La Revue de médecine interne 31 (2010) 295–304
Carrefour des spécialités
Complications neurologiques des chimiothérapies Neurologic side effects of cytotoxic drugs C. Lebrun a,∗ , M. Frenay b a
Service de neurologie, CHU de Nice, 30, avenue de la Voie-Romaine, BP 69, 06002 Nice cedex 01, France b Oncologie médicale, centre Antoine-Lacassagne, 33, avenue de Valombrose, 06000 Nice, France Disponible sur Internet le 18 f´evrier 2010
Résumé La neurotoxicité des traitements cytotoxiques et cytostatiques est fréquente mais peu connue. Elle dépend des produits utilisés et peut être le facteur limitant du traitement oncologique avec un impact immédiat sur la qualité de vie. La connaissance et la détection précoce des complications neurologiques des traitements chimiothérapiques ont un impact majeur sur la prise en charge des malades. Les symptômes neurologiques varient selon la nature des produits utilisés dans leur topographie, leur physiopathologie, leur intensité et leur évolution. Les progrès dans les stratégies thérapeutiques en oncologie se sont associés à de nouvelles toxicités. Les symptômes dépendent des voies d’administration utilisées, des doses, de la pharmacodynamique et de la cinétique du médicament. Les traitements neuroprotecteurs sont en cours d’évaluation. Les diagnostics différentiels les plus fréquents sont les syndromes paranéoplasiques, eux aussi sous-diagnostiqués, et les atteintes spécifiques du cancer. Une fois installées, les manifestations neurotoxiques ne sont pas toujours réversibles. La prise en charge pluridisciplinaire de ces malades par les neurologues, les oncologues et les spécialistes de la douleur permet d’obtenir une meilleure qualité des soins. © 2010 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Chimiothérapie ; Neuropathie ; Myélite ; Épilepsie
Abstract Damage to the nervous system is a common side effect of antineoplastic therapy. The improvements in treating systemic malignancies have been accompanied by the reports of neurological toxicity that has important impact on quality of life and may even limit the use of the treatment. Neurotoxicity can be induced by synergistic or additive effects of cytotoxic drugs and nervous system exposure is related to routes and doses of administered drugs. Neurological toxicity may be a dose-limiting factor that prevents the more aggressive use of cytotoxic drugs. With the increasing use of multiple modality therapy, dose-intensive therapy and experimental therapy, the incidence of neurological toxicity is still rising. Early diagnosis is essential. Indeed, when neurological complications are diagnosed with delay, they are rarely reversible. Neuroprotective agents are still evaluated. The neurologic complications of the more commonly used chemotherapeutic agents, hormones and targeted molecular agents are discussed. © 2010 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Keywords: Chemotherapy; Neuropathy; Myelitis; Epileptic seizures
La neurotoxicité des traitements cytotoxiques et cytostatiques est fréquente mais sous-évaluée. Elle est le facteur limitant le plus fréquent de ce type de traitement après la toxicité hématologique. Elle est considérée comme acceptable si elle est peu sévère et réversible. La détection précoce des complications neurologiques des traitements chimiothérapiques peut influencer la prise en charge du patient et, parfois, modifier la séquence ∗
Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (C. Lebrun).
