Diagnostic moléculaire de la maladie de Gaucher en Tunisie

Diagnostic moléculaire de la maladie de Gaucher en Tunisie

Pathologie Biologie 61 (2013) 59–63 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Article original Diagnostic mole´culaire de la maladie de Gauche...

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Pathologie Biologie 61 (2013) 59–63

Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com

Article original

Diagnostic mole´culaire de la maladie de Gaucher en Tunisie Molecular diagnosis of Gaucher disease in Tunisia W. Cherif a,*,b, H. Ben Turkia b, F. Ben Rhouma a,c, I. Riahi b, J. Chemli d, O. Amaral e, M.C. Sa´ Miranda e, C. Caillaud f, N. Kaabachi g, N. Tebib b, S. Abdelhak a, M.F. Ben Dridi b a

Unite´ de recherche « exploration mole´culaire des maladies orphelines d’origine ge´ne´tique », institut Pasteur de Tunis, BP 74, 13, place Pasteur, Belve´de`re, 1002 Tunis, Tunisie Unite´ de recherche « de´pistage et prise en charge des maladies he´re´ditaires du me´tabolisme », service de pe´diatrie, hoˆpital La Rabta, 1007 Tunis, Tunisie Unite´ de recherche « maladies neurologiques de l’enfant », faculte´ de me´decine, 1007 Tunis, Tunisie d Service de pe´diatrie, hoˆpital Sahloul, 4011 Sousse, Tunisie e De´partement de neurobiologie ge´ne´tique, universite´ de Porto, institut de biologie mole´culaire et cellulaire, 4150-180 Porto, Portugal f Laboratoire de ge´ne´tique me´tabolique, faculte´ de me´decine de Cochin, 75014 Paris, France g Laboratoire de biochimie, hoˆpital La Rabta, 1007 Tunis, Tunisie b c

I N F O A R T I C L E

R E´ S U M E´

Historique de l’article : ˆ t 2010 Rec¸u le 20 aou Accepte´ le 20 mars 2012

La maladie de Gaucher est une maladie de surcharge lysosomale due a` un de´ficit de l’enzyme bglucosidase. Afin d’e´tudier le spectre mutationnel de cette affection en Tunisie, nous avons recherche´ les mutations re´currentes chez 30 patients. Le de´pistage des mutations re´currentes par PCR/RFLP et se´quenc¸age direct a re´ve´le´ que la mutation N370S est la plus fre´quente (44 %, 22/50 alle`les mute´s), suivie par la mutation L444P qui pre´sente une fre´quence de l’ordre de 16 % (8/50 alle`les mute´s). L’alle`le recombinant (RecNciI) a e´te´ retrouve´ chez 14 % des cas e´tudie´s. Les mutations non identifie´es dans cette e´tude repre´sentent 26 %. En outre, nos re´sultats ont montre´ que le ge´notype N370S/RecNciI est le plus fre´quent dans les formes a` re´ve´lation pe´diatrique et il est associe´ a` une atteinte visce´rale se´ve`re. La recherche de ces mutations en priorite´ fournit un outil de diagnostic mole´culaire pour la majorite´ des patients, elle permet ainsi un de´pistage des he´te´rozygotes indispensable pour le conseil ge´ne´tique. ß 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s.

Mots cle´s : Maladie de Gaucher Ge`ne GBA Diagnostic mole´culaire Population tunisienne Afrique du Nord

A B S T R A C T

Keywords: Gaucher disease GBA gene Molecular diagnosis Tunisian population North Africa

Gaucher disease is a lysosomal storage disorder caused by a deficiency of the enzyme acid b-glucosidase. In order to determine the mutation spectrum in Tunisia, we performed recurrent mutation screening in 30 Tunisian patients with Gaucher disease. Screening of recurrent mutation by PCR/RFLP and direct sequencing had shown that N370S was the most frequent mutation (22/50 mutant alleles, 44%), followed by L444P mutation, which is found in 16% (8/50 mutant alleles). The recombinant allele (RecNciI) represented 14%. Our findings revealed that the genotype N370S/RecNciI was mosst frequent in patients with childhood onset and it was associated with severe visceral involvement. The screening of these three mutations provided a simple tool for molecular diagnosis of Gaucher disease in Tunisian patients and allowed also genetic counselling for their family members. ß 2012 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

