Médecine & Droit 2005 (2005) 149–154 http://france.elsevier.com/direct/MEDDRO/
Responsabilité médicale
Chronique de jurisprudence de responsabilité des cliniques Gérard Mémeteau (Professeur à la Faculté de Droit de Poitiers)
Mots clés : Cliniques (Responsabilité) ; Contamination sanguine ; Viol ; Psychiatrie (surveillance) ; Infections nsocomiales ; Aléa thérapeutique
1. Cliniques privées. Responsabilité civile. Sang. Fourniture. Obligation de résultat Cass. civ. I, 21 avril 2005, Axa France IARD/Etablissement français du sang :Resp. civ. Ass. Juillet-Août 2005, p. 20, obs. Ch. Radé ; Juris-Data n° 028163. Si l’on veut bien mettre en marge la solution confirmée par la Cour du problème de la clause de garantie subséquente après le constat de clause non écrite posé par le Conseil d’État le 29 décembre 2000, avec la juste énonciation de ce que « toute déclaration d’illégalité par le juge administratif, même prononcée dans le cadre d’une autre instance, s’impose au juge civil qui ne peut plus à l’avenir faire application du texte déclaré illégal », l’arrêt du 21 avril 2005 est d’une haute importance : il juge, par principe, « qu’il appartient aux établissements de soins, tenus d’une obligation de sécurité de résultat, de prendre toutes dispositions utiles pour s’assurer de l’innocuité des produits sanguins fournis et transfusés ». Une patiente hospitalisée avait été contaminée par le virus de l’hépatite C en mars 1985 à l’occasion d’une intervention chirurgicale réalisée dans une clinique et ayant requis l’apport de produits sanguins fournis par le centre local de transfusion. Cette transfusion était en rapport causal avec la transmission de l’affection. La Cour d’appel (Rennes, 15 octobre 2003) avait omis, selon le pourvoi, de rechercher si le caractère indécelable du vice des produits, compte-tenu des connaissances scientifiques, constituait une cause étrangère. Certes, le caractère imprévisible de la défaillance la rendant irrésistible, participe à la force majeure, mais il manque l’extériorité. Les produits venaient du Centre de transfusion, mais transitaient par la clinique pour être mis à la disposition du médecin et fournis à la fois à celui-ci et au patient. Le schéma avait été naguère tracé : la clinique stipule auprès du centre (promettant) l’obligation de fournir au malade (bénéficiaire) un sang exempt de vices (Cass. Civ. 2, 17 décembre 1954: D. 1955, 269, note R. Rodière – L. Kornprobt, Les responsabilités du médecin devant la loi et la jurisprudence françaises, Flammarion éd. 1246-7391/$ - see front matter © 2005 Publié par Elsevier SAS. doi:10.1016/j.meddro.2005.10.003
1957, p. 770). Mais, il s’agissait de préparer les responsabilités des centres-fournisseurs. Entre le stipulant et le bénéficiaire il existe une autre relation juridique : le contrat d’hospitalisation dont le patient revendique l’exécution, alors qu’il ne peut réclamer au stipulant l’exécution de la promesse du promettant, à l’encontre duquel il dispose en revanche, on le sait, d’un droit direct ayant pour objet cette exécution. Il s’agit donc de savoir quelles sont les obligations nées de ce contrat. La Cour de cassation n’écrit pas exactement que la clinique fournit le produit sanguin, et est, de ce chef, tenue aux obligations du fournisseur professionnel, ce qui accorderait aux victimes la faculté d’invoquer les dispositions de l’article 1386-7 du Code civil (ayant incorrectement transposé la Directive européenne, CJCE, 25 avril 2002: D. 2002, Dr. affaires 1970, note C. Rondey, ce qui vient d’être corrigé). Elle n’écarte pas le rapport juridique triangulaire de la stipulation pour autrui faisant du centre ce