thérapeutique initialement prévue par l’oncologue. La physiopathologie, le type, l’intensité et l’évolution des manifestations neurologiques que l’on peut observer varient selon les substances utilisées. La neurotoxicité dépend également de la stratégie thérapeutique utilisée : • la toxicité connue et attendue d’un produit dont la dose unitaire ou totale administrée est le principal facteur limitant ; • les effets synergiques des polychimiothérapies avec potentialisation des effets secondaires ;
0248-8663/$ – see front matter © 2010 Société nationale française de médecine interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.revmed.2009.12.005
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• les effets toxiques d’association de différentes modalités d’administration. En présence de symptômes neurologiques, une enquête minutieuse doit analyser les antécédents du malade favorisant une fragilité des structures neurologiques, la voie d’administration, la dose totale administrée et cumulée, les comédications (antalgiques, antiépileptiques, antibiotiques). Les signes de toxicité neurologique sont très polymorphes et peuvent mimer une récidive tumorale, une métastase, un syndrome paranéoplasique ou s’exprimer par une hypertension intracrânienne, une encéphalopathie ou un accident vasculaire cérébral (AVC) [1]. Chez un patient atteint de cancer en cours de traitement, la démarche diagnostique doit apporter des réponses aux questions suivantes : • le symptôme neurologique est-il lié à l’évolution de la maladie ou à une cause intercurrente ? • peut-il s’agir d’un effet indésirable de la chimiothérapie ? • parmi les traitements pris par le patient, lequel est responsable de l’événement observé ? Si la réponse à la première question revient à évaluer l’évolutivité de la maladie, les deux suivantes justifient de reprendre les effets secondaires des produits. 1. Atteinte du système nerveux périphérique 1.1. Les neuropathies périphériques La survenue d’une neuropathie périphérique toxique est un des tableaux les plus fréquemment rencontrés limitant la poursuite d’une chimiothérapie. Quatre formes anatomocliniques sont individualisées [2] et correspondent à des situations cliniques différentes. Leur caractérisation par l’examen neurologique peut orienter vers un produit en cause : • une neuropathie aiguë ou subaiguë sensitivomotrice diffuse, pouvant évoquer une polyradiculonévrite, due à une démyélinisation segmentaire et réversible à l’arrêt de la chimiothérapie ; • une neuropathie axonale distale sensitivomotrice diffuse, révélée par des paresthésies et une atteinte de la sensibilité thermoalgique ; • une neuropathie sensitive pure, douloureuse, impliquant les petites ou les grosses fibres par atteinte des ganglions spinaux. La proprioception est alors touchée avec respect de la sensibilité thermoalgique ; • une mononeuropathie isolée, survenant à la suite d’une perfusion de vinca-alcaloïdes ou de sels de platine (CDDP). La survenue de l’un de ces tableaux impose, néanmoins, d’évoquer le diagnostic différentiel de neuropathie paranéoplasique en recherchant la présence d’anticorps antineuronaux, afin de ne pas méconnaître une maladie évolutive. La forme la plus classique est la neuropathie de Denny-Brown, douloureuse, asymétrique et ascendante. La fréquence et l’expression clinique des
neuropathies toxiques dépendent de l’agent chimique considéré et correspondent, en pratique, à trois principales familles thérapeutiques : les vinca-alcaloïdes, les sels de platine et les taxanes. Des produits d’utilisation plus récente, comme le bortézomib, sont également grands pourvoyeurs de neuropathies. 1.1.1. Les vinca-alcaloïdes La neurotoxicité des alcaloïdes de la pervenche est établie depuis plus de 20 ans, la survenue d’une neuropathie périphérique étant le principal facteur limitant l’administration de vincristine dans le traitement des hémopathies. La vinblastine et la vindésine ont une toxicité périphérique moindre, entraînant une aréflexie et des paresthésies sans déficit moteur. La toxicité neurologique de la vincristine, qui survient plus fréquemment chez l’adulte que chez l’enfant, est favorisée par une atteinte neurogène préexistante [3]. Survenant habituellement quelques semaines après le début du traitement, elle se traduit par des paresthésies des extrémités (doigts et orteils) et de la région péribuccale ou de la face. Ces paresthésies peuvent s’associer à des dysesthésies, voire à des douleurs neurogènes (décrites souvent comme des « brûlures »), à des phénomènes douloureux plus déroutants comme les algies massetérines que décrivent environ 10 % des sujets. Au stade d’état, il existe un contraste entre l’importance de la plainte fonctionnelle et la pauvreté de l’examen clinique qui ne met généralement en évidence qu’une diminution