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JURISPRUDENCE Notes de jurisprudence Gilles DEVERS Avocat au barreau de Lyon I – Information défaillante mais absence d’alternative thérapeutique Co...

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JURISPRUDENCE

Notes de jurisprudence Gilles DEVERS Avocat au barreau de Lyon

I – Information défaillante mais absence d’alternative thérapeutique Cour de cassation, 1re chambre civile, 21 octobre 2003, n° 01-15237 Un patient atteint d’un très fort déficit de l’acuité visuelle lié à l’existence d’une cataracte de l’œil droit vient consulter un ophtalmologiste. Du fait de la gravité de l’atteinte, il est décidé de procéder à une intervention chirurgicale. À la suite de l’intervention, le patient est atteint d’un décollement de la rétine qui se traduit par une faible acuité visuelle. Sur le plan technique, l’acte n’est pas jugé fautif. En revanche, le patient soutient que le chirurgien ne l’a pas suffisamment informé, de telle sorte qu’il a perdu une chance d’échapper au risque de décollement de la rétine. Le médecin ne parvient pas à démontrer qu’il a donné une information loyale, claire et appropriée sur les risques graves afférents aux investigations et aux soins proposés. Pour autant, la demande d’indemnisation du patient est rejetée. En effet, l’opération était nécessaire au regard de l’acuité visuelle, de telle sorte que le patient ne justifie d’aucun préjudice indemnisable.

Voici un arrêt qui, en bonne logique, devrait faire quelque bruit. En droit, l’arrêt rendu par la Cour de cassation est indiscutable. Il existe une faute, le défaut d’information, mais cette faute n’a causé aucun préjudice car l’intervention était nécessaire. Dans le monde de la santé, cette décision devrait intéresser au plus haut point. Par une spectaculaire série d’arrêts de 1997 et 1998, la Cour de cassation avait inversé la charge de la preuve dans la délivrance de l’obligation de renseignements. Il revenait au médecin de prouver qu’il avait suffisamment informé le patient. Le raisonnement était clair : l’acte médical n’est légitime que s’il est précédé d’un consentement. Pour être valable, ce consentement doit être donné après qu’ait été fournie une information loyale et adaptée ; il revient au médecin de justifier qu’il a bien délivré cette information. Sur ce plan, rien n’est changé. Tout au plus, la jurisprudence relative à l’information sur les risques graves Mars 2004, vol. 4, n° 1

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JURISPRUDENCE même exceptionnels a pris fin avec la loi du 4 mars 2002, qui, par un retour à la raison, impose uniquement d’informer sur les risques courants ou graves « normalement prévisibles ». Entre normalement prévisibles et exceptionnels, il existe une limite, qui est aussi celle du bon sens. À trop informer, on dissuade d’actes médicaux qui seraient nécessaires. La question des dommages et intérêts liés au défaut d’information était déjà apparue en jurisprudence, et l’arrêt rendu par la Cour de cassation a le mérite de confirmer ce que l’on pouvait deviner : le défaut d’information, qui est une faute, n’engage la responsabilité que dans la mesure où le patient prouve qu’un dommage est lié à ce défaut d’information. En l’occurrence, lorsque les soins s’imposent du fait de la gravité de l’état, le défaut d’information, qui est une faute, n’engage pas la responsabilité. Le préjudice invoqué par le patient devient trop éventuel : il faudrait que celui-ci prouve que totalement informé il aurait renoncé aux soins. Quand la maladie commande, l’alternative dans les soins est inexistante et le préjudice lié au défaut d’information reste éventuel. Il reste une faute, qui peut être sanctionnée sur le plan disciplinaire. Mais qui ne peut l’être sur le plan civil, ou pénal, car il n’existe pas de préjudice directement lié au défaut d’information. Ainsi, les règles sur l’obligation d’information doivent être appliquées avec d’autant plus de bienveillance que le risque en terme de responsabilité est extrêmement faible. En résumé, la loi du 4 mars 2002 ne demande plus d’informer sur les risques graves quand ils sont exceptionnels ; et quand les soins s’imposent, le défaut d’information n’engage pas la responsabilité. Le devoir d’information s’apprécie dans un esprit apaisé : tout faire pour convaincre le patient de la nécessité des soins ; tout faire pour l’impliquer tant qu’il est possible dans la prise de décision.

