NPG Neurologie - Psychiatrie - Gériatrie (2012) 12, 15—23
PRATIQUE AMBULATOIRE ET ERGOTHÉRAPIE
Du bloc à l’espace : approche ergothérapique de la maladie d’Alzheimer pour l’aménagement du bloc sanitaire à domicile夽 From blocks to spaces: An occupational therapy approach of toilet block design for Alzheimer’s disease
O. Marousé a, K. Charras b,∗ a
Filièris Carmi Est, équipe mobile Alzheimer, 21, avenue Foch, 57000 Metz, France Fondation Médéric-Alzheimer, pôle interventions psychosociales, 30, rue de Prony, 75017 Paris, France
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Disponible sur Internet le 30 juin 2011
MOTS CLÉS Maladie d’Alzheimer ; Ergothérapie ; Domicile ; Méthode ; Aménagement ; Bloc sanitaire
Résumé Le maintien à domicile des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer (MA) ou de maladies apparentées peut être soutenu entre autres par l’adaptation de l’habitat. Au domicile, le bloc sanitaire pose une problématique spécifique liée à l’intimité des lieux. Les ergothérapeutes sont confrontés aux difficultés particulières de cet équipement qui peut nécessiter des modifications techniques et architecturales importantes pour permettre l’autonomie alors que de fac ¸on contradictoire la maladie d’Alzheimer implique le maintien maximum des repères. À partir de différentes méthodes ergothérapiques, nous avons fait émerger une approche spécifique expérimentale qui se fonde non pas sur les capacités résiduelles des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer ou de maladies apparentées, mais sur les interrelations entre cette personne et l’espace sanitaire. La finalité étant de créer un espace ayant du sens pour la personne ce qui optimisera sa compétence pour en garder le plus longtemps possible un usage adapté. © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
夽 Cet article est issu du mémoire d’Olivier Marousé dirigé par Kevin Charras, effectué pour le D.U. « Maladie d’Alzheimer et troubles apparentés : approches cognitives, psychothérapeutiques, comportementales, environnementales et éducatives » de l’université Pierre-et-Marie-Curie, coordonné par le Pr Joël Belmin et le Dr Olivier Drunat. ∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (K. Charras).
1627-4830/$ — see front matter © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.npg.2011.05.007
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O. Marousé, K. Charras
KEYWORDS Alzheimer’s disease; Occupational therapy; Home; Method; Design; Toilet block
Summary Supportive community living for people with Alzheimer’s disease and related disorders can be sustained, amongst other type of aids, by adapting the home environment. At home, the toilet block poses a specific problem related to the intimacy of the place. Occupational therapists often encounter specific difficulties with this space, which can require important technical and architectural changes to allow more autonomy. On the other hand, dementia friendly-environments require changes as much as possible respectful of past habits. Different occupational therapy methods enabled us to implement a specific approach which is based on the interrelations of the person with his/her sanitary space, instead of only taking in account the residual abilities of the person with dementia. The purpose of this approach is to create a rational space in order to optimize the abilities of the person as long as possible in his/her ecological environment. © 2011 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Introduction Le plan Alzheimer 2008—2012 souligne que la perte d’autonomie des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer (MA) et de maladies apparentées n’est pas assez prise en compte à domicile [1], alors que plus de 70 % d’entre elles y vivent selon l’étude Pixel [2]. Le domicile apparaît donc comme un axe de travail privilégié à développer pour répondre aussi bien aux exigences des personnes qu’aux aspirations de notre société qui y voit également un enjeu majeur. Pour faire face à ce défi du maintien à domicile, les solutions reposent sur la combinaison d’une prise en charge humaine, de l’adaptation du cadre de vie et de l’innovation technologique. Dans ce contexte, les ergothérapeutes, qui sont au carrefour d’une connaissance médicotechnique, ont une place incontournable notamment en matière d’adaptation du cadre de vie. Sans hiérarchiser les difficultés d’adaptation des pièces d’un logement, le bloc sanitaire présente des problématiques particulières. Selon la troisième vague du baromètre « Grand Âge » de Mondial Assistance-Notre Temps, réalisée par TNS Sofres et publiée fin 2010, 19 % des seniors bénéficient d’aménagement du bloc sanitaire (salle de bain, WC) ce qui fait de cette pièce celle donnant lieu le plus souvent à une intervention d’adaptation aux difficultés liées au grand âge. Ainsi, seulement 6 % des accidents domestiques (chutes) se produisent dans cette pièce. Toutefois aucune donnée de ce sondage ne concerne l’adaptation de cette pièce pour les personnes présentant des troubles cognitifs. Or, la diversité des difficultés rencontrées (des personnes, techniques, architecturales. . .), la vocation même de ce lieu d’intimité où la volonté et celle de l’entourage d’évoluer seul est plus flagrante que dans les autres pièces de vie, ne font que multiplier les obstacles.
