Chronique de jurisprudence

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CHRONIQUEDEJURISPRUDENCE Brigitte Feuillet-Le Mintier*, Veronique Barab&Bouchard** L ‘information juridique du praticien passe par une connaissan...

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CHRONIQUEDEJURISPRUDENCE Brigitte

Feuillet-Le

Mintier*,

Veronique

Barab&Bouchard**

L ‘information juridique du praticien passe par une connaissance de la jurisprudence rendue en mat&e de santt!. Le CRJO, centre de recherche de l’uniuersite’ de Rennes, prockdepour Mkdecine & Droit h une ktude systkmatique de la jurisprudence fiangaise. Ces nouvelles chroniques (deux par an) aurontpour objectifde prksenter sommairement des dkisions rkentes etpagois inkdites et seront consacrkes, en alternance, h h responsabilite’ d&s le domaine mt!dical (responsabilite’ civile, p&ale, administrative), et au droit des personnes, de Iufarnile, des incapacitks. La chronique du p&sent numb-o aborde ces derniers thmes. DROIT DES PERSONNES ET DES INCAPACITkS Certificat medical et placement sous un regime de protection La loi du 3 janvier 1968a voulu repenser, sans en remettre en cause le principe, la collaboration des mtdecins et des juges. Pour I’essentiel, cette loi proclame I’independance du traitement medical et du regime d’incapacitt applique au majeur (C. civ., art. 490-l et L. 1968, art. 12), pour rompre avec le systtmatisme qui caracterisait la loi de 1838 dans sa partie rtgissant les biens des hospitalises. Mais dans le m@me temps, la loi de 1968 exige des deux categories de professionnels une collaboration constante : la protection n’est pas une affaire de famille mais une decision grave prise aussi objectivement que possible. La loi requiert ainsi l’avis du medecin traitant dans nombre d’hypothtses (ouverture de la protection, disposition du logement, mariage, capacitt partielle dans la tutelle). Elle fait aussi intervenir les spe’cialistes agrees par le Parquet : I’un d’eux, hospitalier ou pas, doit constater l’alttration des facultts personnelles (mentales ou corporelles). Cette seconde prevision kgislative est d’importance primordiale depuis que la notion de (( medecin traitant )) perd de son sens pour des raisons sociologiques. C’est ce que rappelle un art-et de la premiere chambre civile de la Cour de cassation en date du 15 juin 1994 &wis-Datd, no 001309) : pas d’ouverture d’une tutelle ou d’une curatelle sans un tel certificat, et sans un certificat qui estime utile la protection. La Cour de cassation avait deja eu l’occasion d’exprimer ses fortes exigences B ce sujet (Cass. Ire civ. 23 mai 1979 : Bull Civ I, no 152). I1 n’est que trois exceptions a cette exigence : le cas oh la requete est present&e par le Procureur de la Republique, celui oti seule la prodigalitt du majeur est invoqute et celui oh le majeur a protiger se d&robe a l’examen medical. Mais ces exceptions sont limitatives et le juge ne dispose par surcroit d’aucun pouvoir d’tpargner l’examen me-

_ Professeur,

directeur du CRJO, ** ATER, docteur en droit CRJO (centre de recherche juridique er judiciaire de I’Ouest, science politique de Rennes)

