Seminaire FMC
Conduite à tenir devant une fièvre chez un patient atteint de cancer bronchique J. Mazières
Introduction La fièvre est un symptôme fréquent survenant chez près de deux tiers des patients porteurs de cancers bronchiques que ce soit au moment du diagnostic ou lors de l’évolution et du traitement de la maladie. Dans la majorité des cas, la fièvre est d’origine infectieuse. En effet ces patients sont à haut risque de complications infectieuses pour trois raisons : • facteurs favorisants locaux : sténose, troubles de la clairance ciliaire, abrasion des muqueuses ; • facteurs favorisants généraux : immunodépression, déficit fonctionnel des phagocytes, dénutrition, tabagisme, bronchopathie chronique ; • traitements : points d’entrée cutanés, chirurgie, radiothérapie, neutropénie chimio-induite, corticothérapie. Les tableaux radiocliniques sont très variables allant de la simple colonisation à la bronchite, la pneumopathie, l’empyème voire la septicémie. Plus rarement la fièvre est paranéoplasique par sécrétion de cytokines (IL-1, IL-6). Ces fièvres tumorales se retrouvent le plus souvent lorsque la masse tumorale est importante et qu’il existe des métastases hépatiques.
Conduite à tenir devant une fièvre chez un patient porteur de cancer bronchique Affirmer la fièvre Service de pneumologie, Hôpital Larrey, CHU de Toulouse, France. Correspondance : J. Mazières Service de pneumologie, Hôpital Larrey, CHU de Toulouse.
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Rev Mal Respir 2009 ; 26 : 451-77 Doi : 10.1019/200720020
Chez le patient cancéreux, la fièvre est habituellement définie par une seule détermination supérieure à 38,3 °C ou deux déterminations supérieures ou égales à 38 °C sur une période de 12 heures.
Conduite à tenir devant une fièvre chez un patient atteint de cancer bronchique
Bilan étiologique L’élément clef, malheureusement souvent négligé, est un examen clinique complet et minutieux à la recherche de foyers infectieux. On insistera en particulier sur la nécessité de rechercher les portes d’entrée cutanées, des signes de thrombophlébite et d’examiner la cavité buccale. Le bilan biologique a pour but de rechercher un facteur favorisant (hémogramme), de faire la part entre fièvre infectieuse et néoplasique (CRP, procalcitonine, phospholipase A2… sont des marqueurs souvent employés mais contestés) et d’apprécier le retentissement systémique (gazométrie, fonctions rénale et hépatique). Le bilan infectiologique comprend une radiographie du thorax, un examen des urines (ECBU), des hémocultures sur voie centrale et périphérique, des prélèvements en cas de lésions cutanées infectées. Des examens plus spécifiques peuvent être proposés en fonction de l’orientation clinique (ponction lombaire, échographie cardiaque, endoscopie bronchique avec LBA, etc.).
L’antibiothérapie initiale de la neutropénie fébrile est une association bêta-lactamine + aminoside ou quinolone (en cas de contre-indication aux aminosides). Un glycopeptide peut être associé en cas d’arguments cliniques (infection de cathéter, infection cutanée) ou d’infection à bactéries à Gram positif d’emblée documentée. En cas d’aggravation clinique à 72e heure, la stratégie antibiotique doit être réévaluée. L’ajout d’un glycopeptide, d’un antifongique, l’élargissement du spectre aux germes nosocomiaux doivent être discutés en fonction du tableau clinique. Les facteurs de croissance de la lignée blanche ne sont pas recommandés en traitement curatif sauf si une neutropénie longue et profonde est attendue. Prise en charge d’une fièvre néoplasique
Le traitement de la fièvre néoplasique repose sur le traitement antitumoral et ne doit pas faire retarder sa mise en route. Les anti-inflammatoires stéroïdiens et non-stéroïdiens ont montré leur intérêt dans cette indication après bien sûr avoir éliminé formellement un processus infectieux actif.
