Diagnostic et classification des hypertensions artérielles pulmonaires

Diagnostic et classification des hypertensions artérielles pulmonaires

EMC-Pneumologie 2 (2005) 192–203 http://france.elsevier.com/direct/EMCPN/ Diagnostic et classification des hypertensions artérielles pulmonaires Dia...

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EMC-Pneumologie 2 (2005) 192–203

http://france.elsevier.com/direct/EMCPN/

Diagnostic et classification des hypertensions artérielles pulmonaires Diagnosis and classification of pulmonary arterial hypertension S. Provencher, MD a,*, S. Martel, MD a, X. Jais (Praticien hospitalier) b, O. Sitbon (Praticien hospitalier) b, M. Humbert (Professeur des Universités, praticien hospitalier) b, G. Simonneau (Professeur des Universités, praticien hospitalier) b a

Institut de cardiologie et de pneumologie de l’université Laval, service de pneumologie, hôpital Laval, 2725, chemin Sainte-Foy, Sainte-Foy (Québec), Canada G1V 4G5 b Centre des maladies vasculaires pulmonaires (UPRES EA 2705), service de pneumologie et réanimation, AP-HP - université Paris-Sud, hôpital Antoine-Béclère, 92140 Clamart, France

MOTS CLÉS Hypertension artérielle primitive ; Hypertension pulmonaire secondaire ; Anorexigènes ; Maladie veino-occlusive ; BMPR2 ; Échocardiographie ; Cathétérisme cardiaque droit

Résumé La classification clinique actuelle des hypertensions pulmonaires a pour objectif d’individualiser des catégories de pathologies présentant des similitudes dans leur physiopathologie, leur présentation clinique et leur prise en charge. Elle guide également l’approche diagnostique de la maladie. Cette approche permet de confirmer la présence d’une hypertension pulmonaire, de clarifier sa classe « étiologique », d’évaluer les conséquences sur le plan fonctionnel et hémodynamique et d’établir la meilleure stratégie thérapeutique. Le présent article a pour but de présenter cette classification clinique des hypertensions pulmonaires en portant une attention particulière aux diverses formes d’hypertensions artérielles pulmonaires. La démarche diagnostique préconisée y est également détaillée. © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

KEYWORDS Primary arterial hypertension; Secondary arterial hypertension; Anorexigens; Veno-occlusive disease; BMPR2; Echocardiography; Cardiac catheterization

Abstract The current clinical classification of pulmonary hypertension represents a consensus accommodating our present understanding of pathophysiology and clinical differences or similarities within categories of pulmonary hypertension. This classification also guides the diagnostic approach of pulmonary hypertension. Various investigations are necessary to clarify the category of pulmonary hypertension and establish precise diagnosis. Disease severity is also assessed in order to accurately evaluate patient’s prognosis and determine the risk: benefit profiles for various therapeutic options. This article highlights the diagnostic approach to pulmonary hypertension. The current clinical classification of pulmonary hypertension is also discussed, with specific attention to the pulmonary arterial hypertension category. © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

* Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (S. Provencher). 1762-4223/$ - see front matter © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi: 10.1016/j.emcpn.2005.07.002

Diagnostic et classification des hypertensions artérielles pulmonaires

Introduction L’hypertension pulmonaire se définit par une pression artérielle pulmonaire moyenne supérieure à 25 mmHg au repos ou supérieure à 30 mmHg à l’effort.1 La classification des hypertensions pulmonaires a pour objectif d’individualiser des catégories de pathologies présentant des similitudes dans leur physiopathologie, leur présentation clinique et leur prise en charge. Cette classification a récemment été revue et modifiée lors du World Symposium on Pulmonary Arterial Hypertension à Venise en 2003.2 En plus de permettre une meilleure standardisation de l’approche diagnostique et du traitement des patients, cette classification a permis la réalisation d’études cliniques de patients homogènes ainsi que la découverte de mécanismes physiopathologiques communs. Le présent article a pour but de présenter cette nouvelle classification clinique en portant une attention particulière aux diverses formes d’hypertensions artérielles pulmonaires. La démarche diagnostique y est également détaillée.

Classification clinique des hypertensions pulmonaires Les hypertensions pulmonaires sont aujourd’hui catégorisées en cinq classes distinctes.2 En plus des hypertensions artérielles pulmonaires (HTAP) proprement dites (groupe 1), on retrouve les hypertensions pulmonaires associées aux cardiopathies gauches (groupe 2), aux maladies respiratoires et/ou à l’hypoxie chronique (groupe 3), aux maladies thrombotiques/emboliques chroniques (groupe 4) et enfin à de rares conditions spécifiques touchant directement la circulation pulmonaire (groupe 5) (Tableau 1).

