Aube du jour, aube des jours (réveil et processus originaires)

Aube du jour, aube des jours (réveil et processus originaires)

PSYCHIATRIE ET PSYCHOLOGIE a u b e du j o u r , a u b e d e s j o u r s (rdveil e t p r o c e s s u s o r i g i n a i r e s ) M.C. CLI~MENT L E so...

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PSYCHIATRIE ET PSYCHOLOGIE

a u b e du j o u r , a u b e d e s j o u r s (rdveil e t p r o c e s s u s o r i g i n a i r e s ) M.C.

CLI~MENT

L E

sommeil peut ~tre abord~ sous des aspects tr~s divers: il a inspir~ de nombreux artistes, tout en ~tant diss~qu~ par nombre de scientifiques. I1 sera vu ici sous deux ~clairages tr~s d~ff~rents en apparence : neurobiologique d'une part, litt~raire d'autre part. Ces ~clairages ont en fait bien des points communs et ouvrent des champs fertiles pour la r~flexion, sur le sommeil comme sur les premieres ~tapes de la vie psychique du b~b~.

aube du jour Jean-Pol Tassin, neurobiologiste, chercheur au Coll~ge de France, a recherch~ les liens possibles entre l'inconscient psychanalytique et les connaissances actuelles en neurobiologie[3]. I1 a essay~, pour cela, de mettre en ~vidence au moins deux types de m~canisme de fonctionnement neurobiologique radicalement diff~rents selon que les informations parvenant au syst~me nerveux central (SNC) sont int~gr~es, puis stock~es sur un mode conscient, ou au contraire inconscient. M.C. CLI~MENT, p6dopsychiatre, service pEdiatrie, h0pital Saint-Vincent-de-Paul.

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Journal de PEDIATRIE et de PUERICULTURE n ~ 5-1992

neuro-

F. de G0ya.

Los caprichos. Mus~e du Petit Palais, Paris.

Photo Bull0z. 313

PSYCHIATRIE ET PSYCHOLOGIE Pour ce faire, il a ~tudi~ les modifications que subit ce syst~me nerveux central ~i l'occasion de / 9 t ~z situations caracterlsees par l emergence majoritaire du inconscients, tels que le sommeil et, dans le sommeil, le rive. On sait que l'influx nerveux est transmis le long des circuits neuronaux par l'interm~diaire de divers syst~mes de neurom~diateurs chimiques, permettant ainsi le transfert de l'information dans le syst~me nerveux central. Chez l'adulte, fi l'~tat de veille, les informations sensorielles venant de l'ext~rieur, sauf l'olfaction, font relais dans le thalamus, puis poursuivent leur chemin jusqu'~, leurs aires corticales primaires respectives; elles sont ensuite rassembl~es et int~gr~es dans les diff~rentes aires associatives jusqu'~i l'aire ultime d'association, le cortex prefrontal. Celui-ci est lui-m~me en relation avec le thalamus (noyau mddio-dorsal) et avec les structures limbiques sous-corticales. Un second circuit, neurov~g~tatif, aurait pour centre l'hypothalamus et mettrait en communication les structures limbiques, le cortex frontal, ]e noyau m~dio-dorsal du thalamus et l'hypothalamus. Gr]ce ~t ces relations entre cortex prefrontal et syst~me limbique sous-cortical, les informations parvenues au cortex peuvent ~tre confront~es avec le stock sous-cortical qui s'est constitu~ au cours du d~veloppement ; en fonction de ces donn~es, des r@onses adapt~es vont ~tre envoy~es soit vers l'ext~rieur par le cortex moteur, soit vers l'int~rieur de l'organisme par le biais de l'hypothatamus et de ses messages hormonaux et/ou des~ voies r

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neurovegetatlves.

Ces circuits ne fonctionnent ~videmment pas ~i plein r~gime en permanence. Une famille de neurotransmetteurs particuliers appelds monoamines primaires (dopamine, noradr~naline, s~rotonine) aurait un r61e modulateur qui modifierait l'~quilibre entre ces circuits en fonction des circonstances. Pendant la veille, chez l'adulte, les deux circuits sont en ~quilibre relatif. A l'endormissement, au fur et ~i mesure que le sommeil s'approfondit, on constate peu fi peu l'extinction de l'activitd des neurones responsables de l'activation du circuit somato-sensoriel (neurones noradr~nergiques et s~rotoninergiques) tandis que l'activit~ des neurones dopaminergiques est maintenue. L'~quilibre m~tabolique privil~gie l'activitd des aires limbiques au d~triment des aires corticales sensorielles. L'extinction de l'entr~e des stimulations ext~rieures s'accompagne au contraire de l'expression 314

