Dermatologie sur peau noire

Dermatologie sur peau noire

EMC-Médecine 1 (2004) 503–512 www.elsevier.com/locate/emcmed Dermatologie sur peau noire Black skin dermatology P.-P. Cabotin Clinique de la Roserai...

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EMC-Médecine 1 (2004) 503–512

www.elsevier.com/locate/emcmed

Dermatologie sur peau noire Black skin dermatology P.-P. Cabotin Clinique de la Roseraie, service de dermatologie, 120, avenue de la République, 93300 Aubervilliers, France

MOTS CLÉS Peau noire ; Hyperpigmentation ; Hypopigmentation ; Cuir chevelu

Résumé Les peaux pigmentées présentent des variations physiologiques, structurelles et fonctionnelles, entraînant des maladies cutanées spécifiques qui nécessitent d’être connues. Les dermatoses usuelles ont souvent une présentation déroutante avec, en particulier, des problèmes de dyschromies, hyper- ou hypopigmentation, dont le retentissement esthétique et psychologique est important. Enfin, les maladies du cuir chevelu posent de nombreux problèmes particuliers à la peau noire. © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

KEYWORDS Black skin; Hyperpigmentation; Hypopigmentation; Scalp diseases

Abstract Pigmented skins present some variations in terms of physiology, structure, and function, that can be responsible for specific skin diseases, and which need to be identified. Frequently, common skin diseases have a disconcerting clinical presentation due to dyschromias such as hyper or hypo-pigmentation, with important aesthetical and psychological repercussion. Scalp diseases are also very peculiar for people with black skin. © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Spécificités structurelles et fonctionnelles3 Bien que les études sur les différences entre les peaux pigmentées et les peaux claires soient peu nombreuses, et parfois anciennes, un certain nombre de spécificités peuvent être mises en évidence. Les différences structurelles sont résumées dans le Tableau 1. Elles sont responsables de particularités fonctionnelles importantes à connaître. • Les peaux noires ont une forte résistance mécanique, liée à la densité de la couche cornée. • Elles sont naturellement protégées contre les ultraviolets (UV), ce qui diminue considérablement les stigmates du vieillissement cutané. • Elles ont une forte réactivité aux agressions, qui se manifeste par divers troubles : hyperkéAdresse e-mail : [email protected] (P.-P. Cabotin). © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi: 10.1016/j.emcmed.2004.02.003

ratose, lichénification, chéloïdes, troubles de la pigmentation (Tableau 1).

Variations physiologiques de pigmentation Le terme de peau noire est impropre, puisque les populations aux peaux pigmentées vont du brun clair au brun froncé, en fonction du métissage, de l’ensoleillement... Un fait important à connaître est l’irrégularité naturelle de la coloration. Hormis les sujets à peau très foncée ou très claire, la pigmentation des populations d’origine afro-antillaise n’est pas uniforme. Les mains et le visage sont plus foncés que le corps, ainsi que les faces d’extension des articulations : coudes, genoux, interphalangiennes, et cou.

504 Tableau 1

P.-P. Cabotin Particularités des structures cutanées des peaux noires.

Couche cornée

Kératinocytes Mélanocytes

Mélanosomes

Fibroblastes

Fibres élastiques Fibres collagènes

Glandes sébacées Glandes apocrines Sudation Hydratation

Tableau 2

Particularités Pas plus épaisse Plus dense : plus de couches cellulaires pour une même épaisseur Activité métabolique importante ? Même nombre que dans les peaux blanches Appareil de synthèse plus développé, ramifications plus importantes Plus grands Répartis dans tout l’épiderme

Pas de dégradation dans les couches superficielles de l’épiderme Nombreux, souvent hypertrophiés, activité métabolique importante Peu de dégradation avec le temps Plus nombreuses et plus denses

Conséquences Résistance à la coupure ou à la piqûre

Tendance à l’hyperkératose Synthèse de mélanine accrue Pigmentation de la peau Protection solaire : rareté des brûlures et allergies solaires, et des cancers cutanés liés aux expositions aux ultraviolets

Lichénification fréquente des dermatoses courantes Tendance aux chéloïdes Retard d’apparition des rides Retard d’apparition des rides, résistance cutanée

Disposées parallèlement à la surface Pas de différence significative Pas de différence significative Pas de différence significative

Variations physiologiques de pigmentation.

