Contraintes éthiques et consentement éclairé en réanimation

Contraintes éthiques et consentement éclairé en réanimation

SEMINAIRE Thérapie 2004 Juil-Août; 59 (4): 435-444 0040-5957/04/0004-0435/$31.00/0 © 2004 Société Française de Pharmacologie Contraintes éthiques et...

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SEMINAIRE

Thérapie 2004 Juil-Août; 59 (4): 435-444 0040-5957/04/0004-0435/$31.00/0 © 2004 Société Française de Pharmacologie

Contraintes éthiques et consentement éclairé en réanimation Ethical Restrictions and Informed Consent in Intensive Care Didier Dreyfuss Réanimation Médicale, Hôpital Louis Mourier, Colombes, France

La réanimation, lieu de soins spécialisés, offre de nombreux paradoxes en matière de recherche. En effet, les patients qui y sont hospitalisés le sont, la plupart du temps, pour des pathologies graves ou potentiellement graves, menaçant souvent le pronostic fonctionnel si ce n’est vital. Il n’y a, dès lors, guère de doute sur la nécessité de recherche afin d’améliorer les résultats d’une discipline médicale née il y a moins de 50 ans et dont les progrès considérables lui doivent beaucoup. Cependant, la plupart des patients hospitalisés en réanimation, bien qu’ils ne soient pas incapables au plan juridique, ne sont de fait pas capables de prendre des décisions pour eux-mêmes soit du fait de la sévérité de leur maladie (état de choc, insuffisance respiratoire, infection sévère, etc.) soit, et bien souvent de façon concomitante, du fait de la sédation qui leur est administrée. Il est donc relativement rare que le patient lui-même consente ne serait-ce qu’aux soins, et encore moins à la recherche. Le fait qu’en droit « nul ne puisse consentir pour autrui » ne vient bien évidemment pas simplifier la recherche d’un tel consentement aux soins ou à la recherche auprès des proches. C’est néanmoins cette voie qui a été retenue dès que l’on a commencé à légiférer en France et ce, notamment avec la loi Huriet. La directive européenne récemment publiée va dans le même sens. Un autre paradoxe de la réanimation est que, compte tenu du caractère hautement probable de l’incapacité d’un patient à consentir aux soins ou à la recherche pendant son séjour, la désignation au préalable par lui d’une personne de confiance ainsi que l’autorise la loi « droits des patients » du 4 mars 2002 (article L. 1111-6 du code de la santé publique) serait bien évidemment hautement souhaitable. C’est d’ailleurs ce qu’indiquent les enquêtes réalisées soit auprès de patients entrant en réanimation et encore capables de décision[1] soit auprès d’un échantillon de la population interrogée au téléphone.[2] En fait, bien que la très vaste majorité des intéressés se déclare favorable à désigner une personne de confiance dans ces conditions, cette situation est exceptionnellement rencontrée dans les services de réanimation, ce

qui s’explique assez aisément par les conditions la plupart du temps imprévues sinon urgentes de l’admission. 1. Deux points de vue extrêmes Au nom de l’autonomie des patients, certains, qu’ils soient juristes[3] ou membres d’associations, rejettent l’idée d’un consentement par un proche qui n’aurait pas été désigné à l’avance (le site web d’une association américaine, l’Alliance for Human Research Protection,[4] qui combat cette possibilité mérite d’être consulté). A l’inverse, nombre de professionnels considèrent comme indispensable, pour que la recherche puisse se faire et le progrès médical s’ensuivre, d’organiser des procédures de consentement par la famille, par la personne de confiance, voire par toute personne physique ou morale, autorité ou organe prévus par le droit national. Ce sont les termes mêmes des considérants de la directive européenne adoptée en 2001 et qui doit être transposée dans le droit national des différents pays membres. Il est évident que si l’on veut à la fois éviter les tensions sociales et politiques excessives, tout en continuant à faire une recherche de qualité, il faudra dépasser cette contradiction. 2. Une évolution des législations marquée par l’influence de la recherche sur le médicament La loi Huriet a constitué un progrès extraordinaire dans la légalisation et l’organisation de la recherche en France. Il ne faut néanmoins pas oublier qu’elle avait été initialement pensée pour régir la recherche sur le médicament innovant. Son champ en avait été finalement élargi, même au détriment de la précision. C’est ainsi que la notion de recherche sans bénéfice individuel direct (BID) qui pouvait très bien se concevoir pour des études de phase I ou phase II de médicaments, s’appliquait également à une recherche cognitive qui consisterait à déterminer un paramètre, dans un but de recherche, sur les quelques millilitres de sang restant d’un échantillon prélevé lors d’un examen

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nécessaire aux soins du patient, après que cet examen ait été réalisé. De même, la directive européenne est motivée par les nécessités de l’harmonisation de la recherche sur le médicament. Même si elle exclut explicitement de son champ ce qui n’est pas du domaine du médicament et également aussi les essais non interventionnels sur le médicament, il semble probable que son champ d’application sera généralisé à la plupart sinon toute forme de recherche.