1. Introduction

sphingolipides, est la maladie de surcharge lysosomale la plus fre´quente avec une pre´valence estime´e a` 1/50 000 a` 1/100 000 mais dont la pre´valence atteint 1/1000 a` 1/1200 dans la population juive ashke´naze [2,3]. Elle est due a` un de´ficit en b-glucoce´re´brosidase (ou exceptionnellement de son activateur saposine C) qui catalyse la premie`re e´tape de la transformation du glucoce´re´broside en glucose et ce´ramide. Le de´ficit enzymatique entraıˆne l’accumulation du substrat dans les lysosomes des cellules du syste`me re´ticulo-endothe´lial [4]. Le diagnostic est oriente´ par la mise en e´vidence des cellules de Gaucher sur les pre´le`vements tissulaires (moelle osseuse, foie, rate). Les cellules de Gaucher prennent une

La maladie de Gaucher (OMIM 230800, 230900 et 231000) a e´te´ de´crite pour la premie`re fois en 1882 par Philippe Gaucher dans sa the`se de me´decine intitule´e « Epithe´lioma primitif de la rate, hypertrophie idiopathique de la rate sans leuce´mie » [1]. Cette maladie, conse´quence d’une erreur inne´e du me´tabolisme des

* Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (W. Cherif). 0369-8114/$ – see front matter ß 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s. doi:10.1016/j.patbio.2012.03.006

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morphologie typique et s’accumulent dans le foie, la rate, la moelle osseuse et l’espace de Virchow Robin du cerveau, aboutissant aux principaux signes cliniques de la maladie : l’he´patome´galie, la sple´nome´galie et les complications osseuses [5]. La maladie de Gaucher pre´sente une importante variabilite´ clinique, trois phe´notypes majeurs sont classiquement distingue´s sur la base de la pre´sence ou non et la se´ve´rite´ de l’atteinte primitive du syste`me nerveux central. Le type 1 est la forme la plus fre´quente, son e´volution est chronique, sans atteinte neurologique. Le type 2 correspond a` la forme infantile, avec une atteinte neurologique d’e´volution aigue¨ et le type 3, ou la forme juve´nile, de´bute comme une maladie purement visce´rale superposable au type 1 et se comple`te dans l’enfance ou l’adolescence par une de´te´rioration neurologique d’e´volution subaigue¨ [6]. La maladie de Gaucher est transmise sur le mode autosomique re´cessif, son he´te´roge´ne´ite´ clinique est due en partie a` des mutations du ge`ne GBA qui code pour la b-glucoce´re´brosidase. Ce ge`ne est forme´ de 11 exons et s’e´tend sur une re´gion de 8,8 kb [7,8]. Depuis la de´couverte de ce ge`ne, 250 mutations ont e´te´ rapporte´es (www.hgmd.org), dont la plupart sont des mutations ponctuelles majoritairement regroupe´es entre l’exon 8 et 11. Les mutations re´currentes ponctuelles N370S, L444P et c.84insG et deux alle`les complexes RecNciI (L444P, A456P et V460 V) et RecTL (D409H, L444P, A456P et V460 V) sont les plus fre´quentes. Leur fre´quence et leur distribution sont variables selon les populations e´tudie´es. En aval du ge`ne GBA, se trouve son pseudoge`ne pGBA de taille 5kb. Il pre´sente 96 % d’homologie de se´quence avec le ge`ne

