EMC-Rhumatologie Orthopédie 1 (2004) 436–444
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Biopsie pour tumeurs des os Bone biopsy for tumors B. Tomeno (Professeur des universités, praticien hospitalier) Service d’orthopédie B, pavillon Ollier-Merle d’Aubigné, hôpital Cochin, 27, rue du Faubourg-Saint-Jacques, 75014 Paris, France
MOTS CLÉS Tumeur des os ; Biopsie des os ; Biopsie à ciel ouvert ; Biopsie percutanée
KEYWORDS Bone tumors; Bone biopsy; Surgical biopsy; Percutaneous biopsy
Résumé De par son essence même (prélèvement partiel d’une lésion souvent polymorphe d’un endroit à l’autre) la biopsie d’une tumeur osseuse comporte un certain risque d’erreur ou d’imprécision. Pour minimiser ce risque, il convient : de faire des biopsies généreuses (en les réalisant toutefois par une voie d’abord la plus économique possible) et de communiquer au pathologiste renseignements cliniques et documents radiologiques, d’en confronter les résultats avec le contexte radioclinique ; de les faire effectuer le plus souvent possible dans des centres spécialisés en la matière, surtout lorsqu’il existe une suspicion de malignité. Biopsies à ciel ouvert et biopsies percutanées sont plus complémentaires qu’antinomiques ; elles ont chacune leurs indications et leurs limites. Le trajet des biopsies percutanées doit être repéré de façon indélébile. Le trajet de la biopsie doit toujours être choisi en fonction de ce que sera le traitement chirurgical, ce qui demande une bonne dose d’intuition et de connaissance de la pathologie tumorale. En effet en matière de tumeur maligne, ce trajet doit être excisé « en monobloc » avec la pièce de résection, et il est donc constamment préférable que biopsie et traitement soient effectués par la même équipe. © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract Because it consists in only a partial sampling of a lesion which is frequently polymorphic, biopsy of a bone tumor includes a risk for erroneous or inaccurate diagnosis. To minimize this risk it is necessary to perform large samplings (through the most limited approach, however), to provide the pathologist with all necessary clinical and radiological documents, to confront the biopsy results with the radio-clinical context; to realize biopsies as often as possible in specialized units, especially if there is any suspicion of malignancy. Surgical and percutaneous biopsies are complementary techniques, with each its own indications and limitations. The course of percutaneous biopsy must be precisely and indelibly located, always chosen according to the planed surgical treatment, what induces good intuition and knowledge of the tumoral pathology. In malignant tumors, the biopsy course should be excised as a single piece with the piece of resection; therefore, both biopsy and surgical treatment should preferentially be performed by the same medical team. © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.
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[email protected] (B. Tomeno). © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi: 10.1016/j.emcrho.2004.05.001
Biopsie pour tumeurs des os
Introduction La biopsie d’une image osseuse anormale a pour but de répondre aux questions suivantes : • est-ce une tumeur ou autre chose (ostéite, maladie métabolique ou « rhumatismale », lésions dystrophiques ou pseudotumorales, etc.) ? • si c’est une tumeur, est-elle primitive ou secondaire (métastase) ? • si c’est une métastase révélatrice, la biopsie permet-elle une orientation diagnostique dans la recherche du cancer primitif ? • si c’est une tumeur primitive est-elle bénigne ou maligne ? • et de quelle variété précise de tumeur s’agitil ? (il faut donc connaître la classification actuelle des tumeurs des os : cf. Tableau 1) ; • au besoin quel en est le grade (ou le degré) ? : certaines tumeurs sont en effet classées en grades ou degrés selon leur agressivité histologique. Il existe toujours une part d’incertitude dans l’analyse du résultat d’une biopsie : • elle peut parfois ne donner de réponses qu’à une partie des questions sus-jacentes ; • elle peut être « blanche » soit parce que le prélèvement n’a pas porté sur une zone significative, soit parce que le prélèvement est arrivé au laboratoire sans avoir été conservé dans un liquide adéquat, soit parce qu’il n’a
Tableau 1
437 pas été acheminé assez vite et que les tissus se sont desséchés au contact de l’air, etc. ; • la biopsie, de par son essence (prélèvement partiel d’une lésion), peut donner un résultat erroné dans les tumeurs inhomogènes (celles où, d’un endroit à l’autre, les aspects sont variables). Par exemple on sait que certains ostéosarcomes peuvent comporter un secteur chondroblastique ; si la biopsie n’a porté, par malchance, que sur cette zone, le risque est de conclure à un chondrosarcome, ce qui pose problème puisque le traitement des deux entités est très différent (l’ostéosarcome est chimiosensible, le chondrosarcome ne l’est pas). De même, certaines tumeurs à cellules géantes en voie de transformation maligne peuvent comporter des zones encore bénignes et d’autres déjà malignes. • la conclusion peut rester hésitante entre deux maladies présentant des similitudes anatomopathologiques (exemples : chondrome et chondrosarcome de basse malignité, tumeur à cellules géantes et localisation osseuse d’une hyperparathyroïdie, etc.). Pour se tirer d’affaire dans de telles situations peu claires, les solutions sont les suivantes : • faire le plus souvent possible des biopsies « généreuses » ramenant un fort volume de tissu pathologique, mais bien sûr dans les limites du raisonnable compte tenu du contexte locorégional, du risque de fracture pathologique,
Classification des tumeurs osseuses.