3. Les différents types de recherche effectués en réanimation La notion de recherche en réanimation est parfois très difficile à distinguer des soins, et c’est encore là une spécificité de cette activité médicale. Si, bien évidemment, une recherche sur l’innovation médicamenteuse y est menée, au moins autant que dans les autres disciplines, elle ne résume pas, loin s’en faut, l’intégralité du champ de recherche en réanimation. Les médicaments innovants produits par l’industrie pharmaceutique sont régulièrement testés dans certaines pathologies particulièrement graves, et notamment le choc septique. Mais de nombreux autres types de recherche y sont menés : comparaison de dispositifs validés ou de médicaments couramment utilisés (deux types d’antibiotiques ayant des spectres à peu près comparables, deux modalités de ventilation artificielle, toutes deux validées et utilisées indifféremment de façon routinière). Le consentement à ce type de recherche, habituellement considérée comme s’accompagnant d’un « BID », est la plupart du temps sollicité auprès de la famille du patient ou de la personne de confiance, ainsi que le prévoit la loi (article L1122-1) : « En cas de recherches biomédicales à mettre en oeuvre dans des situations d’urgence qui ne permettent pas de recueillir le consentement préalable de la personne qui y sera soumise, le protocole présenté à l’avis du comité instauré par l’article L. 1123-1 peut prévoir que le consentement de cette personne ne sera pas recherché et que seul sera sollicité celui des membres de sa famille s’ils sont présents, et à défaut, l’avis de la personne de confiance prévue à l’article L. 1111-6, dans les conditions prévues ci-dessus. L’intéressé est informé dès que possible et son consentement lui est demandé pour la poursuite éventuelle de cette recherche ». Cette disposition légale permettant de se dispenser du consentement du patient, au profit de celui des proches, est théoriquement réservée à la « situation d’urgence ». Néanmoins, elle a été largement utilisée pour permettre d’effectuer des recherches avec BID chez les patients de réanimation la plupart du temps incapables de consentir. Ce n’est pas là le moindre des paradoxes de la recherche en réanimation : faute de reconnaître l’incompétence du patient de réanimation (qui n’est pas un incapable au sens  2004 Société Française de Pharmacologie

juridique du terme, bien qu’il ne soit pas capable de consentir),[5] le législateur a laissé à l’appréciation des comités consultatifs de protection des personnes dans la recherche biomédicale (CCPPRB) la possibilité d’accorder cette clause de « l’urgence » à des situations qui n’en relèvent pas réellement. Cette confusion entre malade grave, inapte à consentir et situation d’urgence était la condition sine qua non pour qu’une recherche avec BID puisse être conduite chez des malades de réanimation. Autre paradoxe : selon la loi actuelle, l’avis de la famille prévaut sur celui de la personne de confiance (elle n’est consultée « qu’à défaut » de la présence de la famille), même si cette dernière a, de fait, été choisie explicitement par le patient pour « l’accompagner » et « l’aider » (article L1111-6). La recherche cognitive est également très développée en réanimation. Les progrès considérables dans le pronostic des patients sévères admis en réanimation viennent essentiellement de celle-ci : recherches physiologiques qui initialement étaient plutôt vulnérantes et le sont devenues de moins en moins au fil des ans. Néanmoins, stricto sensu il était, en l’absence de disposition légale claire, extrêmement difficile de justifier un examen fut-il le moins vulnérant (examen échographique, scanner, réservation d’une petite partie d’un échantillon biologique pour un dosage non nécessaire aux soins du patient, etc…) sans buter sur la suspicion que toute recherche cognitive a pu faire naître, et pas toujours à tort, dans l’imaginaire (le malade comme un cobaye). Cette préoccupation est présente encore dans la version actuelle de la loi Huriet qui stipule qu’une recherche sans BID ne peut pas s’effectuer sans le consentement du patient. Aucune dérogation n’est possible. Ainsi, réaliser un examen à visée cognitive et sans finalité thérapeutique immédiate sur le surplus de sang restant d’un échantillon prélevé pour un examen biologique nécessaire au patient, n’est théoriquement pas autorisé. Cette difficulté a sans doute conduit certains investigateurs à renoncer à certaines recherches voire, ce qui est plus grave, à les mener dans la clandestinité. Pour éviter cela, le comité d’éthique de la Société de Réanimation de Langue Française (composé de médecins et de non-médecins : infirmières, philosophes, juristes) a pris l’initiative d’examiner ce type de protocole de recherche à la demande des investigateurs, et d’indiquer s’il lui semblait ou non conforme à l’éthique. 4. L’état actuel et le devenir proche de la législation concernant la recherche en réanimation Trois textes fondamentaux sont en train de modifier l’aspect réglementaire de la recherche en réanimation : La révision de la loi Huriet va, semble-t-il, s’accompagner d’une suppression de la distinction entre recherche avec et sans Thérapie 2004 Juil-Août; 59 (4)