fournisseur. Elle se situe — si nous lisons exactement l’arrêt — sur le terrain de la vérification de la qualité du produit en qualité d’établissement de soins tenu à garantir, dans l’hébergement et les traitements, la sécurité de ses clients. « Prendre toutes dispositions utiles pour s’assurer de l’innocuité des produits sanguins fournis et transfusés ». On ne lit pas : « fournis par la clinique », ou « par elle fournis », et cet allègement, assurément réfléchi, de la proposition est significatif. Il laisse chercher ailleurs le fournisseur, ce qu’impose le monopole conféré naguère aux centres de transfusion, aujourd’hui à l’établissement français du sang, notamment chargé d’assurer la qualité au sein des établissements de transfusion (C. santé publ., art. L. 1222-1-3e). Ceci n’exclut pas que la clinique soit fournisseur d’autres produits, selon les circonstances, mais il ne semble pas qu’ici la Cour de cassation lui ait imposé cette qualité. La responsabilité de l’établissement tient donc à un manque de contrôle de la qualité du sang après livraison et avant transfusion. De ce chef, il est tenu à une obligation de sécuritérésultat. C’est l’apport principal de l’arrêt. En effet, la Cour de cassation avait fixé à l’obligation de moyens la responsabilité de la clinique « dans la fourniture de produits sanguins
150
G. Mémeteau / Médecine & Droit 2005 (2005) 149–154
livrés par un centre de transfusion » (Cass. Civ. 1re, 12 avril 1995: RDSS 1995, 766, obs. J. Leroy ; 765, nos obs. ; JCP. 1995, 22467, 2e esp. Obs. P. Jourdain). Là, il était bien question de fourniture de sang à la patiente et l’arrêt était en porteà-faux avec l’obligation de sécurité-résultat dans la fourniture de matériel et des produits médicamenteux ou chirurgicaux (Cass. Civ. 1re 9 octobre 1985: RDSS. 1986, 456 et 1987, 427), comme il devait l’être avec la future obligation de résultat du fait des infections nosocomiales, ou avec la jurisprudence rendant l’hôpital public responsable pour risque des conséquences de la mauvaise qualité des produits fournis par son centre, en tant que gestionnaire de celui-ci (Cons. Etat 26 mai 1995: JCP. 1995, 22468, obs. J. Moreau ; M. Dupont, C. Esper, Ch. Paire, Droit hospitalier, 4e éd. Dalloz 2003, n° 836). Ce qui semblait guider la Cour de cassation était l’inaptitude de la clinique à « contrôler la qualité du sang transfusé », ce qui n’était point convaincant. Le monopole du contrôle par les centres puis l’Établissement français du sang n’est pas décisif : il se situe en amont de la livraison aux hôpitaux, mais ceux-ci conservent la faculté de contrôler le produit après réception, le sang étant sorti du marché, et en ont les moyens techniques. L’expression « possibilité de contrôler » était ambiguë : possibilité de droit ou de fait ? L’arrêt du 21 avril 2005 sort de cet excès de bienveillance envers les cliniques et même leur impose le contrôle dont il s’agit, qui doublera celui de l’Établissement français du sang. On voit donc que, sans mélanger une supposée vente avec le contrat hospitalier (cf. Cass. Civ. 1re, 4 février 19059: D. 1959, 153, note Esmein), ce second contrat peut supporter une responsabilité –contractuelle bien sûr- même dans ces hypothèses de défaut d’un produit. La transfusion avait été pratiquée le 26 mars 1985. L’article 102 de la loi du 4 mars 2002 était donc applicable à la cause, mais il n’avait pas à être visé par la Cour (cf. par ex. Cass. Civ. 1re , 18 janvier 2005: Gaz. Pal. 6/7 avril 2005, p. 23, obs. J. Guigue). Il faut ajouter que l’ordonnance du 1er septembre 2005 renvoie vers le juge administratif les futurs litiges issus des contaminations post-transfusionnelles.
