reported in the medical literature. Results. A male, former smoker, presented dyspnea with very productive cough, due to both chronic exposure to metabisulfites and intense exposure to contamination due to the breakdown of the ventilation system in the trawler on which he was fishing. Frequency of the symptoms is work-related. The examinations carried out in the following months revealed a reversible airway obstruction and nonspecific bronchial hyperreactivity, while allergy tests were negative. A visit on the trawler allowed to objectivize that unusual exposure in the present case. Concerning other cases from the literature, they report non-damaged working processes causing reversible airway obstruction. Discussion. Metabisulfites are antioxidants and preservatives used in the food industry and have been identified as the causative agent in occupational asthma since the 1980s. However, only two other cases have been previously reported in fishermen. The clinical presentation of our subject was distinguished by a productive cough. The appearance of symptoms after a combined incidental and usual exposure made us discuss an irritative pathophysiology in this asthma versus sensitization. The negativity of allergy explorations in this subject was similar to other cases of literature. Only our subject was submitted to patch tests, which were also negative.

Objectifs. De´crire un cas d’asthme professionnel lie´ a` l’inhalation de me´tabisulfites chez un marin peˆcheur puis discuter sa pre´sentation afin d’en faire la pre´vention. Patient et me´thodes. Nous rapportons le cas d’un marin peˆcheur professionnel de langoustines ayant pre´sente´ une symptomatologie respiratoire apre`s exposition a` des me´tabisulfites. Nous de´crivons l’exploration qui a e´te´ mene´e en paralle`le d’une e´tude de cas comparables retrouve´s dans la litte´rature en milieu professionnel. Re´sultats. Un homme de 53 ans, ancien fumeur, a pre´sente´ une dyspne´e accompagne´e d’une toux tre`s productive, suite a` la fois a` une exposition chronique a` des me´tabisulfites, mais aussi apre`s une exposition intense par contamination de la ventilation du chalutier d’ou` il peˆchait. Les symptoˆmes ont pris une rythmicite´ professionnelle. Les examens re´alise´s les mois suivants ont montre´ une obstruction bronchique re´versible et une hyperre´activite´ bronchique non spe´cifique, tandis que les tests allergologiques sont reste´s ne´gatifs. Une visite du chalutier a permis d’objectiver l’exposition qui s’est ave´re´e exceptionnelle dans ce cas pre´sent. Les autres cas bibliographiques rapportent quant a` eux des proce´de´s de travail non de´grade´s a` l’origine d’obstructions bronchiques re´versibles. Discussion. Les me´tabisulfites sont des antioxydants et des conservateurs utilise´s dans les industries agro-alimentaires et identifie´s comme agent e´tiologique d’asthme professionnel depuis les anne´es 1980. Pourtant, seuls deux autres cas ont e´te´ pre´ce´demment de´crits chez des marins peˆcheurs. La pre´sentation clinique de notre sujet se distinguait par le caracte`re productif de sa toux. L’apparition des symptoˆmes, suite a` la conjonction d’une exposition incidentelle en plus d’une exposition habituelle, nous a fait discuter une physiopa-

* Auteur correspondant. e-mail : [email protected] 1775-8785X/$ - see front matter ß 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s. 10.1016/j.admp.2010.09.006 Archives des Maladies Professionnelles et de l’Environnement 2010;71:836-840

836

Asthme aux me´tabisulfites

Conclusion. Our case presented occupational asthma caused by metabisulfites whose clinical signs were distinguished by a productive cough. Few cases are reported among fishermen despite the significant use in the workplace in which the irritant and sensitizing characteristics of which have to be considered. ß 2010 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Keywords: Occupational disease, Asthma, Sulfites

thologie irritative de cet asthme versus une sensibilisation. La ne´gativite´ des explorations allergologiques de notre sujet e´tait similaire aux autres cas de la litte´rature. Conclusion. Notre sujet pre´sentait un asthme professionnel aux me´tabisulfites dont la clinique se distinguait par le caracte`re productif de sa toux. Peu de cas sont rapporte´s chez les marins peˆcheurs en de´pit de l’utilisation importante de cette substance dans ce milieu professionnel dont le caracte`re irritant et sensibilisant est a` prendre en conside´ration. ß 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s. Mots cle´s : Maladie professionnelle, Asthme, Sulfites