Tumeurs osseuses primitives des os ; classification-nomenclature ; (version simplifiée, limitée aux lésions les plus habituelles). En italique = les entités fréquentes à bien connaître. Tissu concerné Tumeurs bénignes Tumeurs malignes Os Ostéome ostéoïde Ostéosarcomes et leurs variantes Ostéoblastome Cartilage Chondrome Chondrosarcomes et leurs différentes formes (solitaires et multiples) Exostose ostéogénique (solitaires et multiples) Chondroblastome Fibrome chondromyxoïde Conjonctif Fibrome Fibrosarcomes Fibrome non ossifiant Histiocytofibrome malin Tissu hématopoïétique de la moelle osseuse Lymphomes (= lymphosarcomes) Myélome-plasmocytome Notochorde Chordome Neuro-ectoderme Neurofibrome Sarcome d’Ewing Schwannome Schwannome malin Origine incertaine Adamantinome Tumeurs à cellules géantes Tumeurs à cellules géantes Lésions pseudotumorales Kyste essentiel Kyste anévrismal Dysplasie fibreuse
438 etc. (c’est-à-dire prendre tout ce qui est facilement accessible sans préjudice ni difficultés supplémentaires) ; • confronter le résultat anatomopathologique avec les données radiocliniques (et parfois biologiques) est une étape essentielle toujours obligatoire : l’âge, la localisation de la lésion et son aspect radiologique, sa taille, les antécédents du patient, l’allure évolutive (tumeur quiescente, voire asymptomatique versus tumeur agressive et « bruyante »), la perturbation de certaines constantes biologiques, etc. permettent souvent de trancher ; • demander l’avis d’un autre anatomopathologiste mais en lui communiquant la totalité des prélèvements (partager un prélèvements entre deux pathologistes est une erreur : cf. cidessus le cas de la tumeur à cellules géantes comportant à la fois des zones malignes et d’autres bénignes). Il est aussi possible de demander, quant à l’interprétation des images radiologiques, l’avis d’un autre chirurgien ou d’un radiologue habitué à ce type de problème ; • recommencer la biopsie est une ultime possibilité à ne pas ignorer (cette éventualité rare s’avère nécessaire dans 2 ou 3 % des cas dans notre pratique, il ne faut pas en avoir honte bien au contraire).
Divers modes de biopsie : avantages et inconvénients Les biopsies peuvent se faire à ciel ouvert (au bloc opératoire), ou bien être moins invasives (biopsies percutanées). Ces deux méthodes ont leurs avantages et leurs inconvénients ainsi que leurs indications spécifiques.
Biopsies à ciel ouvert Elles ont pour avantages de permettre un prélèvement quantitativement généreux et de contrôler « de visu » l’aspect des tissus prélevés. Les inconvénients (médicaux et économiques) sont ceux de toute hospitalisation et de tout acte chirurgical. Examen conventionnel Le résultat n’est récupéré que quelques jours plus tard (délai variable selon la consistance de l’échantillon : des tissus mous peuvent être analysés en 5 à 8 jours, de l’os spongieux ou de l’os cortical lytique en 1 ou 2 semaines, de l’os très dense, très cortical, demandera en revanche 2 à 4 semaines de décalcification avant de pouvoir être confié au microtome).