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BID, au bénéfice de l’évaluation du rapport bénéfice/risque. On y voit, outre la sagesse du législateur, également le résultat de l’intervention des professionnels de santé aussi bien que d’associations de malades.[5] Cette suppression permettra de faire rentrer dans le champ de la légalité des recherches aussi anodines que celles citées plus haut. De plus, la version révisée semble avoir intégré la préoccupation exprimée dans une plate-forme de propositions émanant de sociétés savantes et associations de malades[5] que soit prise en compte la situation particulière du malade de réanimation. En effet, le projet de révision de la Loi Huriet indique (article L1122-1) : « En cas de recherches biomédicales à mettre en œuvre sur des personnes hors d’état d’exprimer leur consentement qui ne sont pas sous tutelle, le consentement d’un membre de la famille ou de la personne de confiance doit être recueilli préalablement à la mise en œuvre de la recherche ». Cette disposition, si elle figure inchangée dans la nouvelle loi, permettra de s’affranchir de l’utilisation un peu hypocrite de la clause d’urgence, telle qu’on l’a exposée plus haut. Cette clause concernant la recherche biomédicale entreprise en situation d’urgence ne permettant pas de recueillir le consentement préalable de la personne chez qui la recherche est mise en oeuvre sera, semble-t-il, maintenue et trouvera alors un champ d’application plus judicieux. A noter que selon sa version initiale, elle continuait de donner priorité à l’avis de la famille sur celui de la personne de confiance. Le patient, une fois compétent, pourrait arguer qu’il ne s’entendait pas bien avec sa famille et que sa volonté n’a pas été respectée. Il semble néanmoins que le texte de loi adopté en première lecture par l’assemblée nationale tienne compte des implications de la loi « droits des patients » et mette sur le même plan la personne de confiance et la famille (voire accorde la prééminence à la première). L’autonomie ne semble pas chose aisée au pays du Code Napoléon. La modification de la loi bioéthique, jointe à la disparition de la distinction entre recherche avec et sans BID, permettra de résoudre un problème majeur rencontré dans les services de réanimation et déjà mentionné, à savoir l’utilisation à visée de recherche d’un prélèvement thérapeutique. En effet, l’article L1211-2 de cette proposition de loi stipule que : « L’utilisation d’éléments ou de produits du corps humain à une fin médicale ou scientifique autre que celle pour laquelle ils ont été prélevés ou collectés est possible, sauf opposition exprimée par la personne sur laquelle a été opéré ce prélèvement ou cette collecte, dûment informée au préalable de cette autre fin. Il est dérogé à l’obligation d’information lorsque celle-ci se heurte à l’impossibilité de retrouver la personne concernée ou en cas de décès de l’intéressé ou lorsqu’un des Comités Consultatifs de Protection des Personnes consultés par le responsable de la recherche n’estime pas l’information nécessaire ».  2004 Société Française de Pharmacologie

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La directive européenne est source de grande émotion, pour rester dans l’euphémisme, dans la communauté médicale et pas seulement celle des réanimateurs. En effet, nombreux sont les articles ou éditoriaux[6,7] qui s’inquiètent de l’impossibilité réelle ou supposée de continuer à pratiquer la recherche en cas d’urgence, après que cette directive aura été transposée dans les droits nationaux. Ainsi qu’on l’a dit plus haut, cette directive, bien que censée réglementer essentiellement la recherche sur l’innovation médicamenteuse, verra probablement son champ d’application élargi lors de sa transposition dans le droit national. Elle pose par ailleurs des problèmes plus préoccupants. Ainsi, elle admet le consentement d’un représentant légal lorsque les personnes sont incapables de donner le leur (considérants IV et V), ce représentant étant non seulement une personne physique ou morale mais également une autorité ou un organe prévu par le droit national. A l’inverse, elle dénie toute possibilité de faire une recherche sans ce consentement. Donc, par définition, il ne serait plus possible de pratiquer de recherche sur un médicament innovant dans une situation d’urgence extrême (arrêt cardio-circulatoire, choc septique ou syndromes de défaillance respiratoire aiguë fulminants). On verra plus bas que la réalité est plus complexe.

5. Les modalités de la recherche en réanimation

5.1 Cas d’une recherche qui n’entrerait pas dans le cadre de la loi Huriet

Certaines comparaisons de médicaments, de protocoles, de dispositifs tous étant parfaitement validés dans leur indication, ou les recherches menées sur un échantillon biologique restant disponible après son utilisation diagnostique, font assez souvent l’objet, non d’un passage devant les Comités de Protection prévus par la loi Huriet (qui un certain nombre de fois, lorsqu’ils sont consultés, considèrent qu’il ne s’agit pas de leur domaine de compétence) mais devant le Comité d’éthique de la Société de Réanimation de Langue Française. Il y a tout lieu de penser que la directive européenne ne s’applique pas non plus à ce type de recherche et qu’elle pourra continuer de se faire comme par le passé, après avoir obtenu l’aval d’un Comité d’Ethique. Si tel n’était pas le cas, les Comités de Protection des Personnes (qui vont remplacer les CCPPRB aux termes de la révision de la loi Huriet) risqueraient d’être très rapidement débordés, et des lenteurs administratives incontournables rendraient difficile la réalisation d’études anodines. Enfin, il serait impossible à ces comités d’exercer le rôle de surveillance et de régulation qui leur sera dorénavant dévolu. Thérapie 2004 Juil-Août; 59 (4)

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5.2 Recherche menée dans le cadre de la loi Huriet modifiée 5.2.1 En l’absence de situation d’urgence

La modification de la loi, on l’a vu, permettra de réaliser en toute transparence des études qui jusque-là n’étaient théoriquement pas autorisées du fait de l’absence de BID. Il conviendra pour cela que le risque encouru par le patient soit minime, c’est-à-dire non différent du risque encouru au cours du traitement usuel, et le bénéfice escompté suffisant. La nécessité d’un consentement à la recherche jointe à l’impossibilité ou la difficulté la plupart du temps à obtenir ce consentement de la part du patient lui-même, rendent indispensable le consentement par un tiers, aux termes de la loi. Ainsi qu’on l’a vu, il s’agira de la famille ou de la personne de confiance prévue à l’article L.1111-6 (loi « droits des patients »). De même (vide supra), la modification de la loi bioéthique simplifiera considérablement la recherche sur les échantillons de sang restant disponibles après réalisation de l’examen prescrit dans le cadre des soins routiniers. Néanmoins, le consentement par un proche à la place du patient pose deux problèmes. Premièrement, rien ne prouve que l’opinion de ce proche soit identique à celle que le patient aurait. Des études semblent indiquer plutôt le contraire.[8] Deuxièmement, nombre de formulaires de consentement sont très difficiles à comprendre[9] et la famille, en détresse, risque fort de ne retenir que l’espoir d’un « nouveau traitement ».[8] Néanmoins, malgré ses imperfections, ce consentement par un proche semble une des rares possibilités socialement acceptable. 5.2.2 En cas de recherche menée en situation d’urgence

