Copromanie et coprophagie chez les résidents atteints de maladie d’Alzheimer à un stade sévère : de l’agir au dire

Copromanie et coprophagie chez les résidents atteints de maladie d’Alzheimer à un stade sévère : de l’agir au dire

Modele + ARTICLE IN PRESS NPG-666; No. of Pages 9 NPG Neurologie - Psychiatrie - Gériatrie (2017) xxx, xxx—xxx Disponible en ligne sur ScienceDir...

595KB Sizes 908 Downloads 2748 Views

Modele +

ARTICLE IN PRESS

NPG-666; No. of Pages 9

NPG Neurologie - Psychiatrie - Gériatrie (2017) xxx, xxx—xxx

Disponible en ligne sur

ScienceDirect www.sciencedirect.com

DOSSIER : ALZHEIMER

Copromanie et coprophagie chez les résidents atteints de maladie d’Alzheimer à un stade sévère : de l’agir au dire Copromania and coprophagia among elderly residents with severe Alzheimer’s disease: From action to words P. Deboves a,∗, J.M. Talpin b, L. Gimenez c, K. Breton d, S. Dévesa e, F. Gainier e a

CRPPC, 5, avenue P.-Mendès-France, CP 11, 69676 Bron cedex, France Université Lumière-Lyon 2, CRPPC, 5, avenue P.-Mendès-France, CP 11, 69676 Bron cedex, France c Pasa de l’EHPAD Notre-Dame-de-la Paix, 83000 Toulon, France d Le Yachting, bâtiment C, 20, rue Pierre-Loti, 83500 La Seyne-sur-Mer, France e Etablissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) Aiguë-Marine, avenue Dei-Reganeu, 83150 Bandol, France b

MOTS CLÉS Copromanie ; Coprophagie ; Stade anal ; Involution ; Régression ; Maladie d’Alzheimer



Résumé La copromanie désigne la tendance à manipuler ses excréments et à en barbouiller murs et objets, tandis que la coprophagie correspond à un comportement qui consiste à ingérer ses excréments. Si la copromanie est banale chez l’enfant, elle est souvent associée à l’incontinence sphinctérienne dans le grand âge. La copromanie et la coprophagie seraient une conséquence des états démentiels, mais pas seulement puisque la coprophagie a aussi été décrite chez les patients souffrant de schizophrénie, de trouble obsessionnel compulsif et du syndrome de Klüver—Bucy qui est observé dans la maladie de Pick, dans la maladie d’Alzheimer, et dans l’adrénoleucodystrophie. À partir d’éléments cliniques, les auteurs proposent de travailler ces comportements à partir de l’hypothèse d’une involution (régression) des processus psychiques dans la maladie d’Alzheimer. © 2017 Elsevier Masson SAS. Tous droits r´ eserv´ es.

Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (P. Deboves).

http://dx.doi.org/10.1016/j.npg.2017.07.007 1627-4830/© 2017 Elsevier Masson SAS. Tous droits r´ eserv´ es.

Pour citer cet article : Deboves P, et al. Copromanie et coprophagie chez les résidents atteints de maladie d’Alzheimer à un stade sévère : de l’agir au dire. Neurol psychiatr gériatr (2017), http://dx.doi.org/10.1016/j.npg.2017.07.007

Modele + NPG-666; No. of Pages 9

ARTICLE IN PRESS

2

P. Deboves et al.

KEYWORDS Alzheimer’s disease; Copromania; Coprophagia; Anal stage; Involution; Regression

Summary Copromania is the tendency to manipulate and smear excrement on walls and objects, while coprophagia corresponds to behaviors that involve the ingesting of feces. Although copromania is commonplace in children, it is often associated with sphincter incontinence in the elderly. Copromania and coprophagia are thought to be a consequence of states of dementia, but this is not the only aspect: coprophagia has also been described in patients with schizophrenia, obsessive compulsive disorder and Kluver—Bucy syndrome observed in Pick’s disease, in the Alzheimer patients, and in adreno-leukodystrophy. Using clinical elements, the authors propose to work on these behaviors on the basis of the hypothesis of an involution (regression) of psychic processes in Alzheimer’s disease. © 2017 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

« J’ai pétri de la boue et j’en ai fait de l’or. » Baudelaire1 [1] La maladie d’Alzheimer représente 70 % des démences. Elle correspond à une atteinte neurodégénérative qui se caractérise par la perte progressive et insidieuse de plusieurs fonctions cognitives. Dans les stades avancés de la maladie, il est fréquent (pour ne pas dire systématique) que le sujet présente plusieurs « troubles de comportement », parmi lesquels se trouvent l’opposition, l’agitation, l’agressivité, les comportements moteurs aberrants (déambulation, agrippement. . .), la désinhibition, les cris, les idées délirantes, les hallucinations, ou encore les troubles du rythme veille/sommeil. Nous nous intéressons plus particulièrement dans le présent article aux comportements de désinhibition, que la HAS [2] définit comme des comportements inappropriés par rapport aux normes sociales ou familiales : il peut s’agir de remarques grossières, d’attitudes sexuelles incongrues, de comportements impudiques ou envahissants. La copromanie et la coprophagie sont deux comportements de désinhibition auxquels nous sommes amenés à faire face en EHPAD ; nous ne trouvons pourtant que très peu d’éléments de littérature concernant ces conduites dans le champ de la maladie d’Alzheimer. Nous proposons ici de les définir, les illustrer et de tenter d’en comprendre les enjeux chez le sujet souffrant de maladie d’Alzheimer. Notre hypothèse est que ces comportements, au même titre que les autres troubles du comportement survenant dans la maladie d’Alzheimer, constitueraient un authentique moyen de communication qui permettrait de pallier les altérations du discours dans un contexte d’involution (régression) des processus psychiques.

Cas cliniques M. L. est âgé de 94 ans. Quand il est entré en EHPAD en 2011 avec son épouse, il présentait des symptômes de la maladie d’Alzheimer ainsi que de la maladie de Parkinson qui rendaient le maintien à domicile difficile. Son traitement 1 J’ai pétri de la boue et j’en ai fait de l’or « devient » dans le projet d’Épilogue pour l’édition de 1861 des Fleurs du mal : « Tu m’as donné ta boue et j’en ai fait de l’or ».