fonctionnel. Certaines mutations de´crites dans la maladie de Gaucher, notamment l’alle`le complexe RecNciI, re´sultent de re´arrangements chromosomiques complexes qui impliquent le ge`ne et son pseudoge`ne [8]. La corre´lation phe´notype-ge´notype, bien qu’imparfaite, a e´te´ retrouve´e avec certaines mutations : l’homozygotie pour la mutation L444P est corre´le´e aux formes neurologiques (type 2 et 3), alors que la mutation N370S est toujours associe´e a` la forme visce´rale (type 1) [9]. L’homoalle`lisme pour la mutation D409H a e´te´, quant a` lui, associe´ a` une atteinte cardiaque, caracte´rise´e par une calcification des valves cardiaques chez des jeunes patients [10]. L’objectif de la pre´sente e´tude est la caracte´risation mole´culaire de la maladie de Gaucher dans la population tunisienne. Dans un premier temps, nous avons cible´ des mutations re´currentes de´ja` identifie´es dans d’autres populations me´diterrane´ennes. 2. Patients, mate´riel et me´thodes Trente patients atteints de la maladie de Gaucher appartenant a` 25 familles non apparente´es et originaires de diffe´rentes re´gions de la Tunisie ont e´te´ explore´s (Tableau 1). Le diagnostic de maladie de Gaucher a e´te´ e´voque´ devant un tableau clinique caracte´rise´ essentiellement par une he´pato-sple´nome´galie, des anomalies he´matologiques et des le´sions osseuses. Le diagnostic clinique a e´te´ confirme´ chez tous les cas e´tudie´s par le dosage de l’activite´ de l’enzyme b-glucoce´re´brosidase sur leucocytes en utilisant un substrat synthe´tique fluviome´trique 4-me´thylumbelliferyl-b-d-glucopyranoside [11].

Tableau 1 Description clinique et profil mutationnel des patients. Famille

Consanguinite´

Code

Sexe

ˆ ge de A de´but

ˆ ge au A moment de l’e´tude

Organome´galie

Atteinte he´matologique

Le´sions osseuses

Atteinte Neurologique

Type

F1 F2 F3 F4

1er degre´ 3e degre´ 1er degre´ Non

F5 F6 F7 F8 F9 F10 F11

Non 1er degre´ 1er degre´ 1er degre´ Non Non 1er degre´

GBA1 GBA2 GBA3 GBA4 GBA5 GBA6 GBA7 GBA8 GBA9 GBA10 GBA11 GBA12 GBA13

F M M M F M F M F M M M M

9 mois 2 ans 14 mois 3 ans 8 ans 3 ans 2 ans 3 ans 10 mois 5 ans 5 ans 7 ans 6 ans

6 ans 10 ans 2 ans 19 ans 11 ans 15 ans 7 ans 8 ans 5 ans 11 ans 6 ans 13 ans 6 ans

Se´ve`re Non Se´ve`re Mode´re´ Mode´re´ Se´ve`re Se´ve`re Se´ve`re Se´ve`re Non Mode´re´ Non Non

Se´ve`re Non Non Non Non Mode´re´ Mode´re´ Mode´re´ Se´ve`re Se´ve`re Non Non Non

Non Non Non Non Non Non Non Non Non Non Non Non Non

Type Type Type Type Type Type Type Type Type Type Type Type Type

GBA14

M

2 ans

2 ans

Se´ve`re Mode´re´ Se´ve`re Se´ve`re Mode´re´ Se´ve`re Se´ve`re Se´ve`re Se´ve`re Mode´re´ Se´ve`re Mode´re´ He´patome´galie mode´re´e sans sple´nome´galie He´patome´galie mode´re´e sans sple´nome´galie Sple´nome´galie se´ve`re Se´ve`re + atteint neurologique Se´ve`re

Non

Non

Non

Type I

N370S/N370S

NP

NP

Non

Type I

?/?

NP

NP

Oui

Type II

RecNciI/ ?

Se´ve`re

Non

Type III A

L444P/L444P

Mode´re´ Mode´re´ Se´ve`re Se´ve`re Se´ve`re Se´ve`re Se´ve`re Se´ve`re Mode´re´ Se´ve`re Mode´re´ Se´ve`re

Se´ve`re Mode´re´ Se´ve`re Se´ve`re Se´ve`re Se´ve`re Se´ve`re Mode´re´ Mode´re´ Se´ve`re Mode´re´ Se´ve`re

Non Oui Non Non Non Oui Oui Oui Oui Non Non Non

Strabisme + cyphose Non Non Non Non Non Non Non Non Non Non Non Non

Type Type Type Type Type Type Type Type Type Type Type Type

?/? N370S/N370S N370S/RecNciI N370S/N370S N370S/L444P ?/? ?/? N370S/N370S N370S/L444P N370S/L444P N370S/N370S N370S/ ?