Hyperpigmentation Tache mongolique

Localisation Sacrum, dos

Macules pigmentées des paumes et des plantes Pigmentation buccale physiologique Mélanonychies Hyperpigmentation physiologique

Plantes++, paumes

Hypopigmentation Ligne blanche médiothoracique Lignes de Voigt (Fig. 1) Hypomélanose en gouttes

Évolution À la naissance, disparition dans l’enfance Apparition à partir de l’adolescence

Gencives, face interne des joues Ongles des orteils et des mains Face d’extension des plis (doigts, coudes, genoux), tour de la bouche, cou, pieds, mains, périnée

Apparition avec l’âge Chez les personnes âgées Accentuation avec l’âge

Localisation Présternale Face antérieure des bras, face postérieure des cuisses Membres inférieurs++, tronc, membres supérieurs

Évolution Chez l’enfant. Disparition avec l’âge Chez l’enfant. Disparition avec l’âge

Hypomélanose du métis2 (Fig. 2)

Bas du dos, flancs, bas de l’abdomen

Hypomélanose des zones séborrhéiques

Autour du nez et des sourcils, bordure du cuir chevelu

Sur le visage, les zones séborrhéiques sont plus claires : sourcils, sillons nasogéniens, bordure du cuir chevelu, zone prétragienne. Cette différence de coloration est parfois très marquée et peut entraîner une consultation. Elle disparaît au soleil, le bronzage permettant de régulariser la coloration du visage.

Apparition chez l’adulte Augmentation avec l’âge Apparition à l’adolescence, diminution avec l’âge Apparition chez l’adulte jeune Diminution avec l’âge

Par ailleurs, de nombreuses variations de pigmentation physiologiques touchent les enfants et les adolescents, ou apparaissent au contraire avec l’âge. Elles sont importantes à connaître, car source d’inquiétude pour les patients. Elles sont résumées dans le Tableau 2 (Fig. 1, 2).

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Figure 3 Dermatosis papulosa nigra et pityriasis alba.

Figure 1 Ligne de Voigt.

touchées que les hommes, et les peaux claires et métissées plus souvent que les peaux sombres. Le cou, le décolleté, et le haut du dos peuvent également être atteints. L’histologie est celle d’une kératose séborrhéique, dont le dermatosis papulosa nigra est sans doute une version particulière aux peaux noires. Il n’y a aucun risque de transformation maligne. Le traitement à visée esthétique repose sur l’électrocoagulation, ou la cryothérapie, en agissant avec prudence pour éviter les dyschromies.

Chéloïdes spontanées (Fig. 4) Les chéloïdes se rencontrent sur tous les types de peau, en fonction de facteurs individuels ou familiaux. Elles sont beaucoup plus fréquentes sur les peaux pigmentées, où la prudence doit être de règle pour les interventions chirurgicales non indispensables.

Figure 2 Hypomélanose du métis.

Pathologies spécifiques de la peau noire4 Bien que finalement peu nombreuses, un certain nombre de dermatoses n’apparaissent que sur les peaux pigmentées, et doivent pouvoir être reconnues par les praticiens.

Dermatosis papulosa nigra (Fig. 3) Ce sont de petites papules lisses, brun sombre, qui apparaissent sur le visage à partir de l’adolescence. Elles augmentent en nombre et en taille avec les années, et finissent par toucher plus de 70 % des patients après 70 ans. Les femmes sont plus souvent

Figure 4 Chéloïde spontanée du décolleté.

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P.-P. Cabotin

À l’extrême, certains patients présentent des chéloïdes qui apparaissent spontanément, en dehors de toute plaie ou traumatisme. Ce sont des papules fermes, brun sombre ou noires, bien limitées principalement sur le décolleté, le haut du dos et les épaules. Elles s’étendent progressivement, en « pinces de crabe » ou en galette. Le traitement, long et difficile, repose parfois sur les dermocorticoïdes ou les corticoïdes en injection intralésionnelle. La chirurgie seule doit être exclue car toujours suivie d’une récidive plus importante.