2. Chirurgie. Option thérapeutique. Contrat hospitalier. Contrat d’exercice médical. Causalité Cass. Civ. I, 14 juin 2005 (arrêt n° 953 FS-D) Centre médical chirurgical de Parly II c/ J-C et autres. Fin juillet 1996, un jeune enfant victime d’un accident est opéré par un chirurgien exerçant en clinique privée. Après plusieurs autres interventions, un doigt est amputé. Les parents recherchent la responsabilité du chirurgien et de la clinique. Par arrêt du 29 novembre 2002, la Cour d’appel de Versailles juge le chirurgien responsable des conséquences dommageables de son intervention et condamne la clinique à le garantir pour un tiers. Les experts avaient mis en évidence deux fautes techniques du praticien, outre celle consistant à avoir délégué à une
aide-soignante la confection du pansement, sans surveiller l’exécution de cette mission, la clinique aurait méconnu l’engagement souscrit dans le contrat d’exercice du médecin de fournir à celui-ci, en permanence, le concours d’un personnel soignant et auxiliaire qualifié. La Cour de cassation casse l’arrêt en ce qu’il a prononcé l’obligation de la clinique à garantir le chirurgien (renvoi devant la même Cour d’appel autrement composée) : la Cour d’appel n’a pas caractérisé l’existence d’un lien de causalité entre le manquement invoqué à l’encontre du centre médicochirurgical et le dommage subi par l’enfant. Or, ce manquement naissait d’une prétendue mauvaise exécution par la clinique, du contrat d’exercice conclu avec le médecin. On passait du contrat médical conclu entre le patient (plus exactement, ses représentants) et le médecin à cette autre convention. Si la clinique avait mal exécuté son contrat d’exercice, certes le malade pouvait s’en prévaloir directement, à défaut de pouvoir s’appuyer sur des défaillances dans l’exécution du contrat d’hospitalisation, si cette exécution défectueuse lui avait causé un dommage (Cass. Civ. 1re 18 juillet 2000: Bull. 1, n°221, p. 1444 ; JCP 2001, 1, 338 p. 1427 ; JCP. 2000, 10415, rapport Sargos). Le tiers au contrat dispose d’une action délictuelle contre le débiteur (Cass. Civ. 2, 23 octobre 2003: JCP 2004, 10187), qui est une sorte d’action directe. Mais, ici, le terrain est celui de l’action en garantie exercée par l’une des parties au contrat d’exercice contre l’autre, au reproche de ne pas avoir fourni de manière permanente au médecin le concours d’un personnel soignant et auxiliaire qualifié et en nombre suffisant. Il est à penser que la Cour de cassation pouvait trouver dans le dossier l’occasion de déterminer l’étendue des obligations de mise à disposition de moyens et services nées du contrat d’exercice au profit du praticien, voire qu’elle a pu s’en rendre compte. À ce titre, son arrêt est décevant et pèche par excessive économie de moyens. Certes, implicitement, il consacre l’existence de l’obligation dont il s’agit, mais il n’en détermine pas l’intensité et se contente d’évacuer le débat par la porte de secours de la causalité : les manquements invoqués n’ont pas été liés au dommage de la victime par un lien de causalité. Mais, s’il en avait été ainsi, les juges du fond auraient pu rechercher s’ils avaient bien constitué de la part de la clinique en des manquements à ses obligations contractuelles envers son médecin, ce qui l’aurait bien conduite à tracer les limites de celles-ci et, à l’intérieur de celles-ci, à opter en faveur d’une (probable) obligation de moyens (s’agissant du concours du personnel) ou de résultat. Ceci étant, l’arrêt confirme l’attention portée par la Cour régulatrice à l’analyse de la causalité, si bouleversée par l’arrêt « Perruche » (ex. dans le dossier de la vaccination contre l’hépatite B, les arrêts du 23 septembre 2003...). 3. Cliniques privées. Responsabilité civile. Clientèle. Viol CA Bordeaux, 5e ch. civ. 13 mai 2004, D-S c/SA clinique Tivoli :Juris-Data n° 272703)
G. Mémeteau / Médecine & Droit 2005 (2005) 149–154