Mode´re´

Mode´re´

Oui

Non

Type I

F12

Non

GBA15

M

NP

16 ans

F13

NP

GBA16

F

NP

6 mois

F14

1er degre´

GBA17

M

1 an 4 mois

2 ans 3 mois

F15 F16 F17 F18 F19 F7 F20 F21 F22

Lointaine Non Non 1er degre´ Non 1er degre´ 1er degre´ 2e degre´ Non

F23 F24

1er degre´ Non

GBA18 GBA19 GBA20 GBA21 GBA22 GBA23 GBA24 GBA25 GBA26 GBA27 GBA28 GBA29

F F M M M F F F F M M M

F25

Non

GBA30

F

3 ans 28 ans 17 ans 10 ans 46 ans 4 ans 18 mois 40 ans 12 ans 56 ans 19 ans A` la naissance 12 ans

11 ans 29 ans 19 ans 24 ans 46 ans 19 ans 28 ans 43 ans 53 ans 57 ans 19 ans A` la naissance 28 ans

Ge´notype

I? I I? I I I I I I I I I I

I I I I I I I I I I I I

L444P/L444P N370S/RecNciI L444P/L444P N370S/RecNciI N370S/RecNciI N370S/RecNciI ?/? ?/? N370S/ ? N370S/RecNciI N370S/RecNciI N370S/N370S N370S/N370S

N370S/N370S

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Fig. 1. Localisation des amorces choisies pour l’amplification spe´cifique des exons 9 et 10. Les fle`ches indiquent les amorces et le triangle mentionne la re´gion de´le´te´e de 55 pb. Apre`s l’obtention du consentement e´claire´ des familles, 5 ml de sang ont e´te´ pre´leve´ sur anticoagulant (EDTA 15 %) pour chaque patient et ses parents. L’ADN ge´nomique a e´te´ extrait a` partir du sang total selon la proce´dure standard d’extraction au phe´nol/chloroforme [12]. Les exons 9 et 10 ont e´te´ amplifie´s par la re´action de polyme´risation en chaıˆne (PCR). Le choix des amorces a e´te´ fortement influence´ par la pre´sence du pseudoge`ne psGBA qui est localise´ a` proximite´ du ge`ne fonctionnel GBA (16 kb en aval du ge`ne) et de sa haute homologie avec ce dernier (96 % d’homologie exonique). En effet, la re´gion entre l’intron 8 et l’exon 10 repre´sente 98 % d’homologie entre GBA et psGBA. Graˆce aux outils de bioinformatique, nous avons pu ve´rifier l’amplification spe´cifique des re´gions vise´es. Pour l’exon 9, l’amorce sens (Ex9F) s’hybride sur le ge`ne et le pseudoge`ne, toutefois l’amplification est rendue spe´cifique par le choix de l’amorce anti-sens (Ex9R), celle-ci s’hybride uniquement sur le ge`ne GBA car elle est situe´e dans la portion de´le´te´e de 55 pb au niveau du pseudoge`ne. Il en est de meˆme pour l’exon 10, l’amorce sens (Ex10F) ne s’hybride que sur le ge`ne GBA puisqu’elle est une partie de la portion de´le´te´e du pseudoge`ne ; l’amorce anti-sens s’hybride quant a` elle sur une se´quence de l’exon 10 homologue dans GBA et psGBA (Fig. 1) [13,14]. Les fragments amplifie´s ont e´te´ purifie´s par le kit QIAquick (QIAGEN) selon les instructions du fournisseur, et se´quence´s avec le Kit Big Dye Terminator sur un se´quenceur ABI Prism 377 ou ABI 3130 (Applied Biosystems), en utilisant successivement les amorces sens et anti-sens. Pour de´pister la mutation N370S, une partie du site de reconnaissance de l’enzyme XhoI est introduite par PCR en utilisant une amorce modifie´e comme de´crite par Beutler et al. [15]. Le produit issu de l’amplification de l’exon 9 du ge`ne GBA, de taille 105 pb, est dige´re´ par l’enzyme de restriction XhoI, cette enzyme reconnaıˆt le motif CTCGAG/GAGCTC et va couper seulement la se´quence mute´e en donnant deux fragments 89 pb et 16 pb, un individu homozygote pour la mutation donnera deux bandes visibles sur un gel de polyacrylamide, un individu he´te´rozygote va se pre´senter avec trois bandes de taille 105 pb, 89 pb et 16 pb (Fig. 2). La pre´sence de la mutation L444P et/ou l’alle`le complexe RecNciI (L444P, A456P et V460 V) est de´piste´e par la digestion du produit de l’amplification de l’exon 10 par l’enzyme NciI [14] qui reconnaıˆt le motif CCSGG/GGSCC et elle coupe le fragment d’ADN en pre´sence de la mutation L444P (Fig. 3).