Kératodermie ponctuée (Fig. 5) C’est une maladie génétique spécifique des populations originaires d’Afrique. Chez l’adulte jeune, de petites dépressions remplies de corne apparaissent dans les plis de flexion des doigts et de la paume. La peau des paumes et des plantes s’épaissit modérément et durcit. De petites dépressions à fond pigmenté apparaissent sur le bord des pieds et la face antérieure des poignets. Les lésions augmentent avec l’âge, mais n’entraînent généralement pas de gêne fonctionnelle. La maladie est souvent familiale.

Aïnhum Cette maladie très rare ne se rencontre que chez les Africains. Au début, il s’agit d’une fissure douloureuse bilatérale sous un ou plusieurs orteils, qui évolue en plusieurs années vers un anneau fibreux constrictif qui aboutit à terme à la chute de l’orteil. La fissure est souvent prise pour une dermatophytie, mais l’échec des traitements doit y faire penser. Au stade de striction, il faut penser aux pseudoaïnhums dus à des neuropathies : lèpre, éthylisme, diabète... La chirurgie permet parfois de libérer l’orteil.

Figure 5 Kératodermie ponctuée.

Pseudofolliculite de la barbe (Fig. 6) Il ne s’agit pas d’une pathologie spécifique à proprement parler, car elle peut survenir chez les hommes à barbe dure, de toutes les origines. Néanmoins, elle est plus fréquente, plus grave, et a un potentiel évolutif particulier chez les AfroAntillais. Dès les premiers rasages, des papules et des pustules se manifestent lors de la repousse. Les lésions se localisent principalement sur le cou et sous le rebord maxillaire, mais peuvent atteindre toute la surface de la barbe. À chaque rasage, de nouvelles lésions apparaissent, tandis que certaines guérissent spontanément. La zone de la barbe noircit, et les papules deviennent fibreuses ce qui rend le rasage plus difficile car la surface de la peau n’est plus lisse. Dans certains cas, les papules évoluent vers de véritables chéloïdes, parfois de grande taille, avec un préjudice esthétique majeur. Le problème est dû à une repousse anormale du poil : soit le poil, coupé trop court, se rétracte dans la peau d’où il ne peut ressortir, soit il repousse à l’extérieur, mais son incurvation naturelle et sa dureté le font pénétrer dans l’épiderme par « effraction », en formant un arc de 1 ou 2 mm à la surface de la peau. Dans les deux cas, il se crée une réaction inflammatoire granulomateuse responsable des lésions cliniques. Le traitement repose avant tout sur la modification des habitudes de rasage. Le patient doit comprendre qu’il ne peut être rasé de près. La meilleure solution est d’utiliser une tondeuse, en gardant 1 à 2 mm de poil, tous les 2 à 3 jours. Dans les cas peu sévères, le rasage électrique ou mécanique peut être continué, tous les 2 ou 3 jours, en ne passant qu’une ou deux fois sur chaque zone, sans tirer la peau, ni passer à rebrousse-poil. Le patient doit trouver lui-même l’équilibre entre le

Figure 6 Pseudofolliculite de la barbe.

Dermatologie sur peau noire degré de perfection du rasage, et l’importance de la folliculite qu’il peut accepter. Le traitement des lésions repose sur l’arrêt du rasage pendant 2 semaines, et la prise de cyclines per os à faible dose pendant 3 mois, associées à des dermocorticoïdes en cure d’une dizaine de jours, suivie d’applications régulières de trétinoïne à 0,05 %. Un bonne crème hydratante doit être utilisée tous les matins.

Acné chéloïdienne de la nuque1 (Fig. 7) Cette affection est mal nommée, car il ne s’agit ni d’une acné, ni de chéloïdes, mais d’une réaction inflammatoire granulomateuse chronique. Il s’agit du pendant de la pseudofolliculite de barbe, au niveau du cuir chevelu. Elle débute chez l’homme jeune par des papules et pustules de la nuque, évoluant par poussées. Après plusieurs mois ou années d’évolution, une plaque de cheveux clairsemés apparaît, parsemée de papules fibreuses pigmentées. Les lésions peuvent s’étendre au vertex, surtout en cas de rasage du crâne. Dans certains cas, les lésions évoluent vers de volumineux nodules pseudochéloïdiens, minés par des trajets fistuleux qui s’infectent par intermittence. Les lésions sont souvent déclenchées par le rasage de la nuque, la repousse des cheveux entraînant une réaction à corps étranger, comme pour la pseudofolliculite de la barbe. Parfois, le simple frottement des vêtements peut être responsable. Il est donc indispensable d’arrêter strictement le rasage de la nuque, et d’éliminer les cols montants, les écharpes etc. Le traitement repose sur les cures de cyclines à faible dose, les dermocorticoïdes en cure courte, et la trétinoïne locale. Les papules fibreuses tenaces et les pseudochéloïdes peuvent être traitées chirur-