Les faits sont évidemment tragiques. Une patiente est hospitalisée. Un médecin anesthésiste exerçant à titre libéral, profite d’une perte de conscience relative pour la violer. Elle ne dépose pas de plainte mais l’Ordre des médecins en prend l’initiative et une information est ouverte, close par le décès accidentel du praticien mis en examen. Le premier volet du procès est la contestation par ses héritiers de la réalité du viol. Se pose alors la question des exigences du secret de l’instruction opposable même à l’avocat de l’intéressé, qui ne peut divulguer les pièces du dossier pénal. On sait que ceci a fait difficulté et que la Cour de cassation l’a résolue drastiquement (cf. F. Fourment, Procédure pénale, Paradigme éd. 2004, p. 198 s.). Mais la Cour d’appel pallie cette impossible référence aux pièces pénales par la réunion de présomptions graves précises et concordantes permettant de confirmer qu’il y a eu viol. Le second volet est celui de la responsabilité civile de la clinique. Peut-elle être tenue envers la victime, sa cocontractante au contrat d’hospitalisation imposant diverses obligations de sécurité qu’il n’avait sans doute pas paru utile d’invoquer, en qualité de commettante du médecin ? Il fallait établir le lien de préposition liant celui-ci à l’établissement. Certes, il peut être tenu, compte-tenu de l’indépendance d’ordre public de ce professionnel, mais peut être retenu dans le cadre d’un service organisé (ex. Cass. Soc. 30 janvier 1980 : JCP 1980, 19433, obs. G. Lyon-Caen). Il provoque la responsabilité de l’employeur envers les tiers victimes des agissements du salarié. On peut, au demeurant, en présence de la situation de la cause, s’interroger : si le médecin n’a pas agi dans les limites de la mission dévolue par l’employeur (la clinique), ce dernier n’est pas responsable civilement envers la victime. En revanche, s’il a agi dans ces limites, l’employeur est responsable mais il n’est plus besoin de passer par le détour de l’article 1384 §5 du Code civil, car l’on est en même temps dans les limites de la mauvaise exécution du contrat d’hospitalisation, et la prétendue responsabilité du fait d’autrui n’est plus qu’une responsabilité bien personnelle de la clinique (V. Les intéressantes réflexions de Mme Faure-Abbad, in : Le fait générateur de la responsabilité contractuelle, th. Poitiers, 5 janvier 2002, PUF éd. 2003, préface Ph. Rémy, n° 366 s.). Il est difficile d’intégrer l’agression sexuelle dans lesdites limites, mais il n’est pas impossible de rechercher si elle n’a pas été facilitée par un manquement à une obligation de sécurité, l’engagement en connaissance de cause d’un professionnel psychologiquement fragile, etc, ce à titre d’hypothèse...On aura effectué le rapprochement avec le droit public. Une telle faute serait-elle « personnelle » ? Assurément, compte-tenu de sa qualification pénale et de son caractère inexcusable (Juriscl. Adm. Fas. 806, par J. Moreau, n° 50, 63, 112), et les limites du lien temporel avec le service se découvriraient vite, même si le service avait été le cadre matériel de l’infraction et si la jurisprudence est en ces espèces très subtile (Long, Weil, Braibant, Delvolve, Genevois, Les grands arrêts de la jurisprudence administrative, D. 2003, 14e éd. , n° 34, obs. ss. « Exp. Lemonnier », 26 juillet 1918). Et alors, il importe moins de fixer le regard sur cette préposition qui n’a peut-être que trop retenu l’attention du droit
151
médical faute d’une analyse approfondie du contenu du contrat d’hospitalisation car, même si le médecin coupable n’est pas salarié de la clinique, exerce dans le cadre d’un contrat libéral, ces hypothétiques carences de la clinique peuvent s’additionner, à les supposer établies et en lien de causalité avec le dommage de la victime, à la faute du médecin pour conduire vers une responsabilité in solidum des parties. On est parfois surpris de la crispation sur l’article 1384 §5 ! Le médecin coupable avait agi dans l’exécution du contrat médical le liant à la patiente, « à l’occasion d’une visite à caractère médical ». Dès lors, la clinique ne répondait pas de ses faits. Mais, logiquement, la responsabilité civile de l’intéressé, puis de ses ayants-cause en cette qualité, était contractuelle. Contractuelle parce que procédant de fautes commises dans l’exécution du contrat médical... Est-ce une obligation née de ce contrat, qui impose de délivrer des soins, que de ne pas outrager la cliente ? Le viol est-il commis à l’occasion de la réalisation d’actes « de prévention, de diagnostic ou de soins » au sens des dispositions de l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique ? La question n’est pas théorique. Elle a pour double enjeu, d’une part, l’applicabilité du système d’indemnisation mis en place par la loi du 4 mars 2002, d’autre part, l’option en faveur d’une responsabilité délictuelle ou contractuelle devant le juge civil. Il est permis d’écrire que les actes médicaux n’avaient constitué que l’occasion prochaine du crime qui, par sa nature, s’en séparait et sortait des limites de la relation contractuelle. Il n’est pas nécessaire de contester le contrat médical pour être recevable à en déplorer le « forçage ».