se composait d’Alprazolam, de Cokenzen, de Dépamide, de Modopar, de Seroplex et de Lamictal. Son épouse est décédée et il ne le sait pas car ses enfants ne veulent pas le lui dire. Il était agriculteur, mais il tenait aussi un pressing ainsi qu’un restaurant. Très choqué depuis qu’il a été cambriolé quelques années plus tôt, il s’est complètement renfermé. Ce traumatisme a d’ailleurs encore des conséquences aujourd’hui puisque, fréquemment, il menace de tuer les soignantes lorsqu’elles rentrent dans sa chambre pour les soins de toilette. Un trouble du comportement en particulier apparaît dans le quotidien de M. L. : chaque matin, il étale ses selles partout (sur le lavabo, les portes, les murs. . .). Lorsque les soignants lui demandent ce qui s’est passé, il répond que ce n’est pas lui. M. L. semble ne pas avoir conscience de ce phénomène. Mme M. est âgée de 87 ans. Elle est entrée en EHPAD en 2010 dans le cadre d’une perte d’autonomie rendant le maintien à domicile impossible. Son traitement comporte Ebixa, Xanax et Athymil. Elle est née en Turquie, a immigré au Liban avec sa famille suite au génocide des arméniens alors qu’elle n’avait que cinq ans. Elle n’allait que très peu à l’école. Elle rencontra son mari au Liban, un militaire, qu’elle épousa ensuite et avec qui elle rejoint la France pour fonder une famille. De cette union naîtront leurs trois filles. Mme M. travaillait comme comptable à la Régie des transports de Marseille (RTM) puis fonda un cabinet d’assurances. Sa vie a notamment été marquée par l’abandon de ses deux filles à la DASS. Elle a eu une troisième fille qui ne s’en occupe pas du tout. Seule l’une des deux filles abandonnées s’occupe beaucoup de sa mère aujourd’hui. C’est au moment où son mari décède en 2010 que les choses vont basculer : ses troubles cognitifs grandissant, Mme M. est orientée en EHPAD. Parmi ses troubles du comportement, la copromanie et la coprophagie interviennent par périodes : Mme M. joue avec ses selles, elle les modèle, fait des petites boulettes (un peu comme si elle faisait de la cuisine), puis les mange, ou alors les garde avec elle et se balade. Il lui arrive parfois de jeter ses excréments par la fenêtre. Il est important de préciser que Mme M. a tendance à être constipée et à faire des fécalomes. Du Movicol vient d’être ajouté à son traitement, à raison de deux fois par jour. Grâce à cela, la coprophagie a disparu, restent les modelages réalisés avec ses selles.

Pour citer cet article : Deboves P, et al. Copromanie et coprophagie chez les résidents atteints de maladie d’Alzheimer à un stade sévère : de l’agir au dire. Neurol psychiatr gériatr (2017), http://dx.doi.org/10.1016/j.npg.2017.07.007

Modele + NPG-666; No. of Pages 9

ARTICLE IN PRESS

Copromanie et coprophagie chez les résidents atteints de maladie d’Alzheimer M. B. est âgé de 75 ans. Il présente une baisse d’autonomie importante (GIR 2), ainsi qu’une maladie d’Alzheimer (diagnostiquée très tôt) s’accompagnant de troubles du comportement tels qu’une déambulation et une agressivité physique. Il est en EHPAD depuis deux ans. Son traitement se compose de Cotareg, Inipomp, Modopar et Effexor. C’est un ancien gendarme. Il a divorcé de sa femme mais ils sont restés très proches. À son entrée, M. B. n’avait pas trop de pertes spatiotemporelles, il parvenait encore assez bien à s’orienter dans le temps et dans l’espace. Il était installé en unité ouverte. Progressivement, les altérations de la parole se sont multipliées, celles concernant l’écriture également. C’est à ce moment que M. B. a été orienté en PASA et a commencé à uriner dans tous les coins. Il a donc été transféré en secteur protégé, et en moins de 48 heures, il s’est mis à déféquer partout dans l’unité et à se mettre nu. Des séances en salle Snoezelen ainsi que des ateliers de relaxation ont été mis en place, mais les troubles du comportement n’ont pas diminué. La seule « solution » actuelle reste la grenouillère (contention), qui permet d’éviter son exhibition et l’étalage des selles. Les équipes se sont aussi aperc ¸ues récemment de l’augmentation de l’agressivité de M. B. après la visite de sa famille. Mme A. a 94 ans. Ses pathologies sont une ostéoporose (avec fracture), une maladie d’Alzheimer et un syndrome extrapyramidal avec trouble de la motricité. Son traitement se compose de Modapar, Irbesartan et Zopiclone. Il faut noter qu’il est arrivé à Mme A. de faire des fécalomes. C’est à cause d’une chute et du fait qu’elle vivait seule à domicile que Mme A. est entrée en EHPAD il y a un an. Elle est mère d’une fille handicapée, dont elle s’est occupée toute sa vie. Elle a perdu son mari très tôt. Elle était secrétaire médicale. Mme A. a énormément voyagé à travers toute la France. D’abord accueillie en unité ouverte, Mme A. parvenait à échanger et faisait part de son angoisse à être seule (elle en claquait des dents, allait souvent se réfugier dans le bureau des soignants. . .). Petit à petit, elle s’est mise à étaler ses selles partout dans sa chambre et dans sa salle de bain, et même à les manger ou à les offrir aux soignants. Elle s’apercevait que ce n’était pas un comportement adapté, et passait ensuite des heures à s’excuser d’agir ainsi, elle se sentait fautive « de faire des bêtises ». Progressivement, les altérations cognitives se multiplièrent, les troubles du comportement également (dépression, désinhibition accentuée : elle se baladait dans les couloirs nue, urinait en plein milieu. . .), et les chutes augmentaient. Elle fut alors orientée en unité sécurisée, et en quelques semaines, son comportement se stabilisa : elle ne présentait plus de comportement de désinhibition, le fait qu’elle soit au fauteuil avec une contention en était peut-être la raison. Elle restait cependant inquiète lorsqu’elle se retrouvait seule, et parlait beaucoup moins qu’à son arrivée.

Analyse Tout laisse à penser que dans le cas de M. L., le fait de barbouiller les murs de ses selles lui permet de marquer son territoire. Le traumatisme suite à son cambriolage

3

l’inciterait à délimiter, avec ses propres moyens, son espace de vie dans lequel personne ne doit entrer. Il y a sans doute aussi dans les modalités de ce marquage une dimension agressive, repoussante. Pour Mme M. qui sculpte ses selles, le premier lien qui vient à l’esprit serait d’associer les petites boules qu’elle fait avec ses enfants, soit qu’elle promène, qu’elle mange (fusion), ou qu’elle abandonne (en les jetant par la fenêtre), comme elle a eu à le faire lorsqu’elle a abandonné ses filles à la DASS. Pour M. B., le barbouillage des selles ressemble clairement à une vengeance, à une punition vis-à-vis du personnel soignant de l’avoir installé en secteur fermé. Enfin, pour Mme A., le fait qu’elle les offre parfois aux soignants laisse penser qu’elle fait don de quelque chose. Mais ces interprétations extrêmement rapides et difficiles à vérifier nous obligent, dans un premier temps, à faire une analyse de la littérature, afin de ne pas nous enfermer dans une seule logique — qu’elle soit neurologique, psychiatrique, ou encore psychanalytique. Ce regard pluridimensionnel devrait nous permettre d’apporter progressivement quelques éléments de réponse à notre problématique concernant les enjeux de la copromanie et de la coprophagie chez les sujets âgés atteints de maladie d’Alzheimer.

