Dépistage ou dosage des opiacés : en pratique au laboratoire

Dépistage ou dosage des opiacés : en pratique au laboratoire

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Dépistage ou dosage des opiacés : en pratique au laboratoire Pour le dépistage ou le dosage des opiacés, il est nécessaire au laboratoire, lorsqu’une recherche de stupéfiants est demandée, de bien connaître les motivations de la demande et quels peuvent être les prélèvements utiles dans un cadre d’urgence, en médecine du travail ou dans un contexte médico-légal. La chromatographie liquide couplée à la spectrophotométrie de masse tend à devenir la technique de référence dans la recherche de stupéfiants.

Le dépistage ou dosage suite à une prise d’héroïne est rendu difficile par le fait que la demi-vie des deux principaux composés héroïne et 6-monoacétylmorphine est très courte. Ainsi, l’héroïne disparaît du sang en quelques minutes et la 6-mono-

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OptionBio | Lundi 8 novembre 2010 | n° 444

| (2) 6-acétylmorphine

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Quel type de prélèvement et pour quoi faire ?

Dépistage Le dépistage est un test uniquement qualitatif qui possède l’avantage de pouvoir donner une réponse rapide nécessaire en cas d’urgence. Il faut toutefois bien en connaître les limites. Un test de dépistage ne permet en aucun cas de donner d’indication sur une fréquence de consommation, sur le délai écoulé depuis la prise ou sur la dose consommée. Ceci est valable pour les opiacés comme pour toutes les autres drogues. De plus, un test de dépistage réagit à une famille de composés et n’est donc pas spécifique de l’héroïne ou de la 6-monoacétylmorphine. Pour le dépistage des opiacés, le composé de référence des tests rapides est la morphine, mais la plupart des composés de la famille vont aussi réagir comme par exemple la 6-monoacétylmorphine, la codéthyline ou la codéine. Il est donc impossible de différencier avec ce type de test une prise de codéine thérapeutique d’une prise d’héroïne. Ces tests sont de nature qualitative et possèdent donc un seuil qui permet de rendre un résultat positif ou négatif. Les seuils sont différents selon la matrice utilisée (sang, urine, salive) et selon l’analyte recherché. Les seuils sont donc différents pour les opiacés, le cannabis, la cocaïne ou les amphétamines. Pour les opiacés dans l’urine, le seuil le plus couramment utilisé en Europe est de 300 ng/mL. Aux États-Unis, ce seuil est de 2 000 ng/mL afin d’éviter les résultats positifs dus à la consommation de graines de pavot.

| (1) Héroïne

| (3) Morphine

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L’héroïne ou diacétylmorphine (structure n°1) est un composé d’hémisynthèse qui s’hydrolyse rapidement dans l’organisme. Sa demi-vie n’est que de quelques minutes (3 à 9 minutes), plus de 90 % de l’héroïne disparaît du sang en moins de 30 minutes après injection. Le premier métabolite qui apparaît est la 6-monoacétylmorphine (2) dont la demi-vie est aussi relativement courte, de l’ordre de 30 à 45 minutes. La 6-monoacétylmorphine est ensuite hydrolysée en morphine. La demi-vie de la morphine (3) est plus longue, environ 2 à 3 heures, ce qui permet de la détecter dans le sang pendant 12 à 24 heures. Le métabolisme se poursuit majoritairement par conjugaison avec l’acide glucuronique en position 3 ou 6. Il convient de noter que le pouvoir analgésique de la morphine est conservé lorsque celle-ci est conjuguée en position 6 (6). De façon mineure et réversible, la morphine peut être méthylée en position 3 pour former la codéine (4). Un autre métabolite mineur résulte de la déméthylation sur l’azote pour donner la normorphine. L’élimination est majoritairement urinaire sous forme de morphine-3-glucuronide, un faible pourcentage est éliminé sous forme de morphine libre, les autres métabolites et notamment la 6-monoacétylmorphine sont retrouvés en quantités infimes. L’élimination dans l’urine est rapide et se fait majoritairement pendant les 12 premières heures après administration. Une prise d’opiacés ou d’héroïne reste détectable dans les urines jusqu’à deux jours. Les opiacés sont aussi excrétés dans la salive et la sueur et sont incorporés dans les cheveux et les ongles, ce qui peut rendre ces prélèvements très utiles dans un contexte médico-légal. Lors d’une prise d’héroïne, d’autres substances sont administrées en même temps ; ainsi, il est possible de retrouver dans l’organisme divers constituants de l’opium tels que la papavérine, la noscapine, la codéine, l’apomorphine ou encore des impuretés de synthèse comme l’acétylcodéine ou la codéthyline.

acétylmorphine en 3 à 4 heures après la prise. Passé ce délai dans le sang, il devient difficile de faire la différence entre une prise d’héroïne ou de morphine thérapeutique. Dans les urines, seule la présence de 6-monoacétylmorphine peut permettre d’objectiver une prise d’héroïne, et ceci pendant seulement quelques heures. Au contraire, un prélèvement de cheveux peut permettre de remonter à une consommation beaucoup plus ancienne. En fonction de la longueur des cheveux, ceux-ci poussant d’environ un centimètre par mois, il est donc possible d’établir un profil de consommation sur plusieurs mois. Ainsi, il est nécessaire au laboratoire, lorsqu’une recherche de stupéfiants est demandée, de bien connaître les motivations de la demande et quels peuvent être les prélèvements utiles dans un cadre d’urgence, en médecine du travail ou dans un contexte médico-légal. Deux alternatives sont possibles en fonction du contexte : le dépistage ou le dosage.