La démarche est-elle adaptée à la maladie d’Alzheimer ? Culturellement centrée sur la personne, l’approche humaniste des ergothérapeutes [3] est ici relayée par une vision systémique en maintenant le postulat que l’activité est exprimée comme un besoin fondamental [4,5]. Suivant cette
philosophie, l’approche d’adaptation du lieu de vie pratiquée par les ergothérapeutes peut se décrire classiquement en trois démarches concomitantes [6] : • l’expertise du domicile qui permet de réaliser une analyse de la situation en milieu écologique, de la demande de l’usager et celle de l’entourage. Cette expertise comprend une évaluation des capacités fonctionnelles à travers les gestes de la vie quotidienne ; • la compréhension de l’environnement humain et social qui est nécessaire pour appréhender les habitudes de vie au domicile. Le domicile est un lieu appartenant à l’histoire de l’usager, point d’attache et point de départ de tous ses déplacements, dont l’aménagement représente des repères sur les évènements qui ont marqué la vie, les goûts, les préférences, le confort [7] ; • l’étude des contraintes techniques et architecturales qui est indispensable pour répondre aux objectifs de l’adaptation.
Afin de poser un diagnostic sur la situation et de proposer des solutions, l’ergothérapeute examine toutes les données issues de l’évaluation et évalue les différentes interactions du système. La finalité du processus est d’améliorer l’autonomie de la personne et/ou faciliter l’intervention d’un tiers [6], et/ou sécuriser la personne dans son environnement pour rechercher l’indépendance et la participation sociale [8]. La recherche de la meilleure solution passera souvent par des compromis et/ou des arbitrages. Celle-ci aboutit à des propositions et/ou à des préconisations concernant l’aménagement technique du logement. Cette démarche rencontre un certain nombre de difficultés inhérentes à la maladie d’Alzheimer. En effet, dans la pratique, les ergothérapeutes peuvent souvent observer que des difficultés persistent comme le maintien de certaines habitudes d’usage, une non-utilisation des espaces modifiés par l’inappropriation de l’aménagement des lieux, une désorientation aggravée et une frustration de l’aidant face à « l’inefficacité des travaux ». La Fig. 1 est représentative d’un aménagement dont la finalité fonctionnelle n’est pas perc ¸ue par l’usager comme telle. En effet, après la pose d’une paroi pour limiter les risques de chutes par projection d’eau, l’usager s’est montré réticent à l’utiliser puis l’a identifiée et utilisée comme un placard de rangement.
Du bloc à l’espace : approche ergothérapique de la maladie d’Alzheimer
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ergothérapique adaptée à la MA pour l’adaptation du bloc sanitaire.