Copromanie et coprophagie : définitions La copromanie désigne « la tendance à manipuler ses excréments et à en barbouiller murs et objets », tandis que la coprophagie correspond à un comportement qui consiste à ingérer ses excréments [3]. Si la copromanie est banale chez l’enfant, elle est souvent associée à l’incontinence sphinctérienne dans le grand âge. Copromanie et coprophagie seraient une conséquence des états démentiels, mais pas seulement puisque la coprophagie a aussi été décrite chez les patients souffrant de schizophrénie [4—6], de trouble obsessionnel compulsif [7] et du syndrome de Klüver—Bucy2 [8,9] (observé dans la maladie de Pick [10], dans la maladie d’Alzheimer [11], et dans l’adrénoleucodystrophie [12]). Dans la cinquième version du manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-5), seule la coprophilie, qui ne sera pas traitée ici, est classifiée dans la section 302.89, soit la section « Autre trouble paraphilique spécifié » [13]. Par définition, la coprophilie (encore appelée scatophilie) correspond à une paraphilie impliquant un plaisir sexuel pour les excréments. 2 Il s’agit d’un trouble impliquant des dommages aux lobes temporaux sur les deux côtés du cerveau, ce qui provoque des changements de comportement (socialement inappropriés ou dangereux) chez le patient dont il n’a pas conscience. Des idées de persécution, de vol, et de la peur peuvent apparaître. Les patients peuvent également développer une agnosie, et ils ne reconnaissent pas les personnes et les objets qui sont normalement connus pour eux. Le syndrome de Klüver—Bucy est également associé à une hypersexualité, qui peut être accompagnée d’avances sexuelles inappropriées sur les gens que rencontrent les patients. Ces derniers peuvent également développer des comportements d’hyper-oralité : tout comme les enfants, ils se sentent obligés d’explorer les choses avec leur bouche, y compris ce qui n’est pas comestible et qui représente donc un risque potentiel.

Pour citer cet article : Deboves P, et al. Copromanie et coprophagie chez les résidents atteints de maladie d’Alzheimer à un stade sévère : de l’agir au dire. Neurol psychiatr gériatr (2017), http://dx.doi.org/10.1016/j.npg.2017.07.007

Modele + NPG-666; No. of Pages 9

ARTICLE IN PRESS

4

P. Deboves et al.

Revue de littérature — étiologie Les recherches portant sur la copromanie et/ou la coprophagie chez le sujet atteint de maladie d’Alzheimer ou de maladies apparentées restent peu nombreuses mais elles existent. En 1985, Ghaziuddin et McDonald [14] présentent une étude clinique de 14 patients coprophagiques âgés d’environ 71 ans. Parmi les 14 patients se trouvent neuf sujets déments, deux sujets alcooliques, deux sujets épileptiques, deux sujets dépressifs et un sujet souffrant de dépression et d’une atrophie cérébrale. Enfin, trois sujets n’ont pas de déficit cognitif précis. La totalité de ces 14 patients, toute pathologie confondue, présentent une concentration normale de thiamine. Les résultats indiquent que la coprophagie est souvent associée à d’autres troubles de l’alimentation comme la Pica3 [7,15] ou Cissa qui soulignent un attrait pour des aliments non comestibles autres que les matières fécales. Les patients présentant des troubles cognitifs à un stade avancé s’agrippent souvent, mâchent et mangent leurs selles avec un grand plaisir et une grande satisfaction [3]. Les causes psychologiques de la coprophagie dans cette population semblent être différentes de celles rapportées pour les enfants. En 1988, Fairburn et Hope [16] insistent sur la corrélation entre coprophagie et dysfonction cognitive/désinhibition comportementale. Les troubles cognitifs seraient un facteur important dans l’étiologie de la Pica et de la coprophagie, et ces deux troubles seraient équitablement communs aux sujets déments, mais la prévalence de la coprophagie et ses relations aux autres troubles du comportement alimentaire restent inconnues. En 1989, Begg et McDonald [17] rapportent l’observation, pendant trois mois, de 14 patients, tous incontinents urinaires et fécaux. La constipation est un facteur commun, poussant les patients à évacuer leurs selles avec les doigts. Une fois traités avec des laxatifs, le phénomène s’estompe peu à peu. Les auteurs concluent qu’il n’y a pas d’association à faire entre coprophagie et constipation dans cette étude. En 1999, Donnellan et Playfer [15] présentent un cas de coprophagie avec inflammation de la glande salivaire. Il s’agit d’une femme âgée de 94 ans, souffrant de démence (atrophie cérébrale sur le scanner), admise dans un service de gériatrie à la suite de confusions, chutes à répétition, fièvre, déshydratation, désorientation et incontinence (urinaire et fécale). Lors du quatrième jour de son hospitalisation, la patiente développe une masse submandibulaire

3

Le Pica n’est autre chose que la perversion de l’appétit, avec un désir plus ou moins grand de se nourrir des substances les plus grossières et les plus réfractaires à l’action de l’estomac. En même temps, il y a ou il n’y a pas dégoût pour les aliments ordinaires ; dans le premier cas, ce symptôme a rec ¸u le nom de pica, cissa, ou cita ; on l’appelle malacia dans le second. Cet état est fréquent chez les enfants de trois ou quatre ans, ou les filles avancées en âge, non menstruées. Le Pica disparaîtrait avec les causes qui l’ont occasionné ; il est ainsi nécessaire de se pencher sur l’étiologie pour diriger les moyens curatifs. Dans le Dictionnaire des dictionnaires de médecine franc¸ais et étrangers ou traité complet de médecine et de chirurgie pratiques, par une société de médecins, sous la direction du Dr Fabre. (1850) Paris : Germer-Baillière, Tome 1, p. 442—3.