4. Clinique. Médecin. Surveillance. Psychiatrie Cass. Civ. 1re 21 juin 2005 :Juris-Data n° 029037 ; Le Sou Médical c/ C-T-D. Voici l’abstract généreusement communiqué par JurisData : « Il appartient au médecin psychiatre, chargé au sein de l’établissement de santé de suivre le patient, de prescrire les mesures de soins et de surveillance appropriées à son état. S’agissant d’un patient hospitalisé à la demande du médecin traitant en raison d’un état dépressif avec tendances suicidaires, l’arrêt attaqué a relevé que le médecin psychiatre avait connaissance des risques élevés de suicide par pendaison et qu’il lui incombait dès lors de donner au personnel soignant les informations et instructions nécessaires, notamment quant aux objets que la victime pouvait garder, à la possibilité d’obtenir ou non une chambre individuelle, au contenu et la fréquence de surveillance, qui devait, en raison du contexte, être plus étroite qu’à l’accoutumée. L’arrêt attaqué a également relevé que l’étude du cahier-infirmier démontrait au contraire qu’aucune information particulière n’avait été donnée de nature à mettre en œuvre une surveillance rigoureuse et que le suicide avait été réalisé par l’utilisation d’une sangle de sport, laissée
152
G. Mémeteau / Médecine & Droit 2005 (2005) 149–154
en la possession du patient qui détenait en outre une ceinture. L’arrêt attaqué a encore retenu qu’il apparaissait que le personnel soignant de la clinique n’avait pas connaissance du risque d’autolyse et qu’il avait effectué une surveillance régulière de la victime. La cour d’appel a pu en déduire que la responsabilité du médecin psychiatre était engagée et que l’établissement, dont le personnel ne pouvait légalement accéder à l’ensemble du dossier médical du patient pour déterminer lui-même les mesures de surveillance à envisager, n’avait pas, en l’absence d’information, commis de faute ». Cette obligation doit être adaptée à l’état du malade, ce qui, selon les comportements prévisibles de celui-ci, en modifie l’intensité, et particulièrement en est-il lorsque existe un risque de suicide. Il s’agit, ainsi que le précise la Cour de cassation dans des arrêts cités par Mme Harichaux, de prendre « des mesures appropriées à l’état nerveux du malade et à ses réactions antérieures connues, en vue d’assurer, contre le malade lui-même, sa sécurité » (Cass. Civ. 1re, 11 juillet 1961 : Gaz. Pal. 1962, II, 317). L’on estime toutefois que la Cour de cassation aurait amorcé un virage vers l’obligation de résultat, du moins des cliniques psychiatriques, par interprétation d’un autre arrêt récent (Cass. Civ. 1re, 1er mars 2005 : Rev. Droit et santé n°6, juillet 2005, p. 302, obs. Ch. Boileau). À voir... Il est à ajouter que même sans indications médicales, l’établissement doit opérer une surveillance appropriée (Cass. Civ. 1re, 11 décembre 1984 : JCP. 1985, IV, 71). En l’espèce, le personnel de la clinique ne pouvait accéder « légalement » à l’ensemble du dossier médical, donc être informé du risque. Singulier secret (a priori ?) qui se retourne contre le patient au point de dissimuler un état à risque dans un service psychiatrique !