B. Tomeno Le laboratoire a ici « tout son temps » pour faire des colorations sophistiquées, des réactions immuno-histo-chimiques, voire des recherches chromosomiques ou génétiques. Ayant « tout son temps », le pathologiste a moins de risques de se tromper que lors d’une biopsie extemporanée. Examen extemporané On demande ici au pathologiste de donner en cours d’intervention chirurgicale et, en quelques minutes, un diagnostic (ou du moins une orientation) et l’on attend son verdict avant de poursuivre l’acte opératoire. On conçoit que le risque d’erreur est ici plus grand et que, de ce fait, c’est une technique à utiliser avec circonspection. Pour se permettre d’effectuer un traitement au cours de la même anesthésie, il faut : • que « tout concorde », c’est-à-dire que le diagnostic rendu par le pathologiste soit en accord avec le diagnostic évoqué par l’analyse préopératoire des données radiocliniques ; • que l’acte thérapeutique prévu ne comporte pas de sacrifice majeur et soit le plus conservateur possible. Si la réponse du pathologiste n’est pas formelle, si elle est très éloignée des hypothèses préopératoires, il faut s’interdire de poursuivre, il faut fermer la voie d’abord et attendre le résultat de l’histologie conventionnelle. Le bon exemple pour illustrer cette pratique est celui d’une tumeur bénigne pour laquelle on envisage de faire un curetage–comblement, qu’il s’agisse d’une tumeur à cellules géantes bénigne, ou d’un chondroblastome, etc. Dans de tels cas, et puisque le traitement des tumeurs bénignes intraosseuses est toujours le même (curetagecomblement), on peut même accepter que le pathologiste nous réponde que c’est une tumeur bénigne mais qu’il ne peut pas en extemporané nous donner de diagnostic plus précis. Un autre exemple est celui d’une lésion lytique du col fémoral fortement suspecte d’être métastatique : si le pathologiste confirme l’hypothèse métastatique, on est en droit de poursuivre l’acte opératoire (ostéosynthèse le plus souvent) ; si en revanche il pense que la lésion peut être primitive, ou tout simplement s’il n’arrive pas à trancher, les règles de bonne conduite imposent de refermer et de remettre le traitement à plus tard : il est interdit de traiter une lésion tant qu’elle n’est pas correctement identifiée. Transgresser cette affirmation ne peut être que source d’ennuis fréquents et graves, ainsi que le montre, hélas et encore trop souvent, l’analyse du comportement de certains chirurgiens.
Biopsie pour tumeurs des os
Biopsies percutanées Elles sont effectuées sous amplificateur de brillance ou sous scanner, le plus souvent après une simple anesthésie locale. Elles sont faites soit par le chirurgien, soit par le radiologue, sur un malade « externe » ou sur un patient en hôpital de jour, soit à l’aiguille soit de préférence avec un trocart de quelques millimètres de diamètre. Les « aspirations » à l’aiguille ne permettent qu’une analyse cytologique (et non pas histologique !). Ses avantages sont donc évidents. Ses inconvénients sont les suivants : • prélèvement de faible volume (« moins il en a, plus le pathologiste risque l’erreur ») ; • impossibilité de choisir « à l’œil nu » les zones probablement significatives ; • plus grand risque de biopsie blanche ; • plus grand risque d’erreur diagnostique si la maladie n’a pas le même aspect d’un endroit à un autre. Néanmoins, cette méthode n’est pas à condamner. Ses échecs peuvent toujours être repris par une biopsie chirurgicale. On la conseille généralement dans les lésions où l’abord chirurgical n’est pas anodin (corps vertébral, cotyle), dans les cas où un diagnostic presque certain cherche une simple confirmation, dans les tumeurs non hétérogènes (les suspicions de sarcome d’Ewing, de localisations osseuses du myélome et des lymphomes, les métastases, ...) sont de bonnes indications car, en règle, les aspects sont identiques d’un endroit à l’autre de la lésion ; il en va de même s’il s’agit simplement de confirmer une suspicion de récidive sur une tumeur dont le diagnostic de variété est déjà connu.
La biopsie est-elle indispensable ? La réponse est simple : • oui et toujours dès que la radiographie évoque la malignité ; • oui et toujours lorsque la radiographie ne permet pas de trancher entre « indiscutablement bénin » et « peut-être malin » ; • non en cas d’image très typique d’une entité indiscutablement bénigne peu ou pas évolutive et sans grand risque de transformation maligne (exostose ostéogénique solitaire typique, fibrome non ossifiant, îlot osseux solitaire bénin, certaines dysplasies fibreuses, les ostéomes ostéoïdes, les chondromes des doigts, les kystes essentiels...).
