CAS CLINIQUE
Rev. Stomatol. Chir. Maxillofac., 2005; 106, 1, 22-26 © Masson, Paris, 2005.
Cranioplastie par lambeau libre ostéomusculaire temporo-pariétal V. Bouetel, P. Roulé, A. Danton, R.-C. Rémy Service de chirurgie maxillo-faciale, plastique, reconstructrice et esthétique, Centre Hospitalier Régional d’Orléans-La Source, 14, avenue de l’Hôpital, 45067 Orléans Cedex 2. Tirés à part : V. Bouetel, à l’adresse ci-dessus.
Free temporoparietal osteomuscular flap for cranioplasty
INTRODUCTION
V. Bouetel, P. Roulé, A. Danton, R.-C. Rémy Rev Stomatol Chir Maxillofac, 2005 ; 106, 1 : 22-26
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Purpose: Advances in composite materials for craniofacial reconstruction surgery has tended to limit indications for osteomuscular free flaps which nevertheless must be used for certain septic patients. The purpose of this report was to illustrate the usefulness of the free temoroparietal osteomuscular flap in this particular situation. Case report: A 47-year-old man underwent surgical repair of an aneurysm of the anterior communicating artery complicated by acute hydrocephaly treated by external then ventriculoperitoneal bypass. The fronto-pteryonal approach was used. The early postoperative period was complicated by osteitis of the cranial piece requiring revision. The revision procedure, performed at the end of the septic period, involved cranioplasty with acrylic cement. Recurrent infection contraindicated any new attempt for prosthetic repair. The patient was treated with a controlateral free temporoparietal osteomuscular flap to achieve cranioplasty. The postoperative period was uneventful with no infection and satisfactory healing. Flap vitality was very satisfactory. The patient’s neurological status improved and no further complication developed. Discussion: In certain therapeutic situations, several diffent techniques may be required to overcome postoperative complications or manage particularly difficult cases. A free osteomuscular flap can be a useful alternative for cranioplasty. This technique is rarely used but can offer an optimal solution in selected patients, particularly for second intention revision after failure of prosthetic repair. Keywords: Cranioplasty, Free flap, Temporal vessels. Cranioplastie par lambeau libre osteomusculaire temporo-pariétal Objectifs : L’essor des matériaux composites dans la chirurgie reconstructrice crâniofaciale limite souvent les indications de lambeaux libres ostéomusculaires. Toutefois, les conditions septiques imposent parfois ce type de plastie. L’objectif de ce travail est de montrer qu’une cranioplastie par lambeau libre ostéomusculaire temporo-pariétal est une technique de choix dans cette indication particulière. Cas clinique : Un patient de 47 ans a été opéré par voie fronto-ptéryonale d’un anévrysme de l’artère communicante antérieure, compliqué d’une hydrocéphalie aiguë traitée par dérivation ventriculaire externe puis ventriculo-péritonéale. L’évolution postopératoire précoce a été marquée par une ostéite du volet crânien imposant sa dépose. Dans un second temps, en fin de période septique, une cranioplastie au ciment acrylique a été réalisée. De nouvelles complications septiques ont fait proscrire toute nouvelle tentative prothétique. Le patient a bénéficié d’une cranioplastie par lambeau ostéo-musculaire libre temporo-pariétal controlatéral. L’évolution postopératoire s’est déroulée sans problème particulier, tant septique que cicatriciel. La vitalité du lambeau est restée très satisfaisante. L’état neurologique du patient s’est amélioré en l’absence de survenue de complication. Discussion : Certaines situations thérapeutiques nécessitent de disposer de plusieurs techniques afin de faire face à la survenue de complications postopératoires ou de terrains particuliers. Le lambeau libre ostéo-musculaire de voûte crânienne est une technique de reconstruction peu employée, mais elle a, dans ce cas extrême notamment, une place de choix. Il s’agit d’un traitement de deuxième intention après les cranioplasties par matériaux prothétiques.
Mots-clés : Cranioplastie, Lambeau libre, Vaisseaux temporaux.