Figure 7 Acné chéloïdienne de la nuque.

507 gicalement, ou par injections intralésionnelles de corticoïdes retards.

Hypopigmentations5 Les troubles de la pigmentation représentent plus de 10 % des motifs de consultation pour les peaux pigmentées contre 1 à 2 % pour les peaux blanches. Les dépigmentations sont souvent très mal vécues par les patients du fait de leur caractère très affichant. Le caractère totalement achromique, ou simplement hypopigmenté2 permet une première approche étiologique (Tableau 3).

Vitiligo (Fig. 8) Le vitiligo n’est pas plus fréquent ni plus étendu sur les peaux noires, mais il est beaucoup plus grave du fait de son retentissement esthétique. Il commence dans l’enfance ou chez l’adulte jeune, par des taches blanches, bien limitées, arrondies ou polycycliques, qui apparaissent sur des zones de prédilection : doigts, face antérieure des poignets, face antérieure des jambes, organes génitaux externes, tour de bouche, paupières. Il existe des formes cliniques différentes, spécifiques des peaux noires, souvent trompeuses : • les taches peuvent ne pas être totalement blanches, mais simplement plus claires que la peau normale, surtout en début d’évolution ; • il existe des formes trichromes, associant des macules blanches, d’autres hypopigmentées, avec des réserves de peau de couleur normale ; Tableau 3

Causes des hypopigmentations.

Macules achromiques Vitiligo Pityriasis versicolor Cicatrices de brûlures ou de grattage Onchocercose Pian Macules hypochromiques - Hypopigmentations post-inflammatoires Pityriasis alba Dermatite séborrhéique Dermatite atopique Psoriasis, après guérison des plaques - Vitiligo trichrome ou moucheté - Hypopigmentations physiologiques (cf. Tableau 2) - Hypopigmentations infectieuses Pityriasis versicolor Maladie de Hansen Pian - Hypopigmentations iatrogènes Hydroquinone Dermocorticoïdes

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P.-P. Cabotin

Figure 8 Vitiligo.

• les taches peuvent prendre un aspect floconneux, avec une hypopigmentation irrégulière aux bordures floues ; • enfin, le vitiligo peut prendre un aspect en confetti, avec des zones de petites macules blanches ou hypopigmentées. Il faut donc y penser devant toute décoloration de la peau sur des zones évocatrices. En cas de doute, l’évolution, avec l’extension des lésions et l’apparition de zones totalement dépigmentées, permettra de confirmer le diagnostic. Le traitement est très difficile et souvent décevant. Les dermocorticoïdes de classe II, sur plusieurs semaines, peuvent repigmenter les lésions récentes. Les applications d’azote liquide de courte durée peuvent permettre de repigmenter certaines taches en favorisant la migration des mélanocytes à partir des bords, ou des follicules pileux. La photothérapie (PUVAthérapie, TL01, ...) est parfois efficace sur des lésions pas trop anciennes, mais il faut souvent de nombreuses séances pour obtenir un résultat. Quel que soit le résultat du traitement, de nouvelles poussées sont à craindre pendant plusieurs années.