La biopsie est-elle dangereuse ? La crainte de favoriser une dissémination locale ou générale de cellules malignes a pu être avancée
439 comme argument visant à freiner les indications de la biopsie. Ce raisonnement doit être formellement condamné car, d’une part cette hypothèse n’a jamais été confirmée et d’autre part traiter sans certitude diagnostique absolue ne peut être que la source de dramatiques déconvenues. Les vrais dangers de la biopsie sont en fait les suivants : • prélèvement en zone non significative ; • prélèvement mal conservé avant son arrivée au laboratoire ; • prélèvement étudié par un pathologiste n’ayant pas l’habitude des tumeurs osseuses ; • voie d’abord mal choisie peu compatible avec la voie d’une éventuelle résection ; • biopsie suivie d’infection rendant dangereux tout acte de résection-reconstruction ; • fracture postopératoire sur l’orifice de trépanation osseuse. Cette énumération est plus compréhensible lorsque le lecteur prend connaissance du paragraphe ci-dessous : « Qui doit faire une biopsie et dans quel type d’établissement ? ».
La biopsie est-elle urgente ? Si le diagnostic radiologiquement probable est celui d’une lésion certainement ou potentiellement maligne, il faut réaliser la biopsie le plus rapidement possible. On est certes en droit de s’accorder 8 ou 10 jours de délai pour réaliser un bon bilan radiologique (scanner, imagerie par résonance magnétique [IRM]...) et biologique mais il serait critiquable de la différer de plusieurs semaines sous prétexte d’attendre des résultats d’examens complémentaires difficiles à obtenir en semi-urgence.
Qui doit faire la biopsie et dans quel type d’établissement ? Il serait faux de penser que la biopsie est un acte « mineur » à confier au plus jeune de l’équipe et à réaliser rapidement en fin de programme opératoire. C’est le plus expérimenté de l’équipe qui doit faire la biopsie (ou du moins doit-il la contrôler, la superviser, et cela de très près). La biopsie est la première pierre d’un édifice thérapeutique souvent complexe où le pronostic vital et la conservation du membre sont parfois engagés : cette pierre ne doit donc pas être posée de travers. Mankin1 a fait une intéressante étude sur les biopsies, leur fiabilité et leurs complications, en comparant deux groupes d’actes : ceux réalisés dans des centres habitués aux tumeurs et ceux
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B. Tomeno Aléas de la biopsie (selon Mankin).
597 Tumeurs malignes Soit 362 des os et 235 des tissus mous
597 cas au total
315 biopsies en centres spécialisés
Erreurs diagnostiques (*) Biopsies non concluantes ou de technique discutable Complications locales postbiopsiques Conséquences péjoratives sur les traitements Retentissement aggravant le pronostic Préjudice conduisant à l’amputation
106 (17,8 %) 165 (27,7 %) 95 (15,9 %) 115 (19,3 %) 60 (10,1 %) 18 (3 %)
39 (12,3 %) 24 (7,6 %) 13 (4,1 %) 13 (4,1 %) 11 (3,5 %) 6 (1,9 %)
282 biopsies en centres non spécialisés 77 (27,4 %) 141 (50,2 %) 82 (29,1 %) 102 (36,3 %) 49 (17,4 %) 12 (4,3 %)
* Dans les erreurs diagnostiques sont incluses les erreurs graves (confusion bénin/malin par exemple) mais aussi des erreurs moins dramatiques (confusion entre deux tumeurs bénignes dont cependant le traitement est le même).
réalisés dans des établissements plus ordinaires. Le Tableau 2 en est la synthèse : on y voit que tout le monde peut faire de mauvaises biopsies mais que ce risque est bien plus important en milieu non spécialisé. Il apparaît clairement que, si tout le monde peut se tromper, le risque est multiplié par trois ou quatre en cas de prise en charge dans un centre non spécialisé. Cela nous conforte dans l’idée qu’audelà du dépistage radiologique des lésions tumorales, il est préférable de confier les patients à des équipes « reconnues comme expertes », y compris pour la simple réalisation de l’acte biopsique.