Comme on l’a vu, la directive européenne a soulevé l’inquiétude de nombre de médecins. Elle stipule en effet qu’aucune recherche ne peut être menée sans consentement. Il ne serait donc plus possible de faire de recherche dans les situations d’urgence où le malade ne pourrait consentir du fait de son état et où aucune des personnes ou instances prévues par la directive ne serait consultable à l’instant même. Avant de céder à la panique, il convient de rappeler que la directive européenne ne parle que du médicament, même si, ainsi qu’on l’a vu, son champ d’application sera vraisemblablement étendu, en France, à toute forme de recherche. Son projet de transposition, à travers le projet de révision de la loi Huriet, reprend, on l’a vu, l’esprit de la version initiale de cette loi quant à la recherche menée en urgence. Ainsi, le projet de transposition autorise la recherche sans consentement dans le cadre de l’urgence, quelle que soit la nature de cette recherche (c’est-à-dire également sur le médicament innovant). En ce sens, il statue hors du cadre de la directive européenne qui, on l’a dit, est censée ne s’appliquer qu’à la recherche sur le  2004 Société Française de Pharmacologie

médicament innovant. La loi européenne s’imposant aux lois nationales, on peut imaginer qu’un patient chez qui une recherche sur un médicament innovant a été entreprise pendant qu’il ne pouvait consentir este en justice, une fois qu’il en serait capable, contre les médecins qui se seraient appuyés sur la loi française pour le faire, contre le promoteur (essentiellement l’industrie pharmaceutique dans ce cas précis), ainsi que contre le Comité de Protection des Personnes qui aurait approuvé le protocole. Cette dernière hypothèse est loin d’être une pure vue de l’esprit lorsqu’on regarde l’évolution du contentieux aux Etats-Unis où des comités d’éthique font de plus en plus souvent l’objet de plaintes de la part des patients ou d’associations les représentant.[10] Néanmoins, la possibilité d’une dérogation au consentement en urgence est parfois la condition sine qua non à la réalisation d’une recherche importante. Ainsi une étude sur l’hypothermie thérapeutique au cours des lésions cérébrales aiguës sévères,[11] menée aux Etats-Unis, n’a été possible qu’après qu’une telle dérogation ait été autorisée. De fait, la loi fédérale nord-américaine l’autorise à certaines conditions[8] : entre autres, que la vie de la personne soit menacée, que l’obtention de son consentement soit impossible, que la recherche puisse directement lui bénéficier, que les risques associés à la recherche soient raisonnables eu égard à la sévérité de l’état du patient, enfin que cette recherche ne puisse en pratique pas être menée sans cette dérogation au consentement. En France, cette dérogation est, on l’a vu, autorisée par la loi actuelle, ainsi que dans son projet de révision. Dans ce projet de révision, il est écrit que cette recherche ne peut être effectuée que si « l’importance du bénéfice escompté…est de nature à justifier le risque prévisible encouru » ou que « ces recherches se justifient au regard du bénéfice escompté pour d’autres personnes placées dans la même situation. Dans ce cas, les risques prévisibles et les contraintes….doivent présenter un caractère minimal ». Mais, si finalement c’était l’esprit de la directive européenne qui l’emportait, la dérogation ne serait plus possible. Le risque que cela constitue un frein au progrès médical serait réel, mais probablement moins fréquent que certains investigateurs ne le clameront. En tout état de cause, un recours serait de faire une entorse au sacro-saint principe de l’étude randomisée, en étudiant deux périodes : l’une avec le traitement habituel, l’autre avec le nouveau traitement.[12] Fort heureusement pour ce qui concerne la recherche en réanimation, l’urgence totale y est l’exception, contrairement à la médecine d’urgence pré-hospitalière pratiquée par les SAMU notamment. C’est cette dernière qui risque d’être le plus souvent confrontée aux problèmes évoqués ci-dessus (nouveau médicament de l’arrêt cardiaque, de l’infarctus aigu du myocarde, de l’accident vasculaire cérébral grave, à utiliser lors d’un polyThérapie 2004 Juil-Août; 59 (4)

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traumatisme grave, etc…). En réanimation, ainsi que l’écrit John Luce, médecin au San Francisco General Hospital,[8] beaucoup de thérapies innovantes sur la ventilation, le sepsis et les drogues vaso-actives permettent d’offrir une fenêtre thérapeutique suffisamment longue pendant laquelle on puisse obtenir un consentement. L’obtention d’une dispense de consentement par un comité d’éthique ne lui paraît pas souhaitable dans ces conditions. Se servir de la disposition « d’urgence » de la loi Huriet dans ce cas, comme le suggèrent certains[13] soulèverait, outre des problèmes éthiques,[8,14] le problème juridique que l’on vient d’exposer. 6. Changer la loi ou changer le monde ? Il n’y a, en cela, rien de nouveau sous le soleil. On pouvait déjà lire en 1966, sous la plume de Henry K. Beecher (Professeur de recherche en anesthésie, au Massachusetts General Hospital), sa peur que « des grosses sommes d’argent disponibles pour la recherche soient plus importantes que la disponibilité d’investigateurs responsables », que « tout jeune homme sait qu’il ne sera jamais promu à un poste de Professeur dans une Université prestigieuse à moins qu’il n’ait prouvé qu’il était un investigateur » et que « il y a la croyance dans certains cercles sophistiqués que l’attention à ces problèmes (consentement informé) bloquera le progrès ».[15] Le problème est resté inchangé depuis. Un contraste saisissant existe entre l’attitude très critique de nombre de médecins vis-à-vis de la loi et leur docilité vis-à-vis des méthodologistes. Beaucoup critiquent, de façon certes très pertinente, les inconvénients des lois gouvernant le consentement au cours de la recherche et proposent des solutions qui permettraient d’autoriser la recherche sans consentement. Il est en revanche très étonnant de voir qu’ils n’exercent pas le même esprit critique par rapport au type de recherche qu’ils veulent conduire. Aucune interrogation ne semble se faire jour sur le dogme qui régit l’étude clinique et notamment en réanimation, à savoir celui de l’étude randomisée contrôlée. Les tenants de la soi-disant médecine fondée sur les preuves ont exercé un tel pouvoir sur les esprits, qu’on ne peut imaginer de progrès médical même en réanimation sans la sanctification d’une étude randomisée contrôlée. Dans ces conditions là, on se heurte nécessairement au problème du consentement. La suite de cet article traite spécifiquement de ce problème. 6.1 Une surestimation systématique de l’importance de l’étude randomisée contrôlée ?

