Contrôle central de la masse osseuse : implications thérapeutiques potentielles

Contrôle central de la masse osseuse : implications thérapeutiques potentielles

Revue du Rhumatisme 72 (2005) 887–889 http://france.elsevier.com/direct/REVRHU/ Colloque de recherche Contrôle central de la masse osseuse : implica...

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Revue du Rhumatisme 72 (2005) 887–889 http://france.elsevier.com/direct/REVRHU/

Colloque de recherche

Contrôle central de la masse osseuse : implications thérapeutiques potentielles Central control of bone mass: potential therapeutic implications e Régis Levasseur a,b,*, Erick Legrand a,b, Daniel Chappard b, Maurice Audran a,b a

Service de rhumatologie et pôle ostéoarticulaire, CHU d’Angers, 4, rue Larrey, 49933 Angers cedex 09, France b Inserm EMI 0335, faculté de médecine, rue Haute-de-Reculée, 49045 Angers cedex 01, France Reçu le 17 août 2005 ; accepté le 7 septembre 2005 Disponible sur internet le 29 septembre 2005

Mots clés : Bêtabloquant ; Leptine ; Système nerveux sympathique ; Fracture ; Densité minérale osseuse ; Ostéoporose Keywords: Betablockers; Leptin; Sympathetic nervous system; Fracture; Bone mineral density; Osteoporosis

Le poids du corps est le paramètre clinique le mieux corrélé à la densité minérale osseuse (DMO) et l’obésité protège de l’ostéoporose alors qu’un amaigrissement significatif ou l’anorexie mentale engendrent une perte osseuse sévère ou un moindre gain en période de croissance. Les mécanismes physiopathologiques contrôlant cette étroite relation entre le poids, le tissu adipeux et le tissu osseux sont de mieux en mieux disséqués grâce aux modèles animaux, en particulier aux modèles murins génétiquement modifiés, ainsi que par l’étude des maladies humaines. La leptine, une protéine anorexigène produite majoritairement par le tissu adipeux, semble contrôler la masse osseuse de manière centrale via le système nerveux sympathique [1,2]. De même, le neuropeptide Y (NPY) est un neurotransmetteur orexigène de l’hypothalamus comportant au moins cinq récepteurs. La délétion du récepteurY2, en particulier au niveau hypothalamique, a également révélé un effet sur le tissu osseux sans modification humorale des différentes régulations endocrines corticotrope, thyréotrope, somatotrope ou gonadotrope, mettant en avant une médiation possible, autonome [3]. Différentes études chez la souris ont conduit au concept du contrôle central du remodelage osseux avec le système nerveux sympathique comme effecteur périphérique. En effet, des récepteurs b2-adrénergiques sont présents sur les ostéoblastes et les osté* Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (R. Levasseur). e Pour citer cet article, utiliser ce titre en anglais et sa référence dans le même volume de Joint Bone Spine. 1169-8330/$ - see front matter © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.rhum.2005.09.004

oclastes et la prise d’isoprotérénol, un agoniste des récepteurs b2-adrénergiques induit une perte osseuse alors que la prise de propranolol, un bêtabloquant prévient la perte osseuse induite par l’ovariectomie chez la souris [2]. Ainsi, en modulant le tonus sympathique, la leptine jouerait un rôle négatif sur la masse osseuse chez la souris. En fait, le système nerveux sympathique semble agir sur l’os par un mécanisme de découplage cellulaire. Des études chez l’homme devaient alors être menées afin de confirmer l’effet protecteur des bêtabloquants (BB) sur l’os. La première étude publiée montrant un effet positif des BB sur le tissu osseux est une étude cas témoin utilisant la base de données australienne de la Geelong Osteoporosis Study [4]. Chez 569 femmes fracturées, 59 d’entre elles, d’âge moyen 70 ans et ayant un index de masse corporelle (IMC) à 26,6, étaient traitées par BB au moment de la fracture. Sur les 775 femmes témoins, 112 avaient subi une fracture. Après ajustement pour l’âge, le poids, la taille, les médications associées (traitement hormonal substitutif (THS), thiazidiques, glucocorticoïdes, statines, dérivés nitrés et calcium–vitamine D) et le style de vie, la prise de BB diminue d’environ 30 % le risque fracturaire (toutes fractures confondues vertébrales et non vertébrales) (RR = 0,71 ; IC 95 % : 0,50–0,99) et exerce un effet positif de 2,5 % sur la DMO (p = 0,01) à la hanche totale et de 3,6 % (p = 0,02) au radius ultra distal. Contre toute attente, aucun effet n’était observé au rachis et au corps entier. L’interprétation de cette étude est cependant fortement limitée puisque le recueil des traitements et la sélection des sujets témoins ont été effectués après les événements