Techniques des biopsies Biopsies à ciel ouvert Elles se font bien sûr au bloc opératoire, sous anesthésie générale ou locorégionale. Chaque fois que possible, on utilise le garrot pneumatique (mais posé sans comprimer la zone tumorale par une bande d’Esmarch !). Le principal problème est celui de la voie d’abord. Elle doit être réfléchie au cas par cas en mémorisant bien le fait qu’en cas de tumeur maligne primitive, le trajet de la biopsie doit être excisé en monobloc avec la tumeur lorsque vient le moment de la résection (Fig. 1). Aux membres, il faut faire des abords verticaux et courts (Fig. 2), toujours plus faciles à exciser que les abords inutilement trop longs ou a fortiori horizontaux. Dans de très nombreux cas où l’os est assez proche de la peau (région trochantérienne, tibia...) des voies de 2 ou 3 cm de long suffisent. Il faut bannir les voies passant à proximité des trajets vasculonerveux pour éviter d’avoir à réséquer ces éléments lors du traitement. Une fois franchis les plans superficiels, il faut aller le plus directement possible sur l’os sans dissection extensive, sans utiliser les « écarteurs à becs » qui favorisent l’ensemencement de la face opposée de l’os. S’il
Figure 1 Règles d’une bonne biopsie et d’une résection correcte. Le trajet de biopsie (trait plein fléché) doit être « direct », facilement excisable en monobloc avec la pièce de résection dont le cheminement (trait pointillé) doit se faire partout en tissu sain, à distance de la tumeur.
existe un volumineux envahissement des parties molles on peut se contenter de le prélever généreusement à la curette sans pénétrer obligatoirement dans la cavité médullaire de l’os porteur de la tumeur. Il faut se méfier de certaines tumeurs à contenu plus ou moins liquidien : lors d’un abord trop extensif, l’écoulement dans tout le champ opératoire de ce liquide tumoral peut ensemencer gravement toute la région, majorant considérablement le risque de récidive locale. Avant d’ouvrir la tumeur, il est prudent, dans de tels cas, d’avoir un aspirateur sous la main et d’avoir tapissé avec de grandes compresses tout le champ opératoire pour que le liquide entre le moins possible en contact avec les tissus sains. S’il faut aller dans l’os (ce qui est tout de même le cas le plus fréquent) l’orifice de trépanation
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Figure 2 Il est hautement recommandé d’éviter les abords chirurgicaux inutilement grands. De petites incisions bien centrées sont préférables. Exemples : (1) pour une tumeur du condyle externe ; (2) pour une tumeur du plateau tibial externe (incision sur le tubercule de Gerdy, à distance du tendon rotulien).
corticale doit de préférence être rond ou ovalaire : cela conduit à un moins grand risque de fracture postbiopsique qu’avec un orifice carré ou rectangulaire (Fig. 3) ainsi que l’a montré Clark.2 Grâce à un seul orifice cortical on peut, à la tréphine (ou à la curette), prélever de grosses carottes corticospongieuses dans plusieurs directions (Fig. 4). Si l’os biopsié est très hémorragique, on peut combler l’orifice cortical avec une compresse hémostatique résorbable, voire avec un peu de ciment chirurgical. L’utilisation d’un drain aspiratif n’est pas toujours obligatoire, mais si on y a recours, il faut que le drain traverse la peau dans l’axe de l’incision cutanée et à très petite distance d’une de ses extrémités : l’orifice de sortie du drain doit en effet être inclus dans l’exérèse de la voie d’abord lors du temps thérapeutique. Voici quelques exemples (Tableau 3) de ce qu’il faut faire ou éviter de faire dans les sites tumoraux les plus fréquents.
Biopsies percutanées Elles se font : • sous anesthésie locale dans le service de radiologie (biopsie sous écran conventionnel ou sous scanner) ou encore à la consultation de chirurgie sous simple contrôle de la vue ; • sous anesthésie générale au bloc opératoire, sous contrôle direct de la vue et du doigt si on biopsie une zone osseuse « superficielle et palpable », sous amplificateur de brillance dans le cas contraire.
Figure 3 Pour prévenir les fractures postbiopsiques, il faut éviter les trépanations corticales à angles vifs faites à la scie oscillante (schéma du haut). Il faut préférer des trous de mèche réunis par des traits de scie ou des coupes au ciseau à frapper (schémas du milieu et du bas).