MklECINE& DROlTn"l1 -1995

facult& de droit er de

dical au majeur, ou bien de decider une protection alors que le certifkat de specialiste agree la dit inutile, ou inversement. Dans cette affaire, la question de la cause determinante de la protection a pu Pgarer le tribunal de Cusset dans une recherche hasardeuse d’equivalent au certificat de specialiste agree. Cette question peut &tre presentee comme suit : la Cour de cassation decide depuis longtemps (Cass. 1” civ., 12 mai 1981 : Bull Civ I, no 160 ; Defrtnois 1982, art. 32846, obs. J Massip) que la cause reelle de la protection n’est pas l’alteration des facultts personnelles, mentales ou corporelles, mais soit la necessite d’une representation continue (cas de la tutelle), soit le besoin d’etre conseilk dans les actes de la vie civile (cas de la curatelle). Les medecins certificateurs sont d’ailleurs volontiers invites par les juges des tutelles B se prononcer sur le ccpronostic )) civil de leur diagnostic psychiatrique ou medical. Des lors, on a pu croire qu’a defaut de certificat, une certitude sur les grandes difficult& du majeur tiendrait lieu de motivation rtelle et suffisante. Dans l’esptce pre’sentee, le tribunal, statuant sur recours contre le jugement d’ouverture de curatelle, avait rtuni divers elements en ce sens (les dires du mandataire special design& dans le cadre d’une sauvegarde de justice prtalable a la protection ; les propos du majeur devant le juge des tutelles ; un certifkat de medecin dit (( traitant ))) et les avait fait prevaloir sur les termes du certificat de sptcialiste agree, qui concluait a l’inutilitr! d’une protection. La cassation ttait inevitable et doit &tre approuvee. Tout au plus, le tribunal pouvait-il rechercher un certificat d’un autre sptcialiste agree si le premier ne lui paraissait pas convaincant. Hospitalisation psychiatrique et libre choix de I’Ctablissement par le malade La loi du 27 juin 1990 qui rtgit les hospitalisations psychiatriques (C. Sante publ., art. L 326 et s.) a Ptonne lorsque, parmi les dispositions fondamentales nouvelles, elle a proclamt (sur amendement parlementaire : JO Ass. nat. CR 15 mai 1990) le principe du (( libre choix )) par le malade du praticien ou de l’equipe de santt publique ou privee tant B l’indrieur qu’a l’exttrieur du t( secteur )) psychiatrique (lire notamment l’artitle de M Horassius, L ‘information psychiutrique, n” 9, novembre 1992) : la sectorisation, progres diffkilement contestable, 21

PROTECTION DE LA PERSOAINE ne pourrait gutre survivre aux derogations multiples que les patients ne manqueraient pas de solliciter s’ils connaissaient ce texte de 1990. C’est pourquoi, d’emblee, la doctrine juridique a distingue le (( libre choix )) de I’etablissement m&me et celui du praticien. Cette doctrine a canton& le choix de I’& tablissement aux cas d’hospitalisation volontaire ou B la demande d’un tiers (Champenois-Marmier et Sansot, (( La loi du 27 juin 1990 relative aux droits et a la protection des personnes hospitalisees en raison de troubles mentaux )) : ALD 1991.123, notamment § 43 ; JM Auby, (( La loi du 27 juin 1990 )) : JCP 1990, td. G, I, 3463, notamment $ 88) ; les juristes n’ont abandon& au malade le libre choix du praticien que dans le sein de l’etablissement ou il se trouve. Les praticiens ont sans doute adopt& des lignes de conduite en partie identiques : I’hospitalisation d’office ne laisse guttre la place a la discussion, en raison de sa rapiditt et du type de malades B laquelle elle s’adresse ; dans les autres cas, et en fonction des disponibilitts locales ou des sptcialids, l’hopital favorise le libre choix dans une perspective (( d’alliance therapeutique )). C’est ce qu’ecrit le tribunal administratif de Limoges (15 avril 1993 : Juris-Data no 046218) : pas de libre choix de I’ttablissement pour qui met en danger l’ordre public et la securite des personnes. Bien qu’enoncte sans nuances excessives et bien que volontairement partielle, la solution est conforme aux regles sus &non&es et aux pratiques. Tbierry Fossier, vice-p&dent du tribunaldegrande instance de Grenoble. DROIT

DE LA FAMILLE

Sida et famille Le sida ne doit conduire B aucune discrimination a l’egard de la personne contaminte, notamment au sein de la famille (voir (( La famille et le sida )), V Barabe-Bouchard in (( Le sida, aspects juridiques )), par le CRJO, B paraitre, &onomica, 1995). Si elle est dans le besoin, notamment parce qu’elle ne peut exercer une activite professionnelle, la victime du sida, majeure, peut demander une aide financitre a ses parents pour subvenir aux frais importants lies B son Ctat de Sante. L’argument des parents selon lequel ils subviendraient deja aux besoins de deux autres enfants majeurs est inoptrant car il y a primautt de I’enfant en mauvaise santt (CA Paris, Ch. 8/B, 24 Sept. 1992 : Juris-Data no 0232 15). De m&me il n’y a pas lieu de supprimer le droit de visite et d’htbergement du ptre seropositif qui vit avec une concubine contaminee. L’enfant age de 13 ans sera neanmoins libre de decider si il desire passer les grandes vacances avec son pere (CA Paris, Ch. 24,23 juin 1994 : Juris-Data no 02 1560). Les procrkations assistCes Pendant longtemps, faute de reglementation, le d&sir d’enfant a donnt naissance B des pratiques de procreation assistee qui pouvaient heurter certains principes. Ce fut le cas notamment des meres de substitution ou meres porteuses, de l’indmination artificielle post-mortem, de I’instmination artificielle de femmes homosexuelles ou encore de femmes plus en age de procreer. La jurisprudence a eu a se prononcer sur ces pratiques. D’abord, elle a interdit certaines d’entre elles. La Cour de 22