précoce des réflexes ostéotendineux, avec une grande variabilité individuelle selon la molécule utilisée. La toxicité de la vincristine étant dose-cumulée, la constatation d’une telle neuropathie périphérique doit conduire à interrompre le traitement. L’atteinte des petites fibres caractérise la neurotoxicité des alcaloïdes de la pervenche et explique une composante neurovégétative s’exprimant par une constipation opiniâtre, un trouble de l’érection ou une pandysautonomie plus sévère (hypotension orthostatique, gastroparésie, iléus paralytique, atonie vésicale). Les troubles du transit sont majorés par l’ondansétron, antiémétique fréquemment associé aux chimiothérapies, aboutissant parfois à de véritables syndromes occlusifs [4]. L’interruption du traitement permet d’empêcher l’extension des troubles sensitivodouloureux et surtout de prévenir l’apparition d’une symptomatologie motrice qui affecte initialement les muscles extenseurs des mains. La récupération neurologique sensitive peut prendre plusieurs mois et la récupération motrice est plus lente et souvent incomplète [5]. Les alcaloïdes de nouvelle génération (vinorelbine) semblent donner moins de complications périphériques [6]. 1.1.2. Les sels de platine La neuropathie périphérique axonale toxique du CDDP est également sensitive, mais elle se distingue de celle induite par les alcaloïdes de la pervenche par plusieurs aspects. Elle est dose-dépendante et apparaît souvent de fac¸on retardée, plusieurs semaines ou mois après l’arrêt du traitement [7]. Son incidence est estimée à 4,3 % pour des doses de 50 mg/m2 mensuels. L’atteinte infraclinique, révélée par l’élévation du seuil de perception vibratoire, s’observerait à partir de 300 mg/m2 en doses cumulées chez plus de 80 % des sujets [8]. Très rapidement, la gêne fonctionnelle résulte d’une ataxie et de troubles de la
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coordination qui s’associent à des perturbations objectives de la sensibilité épicritique, de l’arthrokinésie et de la pallesthésie, cette dernière étant la plus précocement affectée. L’existence non exceptionnelle d’un signe de Lhermitte fait discuter une atteinte associée des cordons postérieurs de la moelle par un mécanisme d’axonopathie centropériphérique [9]. Comme avec les alcaloïdes de la pervenche, la présence d’une neuropathie due aux sels de platine fera proposer l’arrêt du traitement. La récupération clinique, lorsqu’elle survient, peut demander plusieurs mois ou années. Des plexopathies lombosacrées ou des mononeuropathies ont été rapportées à la suite d’injection intra-artérielle dans le réseau iliaque [10]. Le carboplatine et l’oxaliplatine sont moins neurotoxiques. Des observations ont été rapportées après de hautes doses de carboplatine (doses cumulées de 1000 à 2750 mg/m2 ) [11]. Aux doses usuelles, la toxicité neurologique du carboplatine est rare (< 6 %), peu intense et réversible [12]. La neurotoxicité limitante de l’oxaliplatine est caractérisée par des dysesthésies des extrémités et de la filière pharyngolaryngée. Au stade de début, elle se présente typiquement comme une allodynie thermique (décharges électriques déclenchées par le contact du froid). Elle peut évoluer vers une neuropathie sensitive proprioceptive identique à celle du CDDP [13,14]. Les traitements sont généralement associés à des perfusions de calcium et magnésium à visée neuroprotectrice. 1.1.3. Les taxanes et autres agents stabilisants des microtubules Les taxanes (paclitaxel : Taxol® ; docétaxel : Taxotère® ) ont un potentiel neurotoxique périphérique clairement établi [15,16]. La neuropathie périphérique qui en résulte peut être très précoce, pouvant même apparaître dès la première administration en affectant simultanément les extrémités des membres supérieurs et inférieurs. L’incidence dépend de l’âge, de la dose par cycle administré, des associations médicamenteuses, du débit de la perfusion et, enfin, de la dose totale cumulée. Taxanes et dérivés du platine sont souvent coprescrits (cancers du poumon, du sein, de l’ovaire), entraînant alors des neuropathies périphériques plus précocement sensitivomotrices et plus rapidement invalidantes [17,18]. La neuropathie au paclitaxel est cliniquement fréquente, survenant chez 60 % des patients pour des doses cumulées supérieures à 200 mg/m2 [15]. L’atteinte clinique est très sévère dans 30 % des cas [19]. Les auteurs s’accordent pour dire qu’une dose unique importante est plus toxique que la dose cumulée. Des douleurs de « membre fantôme » chez des patients amputés pour des tumeurs des parties molles ont été signalées [20]. Le docétaxel, analogue partiellement synthétique du paclitaxel, entraîne les mêmes symptômes cliniques, mais est moins neurotoxique, même en association [19]. Il provoque des neuropathies axonomyéliniques dose-dépendantes. À très fortes doses, il induit des tableaux de pseudo-corne antérieure [21]. L’association très utilisée taxanes–trastuzumab (Herceptin® ) ne donne pas plus de complication neurologique périphérique que les taxanes en monothérapie. Les autres agents stabilisants des microtubules (épothilones) donnent des tableaux identiques aux taxanes [19] et les symp-