Hypertension artérielle pulmonaire (groupe 1) Sous le terme d’HTAP sont regroupées différentes maladies touchant les artères pulmonaires de petit calibre entraînant une augmentation progressive des résistances artérielles pulmonaires et une défaillance cardiaque droite.3 Traditionnellement considérée comme une maladie orpheline, la prévalence minimale de l’HTAP est aujourd’hui estimée à plus de 15 cas par million d’habitants.4 Ces données sont basées sur un registre national français récent qui a aussi révélé que l’HTAP est idiopathique dans 39 % des cas et familiale dans 4 % des cas. L’HTAP survient également en association avec

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Tableau 1 Classification clinique des hypertensions pulmonaires (Classification révisée lors du World Symposium Venise 2003). 1. Hypertension artérielle pulmonaire (HTAP) 1.1 Idiopathique (anciennement dénommée primitive) 1.2 Familiale 1.3 Associée à une condition sous-jacente : - 1.3.1. Connectivite - 1.3.2. Cardiopathie congénitale* - 1.3.3. Hypertension portale - 1.3.4. Infection VIH - 1.3.5. Médications et toxiques - 1.3.6. Autres (dysthyroïdie, maladie de Gaucher, hémoglobinopathies, syndromes myéloprolifératifs, splénectomie, télangiectasie hémorragique héréditaire) 1.4. Associée à une atteinte veineuse/capillaire - 1.4.1. Maladie veino-occlusive - 1.4.2. Hémangiomatose capillaire 1.5. Hypertension pulmonaire persistante du nouveau-né 2. Hypertension pulmonaire associée à une cardiopathie gauche 2.1. Atteinte auriculaire ou ventriculaire gauche 2.2. Valvulopathie gauche 3. Hypertension pulmonaire associée aux maladies respiratoires et/ou à l’hypoxie 3.1. Bronchopathie pulmonaire chronique obstructive 3.2. Maladie interstitielle 3.3. Troubles ventilatoires du sommeil 3.4. Hypoventilation alvéolaire 3.5. Exposition chronique à l’altitude 3.6. Anomalies du développement 4. Hypertension pulmonaire secondaire à une maladie thrombotique/embolique chronique 4.1. Obstruction thromboembolique des artères pulmonaires proximales 4.2. Obstruction thromboembolique des artères pulmonaires distales 4.3. Embolies pulmonaires non thrombotiques (tumorales, parasitaires, etc.) 5. Autres Sarcoïdose, histiocytose X, lymphangiomyomatose, compression vasculaire (adénopathies, tumeurs, fibrose médiastinale) * Classification suggérée des cardiopathies congénitales avec shunt Type Simple - communication interauriculaire (CIA) - communication interventriculaire (CIV) - canal artériel persistant - anomalies du retour veineux (totale/partielle) Combinée Complexe - ventricule unique - transposition des gros vaisseaux - canal atrioventriculaire Dimensions Petite (CIA < 2,0 cm et CIV < 1,0 cm) Large (CIA > 2,0 cm et CIV > 1,0 cm) Anomalies extracardiaques associées Correction Non corrigée Partiellement corrigée (âge) Corrigée : spontanée ou chirurgicale (âge) Adapté de Simonneau et al2.

194 Tableau 2 Facteurs de risque et conditions associées de l’hypertension artérielle pulmonaire en fonction du niveau d’évidence actuel. Iatrogènes et toxiques Définitif ou probable - Aminorex - Fenfluramine - Dexfenfluramine - Amphétamines - L-tryptophan Possible - Méta-amphétamines - Cocaïne - Agents de chimiothérapie Improbable - Antidépresseurs - Œstrogénothérapie - Tabagisme Démographie Définitif - Sexe Possible - Grossesse Improbable - Obésité Conditions médicales Définitif ou probable - Infection VIH - Hypertension portale - Connectivites - Cardiopathies congénitales Possible - Hypertension systémique - Dysthyroïdie - Splénectomie chirurgicale - Anémie falciforme - b-thalassémie - Syndromes myéloprolifératifs - Glycogénose de type 1a (von Gierke) - Maladie de Gaucher - Télangiectasie hémorragique héréditaire Adapté de Simonneau et al.2 VIH : virus de l’immunodéficience humaine.