II – Insuffisance d’une information en présence d’une alternative thérapeutique Cour administrative d’appel de Bordeaux, 30 juin 2003, n° 00PX02800 Un patient qui souffre d’une scoliose consulte un praticien hospitalier en vue d’une intervention chirurgicale. L’admission est décidée dans le centre hospitalier pour une fixation des vertèbres lombaires. La veille de l’intervention, le praticien propose une nouvelle intervention sur la colonne vertébrale. Le patient donne son accord, convaincu par les arguments. Or, le patient, à la suite de l’intervention, est atteint d’une tétraplégie. Il expose alors que s’il avait reçu toute l’information sur le risque de paralysie, il aurait renoncé à la modification proposée. Le centre hospitalier n’est pas en mesure d’établir que toute l’information lui a été donnée sur le risque de tétraplégie et il est déclaré responsable de l’intégralité des divers préjudices subis.

La première donnée de cette affaire est la gravité du préjudice : une tétraplégie. Sans doute la survenance d’un préjudice grave ne suffit pas à établir la 132

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réalité d’une faute. Mais le fait qu’un tel risque puisse survenir suppose une lecture particulièrement attentive et exigeante des règles de droit. Avant d’être une affaire de formalités ou de règles de droit, le droit a d’abord pour objet la protection de la personne. Ainsi, lorsqu’il existe un risque important, les règles doivent être appliquées avec un scrupule particulier. La donnée mérite à nouveau d’être soulignée : l’entrée dans la responsabilité n’est pas la faute, mais le dommage. En l’absence de dommage consécutif, il ne peut y avoir de responsabilité. Il existait dans cette affaire une véritable alternative thérapeutique. Un premier procédé avait été envisagé, conduisant à la décision d’hospitalisation. On peut penser qu’il y a eu un processus lent d’explication et de conviction. Or, la veille de l’intervention, le praticien propose une autre solution, avec un risque particulier de survenance d’une tétraplégie. Sans doute, le praticien n’était pas tenu par son engagement initial, et s’il estimait qu’une autre orientation était meilleure, il pouvait parfaitement en changer. Mais le patient, déjà admis à l’hôpital, soumis à une telle réorientation thérapeutique la veille de l’intervention, a nécessairement tendance à suivre le praticien, ce d’autant plus si les risques ont été minorés. En l’occurrence, plusieurs facteurs concourraient à donner une information particulièrement exhaustive : – il s’agissait de revenir sur une décision antérieure ; – le risque de conséquence grave ne pouvait être ignoré ; – surtout, il existait une alternative thérapeutique. En l’ayant privé de cette alternative, le praticien a commis une faute qui engage la responsabilité du centre hospitalier. Dans la mesure où il s’agit d’un recours en responsabilité administrative, c’est le centre hospitalier qui répond des fautes du praticien.

III – Responsabilité pénale de l’interne Cour d’appel de Paris, 5 juin 2003. Un détenu est transféré en urgence dans un établissement hospitalier public, à la demande du praticien de la maison d’arrêt. Le détenu est reçu par l’interne de garde du service des urgences. Un bilan biologique est pratiqué lors de l’entrée et l’interne de garde prend connaissance des résultats 18 heures plus tard. L’examen laisse apparaître des taux très élevés de potassium, d’urée, de créatinine, qui d’après les experts permettent de diagnostiquer, sans doute réel, une hyperkaliémie majeure. Or, l’interne ne consulte ni le médecin qui a prescrit l’hospitalisation, ni son chef de service, ni même le responsable du laboratoire. Son attitude consiste à réduire la perfusion de potassium. Il a ordonné ensuite un nouvel examen biologique, alors qu’il aurait fallu interrompre immédiatement la perfusion et organiser le transfert du patient dans une unité de soins intensifs. Le patient est décédé le lendemain. Mars 2004, vol. 4, n° 1

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JURISPRUDENCE Une plainte pénale est déposée. La Cour d’appel de Paris prononce la condamnation pénale de l’interne pour homicide involontaire.