Résultats Approche ergothérapique classique de l’adaptation du bloc sanitaire Définition de l’objectif L’essence même du lieu, —– le bloc sanitaire —– caractérisé par l’intime, nous permet de distinguer : • la salle de bain : lieu de réalisation de la toilette, de détente [10], elle donne l’opportunité de retrouver une plus grande autonomie pour préserver la dignité de la personne. Car l’indignation que peut ressentir la personne assistée peut avoir pour conséquence de lui faire éprouver un mal-être, voire une répulsion pour la réalisation de cette activité. L’aménagement pourrait donc avoir pour objectif de permettre à la personne malade d’assumer seule la responsabilité de la plus grande partie de ses soins corporels ; • les toilettes : lieu de confort, doivent également permettre la réalisation de cette activité de manière indépendante le plus longtemps possible pour garder un sentiment de dignité et d’estime de soi. L’objectif de l’adaptation devrait donc être ici d’améliorer l’identification, l’accessibilité et l’usage autonome de cet espace. Figure 1. Douche non utilisée avec perte d’identité après la pose d’une paroi pour limiter les risques de chutes par projection d’eau.
Ces différents constats posent la problématique d’une approche différente de l’adaptation du logement pour les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer.
Méthode Afin de rechercher une approche plus adaptée à la maladie d’Alzheimer pour l’aménagement du bloc sanitaire, et en lien avec les contraintes méthodologiques imposées par le déroulement du diplôme universitaire « Maladie d’Alzheimer et troubles apparentés » dans lequel s’est effectuée cette étude, nous avons adopté deux démarches différentes. La première a consisté à centrer l’approche utilisée en ergothérapie, telle que décrite plus haut, sur l’adaptation du bloc sanitaire pour fonder notre critique. La seconde a consisté à interviewer trois professionnelles s’étant déjà confrontées aux problématiques de la MA et utilisant des approches différentes en ergothérapie. Nous leur avons demandé de nous exposer leurs approches de l’adaptation du bloc sanitaire pour les personnes atteintes de MA. En effet, le faible nombre d’études sur le domicile de ces personnes oblige de passer par une conception fondée sur la pratique et l’expérience [9]. L’objectif de cette seconde démarche n’était pas de rechercher l’exhaustivité en termes de type d’approche, mais de donner des pistes de réflexion pour les fondements d’une méthode adaptée. Nous avons ensuite synthétisé ces différentes données pour faire ressortir les constantes et les points importants d’une démarche
On peut déduire de la définition des objectifs, sans négliger la sécurité notamment au niveau de la salle de bain où les risques sont nombreux (chutes, brûlures, empoisonnement, électrocution, coupures. . .), que le bloc sanitaire semble être dédié à une recherche maximale d’autonomie. Il faut néanmoins mettre cette recherche d’autonomie en regard de la population visée. L’adaptabilité et la plasticité des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer dans leur rapport à l’environnement se trouvent restreintes [11]. En effet, certains auteurs définissent le handicap d’une personne atteinte de la MA comme la combinaison de ses déficiences et de l’incompatibilité avec son environnement physique et de soin [12,13]. Un espace mal conc ¸u, un détail technique mal réglé vont renforcer le stress, la désorientation en un mot la dépendance de ces personnes. De plus, l’adaptation de l’aménagement pour les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer se caractérise aussi par une limitation des modifications [6] et une familiarité des éléments qui composent l’environnement [14,15]. En effet, le changement des repères liés à une réorganisation architecturale peut amplifier la confusion et la désorientation. Toutefois, est-ce véritablement une recherche d’indépendance maximale de la personne qui est à mettre au centre de l’aménagement alors que si nous considérons que cette maladie est évolutive, l’aide ou la présence d’un tiers sera nécessaire tôt ou tard ? Une attention particulière ne doit-elle pas également être portée à l’aidant qui est un acteur privilégié du soutien ainsi que de l’enjeu du maintien à domicile et qui devra donc par conséquent être soulagé ? Enfin, la personne doit-elle être dans une dynamique d’activité ou d’une reprise d’activité avant la conception des aménagements [16] ?