des conditions variées telles que l’exposition aux anorexigènes (11 %), les connectivites (15 %), les cardiopathies congénitales (13 %), l’hypertension portale (9 %) et l’infection par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) (5 %).4 Les facteurs de risque et les conditions potentiellement associées au développement de l’HTAP sont présentés au Tableau 2. Ces différentes conditions sont caractérisées par des anomalies histologiques similaires associant hypertrophie de la média, fibrose intimale, lésions plexiformes et thromboses organisées et recanalisées. Leur présentation clinique est également similaire et largement non spécifique (Tableau 3), ce qui explique que le diagnostic soit généralement

S. Provencher et al. porté à un stade avancé de la maladie. Elle traduit en fait le retentissement de la maladie sur le cœur droit et les manifestations liées à la maladie sousjacente (par exemple sclérodermie systémique ou cirrhose). Des modifications histologiques similaires, un profil clinique comparable et une prise en charge clinique identique5 justifient donc l’association de ces pathologies très diverses sous la « rubrique » HTAP.

HTAP idiopathique et familiale L’HTAP est considérée idiopathique (anciennement dénommée hypertension pulmonaire primitive) lorsqu’elle survient en l’absence de condition associée. Des formes familiales (> 1 cas dans la famille) sont également rencontrées, soulignant une prédisposition génétique potentielle sous-jacente. Des mutations germinales de gènes codant pour des membres de la famille des récepteurs du TGFb tels que BMPR2 ont d’ailleurs été mises en évidence chez certains de ces patients.6,7 Elles sont transmises par mode autosomique dominant. La pénétrance est toutefois faible (10-20 %) si bien que la majorité des sujets porteurs de la mutation ne développera jamais la maladie.8 Ces mutations de BMPR2 sont retrouvées dans plus de la moitié des cas d’HTAP familiale et chez 10 à 30 % des HTAP idiopathiques apparemment non familiales. Certaines HTAP idiopathiques apparemment sporadiques représentent donc vraisemblablement le premier cas identifié d’une forme familiale ignorée jusquelà. Des mutations du gène codant pour BMPR2 ont également été documentées chez des patients souffrant d’HTAP associée à la prise d’anorexigènes9 et certaines cardiopathies congénitales.10

HTAP associée à l’exposition aux anorexigènes Un lien possible entre l’exposition aux anorexigènes et le développement d’HTAP a d’abord été soulevé dans les années 1960, lorsqu’une augmentation dramatique des cas d’HTAP a été rapportée en Suisse, en Autriche et en Allemagne.11–13 Les études épidémiologiques ont démontré qu’environ 2-3 % des sujets exposés au fumarate d’aminorex développaient subséquemment une HTAP.11,12,14 Deux larges études épidémiologiques ont également démontré une association entre l’exposition aux fenfluramines et la survenue de l’HTAP.15,16 Le risque de développer une HTAP semble relié à la durée d’exposition.15 De plus, elle peut survenir plusieurs années après la fin de l’exposition.4 La présentation clinique de ces patients est en tout point comparable à l’HTAP idiopathique (mutations

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Tableau 3 Présentation clinique et anomalies paracliniques de l’hypertension artérielle pulmonairea. Histoire

Examen cardiaque

Examen pulmonaire Examen général

Épreuves fonctionnelles respiratoires Gaz du sang artériel Radiographie pulmonaire et/ou tomodensitométrie thoracique

Scintigraphie V/Q Électrocardiogramme

- Dyspnée progressive (initialement légère) - Lipothymie ou syncope à l’effort - Douleurs thoraciques - Œdème des membres inférieurs - Autres: palpitations, hémoptysies, fatigue, dysphonie - Augmentation de la composante pulmonaire de B2 - Souffle d’insuffisance tricuspidienne/pulmonaire - Distension jugulaire / Œdèmes périphériques - Autres : hépatalgie, ascite, cyanose, tachycardie - Râles crépitants possibles dans la maladie veino-occlusive et en présence d’une pathologie interstitielle associée - Hippocratisme digital possible avec les cardiopathies congénitales, la maladie veinoocclusive ou les pathologies respiratoires - Stigmates des pathologies associées (p. ex. cirrhose) - Abaissement isolé de la capacité de diffusion de l’oxyde de carbone - Trouble ventilatoire restrictif léger - Hypoxémie et hypocapnie légèresb - Dilatation des artères pulmonaires proximales - Cardiomégalie (à prédominance droite) - Syndrome interstitiel (pathologie respiratoire, origine postcapillaire ou maladie veinoocclusive) - Hypertrophie de la circulation bronchique occasionnelle - Normale ou defects perfusionnels non systématisés - Dextrorotation avec aspect S1Q3 - Hypertrophie auriculaire droite (onde P ample en DII-DIII et bifide en V1) - Hypertrophie ventriculaire droite (grande onde R en V1, onde R < S en V6, troubles de la repolarisation)

