Carcinome mammaire mixte avec différenciation mélanocytaire chez un homme

Carcinome mammaire mixte avec différenciation mélanocytaire chez un homme

Annales de pathologie (2014) 34, 115—118 Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com CAS ANATOMOCLINIQUE Carcinome mammaire mixte ...

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Annales de pathologie (2014) 34, 115—118

Disponible en ligne sur

ScienceDirect www.sciencedirect.com

CAS ANATOMOCLINIQUE

Carcinome mammaire mixte avec différenciation mélanocytaire chez un homme Mixed breast carcinoma with melanocytic differentiation in a man Rim Kallel a, Ibticem Bahri a, Najla Abid a,∗, Jihène Feki b, Manel Mellouli a, Lobna Ayadi a, Tahya Boudawara a a

Laboratoire d’anatomie et de cytologie pathologiques, CHU Habib Bourguiba, 3029 Sfax, Tunisie b Service de carcinologie, CHU Habib Bourguiba, Sfax, Tunisie evrier 2014 Accepté pour publication le 9 f´ Disponible sur Internet le 16 mars 2014

MOTS CLÉS Cancer ; Sein ; Carcinome mixte ; Différenciation mélanocytaire ; Homme



Résumé Introduction. — Le cancer du sein est rare chez l’homme ; il est exceptionnellement de type lobulaire. Le carcinome mixte (canalaire et lobulaire) n’a été décrit chez l’homme qu’une seule fois. Nous rapportons dans ce travail le premier cas dans la littérature, à notre connaissance, de cancer du sein masculin particulier par son caractère mixte (canalaire et lobulaire) avec présence d’une différenciation mélanocytaire. Le but de notre travail est de décrire les particularités anatomocliniques de cette entité rare et de discuter son histogenèse. Observation. — Il s’agissait d’un homme âgé de 63 ans, qui consultait pour une ulcération cutanée en regard de la région mammaire gauche. Une échographie mammaire révélait la présence d’un nodule périaréolaire interne gauche hypoéchogène mesurant 13 mm de grand axe. À la biopsie, il s’agissait d’un carcinome canalaire infiltrant. Le patient avait rec ¸u trois cures de chimiothérapie puis il a été perdu de vue. Il reconsultait pour une augmentation du volume du nodule atteignant 3 cm avec ulcération et multiples nodules de perméation. L’examen anatomopathologique de la pièce de mastectomie avait trouvé un carcinome mixte (canalaire et lobulaire) avec une différenciation mélanocytaire confirmée par une étude immuno-histochimique. Le patient avait rec ¸u une chimiothérapie adjuvante et l’évolution était marquée par une nette amélioration sans récidive locale ni métastase avec un recul de 9 mois. Conclusion. — La différenciation mélanocytaire au sein d’un carcinome mammaire est très rare ; seuls sept cas ont été rapportés dans la littérature et étaient observés chez des femmes. Son histogenèse est incertaine ; il peut s’agir, selon les auteurs, de tumeurs de collision ou composites. © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (N. Abid).

0242-6498/$ — see front matter © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.annpat.2014.02.012

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KEYWORDS Cancer; Breast; Mixed carcinoma; Melanocytic differentiation; Man

R. Kallel et al.

Summary Introduction. — Male breast cancer is rare; the lobular type is exceptional. Only one case of mixed ductal and lobular type is reported in the literature. This is the first report on a mixed ductal and lobular carcinoma with melanocytic differentiation in a man. The aim of our study is to describe the clinicopathological characteristics of this rare type of breast tumor and to discuss its histogenesis. Case report. — A 63-year-old man presented with cutaneous ulceration of the left breast. Ultrasound of the breast revealed a solid hypoechoic lesion, 13 mm in diameter. Microscopic evaluation of the biopsy showed an invasive ductal carcinoma. The patient received three cycles of chemotherapy and lost of view. Then consulted for increasing of the tumor size reaching 3 cm. Histological examination of the mastectomy specimen showed a mixed ductal and lobular carcinoma with melanocytic differentiation, confirmed by the immunohistochemical study. The patient received adjuvant chemotherapy and the evolution was favorable with an average follow-up of 9 months. Conclusion. — Breast carcinoma with melanocytic differentiation is extremely rare; only seven cases are reported in the literature and all occurs in females. Its histogenesis is unclear; tumors exhibiting this combination of cell types may occur as collision or composite tumors. © 2014 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Introduction