5. Clinique. Médecin. Infection nosocomiale. Loi du 4 mars 2002 Cass. Civ. 1re 21 juin 2005, Sté Clinique du Tonkin c/R : Juris-Data n° 029039 Pourquoi faire mention de cet arrêt ? Il confirme l’obligation de sécurité-résultat de la clinique du chef des infections nosocomiales. Il juge hors-cause l’article L. 1142-1 du Code de la santé publique compte tenu de l’époque des faits et, paradoxalement, c’est le visa de ce texte, pour en écarter l’application, qui retient l’attention. Pourquoi ? Parce que la Cour de cassation paraît lier cette inapplicabilité du texte à l’existence d’une obligation de résultat pesant aussi bien sur le médecin que sur la clinique, état du droit affirmé par la Cour (Cass. Civ. 1re, 29 juin 1999, 3 arrêts : JCP 1999, 10138, rapport P. Sargos ; Cass. Civ. 1re, 1er février 2005 : Resp. civ. Ass. Mars 2005, p. 26, obs. Ch. Rade ; Rev. Dr. et santé n°5/2005, p. 195, obs. A. Mourgues ; P. Sargos, Les établissements de santé privés et les médecins sont désormais tenus d’une obligation de sécurité de résultat, Médecine et droit, 37, juillet-Août 1999, p. 3 ; Conc. Méd. 18 septembre 1999, 2184, obs. S. Gromb), même à la charge du méde-
cin exerçant en cabinet urbain (Cass. Civ. 1re 13 février 2001 : RDSS 2001, p. 525). A contrario, pour la Cour, il semblerait que cette obligation fût écartée, et que le médecin ne fût tenu, tel que l’article 1142-1 du Code de la santé publique est rédigé désormais, que de son ancienne obligation de moyens. Les commentateurs de la loi se sont interrogés, et il est vrai que l’infection nosocomiale est parfois déclarée par la conséquence de fautes (ex. E. Evin, JO-AN 5 oct. 2001, p. 5586). Mais, tout en prenant acte du jeu de la solidarité nationale dans les cas les plus graves (C. santé publ., art. L. 1142-1-1). L’on continuera à se poser la question du sort juridique du médecin au vu de l’article L. 1142-1-1 §2 tel que sorti du moule parlementaire ! Faut-il s’en tenir au texte en son état, avec une interprétation littérale ? Faut-il avec plus d’ampleur, de réflexion, adopter une méthode exégétique ? Alors, l’intention du législateur est claire : elle est contraire à ce qui est finalement écrit « par inadvertance ». Un des auteurs principaux de la loi l’a loyalement reconnu avec une force argumentative convaincante (C. Evin, obs. RGDM 10/2003, p. 23, 24), et il suffit de le lire et ce ne sera pas prêter au législateur « des intentions supposées qu’il n’avait évidemment pas eues » (J. Ghestin, G. Goubeaux, M. Fabre-Magnan : Introduction générale, LGDJ 4e éd. 1994, n° 153 in fine).
6. Médecins. Infirmiers. Cliniques. Aléa thérapeutique. Responsabilité civile ? Cass. Civ. 1re, 5 juillet 2005 : Juris-Data n° 029379, M. c/ Le T. Une malade subit une intervention chirurgicale en clinique privée. Le chirurgien prescrit un médicament antibiotique, injecté par une infirmière. La patiente décède d’un choc anaphylactique consécutif à cette infection. Les juges du fond (CA Rennes 15 octobre 2003: Juris-Data 256778) déclarent le chirurgien, l’anesthésiste et la clinique responsables in solidum : ils ont fait perdre à la victime des chances d’éviter l’issue fatale découlant de l’aléa thérapeutique, à hauteur de 80 pour cent. En même temps, ils constatent « que les suites d’un choc anaphylactique étaient marquées du sceau de l’aléa absolu » ; qu’en ce qui concerne la clinique, si son infirmière avait pu joindre plus rapidement l’anesthésiste, des minutes n’auraient pas été perdues, le protocole d’intervention n’envisageant pas le risque de ce type. Mais, relève la cour de cassation, la cour d’appel avait bien constaté que le décès était imputable aux suites de l’aléa thérapeutique « dont la réparation n’entre pas dans le champ des obligations auxquelles le médecin et l’établissement de santé (nous soulignons) sont tenus à l’égard du patient, d’une part ; que la perte de chance consécutive aux manquements invoqués –choix d’un protocole d’intervention malencontreux » demeurait hypothétique. Il y a cassation sans renvoi. Du chef de la perte de chances, est-il permis d’espérer que la Cour de cassation en comprend ou en comprendra, les artifices ? Si l’on avait procédé autrement (et comment ?), les
G. Mémeteau / Médecine & Droit 2005 (2005) 149–154
choses se seraient passées autrement (et comment ?), et le préjudice ne se serait (peut-être ?) pas réalisé. Vous savez, lorsque le Narrateur s’interroge indéfiniment : Ah ! Si j’eusse été présent, si j’eusse lu plus tôt la lettre, Albertine n’eût peutêtre pas monté ce jour-là à cheval et ne se fût pas tuée... Du chef de l’aléa, il est à bien noter que la clinique n’en est pas plus tenue que le médecin. L’exclusion de l’intégration de l’aléa dans le contrat de soins venait d’être rappelée (CA Paris, 4 mars 2005: Rev. Dr. et santé, 6 juillet 2005, p. 292, obs. E. Terrier ; Cass. Civ. 1re, 30 mars 2005: RGDM 16/2005, p. 272, obs. J. Saison-Demars). Cet aléa relève désormais du jeu de la solidarité nationale. Il devra être défini, puisque, en connaissance de cause, le législateur a estimé opportun de ne pas donner une définition. Ceci appartiendra à la
153
Commission nationale des accidents médicaux, qui, déjà, a avancé ses réflexions sur ce sujet. On attendra son rapport de l’année 2005. Les articles L. 1142-1-II et L. 1413-14 C. santé publ. offrent des éléments de réflexion, et l’on sait que la cour de cassation, en son arrêt de principe du 8 novembre 2000 (RGDM 6, 2001, 197, rapport P. Sargos, note C. Caille) avait proposé « la survenance, en dehors de toute faute du praticien, d’un risque accidentel inhérent à l’acte médical et qui ne pouvait être maîtrisé », la jurisprudence administrative apportant de son côté ses précisions non incompatibles avec cette définition. Pour M. Sargos, alors conseiller-rapporteur, « l’aléa thérapeutique est en réalité le constat de l’impuissance de l’intervention médicale face à un risque non maîtrisable en l’état des données acquises de la science à la date des soins ».