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Devenir de l’héroïne et des opiacés dans l’organisme1-3

Toxicomanies : nouvelles pratiques et dépistages inadaptés

Pour les tests salivaires, le seuil légal est fixé à 10 ng/mL de salive pour les opiacés, mais les tests salivaires actuellement utilisés notamment pour détecter une conduite automobile sous influence de drogues n’ont qu’un seuil de 25 ng/mL de salive. Ceci permet de détecter une prise d’opiacés pendant environ 6 à 8 heures.

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| (4) Codéine

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| (5) Morphine-3glucuronide

Les différentes techniques disponibles au laboratoire Techniques immunochimiques L’immunochromatographie à flux latéral est la technique utilisée pour les tests urinaires ou salivaires sous forme de “bandelettes”. Ils fonctionnent tous sur le mode de la lecture inverse, c’est-à-dire que l’apparition d’une barre face à la substance recherchée signe la négativité. Une barre témoin assure que le test a fonctionné correctement. Pour les opiacés, la substance de référence recherchée est la morphine.

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Dosage Par opposition au dépistage, le dosage fournit un résultat quantitatif, mais est aussi beaucoup plus spécifique. Ceci est dû bien sûr aux technologies utilisées pour l’analyse. Pour doser des opiacés dans le sang, il est nécessaire d’atteindre des limites de quantification relativement basses, de l’ordre de quelques ng/mL. Ainsi les techniques immunochimiques classiques à l’exception de quelques-unes sont trop peu sensibles et il est nécessaire d’utiliser des techniques chromatographiques couplées à des détecteurs par spectrométrie de masse. Chaque molécule peut être dosée de façon spécifique (6-monoacétylmorphine, morphine, codéine...) ce qui peut permettre de faire la différence entre une prise licite ou illicite, lorsque le délai écoulé depuis la prise n’est pas trop important. Ce type de dosage peut être mis en œuvre pour le sang, l’urine, les cheveux ou tout autre type de matrice. Évidemment, ce genre de technique est plus coûteux en matériel et en temps puisqu’une extraction préalable est nécessaire avant l’analyse.

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Techniques en phase hétérogène : Elisa, RIA

Elisa et RIA, techniques immunochimiques, nécessitent une étape de séparation des antigènes liés et libres avant la mesure du signal. Cette étape peut être un lavage dans le cas de tests Elisa ou une centrifugation pour la RIA. Cette étape permet de s’affranchir de nombreuses interférences causées par les composés endogènes, avec une sensibilité nettement améliorée par rapport aux tests en phase homogène. De plus, ces tests peuvent fonctionner avec des matrices complexes telles que le plasma ou le sang total. À l’heure actuelle, les tests Elisa sont beaucoup plus utilisés que la RIA qui nécessite des équipements particuliers. Les tests Elisa peuvent être spécifiques d’une molécule ou d’une famille comme les opiacés. Ils ont une sensibilité suffisante, permettant l’analyse dans le sang total. Toutefois, dans un contexte médico-légal, une confirmation est nécessaire par une technique chromatographique.

Techniques chromatographiques Deux techniques sont essentiellement utilisées aujourd’hui. La chromatographie gazeuse couplée à la spectrométrie de masse et la chromatographie liquide couplée à la spectrométrie de masse en tandem. La chromatographie gazeuse est la technique standard depuis une vingtaine d’années. C’est une technique spécifique et sensible qui permet le dosage de tous les opiacés. C’est une technique relativement longue car elle nécessite une extraction ainsi qu’une dérivation des différents analytes afin de les rendre plus volatils, ce qui permet une meilleure chromatographie. Au cours des dix dernières années, avec l’émergence de la chromatographie liquide couplée à la spectrométrie de masse en tandem beaucoup de laboratoires ont évolué vers cette nouvelle technique, plus souple, qui permet avec plus de facilité le dosage simultané de différentes classes de drogues (opiacés, amphétamines, cocaïniques, cannabinoïdes). Elle est amenée à devenir la technique de référence pour le dosage des stupéfiants. | BERTRAND BRUNET, PATRICK MURA

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| (6) Morphine-6glucuronide

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Techniques en phase homogène : EMIT, CEDIA ou FPIA

EMIT (enzyme multiplied immunoassay technique), CEDIA (cloned enzyme donor immunoassay) ou FPIA (fluorescence polarization immunoassay) sont des exemples de techniques disponibles au laboratoire sur les automates de chimie classiques. Ces tests sont dits en phase homogène, c’est-à-dire qu’ils ne nécessitent pas d’étape de lavage ou de séparation des complexes antigènes-anticorps formés. Cela rend ces méthodes totalement automatisables, rapides et peu coûteuses mais la sensibilité reste limitée. La lecture se fait par spectrophotométrie pour les techniques CEDIA ou EMIT et par fluorescence pour la FPIA. Ces tests sont majoritairement destinés à l’analyse d’urine.

Laboratoire de toxicologie et pharmacocinétique, CHU de Poitiers (86) [email protected]

Les auteurs n’ont pas déclaré de conflit d’intérêt.

Bibliographie 1. Baselt RC, Cravey RH. Disposition of toxic drug and chemical in man. In : RC Baselt, RH Cravey. Chemical Toxicology Institute, Foster City, 5th ed., 2000 : 900. 2. Viala A, Botta A. Toxicologie. Tec & doc Lavoisier. Paris, 2e éd, 2005 : 1094. 3. Pépin G. Opiacés et opioïdes. In : Kintz P. Toxicologie et pharmacologie médicolégales. Paris, Elsevier, 1998 : 335-430. 4. Hand C, Baldwin D. Immunoassays. In : Moffat AC, Osselton MD, Widdop B. Clarke’s analysis of drugs and poisons. London, Pharmaceutical Press, 3rd ed, 2004 : 301-12.

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