à gauche, masse chaude et tendue. L’ORL diagnostique une infection de la glande salivaire, qui se soigne rapidement avec des antibiotiques. La patiente refusant de coopérer, il est impossible de faire plus d’examens. Un mois plus tard, la patiente développe cette fois une masse submandibulaire à droite. Après avoir constaté que la patiente avale ses matières fécales, l’ORL diagnostique une inflammation de la glande salivaire à l’origine de cette masse, et secondaire à une coprophagie. Les conséquences sont une inflammation de la langue, une ulcération de la muqueuse, et un saignement au contact. Les masses submandibulaires disparaissent rapidement grâce aux antibiotiques et aux soins oraux. En 2005, Beck et Frohberg [18] ont rapporté le cas d’un homme de 77 ans ayant un léger retard mental, adressé en psychiatrie à cause d’une coprophagie. Son évaluation psychiatrique a révélé un dysfonctionnement cognitif et une dépression. La coprophagie a été traitée à l’aide d’interventions comportementales, d’une psychothérapie de soutien, d’un régime alimentaire, d’antidépresseurs, de carbamazépine, d’halopéridol, et d’une thérapie par électrochocs. La multiplicité des traitements rend difficile l’évaluation de chacun d’eux dans les résultats obtenus. Les auteurs concluent cependant que les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (ISRS) peuvent être un des traitements les plus efficaces pour la coprophagie, en particulier dans le cadre d’une dépression ou d’anxiété. Plus récemment, un travail d’Ata et al. [19] porte sur la déambulation et le jeu avec les excréments des sujets déments. Ils se basent sur un questionnaire proposé à 246 patients, avec les items suivants : âge, sexe, conditions de vie, diagnostic, fonctions cognitives, et activités de la vie quotidiennes. D’autres caractéristiques cliniques sont évaluées grâce à une échelle de qualité de vie dans la démence. Sur les 246 patients, la déambulation s’observe fréquemment dans 23 % des cas, parfois dans 12 % des cas, rarement dans 14 % des cas et jamais dans 51 % des cas. La coprophilie a été observée fréquemment dans 2 % des cas, parfois dans 8 % des cas, rarement dans 15 % des cas, et jamais dans 75 % des cas. Les résultats de cette étude suggéraient que les sujets déambulant et les sujets scatophiles avaient des symptômes comportementaux intimement liés aux dysfonctionnements cognitifs et à l’insomnie. En 2012, une revue de la littérature de Sharma [20] met en avant la scatophilie et la coprophagie dans la démence chez les résidents âgés. Il a été constaté que les personnes vivant en EHPAD, dans une autre structure gériatrique ou à domicile avec aidants développent plus fréquemment la coprophagie [14]. Le début peut également être brutal chez les sujets présentant d’autres pathologies psychiatriques : il peut être associé à une désorientation, à la confusion, à l’agressivité physique ou à l’agitation occasionnelle [18]. Sharma constate également que les sujets présentant une coprophagie souffrent simultanément d’incontinence urinaire et fécale [14]. La coprophagie peut aussi être associée à l’étalage des selles [17]. La dernière étude que nous avons est celle de Josephs et al. [21] de 2016, traitant de la coprophagie dans les troubles neurologiques. Les chercheurs ont extrait de la base de données informatique de la Mayo Clinic les cas de

Pour citer cet article : Deboves P, et al. Copromanie et coprophagie chez les résidents atteints de maladie d’Alzheimer à un stade sévère : de l’agir au dire. Neurol psychiatr gériatr (2017), http://dx.doi.org/10.1016/j.npg.2017.07.007

Modele + NPG-666; No. of Pages 9

ARTICLE IN PRESS

Copromanie et coprophagie chez les résidents atteints de maladie d’Alzheimer coprophagie relatés dans les dossiers médicaux depuis vingt ans. Au total, 12 patients adultes présentant une coprophagie ont pu être recensés. L’âge médian du début de la coprophagie chez les 12 patients était de 55 ans (de 20 à 88 ans) et la moitié était des femmes. Des comportements associés étaient fréquents, à l’image de la scatophilie, de l’hypersexualité, de l’agressivité et de Pica. La coprophagie a finalement été associée à une démence neurodégénérative chez 6 patients, dont l’imagerie cérébrale a mis en évidence une atrophie du lobe temporal assez grave, ainsi qu’une atrophie légère du lobe frontal. Chez les autres patients, la coprophagie a été reliée à un retard de développement (2 patients), et pour les 4 patients restants, à des convulsions, à une psychose induite par les corticoïdes, à une tumeur du lobe frontal et à un trouble schizo-affectif. Les auteurs concluent à l’association de la coprophagie avec différents troubles neurologiques, notamment les démences neurodégénératives. Ils supposent l’atrophie du lobe temporal médian comme l’origine de ce comportement, comme cela est le cas dans le syndrome de Klüver—Bucy. De nombreuses thérapies comportementales et pharmacologiques ont été mises en œuvre, mais seul un neuroleptique antipsychotique a pu faire cesser ce comportement chez certains patients : il s’agit de l’halopéridol. Ces diverses études, de par leurs méthodologies et leurs populations relativement diverses, ne permettent de dégager que des grandes lignes : la copromanie et la coprophagie ne sont pas systématiquement associées pour un même sujet. Elles sont liées à un état cognitif très détérioré dans ses différentes composantes et peuvent se cumuler avec des troubles du comportement (déambulation, agressivité) et du sommeil.

Conséquences Les complications de la coprophagie incluent une hygiène orale pauvre, des infections chroniques gingivales [22], une rétention des fèces [23] et des infections de la glande salivaire [15]. Sharma [20] évoque également le risque de parasites intestinaux [18], d’obstruction des voies respiratoires et d’un possible décès dû à une suffocation mortelle lors de fausses routes causées par l’inhalation de matières fécales [24,25]. De plus, la coprophagie provoque des réactions émotionnelles intenses de la part de toutes les personnes exposées à ce comportement, particulièrement les soignants dans les EHPAD [18]. Les pratiques de scatophilie et de coprophagie peuvent engendrer d’autres risques encore : hépatite A, abcès de la peau, infections urinaires [25]. . .

Traitements Il y a peu d’informations sur les traitements de la coprophagie. Les stratégies incluent des thérapies comportementales, le traitement des troubles psychiatriques et des déficiences nutritionnelles. La carbamazépine a stoppé la coprophagie de certains patients dans le cadre d’un glioblastome frontotemporal gauche [26] et de syndromes de Klüver-Bucy [27,28], ce

5

qui laisserait place à l’hypothèse d’une lésion cérébrale à l’origine de la coprophagie. Les ISRS semblent eux efficaces pour traiter la coprophagie dans le cadre d’une dépression ou d’anxiété [18]. Le but principal de la prise en charge du symptôme est souvent dirigé sur le traitement des causes réversibles. Par exemple, chez des sujets scatophiles, incontinents urinaires et fécaux, souffrants de constipation, le retour à la normale de la fréquence des selles grâce aux laxatifs peut s’accompagner d’un arrêt du jeu avec les selles. Le traitement des pathologies psychiatriques coexistantes, le soulagement de la constipation et du prurit anal, ainsi que la garantie d’une bonne hygiène buccale se sont montrés aussi efficaces. Les interventions comportementales sont considérées comme étant la première étape de la prise en charge, particulièrement pour les sujets ayant des capacités cognitives limitées. Dans plusieurs études [15,29], les interventions recommandées visaient les changements comportementaux incluant : • un réapprentissage de la discrimination entre ce qui est comestible et ce qui ne l’est pas ; • l’élimination de tous les objets qui se mettent à la bouche ; • un renforcement sensoriel (travail sur le goût, l’odorat, le toucher) ; • la réinstauration de repères spatiaux en lien avec une cohérence environnementale.