Fig. 2. Profil e´lectrophore´tique de la digestion enzymatique de l’exon 9 du ge`ne GBA par l’enzyme XhoI sur gel d’acrylamide a` 12 %. Re´sultats de la digestion enzymatique par XhoI des produits d’amplification de l’ADN ge´nomique des patients atteints de la maladie de Gaucher, en utilisant l’amorce modifie´e, et teste´ sur un gel de polyacrylamide a` 12 %. Les pistes 3, 4 et 5 pre´sentent deux bandes : 105 pb et 89 pb de´montrant l’he´te´rozygotie des patients pour la mutation N370S. La bande correspondant a` la taille 16 pb ne figure pas sur ce gel. Pour la se´quence normale, elle reste intacte (piste 1 : individu normal, piste 2 : patient non porteur de la mutation N370S, piste 6 : produit non dige´re´). M : marqueur FX174 dige´re´ par HaeIII.

La distinction entre les deux alle`les L444P et RecNciI, se fait par se´quenc¸age direct du produit de PCR. Une digestion a e´te´ alors re´alise´e pour les produits de PCR obtenus pour chaque exon. Les enzymes de restriction NciI et XhoI ont e´te´ utilise´es en vue de de´tecter les deux mutations L444P et N370S, respectivement. Selon la taille des fragments de digestion obtenus, on de´duit l’e´tat d’he´te´rozygotie, d’homozygotie ou normal des individus e´tudie´s pour les mutations correspondantes. Les re´sultats obtenus par PCR/RFLP sont confirme´s par se´quenc¸age direct des exons 9 et 10 du ge`ne GBA en utilisant les amorces Ex9R et Ex10R. Pour les patients qui ont pre´sente´ un profil normal avec l’une des deux PCR/RFLP re´alise´es, un se´quenc¸age du fragment de taille 637 pb en utilisant les amorces Ex10F et Ex10R a e´te´ effectue´. Le fragment se´quence´ est constitue´ d’une partie de l’exon 9, de l’intron 9 et de l’exon 10, le se´quenc¸age de la totalite´ de l’exon 9 est assure´ par l’utilisation de l’amorce Ex9R.

3. Re´sultats Notre e´tude du spectre mutationnel de la maladie de Gaucher en Tunisie a porte´, au total, sur 30 sujets atteints (18 enfants et 12 adultes) issus de 25 familles non apparente´es, la consanguinite´ a e´te´ retrouve´e chez 56 % des familles e´tudie´es (14/25), ou` elle e´tait ge´ne´ralement du premier degre´. A` l’exception de deux enfants en bas aˆge, aucun patient ne pre´sentait de signe neurologique au moment de l’e´tude. L’analyse ge´notypique a montre´ que parmi les 30 patients explore´s, huit patients sont homozygotes N370S (trois enfants de la meˆme famille et cinq adultes), trois enfants sont homozygotes

Fig. 3. Profil e´lectrophore´tique de la digestion enzymatique de l’exon 10 du ge`ne GBA par l’enzyme NciI sur gel d’agarose a` 2 %. Re´sultats de la digestion enzymatique par NciI des produits d’amplification de l’ADN ge´nomique des patients atteints de la maladie de Gaucher, teste´ sur un gel d’agarose a` 2 %. La piste 2 pre´sente deux bandes : 536 pb et 102 pb de´montrant l’homozygotie du patient pour la mutation L444P (confirme´ par se´quenc¸age). Les pistes 4, 5 et 6 pre´sentent trois bandes : 638 pb, 536 pb et 102 pb, de´montrant l’he´te´rozygotie des patients pour la mutation RecNciI (confirme´ par se´quenc¸age). Pour la se´quence normale, elle reste intacte (piste 1 : individu normal, piste 3 : patient non porteur de la mutation L444P ou RecNciI). M : marqueur FX174 dige´re´ par HaeIII.

