pratique |analyse spécialisée
Les microparticules en pratique au laboratoire Outre les facteurs plasmatiques et cellulaires, les microparticules (MP), produites dans le compartiment vasculaire, peuvent aujourd’hui être considérées comme de nouveaux acteurs importants des phénomènes de coagulation et de thrombose. Présentation du rôle qu’elles jouent dans l’hémostase et la coagulation, de leur signification pronostique et des techniques de dosage disponibles.
C
lassiquement, l’hémostase fait intervenir des facteurs plasmatiques activables selon deux voies, conduisant à la production de fibrine. Depuis plusieurs années, s’affirme le rôle de l’environnement cellulaire dans le processus de coagulation, impliquant l’endothélium vasculaire et des cellules hématopoïétiques (plaquettes, monocytes) qui, en pathologie, expriment du facteur tissulaire (FT), à l’origine du processus thrombotique. Outre les facteurs plasmatiques et cellulaires, les microparticules (MP), produites dans le compartiment vasculaire, peuvent aujourd’hui être considérées comme de nouveaux acteurs importants des phénomènes de coagulation et de thrombose.
Définition des microparticules Les MP sont des vésicules résultant d’un remaniement des phospholipides membranaires calcium-dépendants et du bourgeonnement de la membrane cellulaire en réponse à une activation ou une apoptose cellulaire. Leur taille est hétérogène (diamètre de 0,1 à 1 μm). Elles expriment de la phosphatidylsérine et des antigènes des cellules dont elles dérivent. Ces MP sont retrouvées dans le culot d’ultracentrifugation d’un plasma déplété en cellules. Enfin, elles ont une activité procoagulante.
Rôle des MP dans l’hémostase et la coagulation Le rôle des MP dans l’hémostase et la coagulation est principalement lié à l’expression de phosphatidylsérine à leur surface, formant une surface catalytique pour l’assemblage des complexes enzymatiques de la coagulation. Il est également lié à l’expression de FT, uniquement en situation pathologique, dépendante de l’origine cellulaire et supportée essentiellement par la composante endothéliale ou monocytaire. Les MP jouent aussi un rôle important dans le recrutement des cellules et l’accumulation de FT dans le thrombus en développement, au site de la lésion vasculaire.
16
Propriétés des MP Ř5¶OHSURFRDJXODQW : des MP isolées de la circulation de sujets sains ont une activité procoagulante faible et indépendante du FT. Chez un sujet en situation pathologique (par exemple, syndrome des antiphospholipides), l’activité de génération de thrombine du plasma déplaquetté est supérieure à celle d’un sujet sain, dépend de la présence de MP et est corrélée à leur nombre. Enfin, dans différents contextes pathologiques, les MP isolées du sang circulant ont une activité de FT. Ř5¶OHK«PRVWDWLTXH : l’évidence de cette propriété repose sur deux observations princeps : – chez des patients ayant un purpura thrombopénique idiopathique, plus les MP plaquettaires (MPP) sont en grand nombre, moins le risque hémorragique est important, même si le patient a moins de 60 G/L de plaquettes ; – au cours du syndrome de Scott, maladie constitutionnelle rare, caractérisée par un défaut d’externalisation de la phosphatidylsérine et un déficit de production des MP, lié à une anomalie des transporteurs membranaires, les patients ont clairement un phénotype hémorragique. Ř5¶OHSURWKURPERWLTXH : des MP isolées de la circulation de patients ayant subi une chirurgie cardiaque, injectées chez l’animal, induisent la formation de thrombose et la taille du thrombus est d’autant plus importante que les MP étaient porteuses de FT. Ř(QILQOHV03RQWDXVVLGőDXWUHVSURSUL«W«V elles interviennent dans les réponses immune et inflammatoire à la thrombose, dans l’angiogenèse et la croissance tumorale.
Les MP en clinique humaine Recommandations pré-analytiques Les dosages de MP sont encore réservés à certains laboratoires spécialisés, mais les conditions sont en cours d’évolution pour devenir plus accessibles. Dans l’objectif d’éviter l’activation cellulaire (surtout plaquettaire) dans le prélèvement, géné-
OptionBio | Lundi 18 octobre 2010 | n° 443
rant artéfactuellement des MP, et de préserver le nombre et les propriétés des MP, il convient d’effectuer un prélèvement sanguin sur citrate de sodium, conservé à température ambiante, avec un délai de traitement inférieur à 4 h. Deux étapes de centrifugation sont nécessaires : une première, 15 min à 1 500 g, et une seconde, 2 min à 13 000 g, pour obtenir un plasma déplaquetté, pouvant être congelé à –80 °C pour une analyse différée (à décongeler une fois seulement).