Observation

modérées et des mitoses peu nombreuses ; certaines cellules étaient à cytoplasme chargé d’un pigment mélanique ; la deuxième composante était de type lobulaire, faite d’une prolifération assez monomorphe de cellules peu atypiques, agencées en files indiennes (Fig. 1 et 2). Il existait par ailleurs quelques foyers de carcinome intracanalaire de grade intermédiaire. La peau en regard de la tumeur était ulcérée avec présence de lymphangite carcinomateuse intradermique et d’une maladie de Paget du mamelon. L’étude immuno-histochimique était positive pour ECadhérine au niveau de la première composante de type canalaire et négative au niveau de la deuxième composante confirmant sa nature lobulaire (Fig. 1 ; cartouche) ; les cellules pigmentées ont exprimé HMB45, Melan A, vimentine et PS100 (Fig. 3). L’étude des récepteurs hormonaux était positive pour l’œstrogène (30 %), la progestérone (80 %) (Fig. 4) et négative pour l’androgène et le Her2neu. Ainsi, le diagnostic de carcinome mixte (canalaire et lobulaire) avec une différentiation mélanocytaire a été retenu. Le patient

Il s’agissait d’un homme âgé de 63 ans, sans antécédents pathologiques particuliers, qui consultait pour une ulcération de la région mammaire gauche évoluant depuis un an et ayant augmenté rapidement de taille. L’examen clinique retrouvait un nodule mammaire induré douloureux en regard de l’ulcération périaréolaire interne. Une échographie mammaire confirmait la présence d’un nodule de 13 mm de grand axe, hypoéchogène à contours irréguliers et spiculés. À la biopsie, il s’agissait d’un carcinome canalaire infiltrant. Le bilan d’extension (radiographie thoracique et échographie abdominale) était normal. Le patient avait rec ¸u trois cures de chimiothérapie type FEC60 (Farmoribucine : 60 mg/m2 , 5 Fluoro-uracile 500 mg/m2 et Endoxan 500 mg/m2 ) puis il était perdu de vue. Il reconsultait pour une augmentation du volume du nodule avec ulcération et apparition de multiples nodules de perméation associés à des adénopathies axillaires de 2 cm et sus claviculaire droite de 1 cm. La tumeur était classée de stade T4b N2 M0. Une mastectomie de propreté était réalisée. L’examen macroscopique de la pièce opératoire retrouvait une tumeur ferme mal limitée de 3 cm ulcérée. À l’histologie, elle était formée par une prolifération de deux composantes : la première était de type canalaire, faite d’amas, de cordons et de structures glandulaires ; les cellules tumorales présentaient des atypies

Figure 1. Tumeur formée par une double composante canalaire (à gauche) et lobulaire (à droite) (HE × 200). En cartouche : immunomarquage positif pour l’E-Cadhérine au niveau de la composante canalaire (×200). Tumor with two components: ductal (in the left) and lobular (in the right) (HE × 200). Inset: positive immunostaining for E-cadherin in the ductal component (×200).

Le cancer du sein est rare chez l’homme ; il représente 1 % de tous les cancers mammaires [1]. Son diagnostic est souvent tardif et son pronostic est péjoratif. Il est dominé par le type canalaire alors que le carcinome lobulaire est extrêmement rare chez l’homme. La différenciation mélanocytaire au sein d’un carcinome mammaire est très rare ; quelques cas ont été rapportés dans la littérature et étaient observés chez des femmes. Nous rapportons un cas de cancer du sein masculin particulier par son caractère mixte (canalaire et lobulaire) avec présence d’une différenciation mélanocytaire. À notre connaissance, il s’agit du premier cas rapporté. Le but de notre travail est de décrire les particularités anatomocliniques de cette entité rare et de discuter son histogenèse.

Carcinome mammaire mixte avec différenciation mélanocytaire chez un homme

Figure 2. Composante à cellules chargées de mélanine (HE × 400). Melanocytic component with cytoplasmic pigmentation (HE × 400).

avait rec ¸u quatre cures de chimiothérapie postopératoire à base de Taxotère à la dose de 100 mg/m2 . L’évolution était marquée par une nette régression des adénopathies sans récidive locale ni métastase avec un recul de 9 mois.

Discussion Le cancer du sein chez l’homme (CSH) représente moins de 1 % des cancers masculins et 1 % de l’ensemble des cancers mammaires [1,2]. Son incidence varie de 0,4 à 1,08/100 000 habitants [2]. Il atteint l’homme à partir de 50 ans avec un âge moyen de 64 ans (30 à 85 ans) [1]. Le dia-

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Figure 4. Cellules tumorales positives pour la progestérone (×200). Positive immunostaining for progesterone (×200).