Cette affaire est une illustration de la responsabilité pénale que peuvent encourir les internes. On sait que l’interne n’est pas thésé et que dès lors, il exerce sous la responsabilité d’un praticien chef de service. Dans le cadre de cette collaboration, il bénéficie d’une véritable marge d’autonomie. Ainsi, il doit consulter chaque fois qu’il est besoin, le chef de service. Mais la responsabilité du chef de service n’est pas nécessairement mise en cause par toute faute de l’interne. En l’occurrence, le chef de service n’avait pas été informé de l’évolution. Il n’avait pas de doute particulier quant à la compétence de l’interne. Les faits se sont déroulés dans un laps de temps très brefs, alors qu’une décision immédiate de l’interne aurait été nécessaire. Se pose une autre question. En effet, l’atteinte dont souffrait la personne détenue était d’emblée très grave et l’interne pouvait soutenir que le décès était du à la maladie et ne relevait pas de sa faute. Pour retenir la culpabilité, la juridiction pénale doit faire état de certitudes. Or, elle retient cette certitude à travers le cumul de plusieurs éléments : un bilan biologique très significatif dont il n’a pas été tenu compte ; une absence de réaction alors qu’il aurait fallu transférer le patient en soins intensifs ; un choix thérapeutique inadapté ; l’incapacité devant une difficulté majeure à solliciter un avis autorisé du chef de service, ou d’autres praticiens.

IV – Responsabilité pénale au sein d’une équipe hospitalière Tribunal correctionnel de Paris, 3 septembre 2003. Un enfant de deux ans est hospitalisé dans un établissement public pour une gastroentérite. L’enfant est mis en observation, aucun signe inquiétant n’étant signalé. Il se déperfuse accidentellement à l’occasion d’un examen radiographique qui a lieu en début d’après-midi. L’enfant n’est pas reperfusé et il n’est donné aucune indication particulière de surveillance. Pendant la nuit, l’enfant fait l’objet d’une surveillance courante, mais qui se trouve assurée par une aide-soignante qui s’est vue confier la charge de quelques lits, dont celui-ci. A 5 h 30 l’enfant est retrouvé en état de choc et doit être pris en charge au service de réanimation. Il a été victime d’un arrêt cardiaque, entraînant une anoxie cérébrale. On observe que l’enfant a connu une perte de poids de 2 kg en 24 h La réanimation mise en œuvre n’est pas critiquable, mais l’enfant décèdera 48 heures plus tard. Une enquête interne est dirigée dans l’établissement et la prise de décision est différée jusqu’aux conclusions de cette enquête. Entre temps, la mère dépose plainte au pénal. Le tribunal correctionnel de Paris, dans un jugement du 3 septembre 2003, dont il n’a pas été fait appel, prononce un ensemble de condamnations :

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Gilles DEVERS – L’interne est condamné pour homicide involontaire pour ne pas s’être alarmé de la déperfusion, ni n’avoir préconisé de recommandations particulières pour la surveillance. – L’infirmière qui exerçait l’après-midi est condamnée pour homicide involontaire pour n’avoir avisé personne de la déperfusion, alors qu’un médecin de garde était dans le service, et ne pas avoir attiré l’attention de ses collègues qui assuraient le service de nuit. – Les infirmières de l’équipe de nuit sont condamnées pour complicité d’exercice illégal de la profession d’infirmière car elles avaient confié à l’aide-soignante des soins en délégation, alors que la règle doit être la collaboration ; en outre, dans la mesure où leur abstention dans la surveillance a concouru au décès de l’enfant, elles sont également condamnées pour homicide involontaire. – Le cadre infirmier de l’équipe de nuit est condamné dans les mêmes conditions, car pour le tribunal, elle ne pouvait ignorer les dysfonctionnements qui existaient dans l’équipe. – L’aide-soignante est condamnée pour exercice illégal de la profession d’infirmière car elle pratiquait seule, dans le cadre d’une délégation, des actes infirmiers et pour homicide involontaire car un défaut de surveillance ayant participé avec certitude au décès lui est imputé. – L’infirmière générale directeur des soins, le praticien hospitalier chef de service et le directeur du centre hospitalier sont condamnés pour mise en danger d’autrui. En effet, il leur est reproché d’avoir attendu les conclusions du rapport interne pour décider des remises en cause qui étaient nécessaires dans les service, permettant à ces dysfonctionnements de perdurer, ce qui mettait en cause la sécurité des enfants ; – Le centre hospitalier a été poursuivi en qualité de personne morale pour homicide involontaire, et a été condamné, après avoir reconnu sa culpabilité pénale à l’audience.