La plupart des sujets souffrant de troubles cognitifs ne se sont pas vus prescrire de psychotropes. Cependant, il a été rapporté une amélioration chez les patients ayant pris des ISRS [20], des antidépresseurs tricycliques, des antipsychotiques tel l’halopéridol [21], un anti-Alzheimer (Donépézil) et des traitements pour les carences nutritionnelles (thiamine) [29]. Dans les travaux de la littérature, les approches somatique, médicamenteuse ou comportementale sont donc largement prépondérantes. Face à l’absence d’un traitement médical précisément défini qui saurait résoudre ces problématiques de coprophagie/copromanie chez tous les sujets présentant ces comportements, il apparaît qu’une investigation psychanalytique puisse nous apporter d’autres éléments, sur le plan de la compréhension mais aussi de l’intervention des soignants, l’approche psychanalytique qui pense les symptômes tout à la fois dans la logique de l’économie intrapsychique (en lien avec le somatique et le cognitif) et dans celle de l’adresse à l’autre — dans la mesure où tout symptôme a cette fonction d’appel à l’autre. Nous verrons que dans le cas des symptômes qui nous retiennent ici, la violence qu’ils génèrent chez les autres (patients, soignants, familles) font que la volonté de les éradiquer passe avant une tentative de compréhension de ce que les patients cherchent à manifester. Tout le travail du clinicien est bien pourtant de replacer ce symptôme dans son contexte, dans son environnement, à un moment précis, afin d’essayer d’en dégager les enjeux.

Pour citer cet article : Deboves P, et al. Copromanie et coprophagie chez les résidents atteints de maladie d’Alzheimer à un stade sévère : de l’agir au dire. Neurol psychiatr gériatr (2017), http://dx.doi.org/10.1016/j.npg.2017.07.007

Modele + NPG-666; No. of Pages 9

ARTICLE IN PRESS

6

P. Deboves et al.

Regard psychologique sur la coprophagie et la coprophilie Pour penser la coprophagie et la copromanie chez le sujet dément, nous allons chercher des repères dans le corpus psychanalytique, sachant que ces manifestations n’y étant pas traitées, il nous faut recourir à des propositions concernant d’autres catégories d’âges, ce qui nous conduira secondairement à penser articulations et transpositions. Dans ses Trois essais sur la théorie sexuelle, Freud [30] développe les stades de développement psychoaffectif humain : stade oral (jusqu’à 18 mois), stade anal (de 18 mois à 3 ans), stade phallique (correspondant à la situation œdipienne, de 3 à 7 ans), période de latence (dès 7—8 ans) et le stade génital (adolescence). Freud émet l’hypothèse que chacun de ces stades privilégie une zone corporelle particulière, qui constitue la principale zone de plaisir chez l’enfant. Ces différentes zones sont successivement investies par l’individu. Les différents stades se chevauchent. Chaque stade a pu être décrit de deux manières différentes : la première en fonction de la zone érogène particulièrement investie, et la seconde en fonction des relations d’objets qui découleraient de cet investissement. Si la chronologie précise des stades prête à une variabilité interindividuelle, la personnalité de l’adulte dépendrait invariablement, elle, de la qualité du passage par chaque stade durant l’enfance. Freud précisera qu’aucune personne ne résoudrait l’intégralité des problématiques incarnées par ces stades, ce qui générerait pour chacun des possibilités de « fixations » et de « régressions ». Chemama et Vandermersch [31] définissent la régression comme un « processus de l’organisation libidinale du sujet qui, confronté à des frustrations intolérables, ferait retour, pour s’en protéger, à des stades archaïques de sa vie libidinale et s’y fixerait en vue d’y retrouver une dimension fantasmatique. » La notion de régression s’est développée avec la pensée freudienne où elle apparaît dans différents champs cliniques. Elle peut être un mécanisme de défense en cas de conflit psychique intense, où le retour de la libido à un stade plus précoce va constituer une solution pour résoudre le conflit. Si un stade particulier a été marqué par d’intenses conflits, le stade précédent, qui apportait réconfort et sécurité, a certainement fait l’objet d’une fixation. Les fixations peuvent alors se retrouver dans la suite du développement, lorsque l’adulte face à une situation qui le dépasse, lors d’un excès de frustration, entre en régression vers un stade (préférentiellement, un stade auparavant fixé). Dans la coprophagie et la copromanie, sexualité orale et anale sont mobilisées. Le stade oral correspond à l’étape durant laquelle le nourrisson découvre sa bouche comme étant une zone érogène, c’est-à-dire, une source de plaisir et de satisfaction largement renforcée par l’acte de succion. Dès lors, la satisfaction de la faim n’est plus le seul facteur de plaisir. Au stade oral, l’activité sexuelle n’est pas séparée de l’ingestion des aliments. Le but sexuel est constitué par l’incorporation de l’objet. C’est la bouche qui durant cette période apporte le plus de satisfaction à l’enfant ne seraitce que parce qu’elle permet de satisfaire au premier besoin qui est la nutrition.

Selon Freud [30] toujours, le stade anal se caractérise par une focalisation de l’enfant sur la région rectale. Cette période se joue vers deux à trois ans en moyenne. L’enfant découvre le plaisir que lui procure le fait de retenir les matières fécales (rétention) ou de les expulser (défécation). C’est aussi, à cet âge, la période d’opposition. Dans le stade anal, la perte des excréments est assimilée, par le jeune enfant, à la perte d’une partie de son corps ; il peut en être angoissé. Vers deux ans, l’enfant commence à maîtriser ses sphincters, et l’anus devient, selon la théorie du stade anal, une zone érogène sous l’influence de l’exigence de propreté exprimée par les parents. L’anus, zone de passage entre l’intérieur du corps et le monde extérieur, est soumis à la volonté de l’enfant qui s’aperc ¸oit qu’il peut empêcher l’expulsion et en retire donc un plaisir de rétention découlant de l’application de sa volonté. Il prend progressivement conscience du soulagement lié au fait de laisser sortir : c’est la découverte du plaisir d’expulsion. Selon cette théorie, il est fréquent que l’enfant s’intéresse à ses selles et les manipule, les explore ou les exhibe (comme il le fait également avec ses jouets). Le boudin fécal, qui stimule la zone érogène est perc ¸u par l’enfant, selon cette théorie, comme une partie de son corps qu’il perd. Cette partie est valorisée et peut donc servir de monnaie d’échange. Aimer signifie à ce stade donner et garder, la possessivité est l’un des aspects dominants du stade anal. L’enfant peut satisfaire ses parents en laissant sortir à l’endroit et au moment où il le souhaite. Il peut également s’opposer en retenant, c’est le développement d’un sentiment de toute puissance chez l’enfant. C’est la mère qui imprimera la notion de saleté et le sentiment de dégoût, créant chez l’enfant l’assimilation de ses rejets à un plaisir défendu, à un interdit. L’enfant peut concevoir la rétention comme une opposition à la mère et l’expulsion comme une expression d’agressivité. C’est une transition vers un niveau affectif plus complexe durant lequel l’enfant passe de l’expérimentation du clivage (succession/alternance de sentiments opposés vis-à-vis d’un même objet) à celle de l’ambivalence (mélange de sentiments opposés ressentis simultanément de manière entremêlée). Selon la théorie freudienne, le stade anal est impliqué plus particulièrement dans la paranoïa, dans la névrose obsessionnelle et dans la mélancolie [32]. Cette période s’articule sur l’ambivalence des mécanismes de rétention et d’expulsion et sur les problématiques du dedans et du dehors, du respect des limites et de l’intrusion. Le plaisir de la défécation n’est pas l’unique gain retirable du contrôle des sphincters. L’enfant a également la possibilité de retenir ses selles. Cette maîtrise lui permet d’exercer un pouvoir sur son environnement. En disposant à son gré de ses matières fécales l’enfant dispose du monde. L’analité comporte donc deux versants : donner (expulser, faire sortir) ou conserver (retenir, garder). L’ambivalence procède également de l’objet sexuel qui est ici encore, d’une certaine manière, une partie du corps propre. Les fèces sont un produit de l’enfant, c’està-dire un objet interne, un objet Moi, qui par l’expulsion, devient un objet externe, un objet non Moi. Outre l’érotisation, il s’agit pour l’enfant d’une production, c’est-à-dire d’une création, en quelque sorte sa première création, quelque chose qui vient réellement de lui.