Une très courte incision cutanée (moucheture de la pointe d’un bistouri) est souhaitable directement en regard de l’endroit où la tumeur est la plus superficielle. Au bloc opératoire, on utilise ensuite soit un trocart (de type trocart à ponction sternale, de 3 ou 4 mm de diamètre, mais en plus long si besoin), soit des tréphines (sorte de très gros trocart de 8 à 15 mm de diamètre), soit des curettes, soit des pinces dites « mange-disques » empruntées à l’ancillaire de la hernie discale. Préalablement, il a parfois été nécessaire de franchir la corticale, ce qui bien souvent est aisé car elle est détruite ou fragilisée par la tumeur. Si tel n’est pas le cas, on peut bien sûr y créer un orifice au petit ciseau gouge ou au foret. En radiologie on se sert soit d’un trocart comme ci-dessus, soit parfois (car le diamètre du trocart peut être trop important pour certains sites) d’une aiguille à biopsie. Hormis les aiguilles conventionnelles que l’on monte sur une seringue et qui ne permettent de prélever par aspiration que des tumeurs « molles » presque liquidiennes, il existe de nos jours des aiguilles très particulières (dites « thru-cut ») qui comportent une sorte de gachette permettant, une fois le bout de l’aiguille en place, de déclencher un mouvement rapide de « va-et-vient » ; on ressort alors l’instrument du corps du patient et on trouve
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B. Tomeno
Figure 4 Intérêt d’un prélèvement à la tréphine. A. Vue générale de l’opération. B. Prélèvement multidirectionnel par un seul orifice cortical. C. Extraction de la « carotte » osseuse en frappant sur le mandrin contenu dans la tréphine. D. Application de la méthode pour biopsie de l’extrémité supérieure du fémur.
dans une encoche de l’aiguille quelques mm3 de tissu tumoral que l’on peut mettre dans un flacon. Les points de la ponction-biopsie doivent si possible être marqués à l’encre de Chine ou grâce à un stylo-feutre spécial indélébile, cela afin que le chirurgien puisse exciser cette zone lors de la résection. En ce qui concerne la fiabilité des biopsies percutanées, les performances se sont améliorées au fil des années et l’on peut de nos jours considérer, au vu des plus récentes publications, que la fiabilité des biopsies à l’aiguille est de l’ordre de 90 %, avec une sensibilité de près de 100 % et une spécificité aux environs de 85 %, cela aussi bien pour les
biopsies sous écran3 que pour les biopsies sous scanner.4
Comment conserver et envoyer le prélèvement ? Si le laboratoire d’anatomie pathologique est situé dans le même établissement que le lieu de prélèvement, l’idéal est de n’utiliser aucun conservateur ni fixateur : il suffit de veiller à ce que le prélèvement soit tout de suite acheminé, en ayant simplement été placé dans un récipient clos qui n’a même pas besoin d’être stérile (à l’inverse d’un prélèvement pour étude bactériologique).
Biopsie pour tumeurs des os Tableau 3
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Les bons et les mauvais gestes pour une biopsie.
Siège de la tumeur Ce qui nous semble bien Tumeur trochantérienne ou cervi- Court abord vertical externe (2 ou 3 cm) en cale regard du grand trochanter dont on trépane la partie haute de la corticale externe. Tumeur du bas du fémur Petite voie verticale (2 ou 3 cm) à travers les fibres les plus latérales du vaste interne ou du vaste externe (préférer la voie interne, plus commode pour une future résection, sauf si la tumeur est franchement externe) Tumeur de la diaphyse fémorale Petite voie externe de 5 à 10 cm
Ce qui est condamnable Voie externe « longue comme pour un clou plaque » Voie postérieure ou antérieure Voie dans le tendon quadricipital Voie transarticulaire ! Voie postérieure à travers le creux poplité.