Introduction Employe´s en tant que conservateurs et antioxydants dans les entreprises agro-alimentaires et en blanchisserie, les me´tabisulfites ont de´ja` e´te´ de´crits comme e´tiologies d’asthme professionnel chez certains salarie´s de ces secteurs [1–3]. Malgre´ l’abondance de la litte´rature concernant la population ge´ne´rale du fait des re´actions d’intole´rances alimentaires qui peuvent eˆtre croise´es a` des allergies me´dicamenteuses [4–6], et dans une moindre mesure, les cas en rapport avec les productions de l’industrie agro-alimentaire, l’asthme professionnel aux me´tabisulfites est encore peu de´crit chez les marins-peˆcheurs ; pourtant, ces compose´s sont largement utilise´s dans ce milieu, notamment pour la conservation de crustace´s. L’objet de cet article est de de´crire l’asthme professionnel survenu chez un marin-peˆcheur suite a` des expositions aux me´tabisulfites ; d’en discuter les aspects cliniques et paracliniques en comparaison notamment des deux autres cas de´ja` rapporte´s par la litte´rature chez des marins peˆcheurs [7,8].

Cas clinique Il s’agit d’un homme de 53 ans, marin peˆcheur professionnel de langoustines depuis 22 ans, ne pre´sentant pas d’ante´ce´dent atopique ou respiratoire, en particulier pas d’asthme. Sevre´ depuis cinq ans, sa consommation tabagique est estime´e a` 30 paquets-anne´e. Outre l’activite´ de peˆche proprement dite, une de ses taˆches professionnelles consistait, sur le pont, a` saupoudrer manuellement de me´tabisulfites les langoustines fraıˆchement peˆche´es, a` la sortie du filet, apre`s triage. Le saupoudrage consistait a` prendre une poigne´e de me´tabisulfites, lesquels se pre´sentent sous la forme d’une fine poudre blanche dont la taille des grains est variable (de quelques microme`tres au millime`tres) et dont la limite d’exposition professionnelle de la CEE est fixe´e a` 3 mg/m3, puis a` la re´pandre sur les prises a` la manie`re d’un geste de

semailles ; cette ope´ration, d’une dure´e de deux a` trois minutes, se re´pe´tait a` chaque leve´e de chalut. Cette exposition e´tait donc pluriquotidienne lors de la saison de la peˆche a` la langoustine (avril a` octobre), cela depuis qu’il travaillait sur ce chalutier, soit depuis six ans. Ses symptoˆmes sont apparus en septembre 2007, apre`s une nuit ou` lui et ses colle`gues ont senti une forte odeur de me´tabisulfites dans le quartier des e´quipages : brutalement, apre`s la manipulation de me´tabisulfites suite a` la remonte´e du premier chalut de la journe´e, il a pre´sente´ une dyspne´e expiratoire aigue ¨, une toux avec expectorations se´romuqueuses profuses. Il n’a pas de´crit, par ailleurs, de signes ORL, ophtalmologiques ou dermatologiques. Les symptoˆmes respiratoires diminuaient spontane´ment apre`s les activite´s de peˆche, a` l’exception de la toux qu’il pre´sentait tout au long des campagnes de 15 jours. Lors des se´jours a` terre de trois a` dix jours, la toux devenait plus se`che et moins importante la journe´e, mais celle-ci re´cidivait a` chaque fois qu’il saupoudrait les prises lors des campagnes ulte´rieures, le caracte`re productif se majorant alors. Il n’a consulte´ que de´but octobre 2007 ; les auscultations retrouvaient alors des raˆles bronchiques et des sibilants. L’he´mogramme e´tait normal ; en particulier, il n’y avait pas d’hypere´osinophilie. La radiographie pulmonaire e´tait normale. Les explorations fonctionnelles respiratoires (EFR) ont montre´ une chute du VEMS de 20 % entre des pe´riodes d’arreˆt maladie et celles suivant la reprise du travail avec nouvelle exposition. Un traitement de fond par bude´sonide inhale´ et un arreˆt maladie ont permis l’ame´lioration des symptoˆmes en quelques semaines, sans disparition de la toux, devenue se`che et a` pre´dominance nocturne. Courant de´cembre, une fibroscopie bronchique objectivait une inflammation aspe´cifique de la muqueuse trache´ale et des bronches souches. Le sujet a alors pris des corticoı¨des inhale´s pendant six mois jusqu’a` disparition des symptoˆmes et normalisation des EFR en juin 2008. Du fait d’une restriction d’aptitude par son me´decin des gens de mer, il n’a pas repris la peˆche a` la langoustine et n’e´tait donc plus expose´ aux me´tabisulfites.