Pour citer cet article : Deboves P, et al. Copromanie et coprophagie chez les résidents atteints de maladie d’Alzheimer à un stade sévère : de l’agir au dire. Neurol psychiatr gériatr (2017), http://dx.doi.org/10.1016/j.npg.2017.07.007

Modele + NPG-666; No. of Pages 9

ARTICLE IN PRESS

Copromanie et coprophagie chez les résidents atteints de maladie d’Alzheimer Ce sentiment de produire peut expliquer l’investissement libidinal. La spécificité de cette période et son importance tant pour les parents que pour l’enfant expliquent que ce dernier s’attache à ses excréments. D’une part, comme nous l’avons montré, parce qu’il s’agit de sa création, d’autre part, parce que vis-à-vis des adultes, ils deviennent une monnaie d’échange, une récompense : un cadeau. Parce que ses excréments sont une partie de lui-même, la blessure alors éprouvée, si sa production est insuffisamment considérée, et tout de suite rejetée, peut être en partie narcissique. Dans le caractère anal, nous trouvons cette peur d’être dépossédé ou volé de son bien le plus précieux. Un autre aspect fondamental et structurant du stade anal réside dans sa corrélation avec le pouvoir naissant de l’enfant, sur lui-même mais aussi sur le monde. La souveraineté de l’enfant est associée à sa capacité — nouvelle — d’opposition. La rétention volontaire peut alors être interprétée comme le premier « non » de l’enfant. L’enfant ne nourrit aucun dégoût, aucune aversion ou répulsion. Bien au contraire, il prend plaisir à voir ses excréments, et à l’occasion ceux des autres. L’évolution libidinale voit, dans une maturation affective de la personnalité, les tendances sadiques se sublimer dans diverses activités ou structures caractérielles. Selon la théorie freudienne, la sublimation par exemple, permettrait de passer de l’envie de triturer ses excréments à un destin de peintre ou de sculpteur. Les selles ont donc une symbolique précise pour la psychanalyse, qui résonne entre nos éléments cliniques et les comportements et réactions observés chez les enfants lors des stades oral et anal (symbolique du jeu, du don, de l’emprise, de la maîtrise, de la punition). De surcroît, l’enfant découvre comment, par la magie du mot, ce qui est rejeté par le corps peut être repris par la parole [33] ; autrement dit, comment la tête récupère ce que le ventre perd [34]. Ainsi comprend-t-il progressivement qu’il est possible, sans coprophagie, par les mots seuls, de manger les selles : par une transposition pulsionnelle, la maîtrise des mots permet alors de transposer la bouche et l’anus dans une maîtrise du corps. La parole permet la rencontre mots/corps, elle devient l’agent essentiel de cette métaphorisation réciproque du corps par le langage, et du langage par le corps. Le transfert par la parole évite la décharge motrice et donc la coprophagie. Mais, parmi les ravages du processus démentiel, le mot se voit être l’un des premiers affectés. De l’impossible à dire (innommable) à l’impossible de dire (manque du mot), le sujet dément semble avoir recours, de manière primitive, à la médiation par les selles pour dire ce qu’il ne peut plus exprimer par les mots.

pathologiques, libère des modes de réaction selon une « involution fonctionnelle » [36,37]. Ainsi, les couches dernièrement acquises seront les premières à disparaître. Ce terme d’involution, classique dans la psychiatrie, renvoie initialement à une approche en appui sur le comportemental et le neurologique (Jackson, Ey), dans laquelle l’involution des structures cérébrales les plus tardives seraient les premières atteintes, ce qui leur ferait perdre leur pouvoir d’inhibition des structures plus archaïques. Ce qui nous intéresse particulièrement dans cette approche est l’idée d’un chemin inverse de l’évolution, en précisant bien que le schéma d’involution ne se reproduit pas exactement à l’identique puisqu’il existe des traces de processus plus élaborés. Et surtout, le terme d’involution connote bien moins négativement que le terme de « régression », qui d’un regard psychanalytique a toute sa place4 , mais qui est malheureusement associé « à un retour à l’enfance », « à une régression mentale » par l’entourage soignant ou familial. À l’état d’involution, comme nous le supposons dans la maladie d’Alzheimer, les processus secondaires, plus élaborés, en dernier construits, seraient donc les premiers touchés, notamment du fait de l’enjeu du principe de réalité, réalité de laquelle le sujet dément semble ne plus pouvoir se défaire. Les informations perceptives sont tellement nombreuses qu’elles ne peuvent plus s’inscrire dans le système, être métabolisées en des informations homogènes. La déliaison de l’affect et du représentant de la représentation semble s’accorder avec une déliaison de la représentation de mot et la représentation de chose qui pourtant, permet le langage parlé. Le mot, censé éviter la décharge motrice, n’assure plus sa fonction de relais. Il n’est, en effet, pas exclu que le sujet dément n’ait à faire qu’à l’excitation de la zone corporelle sans ne jamais pouvoir se représenter l’objet source de satisfaction. Andrès [38] relève à ce sujet que « le représentant comme excitation somatique ne recouvre aucune image ; il est en quelque sorte un appel du corps et il ne prend effet que s’il est articulé à une représentation d’objet », ce qui n’est plus le cas dans la démence. Gimenez [39] parle lui de « représentation de sensation » pour décrire un type d’inscription psychique où l’expérience sensori-affective est au premier plan, et où l’affect ne peut être associé à une représentation de mot. La métaphorisation du corps par le langage et du langage par le corps échoue, désorganisant jusqu’à l’intégrité du Moi : remise en cause des principes de plaisir et de réalité en raison du vécu dans l’ici et le maintenant, altération des capacités de jugement, effacement des limites (dedans/dehors, intérieur/extérieur, Moi/non