18 L’ambivalence des objectifs posés va engendrer une opposition entre les moyens à mettre en œuvre et : • la recherche d’indépendance face aux déficits moteurs et sensoriels de la personne atteinte de la MA qui est le plus souvent une personne âgée avant d’être une personne malade ; • la recherche d’un plus grand confort d’action pour l’aidant ; • la recherche de sécurité pour la personne et pour l’aidant dans la réalisation de l’activité. Les solutions qui sembleraient parfois les plus pertinentes et qui imposeraient des modifications architecturales importantes peuvent alors entrer en contradiction avec la nécessité de maintenir un maximum de repères, donc de limiter les modifications. Cette ambiguïté apparaît comme l’enjeu majeur d’une recherche de méthode à mettre en œuvre dans l’adaptation du domicile pour les personnes atteintes de la MA.
La démarche adoptée Afin de pouvoir informer puis conseiller les personnes atteintes d’une MA et leurs aidants sur l’aménagement à mettre en place, la méthode ergothérapique classique à domicile reprend essentiellement les concepts d’architecture prothétique tels que décrits par Lawton [17], prônant la conception d’un lieu en fonction des aptitudes d’une personne âgée pour optimiser l’adaptabilité et le confort. Cela, en vue de concilier sécurité et liberté, diminution de l’angoisse et du stress, facilitation de l’orientation, aménagement d’un environnement stimulant et agréable et, comme expliqué ci-dessus pour le bloc sanitaire, maintien de l’autonomie. Cependant, au vu des ambiguïtés citées précédemment, il apparaît que cette approche n’est pas optimale. De plus, faute de complexité, lors d’une adaptation au domicile, l’intervention des ergothérapeutes se trouve parfois davantage ciblée sur l’information et le conseil [18] que sur l’étude de la valeur d’usage de l’espace et notamment sur le long terme. À l’issue de cette analyse, différentes pistes peuvent donc être envisagées : l’approche partagée de l’adaptation entre le malade, l’aidant et le professionnel, l’étude du comportement et des habitudes de vie et la projection du rapport risque/bénéfice.
L’approche des professionnels L’approche des ergothérapeutes dans une méthode qui reste à définir et qui reste de fait expérimentale joue un rôle important dans la compréhension d’une approche adaptée à la MA. Nous n’en citerons ici que trois d’entre-elles exposées par des ergothérapeutes sensibilisés aux problématiques que posent la MA dans l’approche ergothérapique : • la simplification pour limiter les risques de chutes et les accidents domestiques ; • la recherche analytique des troubles avec mises en situation ; • le recours au « design universel ».
O. Marousé, K. Charras
La simplification de la pièce pour limiter les risques de chutes et les accidents domestiques Certains ergothérapeutes orientent leur pratique dans cette pièce pour les personnes atteintes de la MA autour de trois axes caractéristiques que sont, d’une part, la sécurité et d’autre part, la simplicité indissociable de la personnalisation : • la sécurité, qui se définit par l’absence de danger, doit être particulièrement mise en exergue dans un bloc sanitaire. On peut isoler des dangers lors des déplacements, on veillera donc à maintenir des espaces suffisants ou lors de l’usage des lieux. Ces points sont passés en revue lors d’une mise en situation pour permettre de décoder les activités ; • la simplicité et la personnalisation sont indissociables. La simplicité vient de l’adaptation à mettre en place. Le fait de rester minimaliste dans l’apport d’équipement va permettre aux personnes atteintes de la MA de garder leurs repères en ne surchargeant pas les lieux et en cherchant à simplifier l’espace, en fait à le vider au maximum. Cependant, quelques éléments isolés auxquels les malades tiennent seront gardés pour maintenir les repères d’où découle une certaine personnalisation des lieux.