Le médecin a l’obligation morale et légale à la fois d’informer, donc de solliciter le consentement, et de protéger le malade. Idéalement, les deux obligations vont de paire. Néanmoins, on  2004 Société Française de Pharmacologie

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peut montrer que dans certaines circonstances, relativement fréquentes en réanimation, une contradiction peut se faire jour entre ces deux impératifs. Faut-il dans ce cas « ne pas tout dire » ? Faut-il à l’inverse résoudre cette contradiction par une contractualisation de la relation médecin-malade donnant l’apparence de l’objectivité, même dans des circonstances pénibles voire dramatiques ? Le risque existe alors que ce « consentement » soit privilégié aux dépens de la protection du malade, le médecin faisant, lui, l’économie de la réflexion sur les conséquences de l’information. Le problème du consentement à la recherche se pose de façon cruciale pour les études randomisées, et en particulier celles menées dans le cadre de la loi Huriet. S’il n’y a pas de doute que l’avènement de la médecine moderne doit énormément à la pratique d’études randomisées contrôlées, on peut se poser la question de savoir s’il s’agit d’un achèvement ou si, au contraire, ce n’est qu’une étape. En effet, considérer que tout progrès est passé et passera encore, exclusivement ou presque, par la réalisation d’études randomisées contrôlées relève probablement d’une double erreur :[16] 1. Une sous-estimation de ce que les progrès de la médecine en général et de la réanimation en particulier, doivent à une approche physiologique déduite de la pratique des soins courants aux malades. 2. Une surestimation de la part des études randomisées contrôlées dans l’amélioration des soins et du pronostic des patients de réanimation. La position défendue dans ce texte est, qu’en l’état actuel, il est impossible de demander systématiquement le consentement, ce qui pose effectivement un problème formel. Il convient de faire évoluer l’état actuel vers le développement d’une recherche moins dissociée des soins et où le rôle des instances légales de régulation serait plus important que celui des conflits d’intérêt précités.

6.2 La nature de l’information du patient de réanimation quant aux soins et à la recherche

Le Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE) dans un avis du 12 juin 1998[17] a indiqué que : « L’intrication des actes de soins et des actes de recherche est devenue une caractéristique majeure de la médecine ‘scientifique’. Elle devrait être revendiquée avec fierté. Une bonne recherche ne suffit pas à faire des soins de qualité mais elle y contribue ». Néanmoins, il y est clairement souligné qu’il y a un risque de remplacement de la relation de confiance par une relation contractuelle et que des dangers non négligeables pour la qualité des soins résultent de la contractualisation médicale poussée à son extrême. Les risques Thérapie 2004 Juil-Août; 59 (4)

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aussi de soumission de la médecine aux pressions du marché, de la publicité, de déresponsabilisation des médecins qui ne se sentiraient soumis qu’aux obligations formelles de la loi sont également relevés. Ce que souligne le CCNE est que l’éthique médicale répond à des valeurs qu’une contractualisation ne permet pas d’intégrer totalement. Il est intéressant de noter que dans le même avis, le CCNE indique que « dans des cas limites où la communication s’avoue impuissante et où la souffrance s’aiguise au-delà du supportable, il se peut que la décision (médicale) ne puisse pas être partagée ».

6.2.1 Des limites à l’exhaustivité de l’information ?

Au cours d’un essai de ventilation liquide partielle par perfluorocarbone au cours du syndrome de détresse respiratoire aiguë, il était expliqué dans le formulaire d’information que la mortalité due à cette affection était de 50–60 %, qu’une complication fréquente en était la survenue d’un pneumothorax, enfin qu’une complication possible en était l’arrêt cardiaque, possible à tout moment. Ces clauses avaient été imposées par le promoteur de l’étude, en accord avec ce que requiert la législation américaine en la matière. On peut légitimement s’interroger sur la pertinence de donner des chiffres bruts, voire brutaux, à des familles de patients. Usuellement, dans ce cas là, le médecin en charge du patient explique à la famille la gravité de l’affection dont est atteint le patient, sans pour autant donner des pourcentages qui peuvent à juste titre effrayer, et sans pour autant détailler chacune des complications qui peuvent malheureusement survenir au cours d’un traitement, ou même de l’évolution spontanée de la maladie. L’intérêt propre du patient ou de sa famille à recevoir cette information exhaustive alors que, s’il était assigné au groupe témoin il recevrait un traitement conventionnel, n’est pas évident. Que l’information puisse angoisser est la question que l’on peut se poser à la consultation du site web de l’ATS (American Thoracic Society) destiné à expliquer aux patients et aux familles les différentes procédures utilisées en réanimation et leurs risques.[18] Ainsi, on apprend que le risque du cathéter veineux central est d’entraîner un pneumothorax qui lui-même peut, de façon rare, entraîner la mort. Cette complication peut même survenir quand tout est fait correctement. On apprend aussi qu’un cathéter veineux central peut entraîner la formation de caillots qui peuvent induire une embolie pulmonaire qui peut poser des problèmes respiratoires et très rarement le décès. On y apprend également que la ventilation mécanique peut entraîner un pneumothorax qui sera traité par la pose d’un drain thoracique qui peut lui-même entraîner un saignement pulmonaire qui nécessite la chirurgie. La première conclusion que l’on souhaiterait donner après la lecture de ces informations, est qu’il serait peut-être bon d’afficher à  2004 Société Française de Pharmacologie