837

R. Pougnet et al.

Archives des Maladies Professionnelles et de l’Environnement 2010;71:836-840

Fin 2008, son me´decin des gens de mer, s’interrogeant sur la possibilite´ d’une e´ventuelle reprise de ses activite´s ante´rieures et suite au refus de reconnaissance en accident du travail, demande un avis au centre de consultation de pathologies environnementales et professionnelles (CCPEP). Il ne pre´sentait alors plus de symptoˆmes a` l’exception d’une re´activation de sa toux et de sa dyspne´e lors d’une exposition re´cente a` des solvants de peinture domestique. Un bilan allergologique et des EFR ont donc e´te´ re´alise´s au CCPEP. Les prick tests aux pneumallerge`nes courants, a` la tropomyosine [9], au latex et aux me´tabisulfites e´taient ne´gatifs ; les patches tests aux me´tabisulfites en poudre e´galement. Le dosage des IgE totales se´riques e´tait normal ; il n’e´tait pas mis en e´vidence d’IgE spe´cifiques se´riques contre la tropomyosine, ni contre les sulfites de sodium. L’he´mogramme e´tait normal. Les EFR montraient un trouble ventilatoire obstructif pe´riphe´rique, re´versible sous be´ta2mime´tiques : le DEM25/75 e´tait a` 2,16 L (56 % de la the´orique) et passait a` 2,82 L (86 % de la the´orique) apre`s inhalation. Le VEMS e´tait normal. Le test d’hyperre´activite´ bronchique non spe´cifique e´tait positif sous 1600 microgrammes de me´thacholine, avec chute de 26 % du VEMS. De plus, nous avons visite´ le chalutier sur lequel avait travaille´ le sujet. Cela a permis notamment de constater que le stockage des me´tabisulfites se faisait dans des sachets conditionne´s de 5 kg, ces derniers e´tant fre´quemment perce´s. Ces sachets e´taient entrepose´s sur le pont principal, a` proximite´ d’une bouche d’ae´ration. Ce fait expliquait la pre´sence de l’odeur de me´tabisulfites dans le quartier des e´quipages dans la mesure ou` la ventilation refluait l’air, charge´ de me´tabisulfites vers le quartier. Notre patient e´tait d’ailleurs couche´ a` proximite´ directe de la bouche d’ae´ration. Le diagnostic d’asthme professionnel induit par les irritants a e´te´ retenu dans la mesure ou` la pre´sentation clinique e´tait celle d’un asthme de rythmicite´ professionnelle, que les examens paracliniques montraient une hyperre´activite´ bronchique et que les me´tabisulfites ont semblaient eˆtre l’agent e´tiologique de cet asthme. Une de´claration de maladie professionnelle, au titre du Tableau 66 (le de´cret no 99-542 du 28 juin 1999 permettant aux gens de mer de s’inspirer des tableaux du re´gime ge´ne´ral de Se´curite´ sociale) a e´te´ effectue´e. La reconnaissance a e´te´ refuse´e en juin 2009 pour des raisons administratives. A` l’heure actuelle, le sujet a repris son travail sur le meˆme chalutier, avec pour restriction de ne pas employer des me´tabisulfites.

Analyse de la litte´rature La recherche bibliographique a permis, paralle`lement, de trouver deux articles a` propos d’asthmes professionnels aux me´tabisulfites chez des marins-peˆcheurs : l’e´quipe de Steiner et al. en 2008 au Royaume-Uni [7] et l’e´quipe de et al. en 2004 en Norve`ge [8].