Voie antérieure, postérieure ou antérointerne Tumeur du haut du tibia Petite voie (1 cm) en regard du tubercule de Voie horizontale Gerdy ou entre patte d’oie et tendon rotulien Voie au ras du tendon rotulien ou même le traversant ! Tumeur développée en arrière du Petite voie postéro-interne derrière la patte Voie à travers le creux poplité haut du tibia d’oie Voie en regard du sciatique poplité externe (SPE) Tumeur du bas du tibia Voie postéro-interne directe et courte Voie à travers la loge antérieure Tumeur de l’extrémité supérieure Petite voie verticale à travers le faisceau anté- Voie externe sous-acromiale de l’humérus rieur du deltoïde (éviter le sillon deltopectoral si Voie interne ou axillaire la lésion semble maligne) Tumeur de l’aile iliaque et de la Petite voie horizontale de 2 ou 3 cm le long de la Voie « à travers la fesse » région sus-cotyloïdienne crête iliaque puis descendre le long de l’aile ou Voie à travers la paroi abdominale bien descendre entre ses deux corticales Tumeur de la zone rétroAucune bonne solution chirurgicale... ! Grande voie postéroexterne type Kochercotyloïdienne ou de l’ischion Langenbeck exposant le sciatique Préférer les biopsies percutanées Tumeur de la corne antérieure du Petite voie verticale de type Hueter bien en Voie exposant le paquet vasculaire cotyle dehors des vaisseaux Tumeur du cadre obturateur et du Petite voie horizontale en regard de la partie Voie longeant les vaisseaux fémoraux pubis interne de la branche iliopubienne bien en de- Voie transvaginale dans des vaisseaux Voie abdominale Tumeur de l’articulation sacroVoie verticale postérieure à travers l’épine ilia- Voie abdominale iliaque que postérosupérieure. Voie horizontale le long du tiers postérieur de la crête iliaque Sacrum Petite voie verticale postérieure paramédiane Voie abdominale, voie transrectale Corps vertébraux Voie postérieure transpédiculaire Voie transpleurale Biopsie radioguidée
Si l’acheminement ne peut être immédiat, il faut placer le produit de biopsie dans du liquide de Bouin ou mieux dans du formol acétique. S’il existe plusieurs échantillons (par exemple tissu mou et os) il faut les mettre dans des récipients distincts correctement étiquetés et numérotés. Pour quelques tumeurs, il est intéressant de compléter les techniques classiques d’anatomie pathologique par des études cytogénétiques. C’est par exemple le cas du sarcome d’Ewing5 que l’on a parfois du mal à distinguer des autres sarcomes dits « à petites cellules rondes ». Il existe cependant un marqueur presque pathognomonique de l’Ewing qui est une translocation chromosomique 11-22. Pour de telles recherches il faut donc ajouter à l’échantillon biopsique habituel un petit prélèvement supplémentaire congelé dans l’azote liquide. Tout cela nous montre bien que pour faire une bonne biopsie, il est important de ne pas s’y lancer « le nez au
vent », mais au contraire en ayant déjà une petite idée diagnostique en tête : si, dans la plupart des cas, la biopsie est indispensable au diagnostic, le garant d’une bonne biopsie est d’avoir préalablement déjà évoqué les diagnostics les plus probables. Ce qu’on envoie au laboratoire doit impérativement être accompagné d’une bonne radiographie significative et d’un minimum de renseignements cliniques : âge, localisation, diagnostic radiologique suspecté, antécédents dans le même domaine (radiothérapie ? chimiothérapie récente ? récidive ?), date et heure du prélèvement. Pour que la réponse du pathologiste corresponde bien aux questions que se pose le clinicien, le mieux est de les formuler par écrit. Rappelons enfin qu’il est de bonne pratique d’associer au prélèvement anatomopathologique un prélèvement bactériologique.
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Conclusion Il ne faut pas assimiler la réponse du pathologiste à un oracle incontestable. Il faut la confronter au contexte, savoir la discuter avec son auteur, recommencer la biopsie si nécessaire. Il ne faut pas considérer l’anatomie pathologique comme une science divinatoire, mais donner au pathologiste des renseignements cliniques et des documents radiographiques. Il ne faut pas entreprendre de traitement sans certitude diagnostique (ce qui, huit ou neuf fois sur dix, signifie « sans avoir fait une biopsie », en sachant qu’il a quand même quelques situations où l’analyse du dossier radiologique permet la certitude). Il ne faut jamais envoyer la moitié d’une biopsie à Paul et l’autre moitié à Pierre, fussent-ils des anatomopathologistes de grand renom, mais faire circuler la totalité du prélèvement. Il ne faut pas choisir la voie d’abord de biopsie sans avoir auparavant réfléchi à ce que sera la voie
B. Tomeno d’abord de la résection, et faire des incisions très courtes. Dès que les radiographies sont potentiellement inquiétantes, ne pas hésiter à faire pratiquer la biopsie par un centre spécialisé. Il est toujours préférable que biopsie et traitement soient effectués par la même équipe.
Références 1. 2.
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