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fracturaires, qu’il n’y a pas eu de radiographies vertébrales dans la population témoin et qu’il n’y a pas de précision concernant le caractère cardiosélectif (CS) ou non (NCS) des BB. Une seconde étude cas témoin a utilisé la base de données anglaise GPRD (« UK General Practice Research Database ») comprenant 30 601 cas de fracture chez des patients âgés de 30 à 79 ans et 120 819 témoins ajustés pour l’âge et le sexe [5]. Les principales fractures rapportées concernent la main et l’avant-bras (42 %) ainsi que le pied (15,1 %). La prise de BB réduit de 23 % le risque fracturaire (RR = 77 %, IC 95 % : 0,72–0,83) après ajustement pour l’IMC, le tabagisme, et les traitements agissant sur le tissu osseux. Deux autres travaux utilisant pour l’un la cohorte de la Rotterdam Study [6] et pour l’autre la GPRD [7] retrouvent un effet protecteur des BB sur la DMO et le risque fracturaire. Dans la GPRD un effet cumulatif dose-réponse est même observé ; curieusement, les effets semblent identiques que les BB soient CS ou NCS. À ce jour toutefois, aucune étude prospective randomisée n’a démontré d’effet positif osseux des BB, tant en ce qui concerne les marqueurs du remodelage osseux, la DMO ou le risque fracturaire. Pourtant, dès 1984, des auteurs s’étaient intéressés aux effets du propranolol (160 à 640 mg/jour pendant trois mois) sur la perte osseuse et l’hyperremodelage chez 17 patients en hyperthyroïdie [8]. Le rationnel de cette étude était qu’à la fin des années 1970 certains auteurs pensaient que les effets osseux de l’hyperthyroïdie n’étaient pas dus aux hormones thyroïdiennes elles-mêmes mais à une augmentation secondaire des catécholamines [9]. Dans cette étude, malgré la prise de propranolol, le contenu minéral osseux (CMO) au radius distal continuait de décroître rapidement (–3,2 %, p < 0,01). Le taux de formation osseuse ainsi que le taux d’apposition minérale étaient diminués de manière significative (p < 0,01) ; les volumes osseux trabéculaires et corticaux étaient inchangés dans un contexte d’hyperremodelage et de perte osseuse corticale et trabéculaire initiaux. Ces auteurs observaient déjà l’absence d’effet protecteur ou curatif du propranolol sur l’os, contrairement au traitement antithyroïdien classique, et démontraient surtout, de manière très convaincante grâce aux données histomorphométriques, un effet freinateur sur la formation osseuse. La limite de cette étude était l’absence de données concernant les effets du propranolol sur l’os de témoins normaux ou ostéoporotiques, mais sans endocrinopathie. Il a fallu attendre plus de 20 ans pour que Reid et al. réalisent une étude randomisée comparant la prise journalière de 160 mg de propranolol vs placebo chez 41 patientes ménopausées depuis 13 ans en moyenne, ayant un statut osseux normal (T-score ≥ –1 en moyenne) [10]. La prise de ce BB NCS pendant trois mois entraîne une diminution significative de presque 20 % de l’ostéocalcine (dès la seconde semaine) mais est sans effet sur les phosphatases alcalines totales et le PINP (N-propeptide du procollagène de type I), la baisse de 5 % du CTX sérique dans le groupe propranolol étant non significative. L’albumine sérique est diminuée dans