La chirurgie reconstructrice de la voûte crânienne est depuis de nombreuses années dominée par les crânioplasties par ciment acrylique. Peu de place est faite aux reconstructions par lambeaux, tant pédiculés que libres. Il est vrai que les matériaux synthétiques présentent de nombreux avantages, dont les principaux sont leur facilité d’utilisation et leur grande fiabilité. Certaines situations limitent pourtant leur utilisation, notamment les états septiques. La nécessité de clore la cavité cérébrale doit être pondérée par les risques d’une intervention chirurgicale relativement lourde. C’est dans ces situations que les lambeaux libres peuvent se révéler utiles. Nous rapportons le cas d’un patient dont l’histoire clinique est émaillée de complications contre-indiquant la réalisation d’une cranioplastie par matériaux synthétiques et chez qui a été réalisée une cranioplastie par lambeau ostéomusculaire libre temporopariétal.
CAS CLINIQUE M. James B., 47 ans, aux antécédents de primo-infection tuberculeuse dans l’enfance et de psoriasis, a consulté aux Urgences pour la persistance de céphalées diffuses associées à des cervicalgies. Ce tableau clinique est survenu une semaine après avoir ressenti une céphalée brutale postérieure consécutive à un effort de toux. L’exa-
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men clinique retrouvait des éléments en faveur d’un syndrome méningé. Le scanner cérébral montrait une hémorragie sous-arachnoïdienne prédominant dans la vallée sylvienne gauche associée à une dilatation ventriculaire. Le bilan angiographique confirmait l’anévrysme de l’artère communicante antérieure. Deux clips de Yasargil ont été mis en place sur le sac anévrysmal, par un abord fronto-ptéryonal droit, le volet osseux restant pédiculé sur la galéa. L’évolution postopératoire s’est déroulée sans incident jusqu’au 15e jour. Une suppuration cicatricielle, à staphylococcus aureus multi-sensible, a nécessité le parage de la cicatrice, associé à une antibiothérapie adaptée et prolongée. Le syndrome inflammatoire biologique a persisté et la suppuration a récidivé 1 mois plus tard, mettant le volet osseux à nu. Le bilan scanographique orientait vers une ostéite du volet fronto-ptéryonal. Le volet a été déposé et le sinus frontal droit a été cranialisé dans le même temps, en raison de la présence d’une petite brèche. Le scalp a été suturé en 2 plans sans crânioplastie. 3 mois plus tard, l’état neurologique s’est dégradé à cause d’une hydrocéphalie. Une dérivation lombo-péritonéale, puis ventriculo-péritonéale programmable, a été mise en place. Le corps de la dérivation a été placé dans la région rétro-auriculaire droite. L’amélioration clinique a été manifeste dans un premier temps, puis le patient s’est à nouveau dégradé à 4 mois. La tomodensitométrie objectivait alors une dépression importante en regard de la perte de substance osseuse fronto-temporale droite engendrant un effet de masse sur les structures médianes (fig. 1). Il s’agissait d’un mécanisme d’hyper drainage de dérivation par siphonage dû à l’absence de volet osseux en regard.
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Il a alors été décidé, 4 mois après l’ablation du volet osseux, de réaliser une crânioplastie au ciment acrylique, fixée au périoste par 3 fils non-résorbables. Les suites postopératoires immédiates ont été compliquées par un hématome extra-dural justifiant une évacuation, et la repose du volet acrylique. À 10 mois, soit 5 mois après la dernière intervention, une nouvelle suppuration est survenue en regard de la crânioplastie avec fistulisation à la peau et mise à nu du volet acrylique sur 2 cm2 en région pariétale droite (fig. 2). L’analyse bactériologique identifiait un staphylococcus auréus résistant à la méticilline, traité par une antibiothérapie parentérale et prolongée. Sans être touché, le corps de la dérivation était à proximité du site infecté, ce qui contre-indiquait toute reconstruction par un matériau de synthèse. Ce milieu septique imposait donc la mise en place d’un greffon vascularisé. Nous avons opté, à distance de l’épisode infectieux, pour un lambeau libre ostéo-musculaire temporo-pariétal controlatéral. L’intervention a eu lieu à 13 mois. Le premier temps a consisté en l’ablation de la crânioplastie acrylique associée à une excision des berges cutanées de la fistule septique (fig. 3). Le lambeau a ensuite été prélevé : après dissection des vaisseaux temporaux, une palette osseuse temporo-pariétale gauche a été dessinée à la taille de la perte de substance osseuse controlatérale, la cranioplastie acrylique servant de patron. Le pédicule musculaire n’a intéressé que la moitié postérieure du temporal. Le volet osseux a été prélevé en pleine épaisseur. La partie proximale du muscle a ensuite été désinsérée jusqu’au pédicule artério-veineux temporal superficiel. Les 2 tables osseuses ont été dédoublées en respectant l’intégrité de la table externe et en fragmentant la table interne en 4 parties. La table osseuse du
Figure 1 : TDM cérébral avec injection, coupes en fenêtre parenchymateuse et osseuse. Mise ne évidence du defect osseux temporo-pariétal, associé à une dépression en regard avec effet de masse sur les structures cérébrales.