Scintigraphie V/Q = scintigraphie ventilation et perfusion. a Ses symptômes, signes physiques et anomalies paracliniques apparaissent tardivement dans l’évolution de la maladie. b Une hypoxémie importante peut survenir en présence d’une cardiopathie congénitale avec inversion du shunt (syndrome d’Eisenmenger) ou de foramen ovale perméable.

BMPR2 identifiées, possibilité de réponse au test de vasoréactivité, pronostic). Sa physiopathologie, bien que mal comprise, pourrait impliquer des anomalies du métabolisme de la sérotonine.17 D’autres toxiques, notamment les amphétamines, augmentent également le risque de développer une HTAP (Tableau 2).

HTAP associée aux connectivites L’HTAP est une complication bien reconnue des connectivites. Elle survient principalement dans le cadre de la sclérodermie systémique limitée (syndrome de Crest) ou diffuse,18 du lupus érythémateux disséminé19 ou de la connectivite mixte20 et plus rarement en association avec la polyarthrite rhumatoïde, la dermatomyosite et le syndrome de Sjögren.21 Environ 10-15 % des patients souffrant d’une sclérodermie systémique limitée présentent une HTAP associée au cours de leur évolution.18 Comparativement à l’HTAP idiopathique, les patients souffrant d’HTAP associée aux connectivites sont généralement plus sévères sur le plan clinique et hémodynamique. Leur pronostic à long terme est également plus sombre.22

Compte tenu de la prévalence élevée de l’HTAP dans le cadre de la sclérodermie systémique, le dépistage systématique de la maladie par échocardiographie périodique a été suggéré pour ces patients.23,24 En présence d’élévation de la pression artérielle pulmonaire à l’échocardiographie, il est important de confirmer le diagnostic par cathétérisme cardiaque droit et de distinguer cette HTAP de l’hypertension pulmonaire secondaire à une fibrose pulmonaire ou une dysfonction cardiaque gauche qui sont fréquentes dans ces pathologies.

HTAP associée aux cardiopathies congénitales avec shunt La persistance d’un shunt gauche-.droite peut se compliquer d’anomalies des artères de petit calibre, comparables à l’HTAP idiopathique, conduisant à l’élévation progressive des résistances vasculaires pulmonaires et à l’inversion du shunt cardiaque (syndrome d’Eisenmenger).25 La classification actuelle des cardiopathies congénitales prend en compte le type, la taille, ainsi que la correction (spontanée ou chirurgicale) des anomalies congénitales documentées (Tableau 1).2 Ces

196 caractéristiques sont importantes puisqu’elles influencent directement le risque de développer une HTAP. Ce risque est effectivement plus élevé en présence d’une communication interventriculaire (≈ 10 %) comparativement à une communication interauriculaire (≈ 4-6 %).26 De même, certains types de communications interauriculaires seront plus fréquemment compliqués d’HTAP.27 Enfin, le développement de l’HTAP est fonction de la taille de l’anomalie, survenant chez ≈ 3 % et ≈ 50 % des patients avec communications interventriculaires de petite taille ou de taille > 1,5 cm, respectivement.28 En présence d’un shunt de petite taille, le rôle physiopathologique de cette anomalie dans le développement de l’HTAP est parfois même contesté.29 Il en est de même pour l’HTAP survenant après correction chirurgicale de la cardiopathie congénitale. Comparativement à l’HTAP idiopathique, les complications hémorragiques (hémoptysies, hémorragie intracrânienne) et thrombotiques (thrombus d’alluvionnement, embolie paradoxale) sont plus fréquentes en présence d’une cardiopathie congénitale. De façon générale toutefois, le pronostic à long terme est plus favorable, la défaillance cardiaque droite survenant à un stade plus tardif de la maladie.30