Pityriasis alba C’est une forme d’eczéma sec, ou « eczématides », réaction inflammatoire cutanée apparaissant spontanément chez les patients à peau sèche et sensible. Le pityriasis alba touche principalement les enfants, mais aussi les adolescents et les adultes jeunes. Ce sont de petites plaques sèches, discrè-

tement érythémateuses, ce qui est généralement peu visible sur les peaux noires, avec une fine desquamation. Elles apparaissent par poussée, souvent après une agression cutanée : soleil, vent, froid, savons ou gel douche trop agressifs. Les lésions ne durent que quelques jours, et passent souvent inaperçues. Elles évoluent vers des macules hypopigmentées, à bordure floue, situées principalement sur les joues et les épaules. Les taches se repigmentent spontanément en quelques semaines, mais de nouvelles poussées apparaissent souvent entre-temps. Le traitement vise à éliminer l’inflammation responsable de la mise au repos des mélanocytes. Un dermocorticoïde de classe II ou III en fonction de l’âge de l’enfant sera appliqué tous les soirs pendant 1 semaine. Les parents doivent comprendre que ce traitement ne permet pas la disparition immédiate des taches claires, mais favorise leur repigmentation spontanée, qui peut prendre plusieurs semaines. Le traitement doit être repris à chaque poussée, l’idéal étant de traiter à la phase inflammatoire, avant que les macules hypopigmentées apparaissent. La prévention des récidives nécessite l’utilisation d’une crème hydratante, au moins une fois par jour. Un syndet (savon sans savon) peut être utilisé pour la toilette pour limiter l’irritation liée aux détergents trop puissants.

Hypopigmentations postinflammatoires De nombreuses dermatoses peuvent entraîner une dépigmentation de la peau au cours de leur évolution, ce qui en modifie la présentation clinique. Devant toute dépigmentation de la peau, il est donc indispensable de rechercher par l’interrogatoire l’aspect et l’évolution d’une éventuelle dermatose préexistante. Dermatite séborréique Elle est assez rare sur les peaux pigmentées. La phase inflammatoire est souvent inaperçue, se limitant à une desquamation « grasse » des zones usuelles : ailes du nez, zone intersourcilière, bordure du cuir chevelu, zone prétragienne. Cette inflammation ne dure que quelques jours et laisse place à une hypopigmentation régulière, à bords flous. Celle-ci peut durer plusieurs semaines avant de repigmenter spontanément. La localisation caractéristique et l’association fréquente à une atteinte du cuir chevelu permettent assez facilement de poser le diagnostic. Le traitement repose sur le kétoconazole ou la ciclopiroxolamine en topiques. Il ne permet pas la repigmentation, qui reste lente.

Dermatologie sur peau noire La dermatite séborrhéique du nourrisson entraîne également une décoloration, parfois très importante, sur le visage mais aussi sous les couches. Psoriasis Il est rare sur les peaux noires et présente la particularité de guérir en laissant des taches arrondies dépigmentées, sur les zones habituelles du psoriasis : face d’extension des coudes et des genoux, jambes, lombes. L’atteinte du visage est fréquente, proche de celle de la dermatite séborrhéique. L’examen et l’interrogatoire retrouvent facilement les lésions érythématosquameuses caractéristiques. Dermatite atopique Elle est fréquente chez les enfants afro-antillais. Les poussées d’eczéma évoluent souvent vers une décoloration, en particulier dans les plis. Chez les enfants plus grands, l’aspect se rapproche du pityriasis alba. Brûlures Les brûlures, chimiques ou thermiques, peuvent entraîner une destruction des mélanocytes, lorsqu’elles atteignent le deuxième degré profond. Dans ce cas, il persiste une zone totalement achromique après guérison, souvent entourée d’une zone hyperpigmentée.

Hypopigmentations d’origine infectieuse Certaines maladies tropicales peuvent se manifester par des lésions dépigmentées. Elles surviennent principalement chez des patients originaires de pays tropicaux, immigrés récemment. Maladie de Hansen Bien qu’en net recul, elle est encore présente en Afrique subsaharienne. Certaines formes débutent par des macules hypopigmentées, souvent de grande taille, avec une bordure floue, parfois annulaire. La recherche d’une hypoesthésie au tact ou à la douleur est donc un geste indispensable devant toute tache claire chez un sujet venant d’une zone d’endémie lépreuse. Au moindre doute, il faut faire une recherche de bacille de Hansen. Onchocercose Après plusieurs années d’évolution, cette filariose peut donner des taches totalement dépigmentées, comme celles du vitiligo, sur les membres inférieurs. La bordure est déchiquetée, irrégulière, et les taches coexistent avec des lésions brun sombre