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tômes peuvent apparaître dès le premier mois de traitement. Il y aurait, comme pour les autres neuropathies, des facteurs de prédispositions génétiques comme les génotypes CYP3A et Wlds (slow Wallerian degeneration). 1.1.4. Autres agents 1.1.4.1. La suramine. La suramine, inhibiteur de nombreux facteurs de croissance, est à l’origine de neuropathies sévères dans 10 % des cas pouvant se présenter soit comme des polyradiculonévrites aiguës qui peuvent partiellement récupérer si le traitement est arrêté, soit comme des neuropathies axonales distales sensitivomotrices dose-dépendantes, non réversibles. 1.1.4.2. Le bortézomib. Le bortézomib, utilisé dans le myélome, inhibiteur de protéasome, induit, dans plus d’un tiers des cas, des neuropathies sensitives associant douleurs, brûlures et engourdissements, partiellement réversibles à l’arrêt du traitement [22]. Elles sont dose-dépendantes, peuvent évoluer sévèrement et être responsables de l’arrêt du traitement. Dès l’apparition des symptômes, si la dose est diminuée, la poursuite du traitement peut être proposée [23]. En cas d’arrêt du traitement, l’atteinte neurologique peut évoluer favorablement dans l’année qui suit. La récupération est parfois meilleure lorsque le traitement de seconde ligne comporte du lénalinomide [24]. La toxicité périphérique est majorée par les antécédents de traitement potentiellement neurotoxique (vincristine, CDDP, thalidomide) et les facteurs de comorbidité (diabète, insuffisance rénale) [25]. Les neuropathies au bortézomib seraient induites par une dysrégulation des neurotrophines (NF-B). La thalidomide, utilisée seule ou en association à d’autres molécules neurotoxiques, est responsable de neuropathies sensitivomotrices précoces et dose-dépendantes [26,27]. 1.2. Les traitements préventifs des neuropathies Dans la plupart des symptômes neurotoxiques, les traitements préventifs sont peu efficaces. L’utilisation de neuroprotecteurs dans la prévention des neuropathies est à l’étude (Tableau 1) [28–34]. Des études de phase II avec l’amifostine, la glutamine et le glutathion sont concluantes mais les études de phase III ne confirmeraient pas l’efficacité attendue. La lamotrigine, la gabapentine et l’oxcarbazépine donnés au long cours avant et pendant la chimiothérapie auraient un effet préventif sur l’apparition des symptômes [35]. La vitamine E peut aussi être proposée en préventif chez les patients qui vont recevoir des sels de platine ou des taxanes mais les données de toxicité ou d’interaction avec la chimiothérapie sont mal connues [36,37]. Aucun de ces traitements ne semble faire mieux que la détection précoce et les traitements symptomatiques. La vitamine B6 à forte dose n’est pas recommandée, aggravant l’atteinte sensitive, surtout en cas d’insuffisance rénale associée [38]. Lorsque les symptômes sont déjà installés, il est conseillé, lorsque cela est possible, de réduire les doses de chimiothérapie ou de changer de stratégie thérapeutique [39]. Dans les cas très sévères des neuropathies au bortézomib, certains auteurs proposent les perfusions d’immunoglobulines [40]. Le traitement symptomatique repose sur la gabapentine, l’oxcarbazépine et les tricycliques.
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Tableau 1 Les traitements neuroprotecteurs. Chimiothérapie
Inefficaces
Efficacité démontrée
En cours d’évaluation
Vinca-alcaloïdes
Acide Glutamique Corticoïdes
Gangliosides Isaxonine Acide folinique
Vitamines B12, B1, B6
Corticoïdes Mélanocortine Éthiofos Amifostine
Nimodipine NGF Glutamine Carnitine Oxcarbazépine
Corticoïdes Amifostine
NGF Glutamine Prosaposine Carnitine Vitamine E
Cisplatine
Taxanes
Vitamine B12 Vitamine E Dimesna Gabapentine Calcium et magnésium (i.v.) Vitamines B12, B1, B6 Lamotrigine Vitamine E Carnitine Acide lipoïque
Les autres techniques telles que l’acupuncture, la neurostimulation transcutanée, la lumière infrarouge pulsée ou la capsaïcine ne sont pas efficaces.
Il faut savoir également évoquer une atteinte rétinienne après des injections intra-artérielles de CDDP, de carmustine (BCNU) à haute dose [46] ou des perfusions de chlorambucil.
1.3. Les atteintes des nerfs crâniens
1.3.3. Atteinte des autres nerfs crâniens Des atteintes du VII, du X et du XII ont été rapportées après des injections intra-artérielles de CDDP, des perfusions de cytarabine ou des injections intrathécales de méthotrexate (MTX) [47].