HTAP associée à l’hypertension portale (hypertension portopulmonaire) Contrairement aux patients cirrhotiques qui présentent une élévation de la pression artérielle pulmonaire secondaire à une augmentation du débit cardiaque et/ou du volume sanguin, les patients avec hypertension portopulmonaire présentent un remodelage vasculaire pulmonaire avec élévation des résistances vasculaires pulmonaires conduisant à l’insuffisance cardiaque droite.31–33 Environ 0,62,0 % des patients cirrhotiques avec hypertension portale présentent une HTAP significative.31,32 Le développement de cette HTAP est en relation avec l’hypertension portale proprement dite et peut survenir en l’absence de maladie hépatique (par exemple en cas de thrombose portale isolée).34 Il n’y a aucun lien entre la sévérité de la dysfonction hépatique ou le niveau d’hypertension portale et le risque de développer une HTAP. Seule la durée de l’hypertension portale semble augmenter le risque d’HTAP. Comparativement aux HTAP idiopathiques, les patients atteints d’hypertension portopulmonaire présentent fréquemment un débit cardiaque plus élevé, des résistances vasculaires pulmonaires plus basses ainsi qu’un pronostic sans traitement légèrement plus favorable.35 Un diagnostic d’HTAP a des conséquences majeures pour les patients. D’une part, leur prise en charge thé-

S. Provencher et al. rapeutique est compliquée par la présence de comorbidités fréquentes et l’hépatotoxicité potentielle de certains traitements spécifiques de l’HTAP. D’autre part, la découverte d’une HTAP significative (pression artérielle pulmonaire moyenne > 35 mmHg et résistances vasculaires pulmonaires > 250 dynes.s–1.cm–5) contre-indique de façon absolue la greffe hépatique.36 De ce fait, une échographie cardiaque éventuellement complétée par un cathétérisme cardiaque droit doit être réalisée de façon systématique chez tous les patients référés pour une greffe hépatique.23

HTAP associée à l’infection par le virus de l’immunodéficience humaine L’HTAP est une complication rare mais bien reconnue de l’infection par le VIH.37,38 L’incidence annuelle d’HTAP est d’environ 1 cas pour 1000 patients infectés.39 Compte tenu de leur survie prolongée résultant des traitements antirétroviraux actuels et de l’amélioration de la prophylaxie des infections opportunistes, de plus en plus de patients sont identifiés. La physiopathologie de l’HTAP dans le cadre de l’infection par le VIH demeure inconnue. Une action indirecte du VIH via des cytokines ou facteurs de croissance apparaît probable puisque le virus ne semble pas infecter les cellules endothéliales pulmonaires.40,41 Finalement, le développement d’une HTAP n’est pas influencé par le mode de transmission du VIH, le degré d’immunosuppression ou la présence d’une co-infection par le virus de l’hépatite B ou C.42 Puisque la mortalité de ces patients est principalement liée à l’HTAP plutôt qu’à d’autres complications du VIH, une prise en charge spécifique est essentielle.43

Maladie veino-occlusive et hémangiomatose capillaire pulmonaire La maladie veino-occlusive et l’hémangiomatose capillaire pulmonaire sont des causes rares d’HTAP. Contrairement aux HTAP idiopathiques, elles sont caractérisées par une atteinte veinulaire ou capillaire prédominante responsable d’un œdème interstitiel chronique et d’une hémosidérose pulmonaire.44 Cet œdème pulmonaire peut s’aggraver cliniquement sous traitement vasodilatateur.45 De plus, certains éléments de l’examen physique (hippocratisme digital, râles crépitants),46 de la tomodensitométrie thoracique (épaississement des septa interlobulaires, nodules flous centrolobulaires, adénopathies médiastinales)47–49 ou du lavage bronchoalvéolaire (hémorragie alvéolaire occulte avec présence de sidérophages)50 sont parfois évo-

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Figure 1 Arbre décisionnel. Démarche diagnostique classique de l’hypertension pulmonaire. Une hypertension pulmonaire doit être suspectée chez tout sujet présentant des symptômes compatibles (même légers) et inexpliqués. L’échographie cardiaque demeure l’examen initial de choix. Toutefois, seul le cathétérisme cardiaque droit permet de confirmer le diagnostic d’hypertension pulmonaire. De plus, il permet d’exclure une origine postcapillaire, d’effectuer un test de vasoréactivité et de fournir des éléments pronostiques importants. L’étape suivante consiste à exclure les hypertensions pulmonaires dites « secondaires » à l’aide des épreuves fonctionnelles respiratoires, de la tomodensitométrie thoracique, des gaz du sang artériel et de la scintigraphie pulmonaire ventilation-perfusion. Les examens complémentaires permettent de déterminer le type spécifique d’hypertension artérielle pulmo-

198 cateurs de ces maladies. Néanmoins, leurs similitudes avec l’HTAP idiopathique dans leur présentation clinique et hémodynamique (pression artérielle pulmonaire d’occlusion normale), ainsi que certains aspects physiopathologiques ont justifié de les inclure dans le groupe des HTAP.