La recherche analytique des troubles avec mise en situation Certains ergothérapeutes s’orientent vers une étude analytique des troubles pour distinguer les aptitudes fonctionnelles des aptitudes procédurales. Le recours au bilan modulaire en ergothérapie [19] ou à la grille d’Ylieff [20] permet un classement ou une identification des troubles pour y répondre de fac ¸on spécifique au niveau de l’adaptation. En fonction de l’évolution de la maladie et des réactions observées, des tests de modifications d’environnement par détails seront mis en place pour voir si la personne malade garde ou non ses habitudes de vie. Ces tests permettront d’évaluer le potentiel d’adaptation de la personne en donnant une indication sur l’ampleur des modifications techniques possibles et d’évaluer si l’environnement facilite ou non l’accomplissement de l’activité. Assister à une toilette, même si l’intrusion d’un professionnel va modifier l’environnement et l’usage qui en est fait, permettra de faire une distinction entre ce qui relève d’une modification architecturale ou d’une modification de la fac ¸on de faire ou de s’y prendre. Enfin, largement répandu, l’usage du modèle canadien du rendement occupationnel (MCRO) [21] souligne l’importance des facteurs environnementaux, mais repose sur une autodétermination qui peut être en contradiction avec les symptômes de la MA.
Le recours au design universel Enfin, certains professionnels ont recours au concept d’accessibilité universelle, qui n’est en fait qu’une application des principes de design universel. Selon le principe fondateur de ce courant, l’environnement doit être pensé en termes d’accessibilité pour le plus grand nombre afin de leur permettre une plus grande autonomie [22]. Cela repose sur des principes d’usage équitable, de flexibilité, de simplicité et d’évidence, de perceptibilité de
Du bloc à l’espace : approche ergothérapique de la maladie d’Alzheimer l’information, de sécurisation de l’espace, et enfin de facilité d’usage. En complément de cette approche, une personnalisation permettra d’organiser les éléments de fac ¸on logique et cohérente en fonction des habitudes de vie de la personne. Ce temps d’approche visera : • le maintien d’un environnement familier pour lutter contre l’angoisse et la confusion ; • le respect de l’histoire de vie et des habitudes de vie pour prévenir et réduire l’anxiété ; • le respect des objets familiers et de l’intimité ; le respect des habitudes d’hygiène ; • le confort de la pièce ; • la sécurité et la protection. Dans cette approche, on pourra par exemple : colorer l’eau de la cuvette des WC, mettre une robinetterie avec thermostat blocable, contraster les bords et le fond de la baignoire, laisser une veilleuse allumée. . .
Synthèse des approches spécifiques d’adaptation du bloc sanitaire À partir de ces trois approches, on perc ¸oit différents niveaux d’interventions [23] avec différentes stratégies d’évaluations : des interventions à dominante sécuritaire, des modifications simples avec mise en situation, pour diminuer prioritairement la complexité de l’environnement [24], mais pas de modifications importantes qui permettraient un accès différent à cet environnement. La synthèse de ces approches permet de faire émerger l’hypothèse d’une démarche spécifique de l’aménagement du bloc sanitaire pour les personnes atteintes de la MA. Afin de clarifier et d’exposer simplement les possibilités d’une démarche spécifique, nous avons résumé la synthèse des approches passées en revue en trois parties : objectifs, évaluation, démarche.
Objectifs Les aménagements du bloc sanitaire sont guidés par une notion prioritaire de sécurité et de protection pour permettre une autonomie maximale.
Évaluation Une évaluation individuelle, c’est-à-dire des capacités fonctionnelles ainsi que des troubles cognitifs, comportementaux et sensoriels est effectuée. Celle-ci est mise en perspective avec l’évaluation du bloc sanitaire et de sa compréhension, en respectant particulièrement les habitudes d’hygiène existantes. Une évaluation des habitudes de vie est nécessaire et si besoin du comportement de l’aidant. L’analyse des interactions de la personne malade dans son environnement semble être un point fondamental sur lequel il convient de porter une attention pour envisager les aménagements : une évaluation longue, un temps d’écoute important, une mise en situation, des tests de modifications. Des méthodes d’observation minutieuses sont utilisées telles que l’usage de la vidéo [20], par exemple, lors de la réalisation de l’activité pour pouvoir isoler et cerner précisément les difficultés et ensuite apporter une réponse technique adaptée.