l’entrée des réanimations la devise de l’enfer de Dante : « Vous qui entrez ici, abandonnez tout espoir ». Plus sérieusement, on peut s’inquiéter d’une information apparemment totale, apparemment objective, qui semble plus de nature à dégager la responsabilité du médecin en cas de problème qu’à réellement prendre en compte la souffrance et l’anxiété légitimes des patients et de leurs familles. Pour mémoire, les remarquables études d’Azoulay et al. et Pochard et al., ont montré que la communication avec les membres de la famille de patients hospitalisés en réanimation est inadéquate dans la moitié des cas et que deux tiers des membres de la famille souffrent d’anxiété ou de dépression.[19,20] Il n’est pas évident que le type d’information présenté ci-dessus soit de nature à améliorer ces symptômes. 6.2.2 Plus de prudence dans la recherche chez les patients en état critique ?

Il y a maintenant un consensus sur le fait que la cascade des médiateurs de l’inflammation est imparfaitement connue, que les modèles animaux utilisant des rongeurs sont très éloignés de la réalité humaine et donc inappropriés à l’élaboration de protocoles thérapeutiques.[21] De fait, il faudrait, pour faire progresser la recherche expérimentale, utiliser des primates non humains ce qui générerait un coût prohibitif. Ceci explique peut-être que jusqu’à une date très récente[13,22] beaucoup d’études n’avaient pas montré d’amélioration du pronostic vital du choc septique et des états apparentés avec les nouveaux traitements, voire que la mortalité ait été supérieure avec les nouveaux traitements.[23-25] Une information de qualité ne devrait-elle pas indiquer aux patients ou à leurs proches qui vont signer les formulaires de consentement les incertitudes quant à la connaissance précise des mécanismes de la maladie que l’on souhaite traiter et les échecs et complications de certaines études thérapeutiques précédentes ? Si c’était le cas, il est probable que bon nombre de patients ou de familles déclineraient la proposition de participation. Or, la plupart de ces études sont initiées par des firmes pharmaceutiques anglosaxonnes et leurs enjeux financiers sont considérables. Les firmes en question n’ont apparemment pas jugé bon d’informer les patients sur l’état de la question, les instances nord-américaines de régulation non plus. L’autonomie s’arrêterait-elle là où débute le commerce ? 6.3 Des ébauches de solution ? 6.3.1 Adapter les modalités du consentement

Truog et al. ont remarquablement pointé les incohérences de la demande de consentement dans un certain nombre de situations, même si l’étude est randomisée contrôlée.[26] Sans vouloir reprendre en détail la prise de position qu’ils ont écrite dans le Thérapie 2004 Juil-Août; 59 (4)

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New England Journal of Medicine, on peut retenir la démonstration convaincante du caractère probablement absurde de la demande de consentement lorsqu’il s’agit d’appliquer à la moitié des patients ce qu’on appliquait auparavant à 100 % d’entre eux, ou lors de comparaisons de deux dispositifs ou techniques également utilisés et dont les risques sont là aussi parfaitement connus. Ce raisonnement conduit Truog et al. à proposer un certain nombre de cas où l’on pourrait imaginer que le consentement ne soit pas demandé aux patients : 1. Lorsque tous les traitements proposés dans l’étude seraient proposés indépendamment d’elle sans aucun consentement spécifique. 2. Lorsque les traitements en question ne comportent pas plus que des risques additionnels minimes par comparaison avec toutes les autres alternatives. 3. Lorsque l’on peut penser qu’aucune personne sensée ne pourrait avoir de préférence pour un traitement sur l’autre, quelle que soit la façon de comparer ces traitements. A l’inverse, les auteurs définissent explicitement les situations où une telle dérogation est inenvisageable : comparaison de deux classes thérapeutiques différentes (un β-bloquant et un inhibiteur de l’enzyme de conversion de l’angiotensine, au cours d’un essai sur l’hypertension artérielle), comparaison d’un traitement médical et chirurgical, analyse d’un nouveau traitement censé être plus efficace mais comportant plus de risques. A ces égards, Truog et al. rappelle le rôle fondamental des comités d’éthique et la nécessité qu’ils incluent des personnes non impliquées dans une activité de soins. Quelle que soit la pertinence et même le caractère remarquablement clair et lucide du point de vue de Truog et al.,[26] il pose néanmoins au moins trois types de problèmes, la plupart soulevés dans les nombreuses lettres en réponse que le New England Journal of Medicine a publiées à la suite de cet article. Premièrement, il part du constat que les patients ou leurs familles comprennent souvent assez mal les formulaires de consentement pour proposer de les supprimer plutôt que d’augmenter les efforts de communication. Deuxièmement, il définit à la place du patient (ou de ses proches) ce qu’il convient de lui dire. Cette attitude est aisément légitimable, au plan pratique, au vu de l’innocuité des protocoles proposés et de leur contrôle par un comité d’éthique. Néanmoins, au plan formel, elle peut être mal perçue par certains éléments de la société civile qui feront le reproche que l’on n’a pas dit au patient ce qu’il était (en partie), à savoir un sujet d’étude. Troisièmement, il ne définit pas (c’est du reste probablement impossible) ce que signifie « risques additionnels minimes ». Enfin, bien que cette dernière critique n’ait pas été formulée dans les lettres en question, le point de vue exprimé par Truog et al. ne s’éloigne pas du dogme régnant de l’« evidence-based medi 2004 Société Française de Pharmacologie