1.3.1. Ototoxicité Le principal produit incriminé est le cisplatine [7]. L’ototoxicité est également rapportée avec le carboplatine et le BCNU en intra-artériel. Le déficit auditif est plus ou moins symétrique et progressif, sauf si les sels de platine sont administrés à fortes doses, par voie intraveineuse rapide. Les associations à un autre traitement toxique sur l’organe de Corti (aminosides, vancomycine, ifosfamide, furosémide) doivent être évitées. Des cas de surdité aiguë ont été rapportés après hautes doses de CDDP [41]. Les symptômes apparaissent cinq à huit jours après l’injection et dépendent de la dose cumulée (300 à 600 mg/m2 ). Le déficit otologique porte, en général, sur les fréquences élevées supravocales (4000/8000 Hz) [42]. Il n’y a, en général, peu ou pas d’atteinte vestibulaire. Les différences interindividuelles dépendraient du polymorphisme fonctionnel des gènes entrant dans les mécanismes de détoxification du platine (glutathion S-transférases [GST]). La présence sur le codon 105 des deux allèles d’une valine ou d’une isoleucine, associée au génotype GST-T1 ou GST-M1 offrirait une protection ou une susceptibilité aux surdités au platine [43]. 1.3.2. Atteintes ophtalmologiques Deux types de toxicités sont rapportées : • la névrite optique rétrobulbaire avec les sels de platine, la vincristine, la cytarabine, le 5-fluoro-uracile, les nitroso-urées à haute dose ou par voie intra-artérielle, la lomustine (CCNU) associée à la radiothérapie [44] ; • la paralysie oculomotrice, dose-dépendante avec la vincristine, le CDDP, le 5-fluorouracile, l’ifosfamide [45].
1.4. Atteinte neuromusculaire 1.4.1. Myasthénie Des observations isolées ont été rapportées avec le thiotépa, les sels de platine, le busulfan, l’interféron-␣ [48]. Elles posent un problème diagnostique avec le syndrome de Lambert-Eaton. Les données disponibles ne permettent pas de juger du pronostic. L’imputabilité des produits reste difficile à affirmer ; il est possible que, dans certains cas cliniques rapportés, il s’agisse en fait de la révélation d’une myasthénie par un traitement contreindiqué plus que d’un syndrome myasthéniforme iatrogène. 1.4.2. Atteinte musculaire Les agents alkylants induisent très fréquemment un déficit en carnitine à l’origine d’une importante fatigabilité musculaire et la supplémentation en L-carnitine apporte alors une amélioration symptomatique importante [34]. L’atteinte musculaire est fréquente avec les vinca-alcaloïdes, le cyclophosphamide, la procarbazine, le CDDP et le paclitaxel [49]. Des poussées de myosites sont rapportées avec les taxanes ou la gemcitabine [50,51]. Une faiblesse musculaire importante ou une myopathie peuvent être majorées par les corticoïdes. Elle est fréquemment associée à des crampes ou des myalgies [52]. 1.4.3. Pseudoparalysie périodique Elle est particulièrement difficile à caractériser tant sur le plan diagnostique que pronostique. Elle est rapportée avec les
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+ +
+
sels de platine [45]. Les crampes, plus ou moins prolongées, sont fréquentes et annoncent une neurotoxicité chez la majorité des patients en cours de chimiothérapie [52]. +
Procarbazine
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Cyclophosphamide ifosfamide
+ + IA
+ HD
2.1.1. Les encéphalopathies aiguës Ce sont les plus fréquentes et elles sont souvent réversibles (Tableau 2). Elles peuvent être potentialisées par des coprescriptions (phénobarbital, facteurs de croissance) [53–55]. Elles peuvent être en rapport et associer aux suivants : • un syndrome de sécrétion inappropriée d’hormone antidiurétique avec hyponatrémie par un effet « HAD-like » avec la vincristine, le CDDP, le cyclophosphamide [42] ou d’autres troubles métaboliques ; • un syndrome de dysfonctionnement aigu dose-dépendant, plus fréquent lors d’administration de hautes doses de MTX [56,57], d’ifosfamide [58–60], de chlorambucil, de procarbazine, de BCNU [61], de paclitaxel [62], dû à une inhibition transitoire du système dopaminergique. Des signes de localisation, multiples sont constatés après des doses standard ou de hautes doses de MTX, de CDDP ou de L-asparaginase. Leur évolution est spontanément régressive. Les symptômes peuvent apparaître entre le premier et le dixième jour du traitement et disparaître spontanément dans les jours suivant l’arrêt de la perfusion. L’imagerie cérébrale est normale ; • une encéphalopathie postérieure réversible (LEPR) ou encéphalopathie pariéto-occipitale (Fig. 1) [63] décrite avec des
HD : haute dose ; IT : intrathécale ; IA : intra-artériel.