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Démarche Dans un premier temps, un repérage des sources de dangers est effectué puis une simplification de l’environnement et une organisation de celui-ci, souvent fondée sur l’expérience professionnelle, sont réalisées. Dans un second temps, il existe un souci de répondre de manière individuelle aux problématiques posées : • en matière de troubles fonctionnels par un aménagement de la pièce toujours axé vers la problématique de sécurité afin d’éviter essentiellement les chutes ; • en matière de troubles de l’orientation avec une recherche d’identification des espaces, de repérage des différents éléments ou de mise en place de pictogrammes ; • en matière de troubles du comportement avec un souci de confort dans la pièce ; • en matière de troubles sensoriels par la mise en place de moyens techniques pour y remédier, comme le contraste de couleurs ou l’amélioration de la luminosité. Une autre spécificité de l’approche consiste à inclure l’aidant dans la réflexion, parfois même de fac ¸on prioritaire quant à l’aménagement futur à proposer. Il apparaît que les ergothérapeutes cherchent aussi à lui faire admettre les modifications qu’il doit aussi s’approprier pour en permettre l’usage et de fait le maintien de l’identité de la pièce. Ce dernier point peut s’apparenter à un soutien basé sur une approche cognitivo-comportementale de l’aidant. Enfin, on perc ¸oit dans les solutions mises en œuvre une retenue dans les modifications à apporter. Spécifiquement dans cette pièce, l’adaptation consistera à apporter des changements minimes pour garder les repères et pour rendre les activités de toilette et d’hygiène plus sûres et plus faciles à gérer.
Discussion Du bloc à l’espace : vers de nouvelles perspectives ergothérapiques Sans remettre en cause, ni en opposition, l’hypothèse de démarche spécifique résultant de la somme des approches que nous avons abordées, il semble nécessaire de la nuancer par une approche complémentaire. De toute évidence, on peut associer une vision différente mettant non plus la personne et ses troubles au centre du problème, mais les interrelations que peut avoir la personne malade avec l’espace sanitaire dans lequel elle évolue. La notion d’« espace » remplac ¸ant le terme technique de « bloc » sanitaire. Cette notion fait appel à une vision voisine de l’approche dite transactionnelle en psychologie environnementale. En d’autres termes, elle intègre l’idée d’interrelations constantes entre l’environnement et la personne, en faisant référence aux notions d’ambiance, de représentation et d’usage de l’espace [7] en faisant également ressortir les « attributs d’ordre supérieur de l’environnement » [25], comme le confort, la nouveauté ou l’engagement. Par conséquent, si l’évaluation du contexte comportemental permet la compréhension de l’individu et de ses troubles, c’est bien à partir des échanges, des observations et de l’analyse de ces interrelations dans la
20 perspective de l’individu que l’on va pouvoir comprendre ses modalités de fonctionnement et adapter son environnement. En outre, la conception d’un lieu en fonction des habitudes et de l’histoire d’une personne justifie le recours à une approche fondée sur l’usage et non sur la fonction. La Fig. 1 montre bien que dans une démarche sécuritaire, la valeur d’usage de la douche s’est perdue. Dans le cas de la MA, la perspective transactionnelle des interrelations de la personne avec son environnement doit donc être retenue comme l’élément fondamental de la réflexion sur l’aménagement dans une démarche ergothérapique. Dans cette perspective, la synthèse décrite plus haut dans l’hypothèse d’une démarche spécifique prendrait la forme suivante.
Objectif L’objectif de l’aménagement est ici d’adapter la pression environnementale aux aptitudes de la personne pour éviter la mise en échec et préserver l’ensemble des capacités restantes [26]. On cherchera à créer un espace facilitateur personnalisé pour éviter la confusion et la désorientation [27]. En effet, cette approche, basée sur la perception par la personne de son environnement pour lui permettre de se sentir à l’aise dans cet espace, aura pour répercussion d’augmenter le sentiment d’efficacité personnelle [28] dans
O. Marousé, K. Charras l’environnement proposé et par conséquent, d’optimiser ses capacités d’augmenter son autonomie dans les lieux ainsi que la sécurité (objective et perc ¸ue). Dans cette approche, la technique —– bien qu’indispensable —– est au second plan alors que l’usage et la capacité d’usage sont prioritaires.