Toute l’équipe hospitalière condamnée au pénal, jusqu’à la structure hospitalière elle-même : le fait est suffisamment rare pour être signalé. Il faut dire que les faits étaient d’une particulière gravité : un enfant de deux ans, admis dans un centre hospitalier spécialisé en pédiatrie pour une gastroentérite, décède quelques jours plus tard d’une déshydratation consécutive à la gastroentérite. Il s’était, dans l’après-midi, déperfusé accidentellement et aucune mesure n’avait été prise. Sur le plan technique, on relève une série de dysfonctionnements qui ont conduit au décès de l’enfant. Aucune faute n’est majeure, mais avec le cumul vient la dimension dramatique. La responsabilité médicale et hospitalière est d’abord fondée sur la protection de la personne. Dès lors, le résultat est en quelque sorte paradoxal. Si l’enfant avait été mieux surveillé pendant la nuit, et que les effets de la déshydratation avaient été pris en charge quelques heures plus tôt, l’évolution sur le plan médical aurait été tout autre, et la justice n’aurait jamais connu ces dysfonctionnements. Mais parce que la surveillante a tardé, le décès est survenu, et c’est l’occasion de revoir le détail de toutes les fautes qui ont concouru au décès. Mars 2004, vol. 4, n° 1

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L’homicide involontaire Des poursuites pour homicide involontaire n’appellent pas de commentaires particuliers : il n’est pas nécessaire de déterminer la cause exclusive du décès. Toute faute dont il est certain qu’elle a concouru au décès peut être sanctionnée sur le plan pénal. Un défaut de surveillance, un manque de réactivité face à des signes cliniques, une mauvaise transmission orale : toutes ces fautes qui relèvent du quotidien peuvent conduire au tribunal correctionnel si par malheur elles ont porté atteinte à l’intégrité physique du patient.

L’exercice illégal de la profession Plus rares sont les poursuites pour exercice illégal et complicité d’exercice illégal. C’est l’aide-soignante qui commet l’infraction, alors que l’équipe infirmière est poursuivie du chef de complicité. Elle exerçait seule auprès des enfants. Or, une aide-soignante ne peut pas exercer dans le cadre de la délégation. On sait que l’expression de « soins délégués » est encore très souvent utilisée dans la pratique. Cette expression n’a aucun fondement légal et son message doit être combattu. La seule référence est la collaboration, c’est un travail pensé et organisé en équipe. L’infirmière peut laisser à l’aide-soignante une large marge de manœuvre dans le cadre de la collaboration, mais elle doit avoir fixé le cadre de l’intervention de l’aide-soignante qui, par ses règles professionnelles, ne dispose pas de rôle initial dans la prise en charge des patients.

La mise en danger d’autrui Les hauts responsables du centre hospitalier sont poursuivis pour mise en danger d’autrui. Ils ne sont pas intervenus dans la délivrance des soins, de telle sorte qu’ils ne font pas l’objet de poursuites pour homicide involontaire. De même, il est reconnu qu’ils ignoraient le système de délégation de tâches qui avait été institué, et dès lors, ils ne sont pas concernés non plus pour les poursuites d’exercice illégal de la profession. En revanche, lorsque les faits ont eu lieu, il a été décidé de ne prendre aucune mesure avant de connaître les résultats d’une inspection interne. De fait, ils ont pris le risque que les dysfonctionnements qui avaient conduit au décès de l’enfant se poursuivent. Ainsi, c’est du fait de leur abstention à prendre les décisions correctives immédiates, de manière à garantir la sécurité des patients hospitalisés, que les condamnations sont prononcées. Fait relativement rare, le centre hospitalier était poursuivi en tant que personne morale sur le plan pénal. La responsabilité indemnitaire du centre hospitalier était acquise, du fait du cumul de ces dysfonctionnements. Il en était différemment de la responsabilité pénale. Après avoir contesté cette responsabilité pénale le temps de l’instruction, le centre hospitalier s’est reconnu coupable à l’audience. Mais, était-il possible de plaider l’innocence pénale, alors que des fautes étaient avérées et qu’elles avaient conduit au décès d’un enfant quelques jours après une hospitalisation pour un motif dénué de gravité ? 136

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