LU POUR VOUS Par M. Gérard Mémeteau Émile ARON - « Le devoir de santé ? » : Bull. Acad. nat. Méd. 2004, 188, p. 109 - « La médiation dans les conflits médicaux » : même Bulletin, 2005, 189, n° 4 Nous prenons connaissance de deux études publiées par Monsieur le Doyen Emile Aron, membre de l’Académie de médecine, dans le Bulletin de cette société. Ils nous paraissent dignes d’une analyse dans cette Revue fondée par Jean-Henri SOUTOUL et Jean MICHAUD et dont la réflexion sur l’humanisme médical est une inquiétude constante. Le devoir de santé est-il inscrit dans la loi du 4 mars 2002 ? Certains commentateurs avaient cru l’y deviner dans la prise de décision médicale conjointe par le malade et le médecin. Mais, ce n’était pas nouveau ! Cette prise de décision a toujours été, et restera toujours, plus ou moins, conjointe, et les lois ne sont plus assez sacrées pour recréer les relations entre les hommes ! Ou alors, elles enregistrent, sur leurs fascicules mobiles, ce qui n’est plus du tout sacré ! M. le Doyen ARON constate qu’en effet, la loi n’évoque pas les devoirs des citoyens dans le domaine de la santé. Or, depuis Socrate, puis Jean-Jacques, il faut enseigner aux hommes leurs devoirs, parmi lesquels la prévention, la responsabilité personnelle qui « devrait prendre place dans notre système de santé ». C’est en ce sens que ce devoir doit s’entendre. Ce n’est pas une coercition thérapeutique ; ce n’est pas la « solidarité » forcée pavant le chemin des dons d’organes. C’est l’enseignement de comportements réduisant les risques. Certes, il y aura toujours des risques, y inclus ceux des traitements médicaux. Cette fatalité devrait faire écarter les procédures juridictionnelles au profit de procédures souples. M. le Doyen Aron expose ce point de vue dans « la médiation pour les conflits médicaux ». Après un rappel de points d’histoire de la responsabilité médicale, l’auteur s’inquiète de dérives assimilant maladresse et faute, conduisant à l’arrêt « Perruche », soumettant les juges à la tentation d’imposer en dépit des études scientifiques, un lien entre la vaccination contre l’hépatite B et l’apparition de la sclérose en plaques... Mais, là, c’est tout le problème de la tentation du juriste de se croire médecin ! Il y a aussi la tentation inverse. L’auteur, qui voit avec optimisme le fonctionnement des commissions de la loi de 2002 et de l’ONIAM suggère de soumettre aux conseils de l’ordre des médecins le jugement en première instance de « toutes les affaires concernant la responsabilité juridique éventuelle des praticiens et des établissements de santé ». C’est une piste nouvelle, certes. Pour être suivie, elle supposerait, à notre sens, une recomposition de ces instances et le risque pourrait être de doubler systématiquement l’action de nature civile d’une plainte disciplinaire. Il est vrai que l’auteur ouvre l’alternative entre cette voie et celle des CRCI qu’il qualifie, et justement selon nous, de juridictions, sauf erreur de lecture. Et c’est bien la question à laquelle le législateur n’a pas voulu répondre : juridictions ou bien autorités administratives, avec la sous-question de la nature juridique des avis.