Évaluation Même si, au domicile, la première exigence consiste à répondre à des difficultés primaires parfois non spécifiques à la maladie, comme l’accessibilité ou le confort, les modalités comme la personnalisation, la compréhension sensorielle, ou encore la familiarité, doivent être associées à la réflexion. Par ailleurs, dans un environnement connu, une autre approche méthodologique qui apparaît de fac ¸on évidente est la recherche de la cause des troubles et/ou des incapacités puis la recherche d’une réponse pour éviter les confusions. Pour y parvenir, trois étapes sont nécessaires : • un temps d’échange basé sur la recherche des habitudes de vie et de la compréhension des répercussions de la maladie ; • un temps d’observation de l’espace avant activité et des usages de l’espace durant activité permettra de comprendre les interrelations entre l’individu et son environnement, de collecter des données sur les équipements,
Figure 2. Propositions d’aménagement d’un espace sanitaire selon une démarche classique et une démarche spécifique à la maladie d’Alzheimer. Contrairement à la démarche classique, la démarche spécifique prend en compte les habitudes antérieures de la personne dans l’usage qui est fait de l’espace en ce qui concerne la toilette et cherchera à faciliter la compréhension du contexte ainsi qu’à maintenir l’autonomie.
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Figure 3. Proposition d’aménagement d’un bloc WC selon une démarche classique et une démarche spécifique à la maladie d’Alzheimer. Bien que l’adaptation ergonomique de la cuvette soit la même dans l’une et l’autre démarche, la démarche spécifique optera pour la facilitation de l’identification et de l’utilisation du lieu par la personne atteinte de maladie d’Alzheimer en maintenant le plus possible le cadre habituel (sol carrelé — bien qu’il soit généralement déconseillé de le faire) ainsi qu’en contrastant la cuvette avec le sol.
la réalisation de l’activité, l’organisation et la culture [29] de cet espace intime de la maison ; • enfin un temps d’analyse permettra de rechercher les sources de confusion et les moyens techniques, ou non, pour y répondre. L’adaptation et l’organisation des objets doivent être prioritairement disponibles, compréhensibles, non interprétables [30] et incitant l’activité. Dans ce qui est en fait une recherche de compétences de la personne, il apparaît nécessaire de distinguer ce qui relève du comportement (observable) de ce qui relève du processus (non observable et subjectif) [31]. En effet, le processus va intégrer des notions comme la volonté ou l’émotion et semble prépondérant à domicile, dans l’espace sanitaire avec les particularités déjà décrites. Dans cette perspective, l’analyse des interrelations de la personne avec son environnement est à la fois la base de la problématique et de la réponse à apporter.
Démarche Cette approche nous laisse envisager une démarche spécifique en trois temps telle que présentée précédemment et centrée sur une approche transactionnelle : • l’étude détaillée des interrelations de la personne avec son environnement en prenant en compte les habitudes de vie existantes, les habitudes antérieures et la culture dans laquelle est ancrée la personne. Ce premier temps déterminera les pistes possibles de l’aménagement de l’espace sanitaire (exemple : prise d’un bain ou d’une douche) ; • la prise en compte des troubles de la personne, de sa personnalité et de son origine culturelle permettra d’avoir des éléments concernant l’importance de
l’aménagement possible. On peut faire référence ici à la notion de « docilité environnementale » [26] selon laquelle l’altération de la santé, du rôle social et du niveau socioculturel tendent à augmenter la subordination de la personne face aux contraintes et aux influences de l’environnement ; • la maîtrise de la faisabilité dans le détail technique et/ou architectural validera la proposition. C’est effectivement le respect du détail technique qui permettra ou non à la pièce et à l’environnement de rester lisible pour la personne en maintenant l’ambiance existante ou préexistante (Fig. 2 et 3). Le maintien des compétences d’une personne par l’aménagement de l’espace sanitaire devient l’objectif principal afin de limiter certains troubles du comportement et d’améliorer la qualité de vie. Cette préservation des compétences ne peut être obtenue que grâce au maintien ou à la création d’une image et d’une représentation pertinente de l’espace sanitaire pour que la personne puisse en avoir un usage adapté. Ainsi les adaptations auront un effet positif car elles contribueront à maintenir l’activité en offrant par ailleurs, la possibilité pour l’aidant de mettre en place d’autres stratégies pour la réaliser [32].