gnostic est souvent tardif, du fait que les hommes portent peu d’intérêt à leurs glandes mammaires, contrairement aux femmes [2]. Du fait de la petite taille du tissu mammaire masculin, il s’agit souvent d’un nodule rétromamelonnaire avec fréquemment une atteinte cutanée sous forme de peau d’orange ou d’ulcération, comme le cas de notre patient. Les adénopathies satellites sont présentes dans environ 50 % des cas [1]. L’aspect échomammographique est similaire à celui du carcinome du sein chez la femme [1]. Sur le plan histologique, le CSH est de type canalaire dans la grande majorité des cas (70—95 % des cas) [2]. Le carcinome lobulaire chez l’homme est extrêmement rare (1 % des cas) ; en effet, il n’existe pas d’acini ni de lobules au sein de la glande mammaire de type masculin [2]. Une vingtaine de

Figure 3. Immunomarquage positif pour HMB45, Melan A, Vimentine et PS 100 au niveau de la composante à différentiation mélanocytaire (×200). Positive immunostaining for HMB45, Melan A, Vimentin and PS 100 in melanocytic component (×200).

118 cas de carcinome lobulaire a été rapportée chez l’homme [3]. À notre connaissance, un seul cas d’association d’un carcinome canalaire et lobulaire a été décrit chez l’homme [4]. Les carcinomes mammaires avec différenciation mélanocytaire font partie des carcinomes métaplasiques qui sont extrêmement rares, représentant moins de 1 % de tous les cancers mammaires [5]. Les carcinomes métaplasiques sont définis par l’association d’une composante épithéliale et mésenchymateuse ; cette dernière est souvent formée de tissu chondroïde ou osseux [5]. Seuls sept cas ont été rapportés avec une différenciation mélanocytaire [5—10]. Tous ces cas ont été observés chez des femmes. Il s’agit d’une association d’un carcinome mammaire, généralement de type canalaire, avec un mélanome. Notre observation est donc particulière par l’association d’un carcinome canalaire et lobulaire et par la présence d’une différenciation mélanocytaire chez un homme. Une composante intracanalaire est souvent trouvée, confirmant la nature primitive de la tumeur comme dans notre observation [7—9]. L’histogenèse des carcinomes mammaires avec différenciation mélanocytaire est incertaine. De multiples théories ont été proposées en se basant sur l’aspect morphologique de la tumeur, le profil immuno-histochimique et l’étude ultrastructurale. Selon Padmore et al. [7], il peut s’agir de tumeurs de collision, c’est la rencontre fortuite, et sans forme de transition, d’un carcinome mammaire primitif avec un mélanome primitif ou métastatique. Cette hypothèse est peu probable vu que les deux contingents sont souvent intimement intégrés. La deuxième hypothèse est celle des tumeurs composites, supposées provenir d’une même cellule souche, et ce sont les cellules carcinomateuses qui vont subir une différenciation mélanocytaire suite à des altérations survenant dans la première période de carcinome in situ [6,7]. En faveur de cette hypothèse, Nobukawa et al. [6] ont mis en évidence par l’analyse des microsatellites basée sur la polymerase chain reaction (PCR) le même type d’altérations génétiques dans les deux contingents tumoraux. À l’étude immuno-histochimique, les cellules épithéliales expriment la kératine et les cellules pigmentées mélanocytaires expriment HMB45, melan A, PS100 et vimentine [7,9]. En général, le carcinome métaplasique n’exprime pas les récepteurs hormonaux et Her2 neu [5]. Le diagnostic différentiel peut se poser avec le carcinome mammaire pigmenté où l’étude immuno-histochimique montre que les cellules pigmentées sont de type épithélial exprimant la kératine et elles restent négatives pour les marqueurs mélanocytaires [11]. Le traitement du CSH est avant tout chirurgical, consistant en une mastectomie radicale qui vise l’exérèse complète de la tumeur avec curage ganglionnaire axillaire, suivie d’une radiothérapie postopératoire (axillaire, sus claviculaire, chaîne mammaire interne et paroi thoracique) [1]. La tumorectomie n’a pas de rôle important dans le traitement des CSH à cause du volume mammaire réduit [2]. Le traitement systémique fait appel surtout à l’hormonothérapie [1,2]. La chimiothérapie n’a pas connu le

R. Kallel et al. même succès que chez la femme, son rôle est incertain [2]. Le CSH a un pronostic plus sombre que celui de la femme [2]. La survie à 5 ans et 10 ans est estimée à 57 % et 25 % respectivement [2]. Ceci est probablement dû à l’âge plus avancé et au stade évolué au moment du diagnostic. En cas de carcinome métaplasique, le pronostic dépend des différents types histologiques trouvés et de la qualité d’exérèse tumorale [5]. L’association d’une différenciation mélanocytaire serait responsable d’un mauvais pronostic ; en effet, les métastases ganglionnaires sont fréquentes et les métastases pulmonaire et médullaire ont été rapportées [6,7,9].

Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

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