+ +
+
Encéphalopathie aiguë Myélopathie Accidents vasculaires cérébraux Syndromes extrapyramidaux
HD, IT IT HD
+ +
+ Dose dépendante Réversible +
HD IT
+
IT
HD
+
+
+
+ + + +
+ + + + + + + + + + + + + + +
5-fluoro-uracile
2.1. Après administration par voie générale
Nerfs périphériques Nerfs crâniens Dysautonomie Myalgies Atteinte cérébelleuse
Taxanes Vincristine Méthotrexate
Tableau 2 Principales complications neurologiques des substances cytotoxiques.
Cytarabine
Vinca-alcaloïdes Antimétabolites
Étoposide
Alkylants
CDDP
Nitrosourées
2. Atteintes du système nerveux central
Fig. 1. IRM axiale (T2 FLAIR) : leucoencéphalopathie postérieure réversible à la phase aiguë. Les images T2 se normalisent par la suite.
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chimiothérapies comportant du MTX, de l’ifosfamide, de la gemcitabine ou du cyclophosphamide et favorisée par l’hypomagnésémie [64]. Elle est probablement à rapprocher des leucoencéphalopathies postérieures, décrites chez les patients présentant une hypertension artérielle maligne, ou en cours chimiothérapie au CDDP [65], associées ou non à une prescription de facteurs de croissance [54,66]. D’autres molécules peuvent être à l’origine de LEPR : bévacizumab, sunitinib, les interférons alpha, ou des inhibiteurs de RAF kinases [67–69]. La LEPR est généralement réversible mais contre-indique la poursuite du traitement par la molécule utilisée ; une leucoencéphalopathie inflammatoire démyélinisante (LID), survenant au cours des chimiothérapies par 5-FU [70] ou les traitements par tacrolimus. Elle est caractérisée par des épisodes subaigus de confusion régressifs avec en IRM des hypersignaux de la substance blanche en T2, se rehaussant après injection de gadolinium, sans effet de masse. Un traitement par corticoïdes peut accélérer la récupération qui survient spontanément à l’arrêt du traitement. La LID apparaît plus volontiers chez les patients présentant des déficits enzymatiques partiels ou complets en dihydropyrimidine déshydrogénase (3 % de la population). Le diagnostic radiologique différentiel avec une LEMP ou une LEPR peut être difficile ; une épilepsie. Certaines substances favorisent la survenue de crises épileptiques : l’ifosfamide peut entraîner des crises épileptiques isolées mais parfois un état de mal convulsif dans le contexte d’une encéphalopathie toxique [71]. Le mesna, coadministré à l’ifosfamide ne paraît pas potentialiser la survenue des crises [72]. Cette toxicité aiguë n’est pas prévisible mais est favorisée par l’insuffisance rénale. La réintroduction de l’ifosfamide au cours de cures ultérieures ne s’accompagne pas obligatoirement de la récidive de l’encéphalopathie toxique. L’épisode d’encéphalopathie aiguë peut être traité avec succès par l’injection intraveineuse de bleu de méthylène [73] ; le cisplatine peut entraîner des convulsions au cours de traitement à hautes doses chez des patients sans antécédent de comitialité. Les crises sont favorisées par l’hyperhydratation associée au cytotoxique ou des troubles métaboliques concomitants (hypocalcémie, hypomagnésémie) ; l’interféron-␣. Des crises épileptiques surviennent chez 1 à 4 % des patients traités par interféron-␣. Elles sont attribuées à un œdème vasogénique qui diminue le seuil épileptogène et augmente l’hyperexcitabilité neuronale. Des épilepsies photosensibles avec des réponses photoparoxysmiques sur l’EEG ont été rapportées avec l’IFN-␣ 2a [74].