154
G. Mémeteau / Médecine & Droit 2005 (2005) 149–154
Grégory AUBRY Le contentieux devant les juridictions de la tarification sanitaire et sociale (Coll. Vincent Rousselet) Études hospitalières, 2005, 60 Euros. Florent BLANCO La loi du 4 mars 2002 et les commissions régionales de conciliation et l’indemnisation (CRCI), Presses univ. Aix-Marseille, 2005, avant-propos D.-H. MATAGRIN, préface J.-P. PONTIER, 28 Euros. Une étude du mécanisme et de la théorie des CRCI. On peut opter en faveur d’autres qualifications, mais le livre est sérieux, solide, fouillé et enrichissant. A conseiller. Il complètera ceux publiés par les Etudes Hospitalières : E. MARTINEZ, L. MICHELANGELI, Les commissions régionales... CRCI, 2004, préface J.-F. MATTEI, 35 Euros, et sous la direction de G. MEMETEAU, Manuel des commissions régionales... organisation, fonctionnement, questions, 2004, 42 Euros. Il ne reste plus qu’à louer la censure pesant sur les avis des CRCI pour tout comprendre ! Centre de recherches administratives, Université Paul Cézanne, Aix-Marseille III, La responsabilité hospitalière et la loi du 4 mars 2002, Actes de la journée d’étude CRA-Cour administrative d’appel de Marseille 2005, 25 Euros. C’est un recueil des interventions de la journée, préparé par le Centre de recherches administratives, tout à fait nécessaire à la compréhension d’une responsabilité évolutive. Anne-Marie DUGUET et I. FILIPPI (sous la direction de) Le respect du corps humain pendant la vie et après la mort, droit, éthique et culture. Séminaire d’actualité de droit médical ; Etudes hospitalières, 2005, 36 Euros. Olivier DUPUY La gestion des informations relatives au patient : dossier médical et dossier médical personnel Études hospitalières, 2005, 36 Euros. Le titre suffit à annoncer l’intérêt théorique et pratique de l’ouvrage, servi par des tables et une annexe présentant les textes concernant le consentement écrit du patient. Antoine LECA Droit de la médecine libérale, Pr Univ Aix-Marseille éd., 2005, 59 Euros. Parfait manuel de droit médical, riche en idées, fort en suggestions, de haute culture. Antoine LECA (Sous la direction et avec l’avant-propos de) L’indemnisation et l’assurabilité des dommages médicaux Cahiers de droit de la santé du Sud-Est, n°4/2005 , 23 Euros. La dynamique revue d’Aix-Marseille nous enrichit de réflexions collectives sur le système issu de la loi du 4 mars 2002, fruit elles-mêmes d’une journée d’étude du 13 janvier 2005. Vaccination, Actes du colloque organisé par le Centre européen d’études et de recherche Droit et santé, Montpellier, 4 juin 2004, sous la direction de F. VIALLA : Revue générale de Droit médical 16/2005. Dans la même revue : Roberto ADORNO, La notion de dignité humaine est-elle superflue en bioéthique ? Valérie CABROL, La codification de la déontologie médicale. Maurice CAMHI, Un progiciel pour le calcul des taux d’IPP complexe. Pourquoi ? Pour qui ? Comment ? Fabienne FAVRO-SABATIER - Karine FAVRO, Comment limiter le risque infectieux du personnel médical ? Antoine LECA, La réparation des dommages médicaux en Nouvelle-Zélande et en France. Florence NICOUD, Confusion entre maladie des os de verre et maltraitance : l’erreur de diagnostic source de responsabilité. François VIALLA, La communication des informations « personnelles » au regard des dispositions de l’article L. 1111-7 du Code de santé publique. Jean-Marie CLEMENT, Droit hospitalier. Corinne DEBURON-GARCIA, Droit pharmaceutique – Dispositifs médicaux. Corinne DAVER- Gérard MEMETEAU, Droit des contrats en exercice libéral. Noël-Jean MAZEN, Ethique. Johanne SAISON-DEMARS, Responsabilité médicale. Stéphane PRIEUR, Le droit médical dans la littérature juridique.