d~satt~nu~e du stock d'informations sous-corticales, en particulier ~t travers le rive. A c e moment-l~t, le traitement conscient, logique de l'information n'est plus possible. Le syst~me nerveux central fonctionnerait alors sur un mode inconscient, et les r~seaux neuronaux mis en jeu au niveau sous-cortical communiqueraient selon . . par. son . extreme un processus analo gique, caracterlse rapidit~ de fonctionnement, son absence de logique, l'absence de la notion de temps, de chronologie ou de mort, sa capacit~ ~ fabriquer tr~s rapidement des images, son incompatibilit~ avec un fonctionnement conscient, mais encore selon sa rapiditY, son manque de precision. Marcel Proust, dans Sodome et Gomorrhe, ~voque certains aspects de ce mode de fonctionnement : <, Le temps qui s'~coule pour le dormeur, durant ces sommeils-lfi (c'est-~l-dire le sommeil profond) est absolument different du temps dans lequel s'accomplit la vie de l'homme r~veill&.. Sur le char du sommeil, on descend dans des profondeurs o6 le souvenir ne peut plus rejoindre le temps et en deqa desquelles l'esprit a ~t~ oblig~ de rebrousser chemin ,>. Au r~veil, le syst~me se r~quilibre avec la reprise de l'activit~ des circuits sensoriels associatifs sous l'influence des neurones noradr~nergiques et s~rotoninergiques, tandis que l'activit~ dopaminergique persiste ; mais il semble exister dans les quelques secondes qui precedent le r~veil, une phase interm~diaire o6 les neurones noradr~nergiques et s~rotoninergiques se r~activent sans que le sujet soit encore compl~tement ~veill~ et qui lui permet encore la fabrication de rives qui int~grent ces donn~es sensorielles ou qui emp~chent le dormeur d'agir selon sa volont~ consciente: ,, Je commenqais ~ me d~sesp~rer au r~veil en voyant qu'apr~s que j'avais sonn~ dix fois, le valet de chambre n'~tait pas venu. A la onzi~me, il entrait. Ce n"etalt" que la premiere." Les dix autres n etalent que des ebauches dans mon sommeil qui durait encore, du coup de sonnette que je voulais. Mes mains gourdes n'avaient seulement pas boug~ ,>. Sodome et Gomorrhe.

I 1 y aurait donc, chez l'~tre humain normal, deux fonctionnements possibles du SNC, sur un mode conscient et inconscient, fi la fois en ~quilibre et partiellement incompatibles, incompatibilit~ parfaitement illustr~e l~t encore par Proust : ,, Car, quoiqu'on dise, nous pouvons avoir parfaitement en rive l'impression que ce qui se passe est r~el. Cela ne serait impossible que pour des raisons tir~es de notre experience qui, ~ ce momentl~t, nous est cach~e ~>. Albertine disparue. Journal

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aube des jours A la naissance, les neurones responsables du traitement conscient de l'information (neurones noradrdnergiques, s&otoninergiques, associatifs) ne sont pas encore matures, mais les appareils de r&eption sensoriels, eux, existent et fonctionnent. Le nouveaund 4prouve des sensations, des perceptions qui ont ete largement decntes ces dermeres annees sous le nora de signifiants archa'iques faisant partie des processus originaires ; ces perceptions vont parvenir au thalamus, au sous-cortex et au cortex primaire sans aller plus loin au d4but, puisque les derniers relais (c'est-fi-dire les cortex associatif et pr4frontal) ne sont pas encore compl~tement fonctionnels : ces sensations vont donc &re engramm&s selon un module voisin de celui des circuits analogiques, sous une forme libre, non associ&, qui caract&ise le fonctionnement inconscient. Peutetre peut-on en rapprocher ce que M. PinolDouriez[2] appelle les protorepr&entations qui s'~laborent fi partir d'4prouv& idiosyncrasiques, caract&is& par leur transmodalitd, qui s'inscrivent en traces mn&iques et investies, et constituent, selon elle, la base du futur pr&onscient et des divers syst~mes de repr&entation qui le constituent. Au fur et fi mesure que se mettent en place les voies associatives et les voies monoaminergiques au cours du d&eloppement, v a s e constituer un stock sous-cortical de souvenirs qui, eux, seront pass& d'abord par le r&eau associatif, le cortex prefrontal, sur un mode diff&ent, logj~ue et qui pourront de ce fait &re rappel& par la conscience ; cela n'emp&hant pas que coexiste m~me chez l'adulte le fonctionnement analogique qui, lui, ne dispara~t pas pour autant. Pour retrouver les premiers souvenirs engramm& sur le mode analogique, il faudra faire taire le syst~me somato-sensoriel et se mettre en situation de fonctionnement inconscient ou s'en rapprocher : c'est ce qui se passe lors du sommeil paradoxal, nous l'avons vu, ou encore sur le divan du psychanalyste off les affg rences sensorielles devraient &re rdduites au minim u m pour favoriser l'4mergence de ces dldments inconscients ~ la conscience, le syst~me conscient pouvant apprendre ~ saisir progressivement et ~t int4grer sur un mode, cette lois associatif, ces donnees inconscientes. D. Anzieu dit que plus le sommeil devient profond, plus il est difficile d e distinguer figure et fond, ce qui nous renvoie aux processus originaires off justement le ,, travail ,, du b~b~ est de distinguer peu fi peu les figures du fond et ce, grace ~t l'interaction maternelle. C o m m e n t mieux illustrer ce que peut ressentir le nourrisson dans ces premieres &apes de la vie /