cassation s’est prononcee sur les contrats de mere porteuse : ((La convention par laquelle une femme s’engage, fut-ce B titre gratuit, B concevoir et a porter un enfant pour l’abandonner B sa naissance, contrevient tant au principe de I’indisponibilite du corps humain qu’a celui de l’indisponibilitt de l’ttat des personnes )) (Cass. ass. plen, 31 mai 1991 : D. 1991, p 417, rapport Chartier, note Thouvenin ; JCP 199 1, td. G, II, 2 1752, note Terre ; RTD civ. 1991, p 517, obs. Huet-Weiller). Parallelement, les juges du fond, ont interdit l’insemination artificielle post-mortem (TGI Toulouse, 26 mars 1991 : JCP 1992, ed. G, II, 21807, P Pedrot.- Cf contra, TGI Crtteil, 1” aoGt 1984 : JCP 1984, td. G, II, 20321, S Corone) et plus rtcemment ont refuse B la femme, B la suite du d&es de son mari, la remise des embryons congelts en vue d’une transplantation (en ce sens : TGI Rennes, Ch. 1, 30 juin 1993 : JCP 1994, ed. G, II, 22250, C Neirinck. - CA Toulouse, 1” ch., 18 avr. 1994 : J Uris-Data, no 043187). Les lois du 29 juillet 1994 dites (( lois biotthiques )) (JO 30 juillet 1994, p 11056 s.) ont consacre ces jurisprudences en prevoyant la nullitt de toute convention portant sur la gestation pour le compte d’autrui (C. civ., art. 16-7) et en limitant les assistances mtdicales B la procreation aux cas de (
PROTECTION Si les lois biotthiques adopt&es le 29 juillet 1994 devaient supprimer de telles pratiques, cette jurisprudence aura ntanmoins vocation a s’appliquer aux situations anterieurement c&es. Quelle que soit l’hypothese (mere porteuse, insemination artificielle de femmes ctlibataires, insemination artificiellepost-mortem...), le juge appliquera les regles de l’autorite parentale relatives B la filiation Ptablie de l’enfant. La difficult& essentielle ne sera-t-elle pas alors de determiner l’inttret de l’enfant ? Divorce et maladie La maladie ne constitue pas une cause de divorce et elle ne saurait, en elle-meme, etablir la mauvaise conduite du malade. En effet, ne peut @tre retenu comme cause de separation de corps, le fait pour le mari d’etre atteint d’une maladie sexuellement transmissible, alors que la femme ne rapporte pas la preuve d’une dissimulation deliberte de cette maladie ou de l’infidelitt de son conjoint (CA Bordeaux, 26 avr. 1993 : _Jur&Data no 04 1130). La maladie peut m@me excuser l’atritude critiquable du conjoint atteint. Ainsi le comportement psychologique perturb& de la femme rendant difficiles les relations du couple avec les amis et colkgues du mari peut s’expliquer par l’ablation d’une corde vocale qui a modifie le caractere de la femme (CA Bordeaux, Ch. 6, 12 janv. 1994 : Juris-Data no 040060). Filiation et empreintes g6nCtiques L’expertise genetique permet aujourd’hui d’apporter une certitude en matitre de preuve de paternite. Depuis quelques an&es, elle est utilisee par le juge dans le cadre d’actions relatives a la filiation. La loi no 94-653 du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain ne la permet en mat&e civile c(qu’en execution d’une mesure d’instruction ordonnee par le juge saisi d’une action tendant soit B l’etablissement ou la contestation d’un lien de filiation, soit a l’obtention ou la suppression de subsides )) (C. civ., art. 16-l 1). Deux art&s rtcents, mais anterieurs B cette loi, ont eu B se prononcer sur l’exercice de ce pouvoir par le juge. En premier lieu, si les juges restent libres d’ordonner une telle expertise lorsqu’elle constitue un moyen de preuve au