Approche diagnostique La démarche diagnostique de l’hypertension pulmonaire a pour but de suspecter et de confirmer la maladie, d’en clarifier sa classe « étiologique » et d’en évaluer les conséquences sur le plan fonctionnel et hémodynamique (Fig. 1).

Suspicion clinique Un diagnostic d’hypertension pulmonaire doit être suspecté en présence de symptômes compatibles (même légers) et inexpliqués (Tableau 3), particulièrement en présence d’une pathologie susceptible d’être associée à l’hypertension pulmonaire (Tableau 1). Des symptômes disproportionnés par rapport à la sévérité de l’atteinte fonctionnelle causée par une pathologie respiratoire ou cardiaque sous-jacente incitent également à rechercher une hypertension pulmonaire associée. De plus, des anomalies suggestives d’hypertension pulmonaire peuvent être retrouvées lors d’examens complémentaires réalisés pour d’autres raisons cliniques (Tableau 3), notamment un abaissement disproportionné de la capacité de diffusion du monoxyde de carbone chez un patient sclérodermique.51,52 Toutefois, il importe de mentionner qu’une radiographie pulmonaire,53 un électrocardiogramme54 ou des tests de fonction respiratoire normaux ne permettent pas d’exclure une hypertension pulmonaire significative.

Détection Comme il s’agit d’un examen facilement disponible, non invasif et relativement peu coûteux, l’échographie cardiaque demeure l’examen initial de choix face à une hypertension pulmonaire suspectée. Elle permet d’estimer la pression artérielle pulmonaire systolique par la mesure de la vitesse du flux d’insuffisance tricuspide chez la majorité des patients.55 Cet examen permet aussi de rechercher une insuffisance cardiaque gauche, une car-

S. Provencher et al. diopathie congénitale ou un shunt droite-gauche par ouverture du foramen ovale. Son utilisation comme examen périodique de dépistage est actuellement recommandée chez les sujets à haut risque de développer la maladie tels que les individus porteurs : • d’une mutation BMPR2 connue ou les parents au premier degré d’un patient atteint d’HTAP familiale ; • d’une sclérodermie systémique diffuse ou limitée ; • d’une cardiopathie congénitale ; • d’une hypertension portale au moment du bilan prégreffe hépatique23. L’échographie cardiaque à l’effort a également été proposée pour le dépistage des formes latentes d’hypertension pulmonaire chez les individus à haut risque.56 Il s’agit toutefois d’une technique non validée qui est en cours d’évaluation actuellement. Malgré une corrélation relativement élevée (r = 0,57-0,93) entre les valeurs de pression artérielle pulmonaire mesurées à l’échocardiographie et lors du cathétérisme cardiaque,57 l’échocardiographie ne suffit pas à confirmer le diagnostic d’hypertension pulmonaire. De plus, les valeurs échographiques normales de pression artérielle pulmonaire sont influencées par l’âge,58 l’indice de masse corporelle58 et la forme physique du sujet.59

Confirmation du diagnostic Le cathétérisme cardiaque droit est le seul examen permettant de confirmer le diagnostic d’HTAP. L’atteinte précapillaire est définie par une pression artérielle pulmonaire moyenne > 25 mmHg au repos ou > 30 mmHg à l’effort en l’absence d’élévation de la pression d’occlusion (< 15 mmHg).60 En présence d’HTAP, un test de vasoréactivité est effectué. Trois agents sont couramment utilisés pour ce test (monoxyde d’azote inhalé, adénosine ou prostacycline intraveineuse). En raison de sa courte durée d’action et de sa sélectivité pulmonaire, le monoxyde d’azote est généralement préféré.1 Une réponse positive au test de vasoréactivité se définit par une diminution de la pression artérielle pulmonaire moyenne de plus de 10 mmHg pour parvenir à une valeur inférieure à 40 mmHg en présence d’un débit cardiaque normal ou élevé.61 Ce test est essentiel lors de l’évaluation initiale, puisqu’il permet d’identifier un sous-groupe de patients (< 10 % des patients) ayant un pronostic

naire. Les répercussions cliniques seront finalement évaluées en tenant compte de la présentation clinique, de la tolérance à l’effort du patient, des paramètres hémodynamiques et échocardiographiques, ainsi que de certains marqueurs biochimiques. PAPs = pression artérielle pulmonaire systolique ; PAPo = pression artérielle pulmonaire d’occlusion (reflet de la pression capillaire) ; VIH = virus de l’immunodéficience humaine.