4

Copromanie et coprophagie, manifestations de l’originaire ? Dans un précédent article [35], nous proposions l’hypothèse d’une involution du système de représentation du sujet dément, sur le modèle de Jackson [36,37]. Selon ce modèle, le système nerveux est un « appareil » hautement organisé qui, à l’état normal, intègre des « modes de réactions » correspondant « à des étapes antérieures de son développement fonctionnel » et qui, sous certaines conditions

7

D’autres auteurs, comme Talpin, préfèrent celui de la régression ainsi compris : ce n’est pas le moi qui régresse (il ne commande pas le temps !) mais le moi qui est « rattrapé » par l’archaïque, le non-symbolisé, qu’il avait tenu à distance durant sa vie adulte. Ceci explique que le Moi soit tantôt envahi par l’archaïque, tantôt le tienne à distance voire, dans les meilleurs des cas, l’élabore partiellement. Ainsi des patients qui un temps manipulent leurs excréments puis abandonnent ce comportement. Que ce soit l’un ou l’autre terme, il nous permet de traduire l’idée d’une découverte progressive de l’archaïque, tenu à distance (régression) ou « recouvert » par des processus plus élaborés/par des stades de développement plus avancés (involution). C’est pourquoi ils seront utilisés de manière synonyme dans notre texte.

Pour citer cet article : Deboves P, et al. Copromanie et coprophagie chez les résidents atteints de maladie d’Alzheimer à un stade sévère : de l’agir au dire. Neurol psychiatr gériatr (2017), http://dx.doi.org/10.1016/j.npg.2017.07.007

Modele + NPG-666; No. of Pages 9

ARTICLE IN PRESS

8

P. Deboves et al.

Moi. . .). Il semble y avoir un retour à un corps pulsionnel où la décharge motrice devient seule libératrice, d’où une involution notable dans le développement psychoaffectif humain décrit par Freud, où l’oralité et l’analité redeviennent prépondérantes lors des comportements de coprophagie. À l’inverse de McDonald et al. [40] pour qui la désinhibition liée à la démence induirait des changements de personnalité non plus à entrevoir sous l’angle de composantes de rétention et d’expulsion, mais d’ingestion des matières fécales, afin de mieux en disposer, de s’en barbouiller ou d’être encoprétique, nous pensons que ce serait plutôt un échec de la sublimation5 , en lien avec l’altération des processus psychiques, qui contribuerait à se rapprocher de la fonction qu’avaient les selles chez l’enfant, dans une dimension auto-érotique et parfois agressive : chez M. L. et Mme M., création avec les selles ; chez M. B., punition à destination des soignants en faisant excessivement des selles et non pas en les retenant ; chez Mme A., dimension du don, du cadeau que représentent symboliquement les selles. L’investissement des selles remobiliserait les mécanismes d’emprise et de maîtrise, tous deux résultats de l’apprentissage de la propreté acquis par l’enfant. Le rapport du sujet dément à ses excréments serait désormais actualisé, et ce d’autant plus que des éléments des stades plus évolués (stade phallique et stade génital), qui ont été acquis et persistent partiellement, sont nettement amoindris par la perte identitaire et l’altération de la perception de son propre corps, consubstantielles à la maladie d’Alzheimer. L’ensemble de ces actes ne pouvant être repris par la parole du sujet dément lui-même, l’enjeu est bien de trouver un Autre, trésor des signifiants, qui saura leur apporter un sens. Réinstaurer du sens aux comportements en lien avec les selles est l’une des seules voies qui pourrait permettre de rétablir la communication entre soignant et résident. Pris comme plus ou moins porteurs de sens, de manière implicite ou explicite, le symptôme ne constituerait plus un accès de folie mais la manifestation d’une angoisse, la tentative d’un discours impossible à générer par la parole.

Conclusion La copromanie et la coprophagie sont des comportements souvent rejetés, sources d’humiliation pour le résident, et pris pour des accès de folie. Il paraît inconcevable pour soignants et familles d’accepter qu’un résident puisse mettre à mal sa dignité en se barbouillant de selles ou en barbouillant les murs. La violence que ces comportements génèrent (soignants, familles, résidents) nous amène à mettre tout en œuvre pour les faire disparaître. Ainsi, la grenouillère, prescrite sur ordonnance, reste l’un des moyens les plus utilisés, suivi par la prescription de neuroleptiques. Au-delà des précieux apports que la médecine transmet sur les cas de copromanie et de coprophagie, il a surtout été question pour nous de démontrer que ces comportements ont une fonction importante chez le sujet dément, devenu incapable de dire 5 Processus qui consiste en la transformation des pulsions sexuelles vers un but non sexuel par un retrait de la libido sur le moi.

et de se souvenir. En effet, inlassablement dans l’attente d’un Autre pouvant apaiser l’angoisse liée à un environnement envahissant et inquiétant, le sujet dément attire l’attention, le corps relayant la parole qui fait défaut suite à l’altération progressive des processus psychiques. Tantôt il se sert de sa voix pour crier, de ses mains pour agripper, de ses poings pour cogner, ou ici, de ses selles pour. . . Pourquoi ? À la question de savoir pourquoi le trouble du comportement tourne autour des selles plutôt qu’autre chose, la psychanalyse nous répond que les selles ont une valeur qui n’est pas des moindres chez l’enfant. Cette involution observable dans la maladie d’Alzheimer, concernant tant les processus psychiques que les stades du développement psychoaffectif, entraîne toutes sortes de confusion apparaissant entre ce qui vient de soi et ce qui vient du dehors ; ce qui s’y passe à un instant est ce qui constitue la vérité du sujet dément. Comme au temps de l’originaire dont parle Aulagnier [41], la frontière entre psyché et hors-psyché, entre Moi et non Moi, n’est plus établie. L’espace psychique du sujet dément et celui de ceux qui l’entourent ne feraient qu’un. Les selles mettent en jeu chacun de ces éléments, voilà certainement pourquoi elles apparaissent sur la scène lors du processus démentiel : elles impliquent le corps (l’anus étant la zone de passage entre l’intérieur du corps et le monde extérieur), elles permettent d’avoir une certaine emprise sur le monde, et surtout, elles appartiennent aux sujets, elles sont leurs créations. À la différence de l’enfant, ces éléments sont déjà apparus et réapparaissent désormais sous forme actualisée, avec la maladie. Enfin, il semblerait que ces conduites soient un authentique moyen de communication là où la parole échoue à transmettre un discours cohérent ponctué d’une lexicologie. Là où il ne peut plus dire le sujet peut agir, c’est sa manière de dire autrement ce que personne ne comprend. À l’Autre maintenant de réceptionner cette nouvelle modalité d’un discours de souffrance, à lui de travailler avec et pourquoi pas, de proposer au sujet dément des ateliers de création (peinture, modelage, etc.) lui permettant de dessiner un monde qui lui appartient. Il y a « matière » à faire. . .