509 ou rouges, prurigineuses, encore actives. À ce stade assez évolué, rare en France, il existe généralement des lésions oculaires. L’interrogatoire retrouve un prurit chronique depuis plusieurs années et un séjour prolongé en zone rurale forestière. Pian C’est une tréponématose endémique atteignant surtout les enfants de la zone sahélienne. Les lésions guérissent spontanément, mais peuvent laisser chez l’adulte des cicatrices blanches, arrondies ou polycycliques, sur les membres inférieurs. Le Treponema pallidum haemagglutination assay (TPHA) et le venereal disease research laboratory (VDRL) sont positifs. Pityriasis versicolor Comme sur les peaux blanches, le pityriasis versicolor se dépigmente après exposition solaire. De nombreuses macules hypochromiques, voire totalement blanches, apparaissent sur le tronc, en particulier le haut du dos et les épaules. L’apparition brutale et la localisation caractéristique permettent de poser le diagnostic.

Hyperpigmentations6 L’hyperpigmentation est le deuxième grand cadre symptomatologique des dermatoses sur peau noire. Elle est responsable de nombreuses consultations et d’un certain nomadisme médical, les taches pigmentées étant souvent très mal vécues par les patients. Toutes les inflammations cutanées sont susceptibles d’entraîner une séquelle pigmentée, le degré d’inflammation déterminant l’intensité de la pigmentation. Certaines pathologies sont importantes à connaître (Tableau 4).

Acné à évolution pigmentogène (Fig. 9) L’acné est plus fréquente sur les peaux noires et dure beaucoup plus longtemps, jusqu’à 35-40 ans chez la femme. Comme sur les peaux claires, les lésions inflammatoires évoluent spontanément vers la guérison en quelques semaines, mais en laissant systématiquement une tache pigmentée qui va durer plusieurs semaines. Les poussées d’acné se succédant, le visage des patients présente en plus des papulopustules classiques, de nombreuses macules pigmentées de couleur différente suivant l’âge de la lésion, ce qui entraîne un préjudice esthétique important. Lorsque le patient manipule les lésions, les pigmentations deviennent plus sombres et plus tena-

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Tableau 4 Principales étiologies des hyperpigmentations sur peau noire. Causes les plus fréquentes Acné Lichénifications : eczéma, prurit idiopathique, prurigo, eczématides Pigmentations d’origine infectieuse Gale Pityriasis versicolor Pigmentations d’origine inflammatoire Pityriasis rosé de Gibert Lichen plan Psoriasis en poussée Pigmentations iatrogènes Ochronose Pigmentations mercurielles Pigmentations médicamenteuses Pigmentations physiologiques (cf. Tableau 2) Autres étiologies Mélasma Taches café au lait Hamartomes

ces. Entre deux poussées d’acné, les taches persistent, pendant de nombreux mois. La trétinoïne locale permet de traiter à la fois l’acné et les pigmentations mais elle est mal tolérée sur les peaux noires et doit être prescrite en couche très mince, en commençant les applications deux fois par semaine. L’acide azélaïque en topique peut également être prescrit. Une préparation à 4 % d’hydroquinone peut être associée sur les pigmentations les plus foncées.

Eczémas Les eczémas sont la deuxième grande cause des pigmentations sur les peaux noires. Dans les eczémas de contact, les signes habituels (œdème, vésicules, suintement) manquent souvent, pour laisser place à une plaque pigmentée, mal limitée, d’aspect fripé, avec de petites excoriations. Le prurit, intense, est constant. Le dia-

Figure 9 Acné pigmentaire.

gnostic est évoqué sur l’apparition brutale, le caractère localisé et la notion, à l’interrogatoire, de contact allergisant : cosmétique, parfum, bijoux, produits ménagers, contacts professionnels, etc. La lichénification est très rapide sur les peaux noires, en parfois 1 à 2 semaines d’évolution : le grattage aboutit à une plaque hyperpigmentée, avec une peau rugueuse et épaisse d’aspect quadrillé. Cette lichénification peut durer indéfiniment si le patient n’arrête pas de se gratter. Le traitement repose sur les dermocorticoïdes de classe II, voire de classe I en cas de lichénification très épaisse, pendant 10 à 15 jours.