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off il n'a pas encore conscience de lui-m~me, o6 il ne se distingue pas encore clairement de sa m~re que par ce passage de La Prisonni}re: ~, Dans le monde du sommeil, nos perceptions sont tellement surcharg&s..., que nous ne savons ^ meme pas distinguer ce qui se passe d a n s "l etour' " meme ^ pas Frandissement du revell ' " : n ' eta~t-ce goise qui dormait, et moi qui venais de l'&eiller ? Bien plus, Frangoise n etalt-elle pas enfermee dans ma poitrine, la distinction des personnes et leur interaction existant ~l peine dans cette brune obscuritd off la r&lit~ est aussi peu translucide que dans le corps d'un porc-~pic et o6 la perception, quasi nulle, peut peut-&re donner l'id& de celle de certains animaux ? ,,. ,!

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D. Anzieu dit aussi que dans le sommeil lent on assiste au d4branchement des organes des sens de la conscience, ce qui correspond bien h notre module, pour aboutir dans le sommeil paradoxal une d&organisation de la relation entre le tout et les parties, ce qui correspond sans doute fi l'absence de liaison des sensations que nous avons evoquee, ~t 1 lmposslblhte de confronter une experience ~t une autre. I1 dit ~galement que ce ddbranchement fair office de pare-excitation, cette fonction de la peau devenant inutile; en revanche, ce qu'il a appeld la pellicule du r~ve est dans le sommeil paradoxal une pellicule impressionnable, de signification surinvestie (correspondant peut&re ~t l'activit~ sous-corticale privil~gi& ?) et que le travail du r~ve au r~veil et chez le psychanalyste est bien de ddvelopper ce qui a impressionn~ cette pellicule, c'est&-dire de trouver un interface entre ces deux fonctionnements,'c'est 4galement ce que nous avons dvoqud; et n'est-ce pas de pouvoir mettre en mots ce qui est ressenti ? Dans un passage de Du cdt~ de chez Swann, Proust illustre parfaitement l'ancrage corporel des processus originaires qui permettent au b~bd l'ac&s ~i son individuation et ~l la repr&entation symbolique en quelques mois, et que chacun d'entre nous rd4prouve ~i chaque r&eil ~ une vitesse variable selon les circonstances.., mais qui reste normalement de l'ordre de la seconde! t

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,, Et quand je m'&eillais au milieu de la nuit, comme j'ignorais off je me trouvais, je ne savais m~me pas au premier instant qui j'&ais ; j'avais seulement dans sa simplicitd premiere le sentiment de l'existence comme il peut fr4mir au fond d'un animal... Quand je me r&eillais ainsi, m o n esprit s'agitant pour chercher, sans y r~ussir, ~i savoir off 3"'etals," tout tournait autour de moi dans l'obscuritd, les choses, les pays, les ann&s. Mon corps.., cherchait d'apr~s la forme de sa fatigue, ~ rep&er la position de ses membres pour en induire la direction du mur, la place des meubles, pour reconstruire et 315