Conclusion La démarche des ergothérapeutes en ce qui concerne l’aménagement du bloc sanitaire pour des personnes atteintes de MA réside dans une double recherche : • de sécurisation par une simplification des lieux et une organisation « instinctive » en fonction de leur approche ;
22 • d’autonomie par une réponse palliative aux troubles de la personne fondée sur la prise en compte de ses troubles fonctionnels avec prioritairement une recherche d’accessibilité. Cette vision fondée d’abord sur une analyse des déficiences de la personne, pour y répondre de fac ¸on précise et prothétique, ne résout pas toutes les problématiques de confusion et de désorientation qui caractérisent cette maladie. Une conception complémentaire, fondée sur les interrelations de la personne avec son environnement dans l’espace sanitaire, permet d’aborder des notions de lisibilité environnementale, d’usage de l’espace, d’ambiance de la pièce. Ainsi, cela donne une cohérence différente aux adaptations personnalisées à proposer pour laquelle la réflexion sera basée sur une recherche du maintien des compétences fonctionnelles, procédurales et émotionnelles de la personne par l’aménagement de l’espace, qui induira sécurité d’usage et autonomie. Si, d’une fac ¸on générale, les interactions entre la personne, ses motivations, son style de vie, ses capacités et l’environnement instaurent une adaptation dynamique dans les activités humaines [33], la particularité de la réflexion pour instaurer cette dynamique auprès des personnes atteintes de MA dans l’aménagement au domicile consiste en la création d’un espace ayant du sens pour la personne, en accord avec le principe qui veut que les êtres humains ont une nature occupationnelle [34]. C’est-àdire qu’ils exercent constamment une activité signifiante et significative. En fait, seul un état confusionnel important, une problématique d’incontinence majeure ou une perte des capacités à se mouvoir représenteront des limites aux aménagements. Limites qu’il pourrait être possible de repousser grâce aux développements techniques ou technologiques (domotique et gérontotechnologie) pour augmenter le champ des propositions.
Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.
Remerciements Les auteurs tiennent à remercier pour leur participation à cette étude : Manon Godfroy, ergothérapeute, expert auprès de la maison départementale des personnes handicapées de Moselle, centre d’informations et de conseils en aide technique (CICAT), Bompard, Novéant sur Moselle (France) ; Isabel Margot-Cattin, ergothérapeute, master européen en ergothérapie, enseignante et directrice de travaux de recherche en ergothérapie pour la Haute École de santé de Lausanne (Suisse), gérante Puzzle Consulting (Neuchâtel, Suisse) ; Melinda Velnidis, ergothérapeute, soins chez soi ASBL-UCCLE (Belgique). Les auteurs tiennent également à remercier Colette Eynard, consultante en gérontologie de l’Association des réseaux de consultants en gérontologie, et Éric Trouvé, président de l’Association nationale
O. Marousé, K. Charras franc ¸aise des ergothérapeutes, pour leurs relectures critiques de l’article ainsi que leurs suggestions. Enfin, les auteurs tiennent à remercier le Pr Joël Belmin et le Dr Olivier Drunat pour leurs encouragements dans la poursuite de cette étude.
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