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Figure 2 : Fistulisation à la peau en regard de la cranioplastie acrylique.
Figure 3 : Cranioplastie acrylique après ablation.
lambeau a été recoupée à la scie oscillante afin de l’adapter parfaitement à la perte de substance. L’artère et la veine du pédicule ont ensuite été anastomosées, sous microscope, aux vaisseaux temporaux superficiels receveurs (fig. 4). La table osseuse a ensuite été synthésée par 3 micro-plaques (fig. 5). Le volet osseux temporo-pariétal gauche a alors été reposé. Les 4 parties de la table interne du volet osseux prélevé ont été ré-assemblées et synthésées sur un treillis de titane. La fermeture a été réalisée en 2 plans sur 2 drains aspiratifs et la perte de substance initiale du cuir chevelu a été suturée directement. L’évolution postopératoire n’a posé aucun problème. Aucune récidive septique n’a été notée, tant sur le site opératoire qu’à distance. La cicatrisation s’est déroulée normalement, favorisée par l’excellente vitalité du lambeau. Une scintigraphie osseuse et les scanners de contrôle à court
et long terme ont objectivé la bonne perfusion du lambeau et la consolidation osseuse du site donneur et du site receveur (fig. 6).
Figure 4 : Anastomose du pédicule temporal gauche du lambeau sur les vaisseaux temporaux droits.
DISCUSSION Le lambeau ostéomusculaire libre temporo-pariétal représente un greffon d’excellente qualité. Dans ce cas précis, ce lambeau représentait l’indication idéale pour la reconstruction de la voûte crânienne. En effet, les conditions septiques et la proximité du corps de dérivation ventriculo-péritonéale imposaient l’apport d’un tissu vascularisé. Le site donneur de prédilection nous à donc paru être la fosse temporale controlatérale, celle-ci se trouvant directement dans le champ opératoire et donc d’un abord
Figure 5 : Ostéosynthèse par 3 microplaques après découpe de la table externe pour une parfaite congruence avec le defect osseux.
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Figure 6 : TDM crânienne 3D en fenêtre osseuse. On visualise la consolidation osseuse du site donneur et du site receveur alors que les reliefs sont respectés.
aisé. Le prélèvement, quoique fastidieux, ne pose pas de réel problème. Le principal avantage que présente ce type de lambeau réside en sa similitude avec le site receveur. En effet, l’épaisseur du greffon et son adaptabilité par rapport à la perte de substance initiale en font le matériel le plus adapté à cette reconstruction. Ceci a grandement facilité l’ostéosynthèse définitive, ainsi que la consolidation osseuse. La fiabilité du pédicule vasculaire temporal superficiel [1-3], tant artériel que veineux, joue également un grand rôle dans la qualité de consolidation et de cicatrisation dans ce milieu septique. Le diamètre des vaisseaux et la facilité d’individualisation [3] rendent l’anastomose micro-chirurgicale plus aisée. La qualité de vascularisation est confirmée par l’étude anatomique de Casanova [4-5]. Il retrouve de nombreuses artères perforantes issues du pédicule temporal superficiel et cheminant de l’aponévrose temporale jusqu’au périoste et à la table externe de l’os temporal.
On peut toutefois émettre une critique sur la morphologie de ce lambeau. En effet, en prélevant un greffon temporo-pariétal controlatéral, la bosse temporale antérieure est inversée et devient postérieure. Néanmoins les conséquences esthétiques sont négligeables, comme en atteste le résultat à 5 ans. Nous pensons que cette qualité esthétique est à mettre à l’actif de l’excellente fiabilité de ce lambeau. On peut également rechercher d’autres sites donneurs. Le seul qui nous paraisse envisageable est le lambeau ostéomusculaire iliaque. Toutefois, il ne nous a pas paru adapté pour plusieurs raisons. La forme et l’épaisseur de ce greffon sont assez différentes de l’os temporo-pariétal, ce qui n’aurait probablement pas permis un résultat aussi satisfaisant. Le prélèvement est plus difficile et la confection d’un second champ opératoire plus astreignante. Ces arguments n’ont fait que renforcer l’indication de reconstruction par lambeau libre temporo-pariétal.
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RE´FE´RENCES
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