PSYCHIATRIE ET PSYCHOLOGIE pour n o m m e r la demeure off il se trouvait. Sa m e m o l r e , l a m e 'm o l r 'e d e s e s c o t e s , de s e s genoux, de ses ~paules lui pr&entait successivement plusieurs des chambres o6 il avait dormi... Et avant m~me que ma pens&, qui h&itait au seuil des temps et des formes, e~t identifi~ le logis en rapprochant les circonstances, lui -- m o n corps -se rappelait pour chacun le genre du lit, la place des portes, la prise de jour des fen&res, l'existence d'un couloir, avec la pens& que j'avais en m ' y endormant et que je retrouvais au r&eil.., et m o n corps, le c6t~ sur lequel je me reposais, gardiens fiddles d'un pass~ que m o n esprit n'aurait jamais d~ oublier, me rappelaient la flamme de la veilleuse de verre de Boh~me, la chemin& en marbre dans ma chambre fi coucher de Combray... en des jours lointains qu'en ce m o m e n t je me figurais actuels, sans me les repr&enter exactement, et que je reverrais mieux tout ~ l'heure quand je serais tout ~l fait &eill~ ~,. I1 me semble que ce module neurobiologique, m~me s'il ne reste qu'un mod~ie, ouvre des voles de r~flexion multiples en ce qui concerne hombre de situations physiologiques ou pathologiques. Par exemple, quelles significations peuvent prendre les terreurs nocturnes, le somnambulisme, qui semblent se produire en phase IV du sommeil lent, et non en sommeil paradoxal, et donc ~t un stade off persiste une petite activit~ du circuit somatosensoriel qui pourrait expliquer en partie la possibilit~ de bouger ou celle de percevoir des sensations sur un mode distordu ? Peut-on imaginer qu'il y ait des traces mr~&iques qui s'inscrivent sur un mode analogique, au niveau d'un fonctionnement sous-cortical lots d'in~erventions chirurgicales sous anesth&ie g~n&ale, celle-ci cr&nt un bloc thalamo-cortical ? Que se passe-t-il au cours de l'hypnose dont parle M. L. Chertok ? Le sujet hypnotis~ ob~it des ordres simples ; comment ces informations sont-elles trait&s, sur un mode logique ou analogique, ne faisant pas appel fi un traitement conscient ? L'&at d'hypnose se rapproche-t-il de l'&at de transfert qui est lui-m~me un &at de fonctionnement se rapprochant d'un fonctionnement analogique et L. Chertok ne dit-il pas que tousles bdb6s sont hypnotisables ? O n peut aussi rdfl6chir avec ce module fi la conversion hyst&ique qui se pr6sente comme une perturbation du circuit somato-sensoriel, touchant les organes de relation, dans le sens d'une hypoou d'un hyperfonctionnement de tel ou tel secteur (sensibilit6, motricit6, organe des sens), ne permettant pas 1 acces ~ la conscience d elements refoules. O n peut aussi r6fl&hir sur la fagon dont les enfants autistes saisissent les paroles interpr&atives p

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de leur th&apeute, alors qu'ils n'ont pas ac&s en apparence au symbole du langage : cela passe-til par un mode de fonctionnement de type analogique ~galement ? Cela pourrait nous aider fi comprendre que certains enfants ne parlant pas habituellement peuvent, dans des circonstances particuli~res o6 il y a une modification de l'~quilibre aires limbiques/aires sensorielles (effet de surprise, de douleur ou sommeil), surprendre leur entourage en pronon~ant des phrases inattendues. Pour en revenir encore fi des situations fr~quentes en neurop~diatrie off le cortex ,, sup&ieur ,, n'est pas ou plus en &at de fonctionner normalement, mais off il n'y a pas forc~ment d'atteinte sous-corticale, on doit, me semble-t-il, se poser la question de ce que l'enfant per~oit et engramme sur le plan des sensations, traces mn&iques non rappelables par le conscient, mais qui n'en existent pas moins et peuvent donc intervenir dans la vie ult&ieure du sujet : situations de coma ~l certains stades de leur &olution, certains &ats de d~ficience mentale, certains &ats ~pileptiques...

conclusion U n astrophysicien &oquait l'aube du monde en disant : ,~ Finalement, le grand big-bang, d'accord, mais la grande question est de savoir qu'estce qui tient l'univers ,, ? De la m~me fa~on nous nous d e m a n d o n s : ,~ Qu'est-ce qui tient le b~bd l'aube de sa vie ~, ? ,, Qu'est-ce qui nous tient chaque matin ~t l'aube du jour ,, ? []

Bibliographie 1. ANZIEU D. -- Le Moi Peau. D u n o d , Paris, 1 9 8 5 . 2. PINOL-DOURIEZ M. -- ~{ Interactions fantasrnatiques ou protorepr~sentations ? La valeur cognitive des

partages d'affects dans les interactions pr~coces ~. Neuropsychiatrie de I'Enfance, 1 9 8 5 , 3 3 (2-3),

89-93.

3. TASSIN J.P. -- c, Peut-on trouver un lien entre I'inconscient psychanalytique et les connaissances actuelles en neurobiologie ~ ? Neuropsy., voi. 4, n ~ 8, o c t . 8 9 ,

421-434.

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