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24%

24% 20% 12% 8%

8%

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ciI /? cN

P

S/ ?

Re

70 N3

44

S/ L4

N3

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44 L4

N3

70

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37

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4%

Fig. 4. Distribution des ge´notypes chez les familles e´tudie´es.

L444P (aˆge´s de moins de 6 ans), sept patients sont he´te´rozygotes composites N370S/RecNciI (six enfants et un adulte) et trois patients sont N370S/L444P (trois adultes). Les re´sultats obtenus pour deux autres patients ont montre´ que l’un est he´te´rozygote pour la mutation N370S et l’autre est he´te´rozygote pour l’alle`le complexe RecNciI ; le deuxie`me alle`le ne correspondait pas aux mutations re´currentes recherche´es. Aucune des mutations recherche´es par PCR/RFLP n’a e´te´ retrouve´e chez trois autres patients. De plus, le se´quenc¸age direct des exons 9 et 10 a re´ve´le´ une se´quence normale chez ces cinq patients ; il s’agit probablement de mutations sie´geant dans les autres exons. L’analyse de la fre´quence relative de´termine´e sur les patients non apparente´s a re´ve´le´ que trois mutations (N370S, L444P et RecNciI) repre´sentent 74 % des alle`les mute´s (37/50 alle`les mute´s). En effet, sur 50 alle`les mute´s e´tudie´s, la mutation N370S est pre´sente dans 44 % des cas (22/50 alle`les mute´s), suivie par la mutation L444P avec un taux de l’ordre de 16 % (8/50), l’alle`le complexe (RecNciI) est pre´sent dans 14 % des alle`les. Les mutations non identifie´es dans cette e´tude repre´sentent 26 %. Cette e´tude mole´culaire a de´montre´ que la recherche de ces trois mutations, en priorite´, chez les patients atteints de la maladie de Gaucher peut fournir un outil de diagnostic mole´culaire indispensable pour le conseil ge´ne´tique. Les ge´notypes N370S/N370S et N370S/RecNciI sont les plus fre´quents chez les patients tunisiens, retrouve´s chez 48 % des familles explore´es (Fig. 4).

4. Discussion La pre´valence exacte de la maladie de Gaucher est me´connue en Tunisie, bien que cette affection ne soit pas exceptionnelle. Une e´tude re´trospective re´alise´e sur une pe´riode de 18 ans (1983– 2001) et qui a collige´ 27 cas a montre´ que le type 1 est de loin la forme la plus fre´quente [16]. Re´cemment, une e´tude multicentrique nationale, conduite en 2009, a recense´ une se´rie de 86 cas sur une pe´riode de 35 ans ; la pre´valence de naissance a e´te´ estime´e a` 0,92 cas pour 100 000 naissances vivantes [17] soit une pre´valence plus e´leve´e que celle de la Turquie (0,23 cas/ 100 000 habitants) [18]. Les formes adultes asymptomatiques restaient sous-diagnostique´es selon cette e´tude, ce qui sousestimait la fre´quence de la maladie. Un registre national est en cours d’e´laboration, il permettrait d’e´valuer la pre´valence et l’incidence exactes de cette maladie. La mutation N370S semble eˆtre la mutation la plus fre´quente dans notre pays, elle est pre´sente avec un taux relatif de 44 %, cette valeur est proche de celle retrouve´e en Italie [19].