Traitement Au-delà du traitement symptomatique (antipyrétique en cas de fièvre mal tolérée) le traitement est bien entendu étiologique. Les principales situations clinicobiologiques sont précisées. Prise en charge d’une fièvre présente au diagnostic
La présence d’une fièvre lors du diagnostic de cancer bronchique est fréquente et retarde souvent la prise en charge. La fièvre doit être documentée : prélèvements bactériologiques et mycologiques lors de l’endoscopie, ponction pleurale, hémocultures, etc.. Une antibiothérapie à large spectre adaptée au tableau clinique doit être mise en place. Néanmoins, du fait des facteurs favorisants liés à la tumeur, le traitement spécifique (chimiothérapie, chirurgie, radiothérapie) ne doit pas être trop retardé. Une prophylaxie primaire par facteur de croissance peut être proposée en cas de chimiothérapie afin de limiter le risque de neutropénie fébrile. Traitement d’une fièvre associée à une neutropénie courte
Les patients neutropéniques non fébriles doivent être surveillés à domicile. Par contre, en cas de corticothérapie prolongée, la prise en charge est identique à celle des neutropénies fébriles.
Surveillance et prophylaxie Les facteurs de croissance de la lignée blanche sont recommandés en prophylaxie secondaire après un épisode de neutropénie fébrile. Leur utilisation en prophylaxie primaire est limitée aux patients à haut risque infectieux, ayant déjà reçu de la chimiothérapie ou devant recevoir une chimiothérapie fortement aplasiante. Ces chimiothérapies sont assez rares en oncologie thoracique. On citera les traitements intensifiés du cancer à petites cellules. On notera que les nouvelles thérapies ciblées peuvent augmenter le risque de neutropénie fébrile (cetuximab, bevacizumab). L’antibioprophylaxie est défendue par certains auteurs. Elle permet de diminuer le risque d’infection intercurrente mais augmente aussi la pression de sélection sur certains germes avec le risque de développer des résistances. Son utilisation n’est donc pas recommandée.
Conclusion La fièvre est une complication fréquente des cancers bronchique et son origine est souvent multifactorielle. Sa prise en charge impose une grande rigueur dans le bilan initial. Le traitement répond à des recommandations mais des travaux prospectifs sont indispensables afin d’optimiser la prise en charge.
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QCM I. Quelles sont les affirmations exactes concernant le diagnostic étiologique d’une fièvre chez le patient porteur d’un cancer bronchique :
II. Quelles sont les affirmations exactes concernant le traitement d’une neutropénie fébrile chimio-induite chez un patient porteur d’un cancer bronchique :
1) Le dosage de la procalcitonine permet de distinguer une fièvre néoplasique d’une fièvre infectieuse 2) L’étiologie la plus fréquente de fièvre est une infection à bactérie GRAM positif 3) 5 ml de sang doivent être prélevés au minimum pour les hémocultures 4) En cas de sepsis sévère, deux à trois hémocultures doivent être prélevées avec un intervalle d’au moins une heure entre chaque prélèvement 5) La nutrition parentérale augmente le risque infectieux
1) Les facteurs de croissance de la lignée blanche permettent de limiter la durée de la neutropénie fébrile 2) Les aminosides peuvent être utilisés chez les patients traités par cisplatine 3) Une hémoculture positive sur le port-a-cath impose son ablation 4) L’antibiothérapie doit être arrêtée dès la sortie d’aplasie en l’absence de point d’appel infectieux et de germe isolé 5) L’antibioprophylaxie est recommandée chez les patients devant bénéficier d’une chimiothérapie fortement aplasiante
I. 2, 5 II. 2, 4
Réponses : Commentaires : 1) la valeur de la procalcitonine est contestée et son utilisation n’est pas recommandée 2) oui 3) 20 ml 4) un délai inférieur à 1 heure peut-être proposé 5) oui, doit être réservé aux patients chez qui la nutrition entérale est impossible
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Commentaires 1) Non. Pas d’indication en curatif en dehors des neutropénie prolongées (rares en oncologie thoracique) 2) Pas de contre-indication sous réserve d’une surveillance de la fonction rénale et des taux sériques d’aminosides 3) Non systématique en particulier en cas de staphylocoque à coagulase négative si la situation clinique est contrôlée 4) Oui, recommandation 5) Non. Pas de recommandations en dehors de cas particuliers