838

Les me´tabisulfites S2O5 appartiennent a` la famille des sulfites, groupe comprenant, e´galement, les sulfites neutres, SO3, et les bisulfites, HSO3. La survenue d’asthmes professionnels dus aux me´tabisulfites est connue depuis les anne´es 1980 [1]. La physiopathologie repose sur diffe´rents me´canismes : la libe´ration de SO2 [3] ; l’hypersensibilite´ imme´diate IgE-de´pendante [3,10] ; le blocage du me´tabolisme de l’acide arachidonique ; une augmentation de la libe´ration d’histamine, due a` un abaissement du seuil d’excitabilite´ des fibres sensitives, provoquant une bronchoconstriction [9] ; action du re´cepteur de la bradykinine B2 [11] ; activation mastocytaire directe avec libe´ration de me´diateur [12] ; le de´ficit en sulfiteoxydase [13] ; re´ponse cholinergique par re´flexe parasympathique [2]. Certains auteurs font l’hypothe`se d’une double pathoge´nie, a` savoir d’un coˆte´, une hypersensibilite´ vraie et de l’autre, des manifestations dues uniquement a` l’effet irritant du produit [14,15].

Discussion Le peˆcheur de notre cas clinique a pre´sente´ une toux productive avec des expectorations mucosalivaires relativement profuses au de´part. Cet e´le´ment e´tait en opposition par rapport aux asthmes pre´ce´demment de´crits dans la litte´rature et au cours desquels les expectorations n’existaient pas [2,7]. Autre fait inhabituel concernant l’anamne`se de notre sujet : sa symptomatologie est apparue, certes dans un contexte d’exposition a minima depuis plusieurs anne´es, mais aussi suite a` une exposition bien identifie´e et aigue ¨, le soir ou` les marins ont ressenti l’odeur de me´tabisulfites dans leur quartier. Cette observation rejoignait pourtant celle de Madsen et al. sur un point. En effet, leur peˆcheur a de´bute´ son asthme au de´cours d’une exposition bien particulie`re : alors qu’il e´tait expose´ habituellement a` une solution de me´tabisulfites, me´lange de 100 L d’eau et de 2 kg de me´tabisulfites, il a de´clenche´ sa maladie apre`s une exposition unique a` la poudre de me´tabisulfites. En revanche, le peˆcheur de la publication de Steiner et al., qui e´tait expose´ aussi a` cette poudre lors de me´lange analogue, n’a pas pre´sente´ de manifestations aigue ¨s, soudaines. La symptomatologie respiratoire dans notre cas avait une rythmicite´ professionnelle au de´part, a` l’instar de quasiment tous les asthmes aux me´tabisulfites d’e´tiologie professionnelle de´crits, bien que certains auteurs de´crivent e´galement l’apparition des symptoˆmes lors d’ingestions d’aliments riches en sulfites [2]. Notre sujet conservait une toux productive durant ses campagnes, exacerbe´e par la manipulation des me´tabisulfites et alors accompagne´e d’une dyspne´e n’ayant jamais eu la se´ve´rite´ suffisante pour le faire consulter en urgence. A` l’oppose´e, le peˆcheur de l’e´quipe de Madsen pre´sentait des crises d’asthmes se´ve`res ayant ne´cessite´ une hospitalisation ; ces crises survenaient directement apre`s les expositions aux