Prurit chronique idiopathique (Fig. 10) En zone de climat tempéré, la peau noire est souvent prurigineuse, surtout en hiver, du fait de la sécheresse cutanée. Ce prurit est diffus, plus intense sur le haut du dos et les chevilles. Il est majoré après la douche et peut entraîner un grattage intense qui aboutit à une lichénification superficielle, avec de larges plaques pigmentées mal limitées, principalement sur le dos et les épaules. La peau est sèche et parfois finement squameuse. Le traitement repose sur l’arrêt du prurit et l’utilisation de crèmes hydratantes une ou deux fois par jour toute l’année.

Mélasma Il est assez fréquent sur les peaux métissées claires. Comme sur les peaux mates, ce sont des macules bien limitées apparaissant après exposition solaire sur la zone malaire, les tempes, et parfois le front et la lèvre supérieure. En hiver, les taches s’éclaircissent, pour repigmenter rapidement à chaque

Figure 10 Lichénification sur un prurit idiopathique.

Dermatologie sur peau noire exposition solaire. Une protection par écrans solaires puissants est indispensable, associée à l’utilisation de dépigmentants dès la fin de l’été.

Pigmentations postinflammatoires Sur les peaux noires, toutes les dermatoses inflammatoires aboutissent à une pigmentation. Celle-ci peut être au premier plan, ce qui rend parfois le diagnostic plus difficile. Pityriasis rosé de Gibert Il est souvent très kératosique et pigmenté. Le caractère éruptif et l’aspect ovalaire des lésions disséminées sur le tronc doivent y faire penser. Des macules pigmentées peuvent persister plusieurs mois après guérison. Gale Le prurit féroce entraîne une pigmentation irrégulière des zones de grattage : entre les doigts, aisselles, avant-bras, mamelons, organes génitaux externes. Les sillons de gale sont souvent remplacés par une hyperkératose des mêmes zones. Lichen plan La localisation des papules est caractéristique, sur les poignets et les avant-bras. Les lésions sont souvent profuses, kératosiques, et très pigmentées. Le prurit est constant. Après guérison, les pigmentations peuvent persister plusieurs années. Psoriasis Il est rare sur peau noire. Il donne des plaques dont l’érythème est masqué par des squames épaisses et une hyperpigmentation. La localisation aux coudes, genoux, lombes et cuir chevelu, et l’atteinte des ongles, permettent de poser facilement le diagnostic.

Pigmentations iatrogènes Un nombre croissant de patientes africaines utilisent des crèmes dépigmentantes régulièrement dans le but d’éclaircir le teint. Après plusieurs années d’utilisation, ces crèmes peuvent entraîner une hyperpigmentation iatrogène d’autant moins bien ressentie par les patientes qu’elles vont à l’encontre du but recherché. Par ailleurs, certains médicaments sont susceptibles d’entraîner une pigmentation plus marquée sur peau noire : clofazimine, minocycline, etc. Ochronose C’est un trouble pigmentaire dû à l’utilisation chronique de topiques dépigmentants à base d’hydro-

511 quinone. Après plusieurs années ou mois d’applications régulières, une hypopigmentation en « confettis » apparaît, accompagnée d’une hyperpigmentation des zones malaires et temporales, sous forme d’amas de ponctuations brun sombre. Il n’y a pas de traitement. Pigmentations mercurielles L’utilisation de savons à base de mercure pour éclaircir le teint est devenue plus rare. Leur usage au long cours était responsable d’irritations cutanées suivies d’une hyperpigmentation par dépôts de mercure sur la jonction dermoépidermique. Il n’existe pas de traitement. Dermocorticoïdes L’usage de dermocorticoïdes souvent puissants est très fréquent, de façon quotidienne, pour éclaircir le teint. À la longue, en plus de complications à type d’acné et de vergetures, une hyperpigmentation réactionnelle peut apparaître, en particulier sur la face dorsale des articulations des doigts, et sur la zone malaire. Il n’existe pas de traitement (Tableau 4).

Maladies du cuir chevelu Le cheveu des patients afro-antillais est particulier par son caractère crépu. Celui-ci est dû à l’incurvation naturelle du follicule pileux, à la coupe elliptique du poil et à la présence de nombreux ponts disulfures dans la structure de la kératine. En climat tempéré, le cheveu crépu est sec et cassant et le cuir chevelu est souvent sensible. Les patients sont donc sujets à des pathologies particulières.