2.1.2. Les encéphalopathies progressives Les encéphalopathies progressives surviennent principalement après les injections intrathécales de MTX suivies d’irradiation encéphalique et les administrations intra-artérielles de sels de platine et de BCNU [75]. Elles surviennent plusieurs mois après le début du traitement et se manifestent par une détérioration progressive des fonctions supérieures évoluant
Fig. 2. IRM axiale (T2 FSE) : leucoencéphalopathie au méthotrexate après radiothérapie. Ces images sont irréversibles.
vers une démence de type sous-corticale. Elles sont le plus souvent sévères et irréversibles même si des formes asymptomatiques sont publiées [76]. Il existe une synergie délétère lorsque le traitement intraveineux est associé à des injections intrathécale de MTX ou de cytarabine, une corticothérapie au long cours et une radiothérapie comme dans le traitement des lymphomes cérébraux (Fig. 2). La toxicité est dépendante de la dose d’irradiation et de la dose cumulée de MTX ainsi que de sa voie d’administration. Des tableaux similaires sont décrits chez des patients traités par MTX sans irradiation [77]. La carence en folates induite chez des patients homozygotes pour la mutation MTHFR responsable d’une hyperhomocystéinémie majorerait la toxicité centrale du MTX (Fig. 3). Les déficits cognitifs isolés majeurs avec évolution vers une démence sous-corticale sont deux fois plus importants chez les patients ayant eu un traitement par MTX intraveineux à haute dose [78]. 2.1.3. Syndrome cérébelleux Un syndrome cérébelleux statique et cinétique est une complication principalement observée après l’administration des antipyrimidiniques, du 5-FU et de la cytarabine. Avec le 5-FU, il est d’apparition dose-dépendante, deux semaines à six mois après le traitement, et est régressif à l’arrêt du traitement. Il est peu fréquent avec les modalités d’administration en perfusion continue ou aux doses inférieures à 700 mg/m2 par semaine. À doses plus élevées, il évolue vers une atrophie importante (Fig. 4). Avec la cytarabine à haute dose, il est régressif en diminuant la dose de 3 à 2 g/m2 [79]. Dans la plupart des cas, la survenue d’un syndrome cérébelleux iatrogène contre-indique la
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Fig. 3. IRM axiale (T2 FSE) : leucopathie chez un patient traité par méthotrexate avec mutation MTHFR et hyperhomocystéinémie. Ces images sont irréversibles.
poursuite de l’utilisation de la molécule incriminée. Des ataxies isolées ont été rapportées avec la procarbazine, les nitroso-urées et la vincristine [80] (Tableau 3). 2.1.4. Mouvements anormaux Des épisodes de dystonies focales ou généralisées ont été rapportées avec le 5-FU, la doxorubicine et la cyclosporine [81]. Cette atteinte des noyaux gris de la base a été observée en dehors de toute autre complication neurotoxique et sans comédications imputables (lévamisole, fluoxétine, métoclopramide). Ces dystonies focales peuvent être associées à un syndrome parkinsonien [82]. Des syndromes extrapyramidaux transitoires ont été rapportés avec la cytarabine [83] et le 5-FU. Des chorées sont également rapportées avec la cyclosporine [84].
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Fig. 5. IRM de diffusion montrant à la phase aiguë de multiples AVC corticaux après une première perfusion de carboplatine.
2.1.5. Accidents vasculaires cérébraux S’il est décrit des épisodes pseudo-vasculaires, notamment avec le CDDP, de véritables AVC constitués ont été rapportés avec le cyclophosphamide intraveineux, le 5-FU en perfusion continue, le CDDP, la gemcitabine ou les injections intrathécales de MTX ou de cyclophosphamide [85,86]. Le carboplatine et la mitomycine C peuvent entraîner, par des phénomènes d’hypersensibilité individuelle ou de microangiopathie thrombotique, de multiples infarctus corticaux (Fig. 5). Les AVC surviennent plus volontiers chez les patients ayant des métastases cérébrales, dès le premier cycle de chimiothérapie [87]. Des thrombophlébites cérébrales et des hémorragies méningées ont été rapportées après des perfusions de L-asparaginase [88] et de bévacizumab [89].
Fig. 4. IRM axiale (T2 FLAIR) : atrophie cérébelleuse définitive après traitement par 5-fluoro-uracile.
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Tableau 3 Neurotoxicité des molécules utilisées en oncologie.