Asthme aux me´tabisulfites

me´tabisulfites et consistaient en une dyspne´e et une toux se`che. Notre sujet pre´sentait aussi, en dehors des campagnes et donc de tout contact avec les me´tabisulfites, une toux nocturne qu’il a conserve´e pendant plusieurs mois. Cette observation e´tait comparable avec celle d’un employe´ d’usine de fabrication de vin [2] et avec celle du peˆcheur de Steiner, lequel a d’ailleurs garde´ des symptoˆmes plus de deux ans. Cependant, notre sujet pre´sentait en plus, a` distance de la fin de l’exposition, une re´activation de sa toux lors de l’exposition a` des irritants respiratoires qui ne contenaient pas de me´tabisulfites. Contrairement aux autres sujets, notre peˆcheur n’a pre´sente´ aucun symptoˆme extra-respiratoire de type e´ruption urticarienne, rhinorrhe´e aqueuse avec e´ternuements, conjonctivites etc. [3,7,8,16], ce qui nous a fait discuter un me´canisme plutoˆt irritatif. Notre e´quipe n’a pas re´alise´ de test de provocation spe´cifique, compte tenu des risques potentiels, d’autant que, comme le souligne l’e´quipe de Malo et al. [16], les me´tabisulfites sont connus pour entraıˆner un bronchospasme non spe´cifique, notamment chez les sujets pre´sentant une hyperre´activite´ bronchique a` la me´thacholine [17–19]. De meˆme, un test oral n’a pas e´te´ propose´ [20–22], e´tant donne´ l’absence de re´action respiratoire ou ORL chez notre sujet lors de l’ingestion d’aliments [4] riches en me´tabisulfites (conservateurs E220, E222). Nous avons en effet conside´re´ que le trouble ventilatoire obstructif re´versible apre`s un an d’e´volution et l’hyperre´activite´ bronchique non spe´cifique, associe´s a` la rythmicite´ professionnelle, e´taient des arguments suffisants pour poser le diagnostic d’asthme professionnel. En ce qui concerne les tests allergologiques, les tests re´alise´s chez notre patient ne montraient aucun signe de sensibilisation. Dans les autres cas de la litte´rature, les prick tests aux me´tabisulfites n’ont jamais e´te´ positifs, de sorte que l’on peut se poser la question de la pertinence d’un tel test. Pour le peˆcheur de l’e´quipe de Steiner, les tests e´taient e´galement ne´gatifs, bien que le peˆcheur pre´sentaˆt des signes dermatologiques allergiques. En revanche, le peˆcheur de la publication de Madsen et al. avait une hypere´osinophilie et des IgE totales augmente´es. En revanche, les IgE spe´cifiques contre les produits de la mer e´taient ne´gatifs, ce qui laisserait supposer que l’augmentation des IgE totales fu ˆ t due a` des IgE spe´cifiques contre les me´tabisulfites. Aucune e´quipe ne rapporte de mesure d’IgE spe´cifique contre cette substance et d’ailleurs, nous avons e´te´ la seule a` doser les IgE spe´cifiques contre les sulfites ; leur normalite´ n’e´tant donc pas un crite`re d’exclusion du diagnostic d’asthme aux me´tabisulfites mais s’expliquait, soit par le temps e´coule´ entre la fin de l’exposition, soit par l’absence de re´action croise´e entre sulfites et me´tabisulfites, soit par le fait que la physiopathologie ne soit pas IgE me´die´e chez notre sujet. Seul notre peˆcheur a be´ne´ficie´ d’une fibroscopie bronchique, objectivant une re´action inflammatoire non spe´cifique.