Alopécies traumatiques Ce sont les chutes de cheveux liées aux modes de coiffure particuliers des Afro-Antillaises. Alopécie de traction Très fréquente, voire constante chez les femmes noires, l’alopécie de traction est due aux traumatismes répétés exercés sur la chevelure : port de tresses artificielles nouées aux vrais cheveux, utilisation quotidienne de bigoudis, brossage intensif quotidien pour maintenir le cheveux en arrière, avec traction en queue de cheval. Ces tractions répétées entraînent un arrachage des cheveux sur toute la bordure du cuir chevelu, principalement la zone temporale. À la longue, le follicule pileux dégénère et l’alopécie devient définitive.

512 L’aspect est celui d’une raréfaction progressive de la chevelure, plus marquée sur les tempes : une « clairière » alopécique apparaît, parsemée de quelques cheveux fins et cassants, avec persistance d’une bande de cheveux sur la bordure frontale. Cette zone alopécique s’étend progressivement en arrière, puis sur toute la bordure du cuir chevelu si les modes de coiffure agressifs persistent. Le traitement repose sur l’arrêt des traumatismes et sur le minoxidil à 2 % en applications biquotidiennes prolongées sur plusieurs mois. Ceci permet une repousse mais jamais complète. Alopécie du défrisage La majorité des femmes noires ont recours au défrisage régulier qui simplifie la coiffure et permet de répondre aux standards de la mode capillaire, souvent venus des États-Unis. Il est fait tous les 3 à 4 mois et entraîne plusieurs problèmes. Le cheveu devient sec et cassant et s’use rapidement ce qui entraîne souvent un raccourcissement de la chevelure, les patientes se plaignant alors que « leurs cheveux ne poussent plus ». Lorsque les défrisages sont trop fréquents ou lorsqu’ils sont laissés trop longtemps, ils peuvent entraîner des alopécies aiguës, par cassure des cheveux très courts, de façon diffuse ou sur de larges zones. À la longue, les défrisages répétés peuvent léser les follicules pileux, qui dégénèrent peu à peu. La chevelure devient moins dense, surtout sur le vertex et la zone occipitale, avec parfois un aspect mité du cuir chevelu. Le minoxidil peut améliorer le problème, mais sans repousse complète.

P.-P. Cabotin ou parfois douloureuses. En début d’évolution, elles peuvent être confondues avec une simple dermatite séborrhéique, puis, quand l’alopécie apparaît, avec un lichen ou un lupus chronique. Le traitement repose sur une cure de cyclines à faibles doses pendant quelques semaines associées à une corticothérapie locale. Il doit être repris à chaque nouvelle poussée afin d’éviter la constitution des plaques alopéciques qui sont définitives. Cellulite disséquante du scalp7 Cette alopécie rare touche surtout les hommes. Elle commence chez l’adulte jeune par des poussées de folliculite inflammatoire du vertex et de la zone occipitale. Les lésions pustuleuses évoluent vers de véritables abcès confluents qui peuvent suppurer pendant de nombreuses semaines, aboutissant à des plaques d’alopécie cicatricielle définitives. L’étiologie est inconnue. Il pourrait s’agir d’une forme d’acné chéloïdienne de la nuque ou d’une forme évolutive de la folliculite décalvante. Le traitement repose sur les cyclines per os en cures prolongées, les corticoïdes locaux ou intralésionnels, le drainage des abcès. Une cure d’isotrétinoïne peut être proposée dans les formes non contrôlées.

Références 1.

2.

Alopécies inflammatoires Folliculite décalvante Cette affection inflammatoire, d’origine inconnue, survient surtout chez la femme. Elle commence à l’âge adulte par des poussées inflammatoires du vertex. Il s’agit d’une inflammation péripilaire qui évolue vers une pustule, puis une croûte, avec destruction du follicule pileux. Les poussées se succèdent, entraînant une alopécie progressive du vertex, au sein de laquelle quelques follicules pileux peuvent résister. Les lésions sont prurigineuses

3. 4. 5. 6.

7.

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