Diagnostic et classification des hypertensions artérielles pulmonaires favorable à long terme sous traitement par les antagonistes calciques.61

Classification de l’hypertension pulmonaire L’étape suivante consiste à exclure les hypertensions pulmonaires dites « secondaires » (Tableau 1). Les épreuves fonctionnelles respiratoires sont essentielles. Associées au gaz du sang artériel et à la tomodensitométrie thoracique, elles dépistent une éventuelle maladie respiratoire sous-jacente (groupe 3). Une oxymétrie nocturne ou un enregistrement polysomnographique sont également recommandés en cas de suspicion d’un syndrome d’apnées du sommeil. La scintigraphie pulmonaire de ventilation et de perfusion demeure l’examen privilégié pour la recherche d’une maladie thromboembolique chronique (groupe 4).62 Des defects perfusionnels segmentaires et/ou lobaires conduisent à l’angiographie pulmonaire (même en l’absence d’obstruction artérielle pulmonaire visible sur l’angioscanner), afin de confirmer le diagnostic et de déterminer les possibilités d’intervention chirurgicale par thromboendartériectomie.62 Ces anomalies diffèrent des petits defects perfusionnels non systématisés (« patchy ») parfois rencontrés dans l’HTAP. En cas de doute sur une dysfonction cardiaque gauche à l’échocardiographie ou au cathétérisme cardiaque droit (groupe 2), une mesure de la fraction d’éjection isotopique ou un cathétérisme cardiaque gauche avec coronarographie sont envisagés. Le diagnostic d’HTAP est donc porté après exclusion des maladies respiratoires, cardiaques et thromboemboliques. Les examens complémentaires permettent finalement de déterminer le type spécifique d’HTAP. Les marqueurs d’autoimmunité et les anomalies de la coagulation sont toujours recherchés. Des facteurs antinucléaires positifs à faible titre (< 1 : 80) sont retrouvés dans 40 % des HTAP idiopathiques.63 Cette constatation nécessite des explorations complémentaires, afin d’éliminer une connectivite associée. Les sérologies pour le VIH et les hépatites B et C, ainsi qu’un bilan hépatique sont également effectués. En cas de maladie hépatique suspectée, l’hypertension portale sera recherchée par échographie abdominale avec doppler du tronc porte,64 par endoscopie digestive haute (varices œsophagiennes) et/ou par mesure du gradient portal (normale < 5 mmHg) lors du cathétérisme cardiaque droit.65 Devant la possibilité d’une maladie veino-occlusive pulmonaire ou d’une hémangiomatose capillaire pulmonaire, une approche non invasive est privilégiée incluant la probabilité clinique,46 la tomodensitométrie thoracique avec coupes millimétriques,47–49 ainsi que le

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lavage bronchoalvéolaire.50 Une biopsie pulmonaire chirurgicale est parfois discutée, mais n’a généralement pas d’indication dans la prise en charge des patients atteints d’HTAP, car elle est à haut risque de complications et de mortalité et modifie rarement la prise en charge thérapeutique.

Évaluation de la sévérité de la maladie Les antécédents de poussée d’insuffisance cardiaque droite et de malaises ou syncopes sont généralement des signes de gravité non négligeables. La tolérance à l’effort évaluée par la classe fonctionnelle de la New York Heart Association (NYHA) modifiée par l’Organisation mondiale de la santé (Tableau 4), bien que partiellement subjective, est un élément pronostique majeur pour ces patients.66 Le test de marche de 6 minutes constitue un moyen simple, précis et reproductible d’objectiver cette tolérance à l’effort.67,68 L’épreuve d’effort cardiopulmonaire s’est également avérée utile dans ce contexte.69,70 Néanmoins, les épreuves d’effort doivent être évitées chez les patients instables ou ayant présenté des syncopes, en raison du risque d’accidents graves (syncopes, mort subite). La sévérité hémodynamique lors du cathétérisme cardiaque droit a également un intérêt pronostique.66 En plus du niveau de pression artérielle pulmonaire, la pression auriculaire droite, le débit cardiaque et la saturation veineuse en oxygène doivent donc être évalués de façon systématique. De plus, certains paramètres échocardiographiques tels que la présence d’un épanchement péricardique71,72 ou l’augmentation de la taille de l’oreillette droite,72 de l’index d’excentricité du ventricule gauche72 ou de l’index doppler du venTableau 4 Classification fonctionnelle de la New York Heart Association (NYHA) modifiée par l’Organisation mondiale de la santé. I