Les examens radiologiques ont tous e´te´ interpre´te´s comme normaux. Le cas ici rapporte´ regroupe une partie des crite`res du syndrome de dysfonctionnement re´actif des voies ae´riennes ou syndrome de Brooks [23] : l’absence d’ante´ce´dent respiratoire ; les symptoˆmes d’asthme ; le trouble ventilatoire obstructif ; le test a` la me´thacholine positif ; l’absence d’autre affection respiratoire. Quant a` la concentration dans l’air inhale´, l’odeur ressentie par les marins la nuit ayant pre´ce´de´e le de´but des symptoˆmes e´tait en faveur d’une concentration d’au moins 1 a` 5 ppm dans l’air du quartier de repos, ce qui correspond au seuil d’olfaction selon la fiche de se´curite´. Il s’agissait potentiellement d’une forte exposition, dans la mesure ou` notre sujet alle´guait avoir ressenti une odeur forte, bien au-dessus du seuil d’olfaction. Corollairement, nous nous sommes demande´s si ces manifestations respiratoires pouvaient re´pondre a` la de´finition du RADS ; syndrome non ante´rieurement rapporte´ aux me´tabisulfites dans la litte´rature, a` l’exception de la discussion autour du cas du peˆcheur de l’e´quipe de Steiner et al. [7]. Et en effet, le retour sur l’anamne`se et la visite du chalutier nous ont permis de reconstituer les faits. Les me´tabisulfites qui e´taient stocke´s a` proximite´ d’une bouche d’ae´ration polluaient les conduites destine´es a` la ventilation des quartiers des peˆcheurs. La couchette de notre sujet e´tait la plus proche de la bouche de ventilation, laquelle refluait l’air alors qu’elle devait l’aspirer. Les symptoˆmes seraient alors apparus suite a` une exposition a` de fortes concentrations de me´tabisulfites au niveau des quartiers des marins. Le biais de me´moire, toutefois, ne permettait pas d’affirmer que ces dits symptoˆmes soient apparus dans les 24 heures apre`s la survenue de l’odeur de me´tabisulfites au voisinage de sa couchette. Quant a` la concentration pre´cise de produit dans l’atmosphe`re, le caracte`re re´trospectif de notre enqueˆte plac¸ait ce crite`re hors du champ de nos investigations. Aussi ne pouvait-on pas conclure a` un RADS pour ce sujet, d’autant que, meˆme si l’exposition avait e´te´ a` de fortes concentrations ce jour la`, le fait qu’il avait de´ja` e´te´ expose´ de fac¸on chronique au cours des six anne´es pre´ce´dentes orientait vers un me´canisme immuno-allergique. L’e´viction a e´te´ possible pour notre sujet. Cette mesure a e´te´ re´alise´e avec succe`s, en de´pit de la re´organisation du travail qu’elle impliquait sur un navire de cinq personnes ; le peˆcheur a ainsi pu reprendre son activite´ comme un autre peˆcheur [7]. Il en a e´te´ de meˆme pour le cas survenu chez une employe´e de blanchisserie [2]. Dans l’article de l’e´quipe de Steiner et al. [7], le peˆcheur a vu ses fonctions respiratoires diminuer et seule l’e´viction lui a permis d’ame´liorer ses symptoˆmes. Mais, il faut savoir que sur trois changements d’emplois qui ont e´te´ tente´s et de´crits pre´ce´demment [1,7,16], deux sujets ont continue´ a` pre´senter des symptoˆmes pour l’un et une hyperre´activite´ bronchique pour le second. Proposer le port de protection individuelle pour le marinpeˆcheur de notre e´tude n’e´tait pas chose aise´e en raison du possible manque d’observance du port de masque, de

839

R. Pougnet et al.

Archives des Maladies Professionnelles et de l’Environnement 2010;71:836-840

l’inconfort que cela procure et de la me´connaissance de son efficacite´. En effet, dans trois cas publie´s, cette solution a e´te´ adopte´e avec des re´sultats divergents : un employe´ d’une fabrique de vin [2], dans les anne´es 1980, a poursuivi son activite´ durant plusieurs anne´es graˆce a` une protection respiratoire simple (un masque type chirurgical) ; une employe´e de conserverie [7] a e´galement utilise´ un masque avec succe`s, mais une seconde [7] a pre´sente´, en de´pit de ces masques, deux e´pisodes de de´compensations aigue ¨s. Nous aurions e´galement pu proposer pour pre´server l’emploi du salarie´, la substitution. Celle-ci avait d’ailleurs e´te´ entreprise dans un cas [7], au sein d’une conserverie, avec ame´lioration des symptoˆmes et diminution des posologies de be´ta 2 mime´tiques et corticoı¨des inhale´s ; malheureusement, cette mesure n’avait pas perdure´ pour des raisons pe´cuniaires. Aussi cette option ne nous a-t-elle pas paru judicieuse a` proposer.

Conclusion

[2]

[3]

[4]

[5] [6] [7]

[8]

[9]

[10] [11]

La bronchorrhe´e profuse qui dominait initialement le tableau clinique de l’asthme aux me´tabisulfites en milieu professionnel maritime chez notre sujet constitue une variante non pre´ce´demment rencontre´e. Bien que l’asthme professionnel aux me´tabisulfites ait de´ja` e´te´ de´crit dans diffe´rents secteurs d’activite´, c’est une e´tiologie encore peu rapporte´e dans le milieu de la peˆche. La conse´quence du manque de description dans la litte´rature me´dicale de ce type de pathologie professionnelle re´sulte en un manque de pre´ventions spe´cifiques mises en place, en particulier l’absence d’informations des salarie´s manipulant ces conservateurs et antioxydants, lesquels devraient eˆtre incite´s a` plus de vigilance lors de l’entreposage de ces pre´parations. Quant aux armateurs, leur responsabilite´ de prote´ger la sante´ de leurs salarie´s devrait les inciter a` substituer ou a` ame´liorer la pre´vention collective, surtout lorsque de grandes concentrations de me´tabisulfites sont manipule´es. Le stockage de ces produits doit e´galement re´alise´ dans des conditionnements herme´tiques.