le groupe propranolol de plus de 2 g/l pendant les deux premières semaines de traitement (p < 0,007) et la créatinine a tendance à augmenter dans ce même groupe (80 vs 72 µmol/l, p = 0,06). La déoxypyridinoline urinaire (DPD) diminue d’environ 10 % à six semaines, de manière significative mais non pertinente compte tenu de la diminution de filtration glomérulaire observée. La DMO au rachis et à la hanche totale reste inchangée à trois mois. Enfin, une tendance à la prise de poids non significative de 0,6 kg est observée dans le groupe propranolol, sans aucune donnée concernant l’évolution de la masse grasse ou de la masse maigre. Dans cette étude l’observance était excellente, puisque mesurée à 93 %. Des effets franchement négatifs des BB NCS sur l’os ont même été rapportés par Rejnmark et al. [11]. En utilisant les données de la cohorte DOPS (« Danish Osteoporosis Prevention Study ») comportant 2016 femmes en périménopause, d’âge moyen 50 ans, avec un suivi fracturaire de cinq ans ils observent que le risque fracturaire est multiplié par trois dans le groupe traité par BB NCS après ajustement pour les principaux facteurs confondants (l’analyse porte sur 163 fractures périphériques et vertébrales observées en cinq ans, les auteurs disposant de clichés rachidiens initiaux et à cinq ans). Ils notent en particulier que la prise de THS ne modifiait pas cet effet délétère sur l’os. L’analyse des femmes ayant pris des BB NCS depuis plus de huit ans révèle une multiplication par cinq du risque fracturaire. La DMO au rachis lombaire et au col fémoral n’est pas modifiée. Les auteurs attribuent l’augmentation du risque fracturaire sans modification de la DMO à un effet délétère des BB NCS sur la qualité osseuse. L’ostéocalcine est significativement diminuée dans le groupe traité (p < 0,001) mais aucun effet n’est observé sur les phosphatases alcalines osseuses ou l’hydroxyprolinurie. Ces différentes données négatives résultent d’études menées chez des patientes en périménopause ou en postménopause précoce. Cependant, chez des patientes plus âgées, deux études prospectives ont également confirmé l’absence d’effet des BB NCS sur la DMO et le risque fracturaire [12,13]. La première concerne 8412 femmes de la SOF (« Study of Osteoporotic Fractures »), âgées de 77 ans en moyenne, suivies sur sept ans, et dont 1099 étaient traitées par BB CS ou NCS [12]. Aucun effet n’est remarqué ni sur la DMO hanche totale (p = 0,99) ni sur le risque fracturaire (toutes fractures confondues, RR = 0,91, IC 95 % : 0,79–1,05) après ajustement pour le poids, l’âge, la prise d’estrogènes, de diurétiques thiazidiques, de glucocorticoïdes et la consommation de tabac. Il n’y a pas de différence significative concernant le nombre de chutes. Le fait de prendre des BB CS ou NCS n’influence pas non plus ces données. Dans la discussion de cet article, Reid et al. fournissent même des données sur l’analyse de neuf essais randomisés concernant la prise de carvédilol, un BB NCS, dans le traitement de l’infarctus du myocarde. Ils n’observent aucune modification du risque fracturaire (RR = 1,15, IC95 % : 0,81–1,64) entre les patients traités par carvédilol et les contrôles [12]. La seconde étude concerne 7598 femmes âgées en moyenne de plus de 80 ans suivies pendant 3,6 ± 1,2 an dans l’étude EPIDOS (« EPIDe-

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miology de l’Ostéoporose ») [13]. Deux cent quatre-vingttrois (3,9 %) femmes étaient traitées par BB NCS (principalement sotalol et propranolol) depuis pratiquement 14 ans en moyenne. Durant le suivi, 1311 (17,3 %) femmes ont subi une fracture non vertébrale. Après ajustement pour les principaux facteurs confondants, aucune association n’est notée ni entre la prise de BB NCS et la DMO lombaire, fémorale (col ou hanche totale) ou du corps entier, ni en ce qui concerne le risque fracturaire périphérique (RR = 1,2, IC 95 % : 0,9– 1,5). Si pour l’instant les BB n’apportent pas de solution thérapeutique nouvelle dans l’ostéoporose, en revanche l’utilisation de leptine humaine recombinante chez des femmes en aménorrhée d’origine hypothalamique (contexte d’augmentation de l’exercice physique ou de faible poids) montre une amélioration des marqueurs de l’axe gonadotrope (augmentation de LH et estradiol), de l’IGF-1, des hormones thyroïdiennes et un effet positif sur l’ostéocalcine et la phosphatase alcaline osseuse [14]. Chez l’homme, le jeûne sur 72 heures provoque une chute rapide du taux sérique de leptine, de testostérone, d’IGF-1 et engendre de nombreuses perturbations du système neuroendocrinien [15]. Il entraîne également une augmentation de l’adrénaline urinaire (un marqueur de l’activité de la médullaire surrénale) réversible sous administration systémique de leptine humaine recombinante mais ne modifie pas de manière significative la noradrénaline urinaire, marqueur principal de l’activité du système nerveux sympathique. Ainsi, il existe clairement des différences de mécanisme d’action de la leptine entre le modèle murin ob/ob et les résultats cliniques chez l’homme ; chez ce dernier plusieurs travaux suggèrent que la leptine à dose physiologique stimule la formation osseuse (cet aspect est développé dans l’article de Thomas et al. dans ce même numéro [16]) alors que la prise de BB NCS freine la formation osseuse. L’existence de récepteurs à la leptine sur les ostéoblastes, l’absence de phénotype osseux des souris déficientes en NPY, l’hyperremodelage osseux chez les souris déficientes en leptine (alors que le système nerveux sympathique semble induire un découplage cellulaire) sont autant de mystères pour lesquels cette saga est encore loin d’avoir livré tous ses secrets du fait de la grande complexité du système étudié. En conclusion, nous disposons, à l’heure actuelle, de forts arguments pour envisager une future utilisation de la leptine par voie systémique dans le traitement de certaines pathologies déminéralisantes et fragilisantes alors que les bêtabloquants ont plutôt démontré (dans la seule étude randomisée de courte durée dont nous disposons à l’heure actuelle) un effet freinateur sur la formation osseuse. D’autres études ran-

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domisées menées sur un temps plus long avec comme objectif primaire l’étude du risque fracturaire sont désormais indispensables. Références [1]

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