Déclaration de liens d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.

Références [1] Baudelaire C. Les fleurs du mal. Paris: Poulet-Malassis De Broise; 1857. [2] Haute Autorité de santé. Maladie d’Alzheimer et maladies apparentées : prise en charge des troubles du comportement perturbateurs; 2009 https://www.has-sante.fr/portail/ upload/docs/application/pdf/-07/maladie dalzheimertroubles du comportement perturbateurs-recommandations. pdf. [3] Dictionnaire médical de l’Académie de médecine; 2016 http://dictionnaire.academie-medecine.fr/. [4] Arieti S. The ‘‘placing-into-mouth’’ and coprophagic habits. J Nerv Ment Dis 1944;99:959—64. [5] Lyketsos GC, Palerakis P, Beis A, et al. Eating disorders in schizophrenia. Br J Psychiat 1985;146(3):255—61.

Pour citer cet article : Deboves P, et al. Copromanie et coprophagie chez les résidents atteints de maladie d’Alzheimer à un stade sévère : de l’agir au dire. Neurol psychiatr gériatr (2017), http://dx.doi.org/10.1016/j.npg.2017.07.007

Modele + NPG-666; No. of Pages 9

ARTICLE IN PRESS

Copromanie et coprophagie chez les résidents atteints de maladie d’Alzheimer [6] Chaturvedi SK. Coprophagia in a schizophrenic patient: case report. Psychopathology 1988;21:31—3. [7] Zeitlin SB, Polivy J. Coprophagia as a manifestation of obsessive compulsive disorder: a case report. J Behav Ther Exp Psychiatry 1995;26(1):57—63. [8] Klüver H, Bucy PC. Preliminary analysis of functions of the temporal lobes in monkeys. J Neuropsychiatry Clin Neurosci 1997;9(4):606—20. [9] Marlowe WB, Mancall EL, Thomas TJ. Complete Klüver—Bucy syndrome in man. Cortex 1975;11(1):53—9. [10] Cummings JL, Duchen LW. Klüver—Bucy syndrome in Pick’s disease: clinical and pathological correlations. Neurology 1981;31(11):1415—22. [11] Sourander P, Sjogren H. The concept of Alzheimer’s disease and its clinical implications. In: Wolstenholme GEW, O’Connor M, et al., editors. Alzheimer’s diseases and related conditions. London: Churchill; 1970. p. 11—32. [12] Powers JM, Schaumberg HM, Gaffney CL. Klüver—Bucy syndrome caused by adrenoleucodystrophy. Neurology 1980;30:1131—2. [13] American Psychiatric Association, Fifth edition (DSM-5) Diagnostic and statistical manual of mental disorders. Arlington, VA: American Psychiatric Publishing; 2013. [14] Ghaziuddin N, McDonald C. A clinical study of adult coprophagics. Br J Psychiatry 1985;147:312—3. [15] Donnellan C, Playfer JR. A case of coprophagia presenting with sialadenitis. Age Ageing 1999;28(2):233—4. [16] Fairburn CG, Hope RA. Changes in eating in dementia. Neurobiol Aging 1988;9(1):28—9. [17] Begg AH, McDonald C. Scatolia in elderly people with dementia. Int J Geriatr Psych 1989;4:53—4. [18] Beck DA, Frohberg NR. Coprophagia in an elderly man: a case report and review of the literature. Int J Psychiatry Med 2005;35(4):417—27. [19] Ata T, Tereda S, Yokota O, et al. Wandering and fecal smearing in people with dementia. Int Psychogeriatr 2010;22(3):493—500. [20] Sharma TR. Coprophagia among geriatric patients with cognitive impairment. Residents J 2012;7(3):11—2. [21] Josephs KA, Whitwell JL, Parisi JE, et al. Coprophagia in neurologic disorders. J Neurol 2016;263(5):1008—14. [22] Friedin BD, Johnson HK. Treatment of a retarded child’s faeces smearing and coprophagic behavior. J Ment Defic Res 1979;23(1):55—61.

9

[23] Dura JR, Torsell AE, Heinzerling RA, et al. Special oral concerns in people with severe and profound mental retardation. Spec Care Dentist 1988;8(6):265—7. [24] Byard RW. Coprophagic café coronary. Am J Forensic Med Pathol 2001;22(1):96—9. [25] Coprophagia and Scatolia in demented elderly residents; 2012 http://allnurses.com/geriatric-nurses-ltc/coprophagia-andscatolia-768081.html. [26] Stewart JT. Treatment of coprophagia with carbamazepine. Am J Psychiatry 1995;152(2):295. [27] Stewart JT. Carbamazepine treatment of a patient with Klüver—Bucy syndrome. J Clin Psychiatry 1985;46(11):496—7. [28] Hooshmand H, Sepdham T, Vries JK. Klüver—Bucy syndrome. Successful treatment with carbamazepine. JAMA 1974;229(13):1782. [29] Karpman B. Coprophagia: collective review. Psychoanal Rev 1948;35(3):253—72. [30] Freud S. Trois essais sur la théorie sexuelle. Paris: Gallimard; 1987. [31] Chemama R, Vandermersch B. Dictionnaire de la psychanalyse. 4e éd. Paris: Larousse; 2009. p. 496. [32] Freud S. Cinq psychanalyses. Paris: PUF; 2008. [33] Soulé M. Caca-boudin ou la coprolalie ordinaire : la Joie assurée. In: La vie de l’enfant. Paris: Éditions ESF; 1981. p. 39—45. [34] Green A. Note sur le corps imaginaire. RFP 1962;XXVI [Numéro spécial]. [35] Deboves P, Vives JM. Maladie d’Alzheimer et involution. Carnet Psy 2014;184(8):35—45. [36] Jackson JH. Croonian lectures on evolution and dissolution of the nervous system. Br Med J 1884;1(1214):660—3. [37] Jackson JH. Les troubles intellectuels momentanés qui suivent les accès épileptiques. Rev Sci Fr Etranger 1876;34(2):169—78. [38] Kaufmann P. L’apport freudien — éléments pour une encyclopédie de la psychanalyse. Paris: Larousse-Bordas; 1998. [39] Gimenez G. Clinique de l’hallucination psychotique. Paris: Dunod; 2000. [40] McDonald C, Behl N, Sudhakar P. Recalcitrant behavior problems. In: McCreadie RG, editor. Rehabilitation in psychiatric practice. London: Pitman Med; 1982. p. 55—67. [41] Aulagnier P. La violence de l’interprétation. Du pictogramme à l’énoncé. Paris: PUF — Le fil rouge; 2003.

Pour citer cet article : Deboves P, et al. Copromanie et coprophagie chez les résidents atteints de maladie d’Alzheimer à un stade sévère : de l’agir au dire. Neurol psychiatr gériatr (2017), http://dx.doi.org/10.1016/j.npg.2017.07.007