[12] [13]

[14]

[15] [16] [17]

[18]

[19]

Conflit d’inte´reˆt

[20]

Aucun.

[21]

Re´fe´rences

[22] [23]

[1]

840

Merget R, Korn M. Metabisulphite-induced occupational asthma radiographer. Eur Respir J 2005;25:386–8.

Agard C, Nicolet-Akhavan F, Bouillard J, et al. Asthme professionnel aux me´tabisulfites : trois observations. Rev Mal Respir 1998;15:537–40. Rosenberg N, Reygagne A, Gervais P. Asthme professionnel aux sulfites. Documents pour le me´decin du travail fiche d’allergologie-pneumologie professionnelle n8 17 1990. Miltgen J, Marotel C, Natali F, et al. Aspects cliniques et diagnostic de l’intole´rance aux sulfites : a` propos de 9 patients. Rev Pneumol Clin 1996;52(6):363–71. Hernandez Garcia J. Adverse reactions to food preservatives. Allergol Immunopathol (Madr) 1986;14(1):55–63. Jamieson DM, Guill MF, Betty B, et al. Metabisulfite sensitivity: case report and litterature review. Ann Allergy 1985;54(2):115–21. Steiner M, Scaife A, Semple S, et al. Sodium metabisulphite induced airways disease in the fishing and fish-processing industry. Occupational Medicine 2008;58:545–50. Madsen J, Sherson D, Kjoller H, et al. Occupational asthma caused by sodium disulphite in Norwegian lobster fishing. Occup Environ Med 2004;61:873–4. Luis J, Nannini Jr, Hofer D. Effect of inhaled magnesium sulfate on sodium metabisulfite-bronchoconstriction in asthma. Chest 1997;111:858–61. Twarog FJ. Lang DYM Anaphylaxis to a component of isoetharine (sodium bisulfite). JAMA 1982;248:2030–1. Mansour E. Mechanisms of metabi-induced boronchoconstriction: evidence of bradykinin B2 receptor stimulation. J Appl Physiol 1992;72(5):1831–7. Polla BS, Russo-Marie F, Lockhart A, et al. Asthme, allergie, aspect clinique. Rev Med Suisse Romande 1990;110(10):891–6. Acosta R, Granados J, Mourelle M, et al. Sulfite sensitivity: relationship between sulfite plasma levels and bronchospam: case report. Ann Allergy 1989;62(5):402–5. McClellan MD, Wanger JS, Cherniack RM. Attenuation of the metabisulfite-induced bronchoconstritive reponse by pretreatement with cromolyn. Chest 1990;97(4):826–30. Gunnison AF, Jacobsen DW. Sulfite hypersensitivity: a critical review. Crit Rev Toxicol 1987;17(3):185–217. Malo JL, Cartier A, Desjardins A. Occupational asthma caused by dry metabisulphite. Thorax 1995;55:585–6. Wright W, Zhang YG, Salome CM, et al. Effect of inhaled preservatives on asthmatic subjects. Am Rev Respir Dis 1990;141:1400–4. Marks GB, Yates DH, Sist M, et al. Respiratory sensation during bronchial challenge testing with methacholine, sodium metabisulphite, and adenosine monophosphate. Thorax 1996;51: 793–8. Nichol GM, Nix A, Chung KF, et al. Characterisation of bronchoconstrictor responses to sodium metabisulphite aerosol in atopic subjects with and without asthma. Thorax 1989;44: 1009–14. Valero AL, Bescos M, Amat P, et al. Bronchial asthma caused by occupational sulfite exposure. Allergol Immunopathol (Madr) 1993;21(6):221–4. Stevenson DD, Simon RA. Sulfites and asthma. J Allergy Clin Immunol 1984;74:469–72. Hodge L, Yan KY, Loblay RL. Assessment of food chemical intolerance in adult athmatic subjects. Thorax 1996;51:805–9. Brooks SM, Weiss MA, Bernstein IL. Reactive airways dysfunction syndrome (RADS). Persistent asthma syndrome after high level irritant exposures. Chest 1985;88:376–84.