Techniques disponibles Ř/DF\WRP«WULHHQIOX[ &0) permet de compter les MP et de déterminer leur origine cellulaire. Un immunomarquage est effectué sur plasma déplaquetté avec un Ac monoclonal ou de l’annexine V (ligand de la phosphatidylsérine), couplé à un fluorochrome. L’analyse en CMF comprend 2 temps : la sélection des événements de petite taille et l’identification des événements fluorescents. Trois niveaux de marqueurs peuvent être choisis : – un niveau pan-MP qui permet de dénombrer toutes les MP (dans ce cas, on utilise l’annexine V) ; – un niveau permettant de déterminer l’origine cellulaire des MP (dans ce cas, on utilise des marqueurs d’Ag cellulaires donnés, par exemple le CD4 pour identifier les MP provenant de lymphocytes CD4) ; – un niveau permettant de déterminer les Ag reliés à un potentiel fonctionnel : le plus important est l’expression du FT. Ř/HVWHVWVIRQFWLRQQHOV évaluent le potentiel procoagulant des MP. Ces tests peuvent être pratiqués sur MP purifiées par des tests chromogéniques mesurant la génération de thrombine ou l’expression de FT. Il existe également une méthode automatisée (test Stago Procoag PPL®) mesurant l’activité procoagulante des phospholipides dans un plasma, activité majoritairement dépendante des MP. Enfin, certains tests combinent la capture des MP par la phosphatidylsérine,
analyse spécialisée
puis déterminent leur activité procoagulante (technique très spécifique, mais longue). Ř/HVWHVWVPL[WHV CMF + test fonctionnel.
MP en pathologie Les MP sont des marqueurs de l’activation cellulaire et de la dysfonction vasculaire : elles sont le plus souvent corrélées avec l’activité de la maladie et l’activation de la coagulation. Elles ont une signification pronostique pour identifier les patients à risque vasculaire et thrombotique et sont utiles au suivi thérapeutique.
Deux exemples de situations à risque vasculaire Ř$XJPHQWDWLRQGHV033HWULVTXHWKURPERWLTXHDXFRXUVGHOőLQVXIILVDQFHU«QDOHFKURQLTXH,5& L’IRC est une situation où le risque vasculaire est majeur, lié à la dysfonction endothéliale et à l’hypercoagulabilité. Il a été montré une augmentation des MPP chez les patients en IRC, dialysés ou non, plus marquée chez les sujets ayant des antécédents de thrombose. Les MP endothéliales (MPE) sont également plus élevées que chez les sujets sains. Ce sont donc des marqueurs non invasifs permettant de mesurer la dysfonction endothéliale au cours de l’IRC. Après transplantation rénale, il existe une diminution significative des MPE, influencée par le traitement immunosuppresseur, plus marquée chez les sujets sans antécédent cardiovasculaire. Donc, les MP témoignent d’une amélioration de la fonction endothéliale après transplantation rénale et sont utiles à la prédiction du risque vasculaire chez les patients transplantés.
| pratique
Ř'LDEªWH Plusieurs études ont montré une élévation des MPP et MPE, avec des profils différents, au cours des diabètes de type 1 et 2. D’une part, les MPE sont corrélées à la microalbuminurie et sont associées à l’existence de microangiopathies. D’autre part, leur activité procoagulante est plus importante que chez des patients sains et corrélée à l’HbA1c. Les MP participent à l’hypercoagulabilité et au risque thrombotique chez les patients diabétiques, et leur étude permet d’apprécier le retentissement vasculaire d’un mauvais équilibre glycémique. D’autres études ont confirmé leur intérêt pronostique : ainsi, des taux élevés de MPE sont associés à un pronostic défavorable chez les patients diabétiques ; par ailleurs, le taux de MP prédit de manière indépendante la sévérité des coronaropathies chez ces patients. Rôle en suivi thérapeutique : après une semaine d’insulinothérapie intensive, une diminution significative des MP est observée chez des patients ayant un diabète de type 2 mal équilibré, corrélée au meilleur contrôle de la glycémie. Les MP peuvent aussi être utiles pour évaluer l’impact et “monitorer” d’autres thérapeutiques à visée vasculaire : une diminution des MP a notamment été montrée sous inhibiteurs calciques, antiplaquettaires (ticlopidine) et antioxydants.
vaso-occlusive, par rapport à des sujets dont la maladie est stable ou à des sujets sains. Cette augmentation est corrélée avec les marqueurs plasmatiques usuels d’activation de la coagulation (complexes thrombine-antithrombine, D-dimères ou fragments 1+2 de la prothrombine).
Au cours des sepsis Les MP sont augmentées chez les patients ayant une septicémie à méningocoques. Chez les patients non survivants, le taux de MP exprimant le FT est très augmenté et l’augmentation de génération de thrombine est bien supérieure à celles des sujets qui vont survivre.
Conclusion Dans la majorité des cas, l’augmentation des MP est délétère car elle génère une activité procoagulante excessive et amplifie la dysfonction vasculaire, au cours du diabète ou toute autre pathologie cardiovasculaire. Les MP sont donc de nouveaux acteurs dans le contrôle de la balance hémostatique et la modulation de l’homéostasie vasculaire. Ce sont des biomarqueurs émergents, utiles pour l’identification des patients à risque vasculaire et thrombotique et des cibles pharmacologiques intéressantes. |
CAROLE ÉMILE Biologiste, CH de Montfermeil (93)
Intérêt au cours des coagulopathies intravasculaires Une augmentation significative des MP a été observée au cours de la drépanocytose, d’autant plus importante que les patients sont en crise
OptionBio | Lundi 18 octobre 2010 | n° 443
[email protected]
Source Communication de F. Sabatier lors du 38e Colloque national des biologistes des hôpitaux (CNBH), Montpellier, septembre 2009.
17