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cine » : la supériorité d’études randomisées contrôlées, pour lesquelles se pose naturellement le problème du consentement, sur toutes autres études. 6.3.2 Adapter la méthodologie

La question que l’on pourrait se poser serait non pas quels sont les cas où l’on peut faire des études randomisées sans consentement des patients, mais d’avoir à l’inverse le consentement des méthodologistes et des journaux scientifiques à faire des études non randomisées, ou tout au moins randomisées de façon non conventionnelle ? Il existe effectivement des réponses méthodologiques aux contraintes éthiques. Celles-ci ont été expliquées dans un remarquable article de Philippe Ravaud, publié dans les Journées d’Ethique Médicale Maurice Rapin.[27] Les solutions méthodologiques envisagées, qu’on ne détaillera pas ici, le lecteur pouvant se référer à cet article, étaient nombreuses. Trois semblaient éventuellement constituer des pistes intéressantes de réflexion pour les études menées en réanimation : ne pas faire d’études randomisées ; faire des études avec prérandomisation ; randomiser des collectivités de malades. • La première solution consiste à faire des études observationnelles avec une méthodologie adaptée (études de cohorte, études cas-témoins), qui ne nécessitent donc pas de consentement particulier autre que le consentement aux soins et éventuellement celui nécessaire à l’exploitation des données, et dont les résultats peuvent se comparer de façon tout à fait satisfaisante à ceux des essais randomisés.[28,29] • La deuxième possibilité a été proposée par Zelen en 1979.[30] Elle consiste à effectuer une prérandomisation du patient entre traitement conventionnel et traitement nouveau. Au cas où le patient est assigné au traitement conventionnel, son consentement est considéré comme superflu. A l’inverse, il est requis pour le patient assigné au nouveau traitement. En cas de refus de participation, ce patient est inclus dans le groupe conventionnel. Une telle solution présente le mérite de respecter, autant que se peut, l’autonomie des patients ou de leurs proches. Une possibilité alternative est de prérandomiser les patients puis de demander le consentement de participation quel que soit le résultat de cette prérandomisation : le patient pourra alors consentir à recevoir le traitement conventionnel ou nouveau, en fonction de sa prérandomisation. Le risque néanmoins est de favoriser, de la part du malade ou de ses proches, la surestimation des bénéfices potentiels du nouveau traitement. • La troisième possibilité consiste à randomiser des collectivités de malades (par exemple thérapeutique conventionnelle chez tous les malades d’une unité d’un service [ou Thérapie 2004 Juil-Août; 59 (4)

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de tout un service], nouvelle thérapeutique dans l’autre unité [ou service]). 7. Réconcilier pratique de soins et recherche Une autre approche serait de repenser le système afin de réduire la pression (financière et académique) de publication et le conformisme méthodologique et de redonner au consentement son vrai sens : le respect du patient et sa protection. Il va de soi que cette approche n’exclut pas la précédente, mais la complète. 7.1 L’« evidence-based medicine » contre l’éthique ?

La montée en puissance de ce qui a été désigné du nom un peu cuistre de « médecine fondée sur les preuves » favorise grandement les lourdeurs méthodologiques. L’intérêt des méthodologies lourdes ne fait guère de doute dès que l’on s’adresse à des populations très importantes (traitement des cancers, recherche vaccinale, etc…). Il ne faut par contre pas oublier que nombre d’études randomisées sont générées par les besoins de l’industrie pharmaceutique[31] qui est nécessairement très vigilante sur les critères « d’evidence » requis par la plupart des périodiques. Récemment, les éditeurs d’une dizaine de périodiques (dont le New England Journal of Medicine, Lancet, JAMA et Annals of Internal Medicine) ont écrit un éditorial commun[32] dans lequel ils expriment leurs craintes face aux risques de perte de l’objectivité scientifique sous l’effet des pressions économiques (publications biaisées pour prouver l’efficacité d’un traitement ; interdiction faite aux investigateurs par les firmes de publier des résultats qui leur seraient défavorables) et déclarent que « l’utilisation d’études cliniques pour raison essentielle de ‘marketing’ est une parodie d’investigation clinique ». Il n’est pas nécessairement souhaitable que la loi d’airain de l’industrie s’applique à toute recherche de qualité. De fait, la recherche en réanimation devrait pouvoir s’affranchir de nombre de ces lourdeurs méthodologiques, à condition que l’on se pose par contre le problème du désir obsessionnel de la connaissance objective, quelle que soit l’importance ou la futilité de l’enjeu. Deux exemples de cette accumulation obsessionnelle « d’evidence » sont fournis par les études sur la prévention des hémorragies digestives en réanimation et par celles sur la décontamination digestive sélective (DDS). Concernant les premières, elles ont donné lieu à des multitudes d’études randomisées et de méta-analyses, alors qu’il n’est pas certain que l’enjeu en soit suffisant (la fréquence est faible, la gravité rare, la mortalité attribuable quasi-nulle). La dernière méta-analyse en date[33] a conclu à l’inefficacité de tout type de prophylaxie médicamenteuse. Faudra-t-il continuer de générer des études nécessitant le consentement informé pour  2004 Société Française de Pharmacologie

pouvoir faire une nouvelle méta-analyse, alors qu’une étude de cohorte récente montre l’absence d’intérêt des thérapeutiques préventives ?[34] L’exemple de la DDS est caricaturalement symétrique : bien que toutes les méta-analyses concluent à son « efficacité »,[35] rares sont les cliniciens qui l’utilisent. Faudrat-il là aussi demander le consentement éclairé des centaines de patients nécessaires à l’obtention de la « vérité scientifique », qui ne conviendra à la majorité des cliniciens que lorsque l’ultime méta-analyse sera enfin négative ?