2.2. Après administration par voie intrathécale
Agents
Substance
Nerf
SNC
muscle
Alcaloïdes
Vinblastine Vincristine Vinorelbine Navelbine Gemcitabine
+ ++ + + +
− + − + +
− + + + ++
Podophyllotoxines
Téniposide Étoposide
+ +
+ +
− −
Taxanes
Paclitaxel Docétaxel
++ +
+ +
+ +
Épothilodes
Ixabépalone
+
−
+
Antibiotiques
Bléomycine Actinomycine D Adriamycine Daunomycine Mithramycine Mitomycine C
− − − − − −
+ − − − − +
− − − − − −
Antimétabolites
Méthotrexate 5-fluoro-uracile 6-mercaptopurine 6-thioguanine Cytarabine 5-azacytidine Hydroxyurée Fludarabine
− + − − + + − −
++ ++ − − + + + +
− + − − + + − −
Alkylants
Cyclophosphamide Ifosfamide Melphalan Busulfan CCNU/BCNU Thiotépa Cisplatine Chlorambucil Carboplatine Oxaliplatine Procarbazine Dacarbazine
− + − − − − ++ + + + + +
+ + − + + + ++ + + − + +
+ − − + − − + − − − + −
Biothérapie
Étanercept Interféron alpha Interleukines 1 et 2 TNF Suramine
+ + + + +
+ + + + +
− + + + −
Monoclonaux
Gemtuzumab Rituximab Trastuzumab Ibritumomab Ibritumomab Bévacizumab
− − − − − −
+ + + + + +
− − − − − −
Hormonaux
Corticoides Tamoxifène Zarnestra Astronazole/létronazole Goserelin Torémifen
+ − + − − −
+ + + + + +
+ − − − − −
Facteurs de croissance
G-CSF Érythropoïétine Oprelvekin
− + +
+ + +
+ + −
Molécules ciblées
Imatinib Sunitinib Sorafenib Bortézomib
− − − ++
+ + + +
− − − −
Afin d’augmenter les concentrations locales en cytotoxique sans augmenter la toxicité systémique, trois molécules sont actuellement utilisées pour les chimiothérapies intrathécales : le MTX, la cytarabine et le thiotépa. Ces substances sont injectées par ponction lombaire ou dans un ventricule latéral par un réservoir d’Ommaya dont la chambre est située sous le scalp. L’efficacité du produit est identique quelle que soit la voie utilisée. 2.2.1. Les méningites aseptiques Elles associent des douleurs rachidiennes, des céphalées et de la fièvre. Elles dépendent de la dose, de l’âge du malade, du produit utilisé, du volume administré et des traitements antérieurs effectués. Les symptômes surviennent en général deux à trois heures après l’injection intrathécale et ne contre-indiquent pas la réalisation d’autres traitements par voie générale. Le liquide céphalorachidien est stérile et présente une hypercytose polymorphe sans hyperprotéinorachie. La prévention des méningites aseptiques par de faibles doses de corticoïdes est discutée. Les symptômes régressent spontanément en 48 heures et ne récidivent pas obligatoirement lors des injections ultérieures. Elles surviennent chez environ 10 % des patients recevant des injections intrathécales de MTX ou de cytarabine et sont plus fréquentes après une injection lombaire que par réservoir d’Ommaya. La formation de kystes intracérébraux a été rapportée après injection intraventriculaire de MTX [90]. 2.2.2. Les myélopathies Elles sont très rarement rapportées après un traitement par voie générale. Des tableaux de myélopathies graves irréversibles ont été décrits après des perfusions intraveineuses de CDDP [91] ou après une association vinorelbine–paclitaxel [92]. En revanche, elles sont plus fréquentes après injection intrathécale de MTX ou de cytarabine [93]. Après l’injection intrathécale, dans un délai très court, surviennent des signes de myélite transverse qui peuvent récupérer complètement en 48 heures ou s’étendre, entraînant un déficit permanent. Leur pronostic est alors redoutable. Les facteurs favorisants sont la répétition, le rapprochement des injections et la présence d’une infiltration tumorale importante. Une encéphalomyélopathie ascendante, rapidement fatale, s’observe en cas d’injection de vincristine ou d’autres produits non compatibles (doxorubicine, mitoxantrone) ou d’injection massive intrathécale de MTX ou de cytarabine. 3. Conclusion Les complications neurologiques des chimiothérapies restent mal connues et insuffisamment prises en charge ; quelques mesures prophylactiques pour réduire le risque de neuropathies sont sous-utilisées. Plusieurs études évaluant l’intérêt d’agents neuroprotecteurs sont attendues dans les années à venir. Conflit d’intérêt Aucun.
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