La mutation N370S, tre`s fre´quente dans la population caucasienne, est absente chez la population asiatique [20]. Chez les juifs ashke´nazes, la fre´quence de cette mutation est de 75 %, suivie de la mutation c.84insG avec une fre´quence de 13 % ; la mutation L444P est pre´sente chez 3 % des cas [21]. Dans la population japonaise, la mutation L444P est la mutation la plus fre´quente, elle constitue 43,6 % des alle`les e´tudie´s suivie par la mutation F213I (14,9 %), la mutation N370S n’a pas e´te´ de´tecte´e [22]. En Italie, les mutations N370S et L444P et RecNciI repre´sentent respectivement 36 %, 27,4 % et 2,1 % des alle`les e´tudie´s [19]. Ces proportions sont similaires a` celles rencontre´es en Roumanie : 50 %, 22,2 % et 5,6 % respectivement [23]. La mutation N370S pre´sente un inte´reˆt pronostique puisqu’elle est toujours associe´e aux formes non neurologiques de la maladie de Gaucher. L’homozygotie pour cette mutation est souvent corre´le´e a` une atteinte pauci- voire asymptomatique. Dans notre se´rie, l’homozygotie N370S e´tait le ge´notype le plus fre´quemment retrouve´ chez les cas adultes e´tudie´s (5/12) ; il e´tait associe´ a` une atteinte visce´rale se´ve`re chez un seul patient. Cela sugge`re l’intervention de ge`nes modificateurs en association avec des facteurs environnementaux dans l’expression du ge`ne GBA. Par ailleurs, l’homozygotie pour la mutation L444P retrouve´e chez trois patients (Tableau 1) s’est associe´e a` une atteinte visce´rale se´ve`re et pre´coce mais sans atteinte neurologique jusqu’au de´ce`s a` l’aˆge de 6 ans chez deux patients (GB1 et GB2). Chez le troisie`me patient, l’atteinte neurologique s’est limite´e a` un strabisme qui serait post-traumatique et une cyphose. Ce ge´notype est habituellement associe´ au type 3A norbottnien et dans d’autres populations a` un phe´notype se´ve`re et une paralysie oculomotrice de l’horizontalite´ (type 3B), cependant en l’absence d’une e´valuation neuro-ophtalmologique spe´cialise´e chez les deux premiers patients, on ne peut e´carter l’existence d’anomalies oculomotrices frustes ou l’e´volution vers une atteinte neurologique si la survie avait e´te´ plus prolonge´e. L’association de l’homoalle´lisme pour la mutation L444P aux formes neurologiques est un sujet de de´bat. Dans la population caucasienne, ce ge´notype semble eˆtre lie´ a` la forme neuropathique de type 3 alors qu’il paraıˆt eˆtre associe´ au type 1 non neuropathique chez les patients japonais. La diffe´rence d’expression de ce ge´notype chez les deux populations pourrait s’expliquer par leurs origines ge´ne´tiques. Koprivica et al. ont sugge´re´ que l’homozygotie pour la mutation L444P est peut-eˆtre associe´e a` un phe´notype se´ve`re de la maladie de Gaucher de type 1 [9]. Le ge´notype N370S/RecNciI est le plus fre´quent parmi les enfants atteints e´tudie´s (5/15 familles) ou` il s’est associe´ a` une forme visce´rale se´ve`re. Une grande partie des patients sont he´te´rozygotes composites (44 %). Le fait que deux des 11 patients he´te´rozygotes composites soient issus de mariages consanguins plaide en faveur de la fre´quence e´leve´e de ces mutations dans la population ge´ne´rale. Parmi les patients issus de mariages consanguins, trois ne portent pas de mutations connues, ce qui sugge`re l’apparition de nouvelles mutations prive´es favorise´es par la consanguinite´. Ce phe´nome`ne a de´ja` e´te´ observe´ dans d’autres maladies autosomiques re´cessives e´tudie´es dans notre population comme l’immunode´ficience conge´nitale [24], la maladie d’Imerslund [25] et la granulomatose septique chronique [26]. Re´fe´rences [1] Gaucher PCE (1882). On primary epithelioma of the spleen: idiopathic hypertrophy of the spleen without leukemia. The`se de Me´decine. Faculte´ de Me´decine de Paris. In: Hruska KS, LaMarca ME, Scott CR, Sidransky E. Gaucher disease: mutation and polymorphism spectrum in the glucocerebrosidase gene (GBA). Hum Mutat 2008;29:567–83. [2] Meikle PJ, Hopwood JJ, Clague AE, Carey WF. Prevalence of lysosomal storage disorders. JAMA 1999;281:249–54.

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