II

III

IV

Absence de limitation fonctionnelle pour les activités physiques habituelles ; ces activités ne causent pas de dyspnée, de fatigue, de douleur thoracique ou de malaise Limitation fonctionnelle légère pour les activités physiques ; il n’y a pas d’inconfort au repos, mais des activités physiques normales causent de la dyspnée, de la fatigue, des douleurs thoraciques ou des malaises Limitation fonctionnelle importante pour les activités physiques ; il n’y a pas d’inconfort au repos, mais des activités physiques peu importantes causent de la dyspnée, de la fatigue, des douleurs thoraciques ou des malaises Incapacité à réaliser toute activité physique et/ou signes d’insuffisance cardiaque droite. La dyspnée et la fatigue peuvent être présentes au repos et accentuées par toute activité physique

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tricule droit (index de Tei)73 sont des éléments de mauvais pronostic. Finalement, le dosage plasmatique du brain natriuretic peptide (BNP)74 et de la troponine T75 est corrélé avec la sévérité de la maladie et au pronostic des patients. Les autres marqueurs biochimiques de la sévérité de la maladie (endothéline-176, uricémie77 et norépinéphrine78) sont rarement utilisés en clinique. Cette évaluation incluant la présentation clinique, la tolérance à l’effort, les paramètres hémodynamiques et échocardiographiques ainsi que certains marqueurs biochimiques permet d’évaluer la sévérité de la maladie lors du bilan initial et d’objectiver une réponse thérapeutique éventuelle.

Conclusion Les différentes maladies associées à l’hypertension pulmonaire sont aujourd’hui regroupées en cinq

classes distinctes en fonction de leur présentation clinique, des anomalies histologiques retrouvées, des mécanismes physiopathologiques impliqués, ainsi que de leur prise en charge thérapeutique. Cette nouvelle classification permet une meilleure standardisation de l’approche diagnostique qui se doit d’être méthodique. Un diagnostic précoce et précis de la maladie, ainsi qu’un traitement approprié sont des éléments essentiels dans l’amélioration du pronostic à long terme des patients. Les progrès dans notre compréhension des mécanismes conduisant au développement de la maladie et la venue de nouvelles techniques d’évaluation (dépistage systématique chez les sujets à haut risque, échographie cardiaque d’effort, résonance magnétique cardiaque, analyses génétiques et autres) sont susceptibles de modifier, dans les années futures, la classification clinique actuelle des hypertensions pulmonaires et l’approche diagnostique proposée.

Points essentiels • Les hypertensions pulmonaires sont catégorisées en cinq groupes distincts. L’hypertension artérielle pulmonaire (HTAP) (groupe 1) regroupe l’HTAP idiopathique, l’HTAP familiale et l’HTAP associée aux connectivites, aux cardiopathies congénitales, à l’hypertension portale, à l’infection par le VIH, à l’exposition aux anorexigènes, ainsi que la maladie veino-occlusive et l’hémangiomatose capillaire pulmonaire. • Ces différentes formes d’HTAP touchent les artères pulmonaires de petit calibre entraînant une augmentation progressive des résistances artérielles pulmonaires et une défaillance cardiaque droite. Elles présentent de nombreuses similitudes cliniques, histologiques, physiopathologiques et thérapeutiques. • Traditionnellement considérée comme une maladie orpheline, la prévalence minimale de l’HTAP est aujourd’hui estimée à plus de 15 cas par million de population. • La présentation clinique de l’HTAP est largement non spécifique. Un indice de suspicion élevé est donc primordial. Un diagnostic d’HTAP doit toujours être suspecté en présence de dyspnée inexpliquée (même légère). • L’échographie cardiaque est l’examen de choix si un diagnostic d’HTAP est suspecté. Elle permet d’estimer le niveau de pression artérielle pulmonaire chez la majorité des patients. • Le cathétérisme cardiaque droit demeure toutefois essentiel pour confirmer le diagnostic. • Un diagnostic précis d’hypertension pulmonaire est généralement établi sur la base d’une évaluation clinique détaillée et méthodique. Une biopsie pulmonaire est rarement indiquée. • Une évaluation dans un centre spécialisé dans la prise en charge de l’hypertension pulmonaire est fréquemment de mise lorsque la cause d’hypertension pulmonaire n’est pas évidente ou qu’un traitement spécifique est envisagé.

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