7.2 Réguler le système

Laisser le système en l’état conduira nécessairement à l’accroissement exponentiel des études cliniques. Le choix n’existera plus qu’entre abreuver les patients ou leurs familles de formulaires de consentement, ou bien contourner l’esprit ou la lettre non seulement de la loi, mais également de l’éthique médicale. Deux possibilités quant à la relation médecin-malade et à la nature de l’information délivrée résultent de l’intrication de tout ce qui précède : un conflit d’intérêt entre le patient d’une part et une longue chaîne de protagonistes (firmes, journaux, méthodologistes, investigateurs) d’autre part. Un tel conflit, probablement loin d’être rare et sans aucun doute catastrophique au plan éthique, risque d’amener à fausser l’information délivrée. A l’inverse, on pourrait espérer que dans tous les cas se fasse jour une conjonction d’intérêt entre le désir de mieux soigner et l’évolution de la recherche, entre l’intérêt personnel et social des acteurs de la recherche. Plusieurs pistes mériteraient d’être explorées : • Diminuer le nombre d’études nécessitant un consentement formel Cela passe d’une part par une diminution de la pression académique sur les équipes, d’autre part par la revalorisation des études cliniques ne nécessitant pas de consentement formel (études physiopathologiques se fondant sur des données recueillies pendant les soins ; études non randomisées : cohortes, cas-témoins, etc…). En d’autres termes, il s’agit d’intégrer encore plus la recherche au sein de l’activité courante de soins. Les relations entre ces deux aspects de la médecine ont toujours été complexes. Aux Etats-Unis le rapport Belmont, issu des travaux d’une commission formée à la demande du Président des EtatsUnis et publié en 1979, a marqué la fin d’un flou préjudiciable aux intérêts des patients en faisant une claire distinction entre soins et recherche. En France, on l’a vu, le CCNE semble pencher pour une réelle intrication des deux. Les avantages et inconvénients, en termes d’éthique, de chacune des deux positions ont été remarquablement exposés récemment dans deux articles du New England Journal of Medicine.[36,37] Sans prendre position, Thérapie 2004 Juil-Août; 59 (4)

Contraintes éthiques en réanimation

on pourrait juste faire remarquer qu’il sera nécessaire, au moins en réanimation, de rapprocher le plus possible les deux, si l’on veut pouvoir mener une recherche cohérente qui ne bute pas sans cesse sur les problèmes du consentement par un tiers et de la dérogation au consentement. Plus il sera aisé de conduire une recherche dans le cadre du consentement aux soins et plus les tensions éthiques s’amenuiseront, peut-être au grand dam de certains méthodologistes. • Renforcer la régulation C’est ce qui va être fait avec la révision de la loi Huriet qui donnera aux Comités de Protection des Personnes les moyens matériels et intellectuels de se comporter comme un vrai comité d’expertise et de suivi scientifique des essais faisant courir des risques additionnels aux patients, et pour lesquels le consentement est explicite. Néanmoins, si cette disposition ne s’accompagne pas d’une simplification des procédures, telle qu’elle a été notamment proposée dans la plate-forme coordonnée par François Lemaire,[5] le risque est grand de voir le fonctionnement de ces comités bloqué par la multitude des demandes d’avis. • Adapter la loi On l’a vu, la loi Huriet avait été initialement pensée pour le médicament, mais son champ d’application a été étendu d’emblée à toute forme de recherche. De même, bien que la directive européenne concerne exclusivement le médicament innovant, sa transposition sous forme de révision de la loi Huriet en étend le champ à toute forme de recherche. Il est évident que sa lourdeur ne conviendra pas plus que par le passé à de très nombreuses études dont celles de comparaisons de pratiques et de dispositifs. Néanmoins, son changement ne peut pas être la conséquence du seul désir des médecins, au risque qu’ils soient à juste titre accusés de demander un accommodement pour raison d’intérêt personnel. On ne saurait donc la modifier que sous l’effet d’une action conjointe des professionnels de santé et des associations de patients, afin de légitimer ce changement auprès de la société civile. Ce serait une démonstration de la conjonction d’intérêts entre médecins et patients. La proposition de modification de la loi Huriet formulée par plusieurs sociétés savantes et associations de malades, sous l’égide de François Lemaire[5] va dans ce sens (vide supra). Si les modifications proposées sont effectivement adoptées, la plupart des suggestions émises par Truog et al.[26] seront pertinentes. Par contre, la pratique, ne doit pas se substituer à la loi.

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au moins, tout devrait être fait pour que l’activité de recherche soit la moins distante possible de celle des soins. Néanmoins la loi ne peut tout régler. L’éthique individuelle de l’investigateur devrait être la première mesure de protection des patients. Références 1.

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8. Conclusion Ainsi que le suggère John Luce,[8] une surveillance plus forte de la recherche peut être aussi importante que le consentement informé pour protéger le bien-être des patients. En réanimation  2004 Société Française de Pharmacologie

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Correspondance et offprints : Didier Dreyfuss, Service de Réanimation Médicale, Hôpital Louis Mourier, et Faculté Xavier Bichat, 178 rue des Renouillers, 92701 Colombes, France. E-mail : [email protected]

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