l

LES

INFECTIONS

DES

ASSURANCES

NOSOCOMIALES

: POINT

DE VUE

Mi?DICALES

(suite de Iapage 9) de l’anormalitt du dommage subi. En revanche, que la charge de l’indemnisation ptse systematiquement sur l’etablissement et sur son assureur, nous semble critiquable. En effet, en l’absence de toute faute, lorsque toutes les conditions d’asepsie ont ete scrupuleusement respectees, lorsque l’expertise montre que la sttrilisation du materiel est irreprochable, lorsque d’une faGon get&ale un programme de lutte contre les infections nosocomiales a ttt mis en oeuvre au MiDEClNE & DROIT no11 - 1995

DE LA PERSOMIE

fond dans le cadre d’une action relative B la filiation (Cass. 1” civ., 17 dtc. 1991 : D. 1993, p 29, 2’ esptce, note J Massip). Sur le caractere obligatoire de cette mesure lorsqu’elle avait pour but d’etablir une fin de non recevoir, voir Cass. 1” civ., 19 nov. 1991 : D 1993, p 29, 1” esptce, note J Massip), la Cour de cassation semble ntanmoins souhaiter exercer un controle de ce pouvoir des juges du fond. Dans un arret du 12 janvier 1994, la 1rTchambre civile de la Cour de cassation (D. 1994, p 449, note J Massip) constate que la Cour d’appel a justement ecarte l’analyse d’empreinte genetique sollicitte puisqu’elle ne pouvait remettre en cause les resultats d’un examen de sang (de groupes erythrocytaires, seriques, enzymatiques et HLA) deja pratique qui avait conclu B une paternitt B 99,999 chances sur 100. Ce controle de la Cour de cassation est utile car, en pratique, les juges du fond devraient ordonner cet examen systtmatique dans la mesure ou il permet .une certitude et une rapidite de preuve. Seules des demandes dilatoires (comme c’etait stirement le cas en l’esptce) ou vexatoires (par exemple dans le cas ou la paternitt aurait deja ete &art&e par un examen des sangs) doivent conduire le juge a refuser l’analyse genetique. En second lieu, la Cour de cassation a admis dans une decision du 4 mai I994 (Bull Civ I, no 159), qu’B la demande de celui qui se pretend le veritable pere de l’enfant, le juge des refer& puisse ordonner une expertise genttique prtalablement B toute action en contestation de reconnaissance de l’enfant. Constitue un motif legitime au sens de l’article I45 du Nouveau Code de procedure civile permettant B ce juge d’agir, l’existence d’un risque de deptrissement des preuves et l’inttret pour le veritable p&e d’etablir ses chances de succes d’une action en contestation de reconnaissance. En l’espece, le risque de dtptrissement des preuves ttait caracterise par l’absence de renseignements sur la situation professionnelle et sur la possibilitt d’un changement de domicile sans laisser la nouvelle adresse. Mots cl& : certificat medical (loi de 1968) I loi de 1968 I regime de protection I hospitalisation psychiatrique I libre choix I sida I procreation assist6e I filiation (empreintes g6netiques) I empreintes g6n6tiques (filiation) I divorce I mere porteuse I insemination post-mortem

niveau de l’ttablissement, et enfin lorsque l’infection a ttP diagnostiquee rapidement et qu’un traitement pour la combattre a ttt mis en ozuvre, il ne saurait, B notre sens, y avoir matiere de responsabilite. Si en effet, 80% des infections nosocomiales demeurent imprkisibles et irresistibles, l’indemnisation des victimes doit passer non pas par la responsabilitt des professionnels de Sante et des Ctablissements dans lesquels ils exercent leur art mais dans la solidarite a un niveau national (taxes, imp&s, fonds d’indemnisation). C’est tout l’enjeu de la loi sur l’indemnisation de l’alta therapeutique. Mots clCs : infections nosocomiales (rerponsabilite)

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